« Considérations sur l’Europe » de Jean-Claude Milner, lu par C. Kintzler

À l’approche des élections européennes, il est plus qu’opportun de lire le livre de Jean-Claude Milner, Considérations sur l’Europe. Conversation avec Philippe Petit (Paris : Cerf, 2019)1. L’auteur y développe sa vision politique de l’Europe et des relations internationales, examine la question centrale de l’État-nation, et soulève le point décisif des pouvoirs de l’individu. L’ensemble, plus désabusé que fondamentalement sombre, ne s’interdit pas les échappées.

Encadrés par un prologue et un épilogue, cinq grands chapitres2 s’attachent à débusquer et à rappeler les incohérences constitutives, les obscurités, les réalités peu avouables ou méconnues sous une interface lisse et trop pure pour être honnête – ou plutôt à montrer comment ce qui se présente aujourd’hui comme politique européenne ou en faveur de l’Europe consiste précisément à produire et à entretenir ce leurre. Sans vouloir en couvrir toute la richesse, on s’en tiendra ici à faire état de quatre jalons.

La question de l’État-nation

L’incohérence originaire, constitutive, repose sur l’oscillation entre Europe fédérale et Europe des nations, redoublée par l’obscurité, soigneusement dissimulée, propre à la référence fédérale (fédération  ou confédération ?). De son côté, la référence nationale n’a jamais disparu, comme en témoigne la réunification allemande. Elle se poursuit dans les pays de l’ancienne Europe de l’Est, à juste titre méfiants envers tout ce qui pourrait se présenter comme empire. Profondément obscurcie par le traité de Maastricht, et à force d’être vouée à l’exécration, la notion de souveraineté nationale a été réduite à son irrationalité :

« La notion de souverainisme a été inventée pour enclencher une machine de raillerie. L’entreprise a réussi au-delà des espérances, mais il semble bien qu’elle ait remporté une victoire à la Pyrrhus. À force de rejeter a priori toute possibilité d’un usage rationnel de la notion de nation, les partisans de l’Europe ont laissé le champ libre à ses usages irrationnels. En fait, ils ont fabriqué le populisme : alliance du principe des nationalités avec ce qu’on pourrait appeler l’anticapitalisme des imbéciles. Or l’anticapitalisme ne supporte pas la bêtise ; il en va de même du principe des nationalités » (p. 29-30).

D’où le principe secret et honteux de l’européisme : constituer une internationale de hauts fonctionnaires en pariant « sur l’insuffisance constitutive des citoyens et des peuples ». Entretenir l’insuffisance pour mener une politique : c’est exactement l’inverse de ce que pourrait faire un nationalisme rationnel qui « parie sur la possibilité que les citoyens et les peuples choisissent par eux-mêmes le meilleur » – c’était la position notamment de De Gaulle et de Churchill. Or, ajoute l’auteur un peu plus loin,

« Je maintiens qu’il aurait été parfaitement possible de concevoir une Europe unie sur cette base, mais il est indéniable que, dans les faits, la doctrine n’a plus aucun représentant digne de ce nom. Toutes les nations d’Europe continentale ayant cédé devant Hitler, il leur est difficile, mis à part l’émergence de sujets d’exception, de ne pas se rallier au pessimisme qui les exonère de leur responsabilité : nous avons choisi le pire, avouent-elles, mais la nature humaine est ainsi faite ; aussi devons-nous nous fédérer pour que chacune ramène l’autre dans le droit chemin (capitalisme rationnel, démocratie de façade, oligarches de fait, etc.). Vous aurez reconnu la fable de l’Aveugle et du paralytique. » (p. 32)

On peut observer le fonctionnement de ce mécanisme de trompe-l’œil  : maintenir les souverainetés nationales juste assez pour que les États-nations assument les décisions désagréables ou peu rentables (impôt, police, éducation, santé, protection sociale). « Ainsi est préservée la pureté de l’idée européenne »3.

L’impuissance de l’Europe

Se déroule alors la voie qui piste ce même mécanisme dans de multiples domaines et qui permet de voir clair dans les diverses branches du labyrinthe politique international et national. On refuse la guerre formelle, celle qui se déclare et qui corrélativement peut se conclure, pour poursuivre la guerre matérielle sur maints théâtres d’opérations en refilant le mistigri à quelques-uns, le droit d’ingérence servant de motif sophistique pour ne pas déclarer la guerre. On n’aperçoit pas que les États-Unis sont en train, les moyens de communication aidant, de devenir un État-nation et tiennent pour cela le projet européen comme du dernier ringard. On ne sort pas de l’après-1945, alors que le nouveau système de relations internationales repose sur des États-nations de grande dimension de type nouveau et sur la persistance des États-nations de type ancien. On feint de croire que les relations internationales ne sont pas régies par des rapports de force, et on continue à pratiquer une rhétorique ornementale à cet égard. Le comportement de l’Europe sur la scène internationale, notamment sur le continent africain ainsi qu’au Proche et au Moyen-Orient, fait l’objet d’un examen tout aussi sévère et désabusé et d’un constat d’impuissance4.

Un bilan lucide précise en outre que « l’Europe unie n’a résolu aucun des problèmes qui l’avaient rendue nécessaire » : pauvreté, pas d’autonomie énergétique, pas de politique de grands équipements, pas de politique d’immigration – plus loin, le chapitre 5 ajoutera que, en matière de politique sociale, la doctrine européenne actuelle se ramène à un axiome : « Face à la misère, la justice sociale est un luxe inutile » (p. 139).

Le « cas Macron », la laïcité et le « fait religieux »

Le « cas Macron » est significatif : le président français a-t-il bien mesuré que l’État-nation redevient le bon niveau de réglage et surtout qu’il a changé de dimensions ? Il affiche son indépendance en recourant à une théologie politique inspirée de Ricoeur pour mieux faire accepter une dépendance à l’égard du modèle anglo-saxon et de la religiosité en général. S’il ne partage pas ouvertement avec le Pape et Obama une incompréhension têtue à l’égard de la laïcité, on ne peut écarter qu’il ait le projet de s’en remettre à un modèle multiculturaliste où le « fait religieux » se veut fédérateur. Or à ce sujet l’auteur est très clair :

« Pour le moment, l’ensemble des croyances s’unissent contre la conception française de la laïcité ; mais dès qu’elle aura cédé le pas à la conception européenne, on assistera à des guerres de religion entre les confessions chrétiennes ancestrales et les diverses versions de l’islam » (p. 123).

À partir d’un rappel vigoureux du concept de laïcité, l’auteur engage ce qui va alimenter la réflexion finale du livre : la question des droits individuels. Ne pas confondre la liberté individuelle avec l’affirmation individuelle. Cette dernière en effet se réduit à une compilation qui emprunte ses propriétés à des espaces bornés où s’assemblent ceux qui se ressemblent  : rôle de composition qui se contente d’assortir des ingrédients disponibles – « coutumes », « croyances », « cultures », l’allégeance communautaire se retourne contre la liberté. Il en va ainsi, par exemple, du port du voile intégral, qui affirme l’intolérance et la soumission (p. 129). C’est l’occasion d’une mise au point claire sur le rôle nuisible d’un discours lénifiant présentant l’islam radical extra-européen comme la seule version valide et légitime de l’islam, faisant obstacle à tout travail éclairé de la part des musulmans européens. Il convient, en la matière, de remettre les choses à l’endroit :

« Les progressistes crient à la persécution pour peu qu’on refuse à tel ou tel musulman le droit d’empiéter sur la liberté d’autrui ; de même, ils invoquent une « stigmatisation » dès qu’on regrette qu’un musulman d’Europe fasse allégeance à telle ou telle contrainte caractéristique de l’islam extra-européen. Ce faisant, ils se montrent proprement réactionnaires. Ils enferment l’islam européen dans le carcan que lui a fabriqué l’islam radical. Surtout, ils l’empêchent de se penser lui-même comme une nouveauté sans précédent » (p. 134).

Les pouvoirs de l’individu

La fin de l’ouvrage médite la question fondamentale des droits (et donc des pouvoirs) de l’individu et propose un critère pour juger de l’Europe, et plus généralement de l’état démocratique d’une association politique  :

« … [les individus] ont-ils des pouvoirs stables et reconnus qu’ils puissent opposer à des collectivités, quel que soit le niveau de définition de celles-ci : famille, cités, régions, états ? La démocratie consiste à accorder à l’individu des pouvoirs opposables à ceux de quelque collectivité que ce soit. Je n’en connais pas d’autre. Plus exactement, toute autre définition est mensongère. » (p. 161).

C’est alors qu’apparaît le point programmatique et problématique ultime, sous la forme d’un défi classique que l’Europe, cette fois, serait capable de relever :

« Autant je vois mal l’Europe surmonter ses difficultés en matière de politique internationale, en matière de défense, en matière d’inégalités économiques entre États membres, etc., autant je crois possible de poser ouvertement la question des pouvoirs de l’individu face aux collectivités. Je crois de même possible de réexaminer de ce point de vue les collectivités tant politiques que sociales. Lesquelles se montrent capables de reconnaître des pouvoirs à l’individu ? Lesquelles au contraire tendent spontanément à les nier ? » (p. 163)

C’est pourquoi les États-nations sont probablement mieux placés que les pouvoirs dits de proximité, notamment régionaux, pourvu qu’ils se pensent autrement que comme des corps intermédiaires :

« Une grande partie des difficultés que rencontrent les périphéries – France périphérique, Allemagne périphérique, Italie périphérique, etc. – tient au fait que les pouvoirs immédiatement proches ont fait écran aux pouvoirs médiats et notamment à l’État. Le système du caïd dans les quartiers en donne l’illustration, mais les notables locaux ne valent pas toujours mieux. Du coup les pouvoirs de l’individu ont été dévorés, au point que ce dernier ne sait même plus qu’il pourrait en avoir. […] À des échelles différentes, la même structure se répète, depuis la barre d’immeuble jusqu’aux nations. L’avenir politique de l’Europe consiste à s’y opposer.
Encore faudrait-il : 1) qu’elle reconnaisse le lieu de la difficulté : créer, maintenir, accroître les pouvoirs de l’individu face aux divers types de collectivités ; 2) qu’il soit admis que la supranationalité ne suffit pas, si elle ne situe pas l’Europe comme protecteur de l’individu face aux collectivités proximales et, le cas échéant, face aux corps intermédiaires nationaux ; 3) que dans ce projet, l’Europe envisage la possibilité que les États-nations soient des alliés, plus sûrs en tout cas que les collectivités locales et les corps intermédiaires » (p. 165).

Si la pensée d’un avenir de de l’Europe est possible, elle ne peut pas faire l’impasse sur l’euroscepticisme informé,  argumenté et lucide que déploie Jean-Claude Milner dans cet ouvrage.

Notes

1 – Il importe de préciser que les propos constituant le présent livre, publié en 2019, ont été recueillis durant l’été 2018. On rappellera en outre que Jean-Claude Milner a publié en 2017 aux éditions Cerf une première « Conversation avec Philippe Petit » Considérations sur la France.

2 – « L’Europe et la paix » ; « L’Europe dans le monde » ; « La religion de l’Europe » ; « L’Europe sociale » ; « L’Europe de la culture et des droits ».

3 – Et l’auteur de souligner au passage que le fédéralisme états-unien fait le choix inverse de se salir les mains.

4 – Voir notamment au chapitre 2 les rubriques :  L’Afrique est mal partie ; L’impuissance idéologique européenne ; L’Orient compliqué.

14 thoughts on “« Considérations sur l’Europe » de Jean-Claude Milner, lu par C. Kintzler

  1. Francois Braize

    Chère Catherine,
    Qu’il me soit permis d’afficher un désaccord, pour une fois je me sais par avance pardonné !
    Intéressante contribution au débat fondée sur les analyses de JC Milner mais qui oublie et c’est dommage une donnée essentielle historique de la construction européenne qui prend avec le recul une dimension de choix politique fondamental :
    la volonté des pères de l’Europe, déclenchée par l’échec de 1939 de fusion entre la France et la Grande Bretagne face à l’ogre nazi par la lâcheté de leur classe politique et la veulerie de peuples munichois, de construire une Europe non par une démarche politique et démocratique qui dans leur esprit la vouait irrémédiablement à l’échec (avaient-ils tort ?) mais par l’engrenage (technocratique ?) d’une construction par étapes techniques successives (CECA, Marché commun, rapprochement progressif des législations, monnaie commune, etc.) jusqu’à ce que les choses deviennent irréversibles. Monnet dans ses mémoires a fort bien décrit la logique de ce choix politique délibéré et le processus de sa construction.
    Nous sommes même d’ailleurs passé depuis quelques décennies en Europe à la supra nationalité sans que beaucoup en ait eu même conscience par le règlement de beaucoup de sujets communautaires à la règle de la majorité (et non à l’unanimité) qui fait qu’un des Etats membres minoritaire sur un vote se voit battu et se voit imposer une norme, une législation dont il ne voulait pas. Cela arrive tous les jours.
    Donc, avec toutes celles et tous ceux qui sont résolument opposés aux positions eurosceptiques et qui sont favorables à la construction européenne, n’oublions pas que l’Europe des Nations on l’a déjà eue et à son paroxysme, celle de siècles récents de déchirements, de guerres et de barbarie et que c’est bien notre Europe, même soi-disant trop technocratique, qui nous en a sortis.
    On ne peut pas se féliciter de ce que les peuples se réveillent contre l’Europe, tout comme on ne peut se féliciter qu’ils le fassent aussi et parfois du même coup contre la démocratie comme l’a montré Yascha Mounk.
    Bien amicalement
    FB

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    1. Catherine Kintzler

      Bonjour François,

      C’est moi, et non l’auteur, qui emploie terme « euroscepticisme » et j’entends par là un libre examen. Quand vous parlez ici d' »Europe des nations », le sens n’est évidemment pas celui d’une construction réfléchie et se donnant des éléments institutionnels, c’est un peu jouer sur les mots !

      Je fais partie de ceux qui, ayant voté « non » en 1992, se sont fait traiter de débiles mentaux ou, plus élégamment, de « non-éduqués » – j’étais cependant en bonne compagnie, notamment avec Chevènement, Philippe Séguin, Jean Poperen, je ne crois pas que ce sont là des exemples d’anti-démocrates. Et le débat qui eut lieu avant le référendum de 2005 fut de grande qualité, là non plus je ne vois aucun réveil contre la démocratie. Or les positions que j’ai soutenues alors n’ont pas disparu soudainement sous une vague populo-obscurantiste, au prétexte que certains GJ se conduisent mal. Elles conservent au contraire une certaine pertinence, de sorte qu’on voit aujourd’hui bien des euroenthousiastes d’alors expliquer, à juste titre, que la politique européenne n’a pas été vraiment à la hauteur de ce qu’on pouvait en espérer.

      Le livre de Jean-Claude Milner ne se contente pas de remuer des souvenirs électoraux comme je le fais ici, il fait un bilan historique et politique très informé et mérite vraiment d’être lu.

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      1. François Braize

        Ok je le lirai, même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui (je me souviens d’une discussion sur la DDHC de 1789 à propos de laquelle il plaçait les droits de l’Homme au dessus de ceux du citoyen contre la lettre du texte qui ne les hiérarchise pas, ni même ne les distingue parfois…).
        Quant à pouvoir voter contre les progrès de la construction européenne pourquoi pas, ce peut être un choix qui se défend et ce peut être le vôtre. Aucun souci pour moi.
        Je m’interroge aussi sur mes propres choix d’européen convaincu face à la ligne économique libérale permanente que porte cette Union, comme une doxa TINA à la Thatcher. Mais je me raisonne et m’y résoud car ce sont les choix politiques des peuples qui envoient des majorités libérales ou socio libérales à leurs parlements nationaux ou à celui de Strasbourg… Même si cela en est désespérant ! Et puis, cela n’affecte que très peu la socialisation à hauteur de 57% de ses richesses de notre pays (en part des dépenses publiques dans notre PIB) quoi qu’on en dise. Ou alors cela m’a échappé…
        En outre, l’Europe ne peut pas être que de gauche comme semblent le croire certains. Comme dans toute démocratie, c’est le peuple qui est souverain et qui décide. Prétendre comme certains que l’Europe doit être « sociale » (c.a.d. de gauche) ou ne pas être, c’est en fait refuser le jeu démocratique dans lequel on peut perdre et devoir s’incliner.
        De plus où sont aujourd’hui les P. Seguin et les JP Chevènement ? Je ne vois plus que de tristes populistes de droite et de gauche qui racontent n’importe quoi et grugent le peuple (comme de vulgaires brexiteurs) au lieu de l’éclairer. Et je ne parle même pas des tartes à la crème bien éculées mais encore à la mode sur l’absence de démocratie en Europe (ce n’est plus vrai depuis l’élection du PE au SU et le renforcement de ses pouvoirs depuis le Traité de Lisbonne), ou sur une technocratie bruxelloise qui imposerait ses choix alors que les décisions sont soit prises en co-décision entre le PE et le Conseil (Chefs d’Etat et de gouvernement) ou par décision du Conseil tout seul. Comment peut-on soutenir qu’un tel dispositif n’est pas démocratique s’agissant d’un Parlement élu au SU et d’un Conseil composé de responsables politiques démocratiquement élus ou choisis aussi ?
        En fait, quand on veut tuer son chien il est de bon ton de l’accuser de la rage. Et ça marche…
        Bien amicalement sans espérer vous convaincre, juste pour le plaisir de la discussion libre !

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        1. Hello Martine

           » De plus où sont aujourd’hui les P. Seguin et les JP Chevènement ? Je ne vois plus que de tristes populistes de droite et de gauche qui racontent n’importe quoi et grugent le peuple (comme de vulgaires brexiteurs) au lieu de l’éclairer.  »

          Ces phrases ne suintent-elles pas un peu le mépris ?

          Dans  » Passion de la France » , Jean-Pierre Chevènement ne prouve- t-il pas non seulement qu’il a été très présent mais qu’il l’est encore ?

          Avec le recul et après le bilan , comment juger ces déclarations et ceux qui les ont énoncées ?

          « Oui, pour aller de l’avant dans les conquêtes sociales, il n’est d’autre avenir que la Constitution de l’Europe.» ( Julien Dray, Assemblée nationale, 6.5.92)

          « Un “non” au référendum serait pour la France et l’Europe la plus grande catastrophe depuis les désastres engendrés par l’arrivée de Hitler au pouvoir. » (Jacques Lesourne, Le Monde, 19.9.92)

          « Je suis persuadé que les jeunes nazillons qui se sont rendus odieux à Rostock votent “non” à Maastricht. » (Michel Rocard, Le Figaro, 17.9.92)

          «Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir: la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie » (Michel Rocard, Ouest-France, 27.8.92)

          « Si le Traité était en application, finalement la Communauté européenne connaîtrait une croissance économique plus forte, donc un emploi amélioré. » (Valéry Giscard d’Estaing, RTL, 30.7.92)

          « Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité. » (Michel Sapin, ministre socialiste des finances, Le Figaro, 20.8.92)

          «L’Europe, ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion. » (Martine Aubry à Béthune, 12.9.92)

          On peut aussi  » gruger  » par le silence : que sait le peuple de Monnet ?

          49% des électeurs votants ne s’étaient pas laissés  » gruger  » en 1992, n’est-ce pas plutôt réconfortant ?

          Et pour parfaire l’éclairage souhaité , des lumières de Régis Debray :  » Combler les écarts entre individus, c’est l’idéal d’un monde où une discussion est dite utile lorsqu’elle permet à des adversaires d’harmoniser in fine leurs points de vue en émoussant les arêtes, comme si la démocratie nous imposait ce devoir envers autrui : tomber d’accord. En république, on ne juge pas inutile de débattre pour clarifier ses différences, voire pour les aiguiser dans un mutuel respect.  » ( extrait non de « l’Europe fantôme » mais d’un riche texte de 1995 République et démocratie )

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          1. BRAIZE

            Les brexiteurs ont grugé le peuple britannique et leurs homologues ou succédanés dans cette élection européenne tentent de faire de même. Ils ont le droit de mentir en politique et moi celui de dire qu’ils le font. N’en déplaise. C’est ma liberté qui est aussi grande que la leur.
            Dans le débat public sur ces élections, Philippe Seguin est décédé, ainsi que Jean Poperen et JP Chevènement ne me sembla pas marquer ce débat d’un quelconque début de présence un peu marquante. Aucun mépris dans ce constat. Juste une certaine lucidité. Mettre des mots exacts sur les choses et les dire.
            Dans le débat, je préfère que l’on discute point par point en pensant par nous même et pas par citations interposées.

        2. A. COLLADO

          Bonjour,
          Je ne reprendrai qu’un seul point
          « Comme dans toute démocratie, c’est le peuple qui est souverain et qui décide. Prétendre comme certains que l’Europe doit être « sociale » (c.a.d. de gauche) ou ne pas être, c’est en fait refuser le jeu démocratique dans lequel on peut perdre et devoir s’incliner. »
          En ce qui concerne une république qui se voudrait laïque, sociale ne veut pas dire socialiste. Sociale veut dire que la Fraternité nous oblige à tenir compte des différences à réduire pour que le plus faible continu à être libre face au plus fort. Cela veut dire que de droite ou de gauche une République laïque et sociale est/était notre engagement commun et à minima.
          Je crois que vous omettez un « détail » dans la conception de la démocratie telle que vous la défendez. Mais peut-être ne vous revendiquez-vous pas laïque. Une république laïque est forcément démocratique, mais la réciproque n’est pas vraie, une démocratie n’est pas forcément laïque. Plus précisément : la laïcité se fonde sur des principes qui s’imposent à nous même si majoritairement nous voudrions le contraire. Par exemple, les principes nous interdisent de voter des lois discriminatoires, des lois restreignant les libertés etc..
          Mais il faut s’entendre sur le principe de Fraternité qui n’est pas la sécularisation de l’amour chrétien comme on le dit trop souvent, à tort à mon avis, mais le principe de responsabilité vis-à-vis du plus faible. Principe qui n’est ni de droite ni de gauche. Il y a eu une droite laïque donc sociale.
          Quant à dire que l’Europe est démocratique parce que le peuple est souverain et vote me paraît être un déni de la réalité, notamment des forces financières en présence.
          Cordialement
          A.C

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          1. Braize

            Bonjour,
            Merci de ce débat intéressant qui permet d’affiner les points de vue et leur expression la plus claire possible, pour être sans ambiguïté sur ce que l’on est ou se revendique. Parfois les propos peuvent laisser croire à autre chose… mais ne vous méprenez pas ni sur vos amis ni sur vos adversaires…
            Je suis et me revendique de gauche et j’ai voté toute ma vie contre mes intérêts économiques.
            Je suis laïque sans adjectif accolé et donc sans concession aux confessions et à leur prosélytisme, ce qui est sans ambiguïté.
            Je suis favorable à une démocratie économique régulée car il n’y a pas de démocratie politique sans démocratie économique. Je suis donc favorable à une économie de marché régulée par un Etat fort pour assurer toutes les corrections nécessaires au marché libre.
            Je suis favorable à la construction européenne la plus intégrée possible car je sais qu’il n’y a rien à attendre des nationalismes qui ont déjà fait la preuve de leur nocivité tout un siècle durant et qui nous menacent aujourd’hui de nouveau sous des oripeaux d’extrême droite aussi divers qu’avariés idéologiquement.
            Cette Europe doit être sociale comme notre République l’est. A hauteur de 57% de son PIB ce serait magnifique, non ? Cela n’implique pas qu’elle soit nécessairement de gauche dans le cadre d’une alternance démocratique qui peut amener au pouvoir des partis centriste ou de droite qui ne remettent pas en cause le modèle, les valeurs ou les principes qui la fondent.
            En conséquence, vous l’aurez compris, je ne suis pas avec ceux qui, comme bon nombre des partis à la gauche de la sociale démocratie s’éloignent de tous ces objectifs en disant l’Europe on la change ou on la quitte, quitte à n’en rien faire ensuite. Ni c’est l’évidence avec les identitaires des replis frileux qui racontent des salades aux peuples. Mais, car rien n’est simple, ni avec les partisans des ouvertures tous azimuts à toutes les misères du monde. Le chemin est étroit mais il existe et je m’y tiens, il est républicain.
            Je pense avoir été clair.
            Pour l’être encore plus, dans le fatras pathétique des 34 listes de ces futures élections au PE deux me semblent correspondre à ces objectifs, celle sociale libérale de la LREM et celle, sociale démocrate, que conduit R. Glucksmann…. à l’exclusion de toute autre.
            Quant aux forces financières qui viendraient annihiler le bénéfice démocratique vous me faites peur et vous aurez à coeur avec les autres lecteurs de nous rassurer.
            Enfin, peut-être !
            Bien cordialement
            F Braize

          2. Lyl

            Bonjour,
            J’ai l’impression que chaque élection européenne reproduit les mêmes problématiques qui reviennent en boucle avec toujours la même situation de grande abstention devant les urnes. Bien sûr l’abstention ne concerne pas que les elections européennes mais pas à ce point !.. En fait, les électeurs ne sont pas informés du tout à ce propos. Nous assistons surtout en France à un galop d’essai en vue des prochaines élections présidentielles et à des postures de candidats qui sont là surtout pour cogner sur leurs adversaires; ça fait monter l’audimat des chaines mais ça n’informe nullement des problématiques européennes. Et ça lasse …
            Une nouveauté cette fois-ci pourtant : plus personne ne veut ouvertement sortir de l’Europe ( c’est plus prudent ) et tout le monde se dit écologiste ( c’est très mode ).
            Un constat : l’Union Européenne évolue dans un système économique néolibéral dominé par la financiarisation . Le politique à abandonné le pouvoir à la finance et aux lobbys en se contentant de poser des pansements sociaux -économiques çà et là . Comment s’étonner alors de la montée en puissance des droites extrêmes et ou populistes qui instrumentalisent le mécontentement des populations ? Pire encore : comment parler de démocratie et de puissance du bulletin de vote quand les électeurs sont si peu informés ? Sans doute est-ce aussi de leur faute … Mais comment les aider ? C’est pourtant une urgence pour la démocratie.

  2. A. COLLADO

    Bonjour,
    J’abuse de votre temps une dernière fois
    « Quant aux forces financières… » Ma réponse pour ne pas vous rassurer. Que penser du doublement des dépenses de campagnes de Sarkozy ? Et que penser du financement de Macron ? Qui le connait ? Mais ces gens veulent d’abord le bonheur du peuple car ils savent ce qui est bon pour lui. Au contraire des populistes bien sûr. Alors, ploutocratie ou démocratie ?
    La souveraineté populaire est-elle consubstantielle de la laïcité ? Si oui, quid de la nation et du nationalisme.
    Le nationalisme des petits peuples belliqueux est-il à l’origine des guerres ? Pressés qu’ils sont de se faire hachés menu ? L’élite éclairée est-elle à l’origine de la paix ? Au prix du sacrifice de ses intérêts immédiats ? Vous avez peut-être accès à des informations que je n’ai pas. Ou alors nous ne lisons pas de la même manière les faits.
    Les premiers de cordées que vous évoquez ne sont pour rien de la situation dans laquelle nous sommes. Ni eux ni surtout leurs idéologies. Simplement ils ont été empêchés d’aller au bout de leur logique. (Je reprends ici le discours politico-pédagogique que je ne vous attribue pas en totalité bien entendu)
    Que ce serait-il passé si c’était les seconds de cordée qui avaient conduit le peuple aveugle à la vue des sommets ? La planète serait déjà détruite par les guerres les pillages et les pollutions. A votre tour de me rassurer.
    Irréconciliables mais pareillement laïques donc.
    Cordialement
    A.C

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    1. Braize

      Comme je ne comprends pas tout de ce que vous écrivez je m’abstiendrai de répondre sauf pour vous dire que n’étant pas un adepte de la secte des premiers de cordées je ne vois pas où vous avez vu dans mes commentaires que je me référais à eux…
      Donc merci de cette discussion mais pour ma part j’en resterai à ce constat d’échec de communication
      Cordialement

      Répondre
  3. BRAIZE

    Merci Catherine !
    On écoutera ça avec intérêt, même venu d’un site qui se dit ouvertement souverainiste.

    En contrepoint, je fournis aux lecteurs de « Mezetulle » l’analyse (remarquable) de JL Bourlanges que l’excellent site « Telos » vient de publier. Il me parait bien synthétiser les 4 enjeux que beaucoup trop méconnaissent car peu les explicitent (par incompétence ou intérêt idéologique).
    Il est de salut public de s’y référer avant de mettre son bulletin dans l’urne, voire même pour décider d’y aller pour ceux qui doutent de la nécessité….
    https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/les-dimensions-dune-election-pas-comme-les-autres.html

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  4. Jorge Morales

    Je me permets de signaler également le savoureux essai de Régis Debray : L’Europe fantôme (Gallimard, 2019) qui analyse avec une plume acérée et un style remarquable la religion et la superstition européistes, ce « culte marial qui s’ignore » et dont les commentaires de François Braize nous donnent des exemples supplémentaires.

    Voici quelques extraits de ce livre :

    « L’espoir qu’en créant par décret un Parlement européen, s’ensuivrait un peuple du même nom, ou que d’une monnaie unique naîtrait une économie unique, n’a pas été exaucé. La charrue avant les boeufs n’a pas creusé de sillon. » (p. 16)

    « La fuite en avant fédérale provoquant le retour en arrière féodal, avec la renaissance des duchés, comtés et petits royaumes d’antan ; l’Union qui morcelle en régions indépendantistes le Continent qu’elle devait souder; l’ensemble se démembre chaque fois que s’y ajoute un membre ; l’effacement des frontières débouchant sur l’érection de murs, le « progressiste » donneur de leçons faisant le jeu du « populiste » qu’il exècre. » (p. 42)

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    1. Braize

      Merci de ces citations, c’est en effet savoureux mais attristant…
      Décidément je préfère penser par moi même plutôt que par citations qui ne sont que des jeux puérils de l’esprit, fut il brillant… mais vieillissant et comme tel sinistre.
      J’aurai au moins autant de compliments à servir à ces thèses que l’on en a, même par auteur interposé, pour les miennes, mais vous le savez. Ne perdons pas de temps.
      En revanche, puisque cela vous a échappé, je vous précise que Je ne me voue à aucun culte ni civil ni politique, ni à aucun gourou, et ne me fie qu’à ma raison; j’exècre les cultes et surtout à proportion qu’ils sont barbares et cela vaut pour celui des Nations (re)livrées à elles mêmes avant qu’après deux conflits mondiaux et leurs cohortes nationalistes barbares on se soit essayé à une régulation politique mondiale que tous les Trump du monde et leurs alliés objectifs se vouent aujourd’hui, eux, à dénouer. Il me semble assez idiot de penser comme Debray semble le croire que c’est le supra national qui fait naître ou renaître le national… Comme si les barbaries nationalistes avaient attendu l’horreur supra nationale pour montrer ce dont elles étaient capables…
      La seule chose que je concède est que l’Europe construite sur un modèle néolibéral exclusif et dont les sujets de droit sont les Etats et pas les citoyens doit être radicalement transformée pour espérer pouvoir progresser.
      Ce n’est pas avec moins d’Europe qu’on y arrivera.
      Merci pour cet échange même en forme finale de constat d’échec.
      Cordialement

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