Féminisation, masculinisation et égalité(E)

avec en plus un cadeau de Mezetulle aux lecteurs.trices

Afin de mener une politique d’égalité entre les hommes et les femmes (oops, pardon ça commence mal – entre les femmes et les hommes), un travail de fond a été entrepris concernant l’usage de la langue et la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres. Non seulement cette politique bénéficie d’une promotion exemplaire, mais encore elle doit être renforcée dans un esprit d’équité et de cohérence.

Une promotion exemplaire pour la féminisation

On en a un exemple avec la fiche de synthèse publiée le 20 avril 2012 par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dont on peut lire la présentation en consultant la copie d’écran ci-dessous, prise le 30 mars 2017 (cliquer sur l’image pour agrandir)1.

Eh oui, cette note est publiée depuis pas tout à fait 5 ans, et personne ne s’est avisé de corriger la faute d’orthographe qui s’y exhibe. Je ne parle pas du mot « Egalité(E) » figurant dans le pavé blanc sur noir – on accordera volontiers qu’il n’est qu’un jeu de lettres lourdingue ajoutant un appendice d’insistance à un mot qui est déjà féminin. Non, je parle du troisième alinéa du texte :

« Constatant l’inapplication de la première circulaire de 1986, le Premier ministre a réitérée [sic] cette obligation dans une circulaire du 6 mars 1998 […] »

Souligner mesquinement cette faute comme je le fais à présent, n’est-ce pas trahir un état d’esprit nostalgique, rétif aux pratiques innovantes ? Puisque le mot obligation est féminin et que, par-dessus le marché, l’objet du texte est la féminisation, il est logique d’accorder ici au féminin tout ce qui peut l’être : c’est l’esprit qui compte, alors que la lettre tue ! La note de synthèse de 2012 anticipe ainsi sur de récentes recommandations concernant l’orthographe dans les classes : si l’apprenant écrit « les oiseaux chantes » ou « les portes sont ouvertent », puisque le pluriel a été ressenti en quelque manière, corriger serait trop stigmatisant.

En l’occurrence, ce n’est pas seulement un ressenti, mais une volonté militante qui semble avoir dicté cette orthographe de sympathie. Loin de voir là une faute, on décèlera une transgression vertueuse destinée à orienter l’évolution de la langue selon des objectifs hautement moraux. En effet, à partir de ce superbe cas particulier, il est possible de construire le jugement réfléchissant qui commence déjà à s’appliquer : chaque fois qu’on peut mettre la marque du féminin, même si elle n’est pas justifiée par la langue, il est bon de le faire parce que c’est l’indice d’une conscience du genre et une vengeance sur caractère machiste de la langue française, cet idiome réac qui marque le féminin et ne marque pas le masculin (en voilà un truc contre-nature !).

Donc on dira ou on écrira doctement : « après s’être permise d’entrer dans la chambre, elle s’est prise les pieds dans le tapis et s’est fixée un autre objectif », ou encore : « les déclarations qui se sont succédées ces derniers temps n’ont rien de nouvelles ». Par ailleurs, c’est ainsi qu’on accepte « de payer plus chère une pomme bio » . Sur cette avancée révolutionnaire, on pourrait « mettre la barre un peu plus haute », et écrire : « le travail qu’elle a entreprise la2 a donnée du mal » ou encore : « cette petite fille était celle qui avait la plus besoin d’aide ». Il suffit parfois d’un mot (ou même d’une lettre) pour renverser la grammaire et rétablir l’égale considération entre les sexes3.

Et votre vision sexiste vous égare si vous déclarez étourdiment que Colette est l’un des plus grands écrivains du XXe siècle : il va falloir la remettre prestement à sa place puisqu’elle n’en est que l’une des plus grandes écrivaines. Où l’on voit que la littérature vue par le petit bout de la lunette à moitié bouchée, c’est comme les chiottes : on y sépare les filles et les garçons.

Un renforcement : la masculinisation à l’étude

Quant au renforcement, on peut faire état d’un projet audacieux qui sera prochainement soumis à l’étude des instances compétentes. Jusqu’à présent en effet les efforts se sont portés sur la féminisation de termes dits masculins – ou plutôt non-marqués. Or pour être tout à fait équitable, il convient à présent de s’intéresser à l’opération réciproque : la masculinisation de termes féminins lorsque ces derniers désignent des personnes de sexe masculin. Il y va de la cohérence du projet global !

La Commission de terminologie et de néologie va donc devoir se pencher sur la manière de dire au masculin la victime, la personne, la sentinelle, la vigie, l’estafette, etc. On pourra faire quelques exceptions pour les termes élogieux – par ex. laisser « une beauté » au féminin – mais pour « une nullité », la parité s’impose ! Quant aux termes proches de l’insulte – une fripouille, une racaille, une ordure, une andouille, une raclure…- , ne serait-il pas juste de les remettre au masculin ?

Quant à l’Académie française – représentée de plein droit dans la Commission citée -, elle sera concernée plus particulièrement par l’aspect grammatical. Par exemple, jusqu’à présent lorsqu’on disait « Votre excellence (votre éminence / votre sainteté) veut-elle bien faire ceci ou cela ? », on pouvait laisser croire que seules des femmes étaient ainsi sollicitées par ces titres cérémonieux : va-t-on enfin pouvoir dire il ? car, au cas où vous ne le sauriez pas, il existe des ambassadeurs, des évêques et même des papes couillus.

Ultérieurement, en coordination avec l’étude pour la reconnaissance des droits des animaux, Mezetulle pense qu’il sera opportun d’étendre la réflexion à l’examen des noms des autres espèces sexuées, puisqu’on a déjà proscrit « l’homme » pour dire « l’homme et la femme » (oops, pardon voilà que je recommence, « la femme et l’homme »). Fort heureusement on a déjà la lapine et le lapin, la hase et le lièvre, la brebis et le bélier, la chèvre et le bouc, la laie et le sanglier, la jument et le cheval, la vache et le taureau, etc. Mais, même si on s’épargnera de parler du bœuf ou du hongre, il va falloir se pencher sur des cas délicats comme la girafe, la tortue, la souris, l’autruche, l’antilope, la gazelle, la panthère4

Une leçon de grammaire par Voltaire

Pour finir de noyer l.a.e poisson.ne, Mezetulle offre à ses lecteurs.trices (c’est bien comme ça qu’on doit écrire maintenant ?) ce passage extrait d’une lettre délicieusement ringarde de Voltaire. À Mme du Deffand, qui pensait avoir trouvé une faute de français dans un texte de son correspondant, il apporte un éclaircissement ayant quelque rapport avec notre sujet5.

Voltaire à Mme du Deffand, 30 mars 1775

J’ai pu vous dire, Madame : « J’ai été très mal, et je ‘le’ suis encore » :

1° parce que la chose est vraie ;

2° parce que l’expression est très conforme, autant qu’il m’en souvient, à nos décisions académiques.

Ce ‘le’ signifie évidemment : « Je suis très mal encore ». Ce ‘le’ signifie toujours la chose dont on vient de parler. C’est comme quand on dit : « Êtes-vous enrhumées, Mesdames ? », elles doivent répondre : « Nous ‘le’ sommes » ou « Nous ne le sommes pas ». Ce ‘le’ est un neutre en cette occasion, comme disent les doctes.

Il n’en est pas de même quand on vous demande : « Êtes-vous les personnes que je vis hier à la comédie du Barbier de Séville dans la première loge ? » Vous devez répondre alors : « Nous les sommes » parce que vous devez indiquer ces personnes dont on parle.

Êtes-vous chrétienne ? Je le suis. Êtes-vous la Juive qui fut menée hier à l’Inquisition ? Je la suis. La raison en est évidente. Êtes-vous chrétienne ? Je suis cela. Êtes-vous la Juive d’hier, etc. ? Je suis elle.

Voilà bien du pédantisme, Madame ; mais vous me l’avez demandé : et vous ferez de moi tout ce que vous voudrez, excepté de me faire venir à Paris. Mon imagination m’y promène quelquefois, parce que vous y êtes ; mais la raison me dit que je dois achever ma vie à Ferney.

Adieu, Madame, daignez me conserver toujours un peu d’amitié.

Notes

1 – En ligne actuellement en suivant ce lien (et en espérant que la faute y sera maintenant corrigée).

2 – Quelle ringardise de s’en tenir ici à l’unicité de la forme « lui » du cas-datif ! ne peut-on pas dire « la » lorsqu’il s’agit d’une femme ? Je reconnais que ça fait un peu bizarre, mais on finira par s’y habituer.

3 – Pour avoir une idée de l’infinie richesse des transformations possibles, on se régalera à la lecture de la réjouissante romance policière de féminisme-fiction Mersonne ne m’aime de Nicole-Lise Bernheim et Mireille Cardot (Paris : J. Losfeld, 2003 – 1re éd. 1978).

4 – En relisant cette énumération, une constatation effroyable me saisit : le substantif « mammifère » est de genre masculin ! Alors, ne parlons même pas du poisson..

5 – J’ai trouvé ce texte cité dans l’édition de 1960 de la Grammaire française expliquée de Georges Galichet, Louis Chatelain et René Galichet (éd. Lavauzelle), leçon sur le pronom, p. 28. Une précision qui fera plaisir aux esprits réac-publicains déclinistes, crispés sur un âge d’or de l’école qui n’a jamais existé, etc., etc. : cet ouvrage de 474 pages était destiné aux élèves des classes de 4e et 3e. Je l’ai moi-même pratiqué alors que j’étais élève au Lycée de Saint-Denis (93) aujourd’hui Lycée Paul Eluard, où j’ai effectué toutes mes études secondaires.

13 thoughts on “Féminisation, masculinisation et égalité(E)

  1. Mezetulle Auteur de l’article

    Mes excuses aux lecteurs qui n’ont pas pu déposer de commentaire durant toute la journée du 1er avril : j’avais en effet mal réglé les paramètres en cochant la mauvaise case…

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  2. Pascale BM

    Il reste d’autres cas, chère Catherine Kintzler, ou l’ajout d’un « e » ne signe pas un passage (serait-il désastreux) au féminin, mais modifie totalement le sens du mot. Il en est ainsi, par exemple, de « médecin » qui devient « médecine » ; « tribun », tribune » ; « chevalier », « chevalière » ; « plombier », « plombière »… il y en a d’autres, « pèlerin », « pèlerine »….
    Et pour revenir à ce « e » qui à lui seul signifierait une conscience affinée de la lutte des femmes pour l’autonomie et l’égalité (e) pourquoi exiger auteurE, et non danseurE, instituteurE … après tout et pourquoi pas? à ce niveau d’exigence de l’argumentation, je crois qu’on peut tout dire, tout écrire, surtout n’importe quoi. Mais, je me demande si je ne mettrais pas un certain acharnement, voire une mauvaise foi certaine à vouloir aussi que tout mot féminin qui désigne un homme, perde son « e » final. Nous aurions alors un victim, un person, un canail, un brut, un idol, un recru, un proi, un élit etc…., un athé pigmé sigisbé…. en macchabé…
    je n’oublie pas son Eminent, son Sainteté…
    L’affaire n’est pas si improbable, ayant relevé dans la presse : le jeune nouvelle star ; la pivot de l’équipe …
    Il y a des jours et des heures où ma colère sans fin et sans fond s’appelle aussi désespoir. Prête cependant à livrer bataille jusqu’au bout.

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  3. igb

    Merci pour ce billet qui, à défaut de nous montrer une raison d’espérer un peu de bon sens, nous permet au moins de rire de notre désespoir!

    Savez-vous quelle est la faute que Mme du Deffand pointait dans l’expression de Voltaire? Je n’arrive pas à voir ce qu’elle aurait pu penser comme juste à la place de « je le suis »… (chacun ses obsessions, la mienne est parfois la syntaxe française!)

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Je ne peux pas pour le moment répondre à votre question, il faut pour cela consulter la correspondance de Voltaire.
      Comme je l’ai précisé dans une note, j’ai tiré ce passage d’un manuel de grammaire française que pour le moment j’ai seul sous la main. Il y a quelques mois, je suis allée vérifier l’existence de la lettre en bibliothèque et l’exactitude du texte, mais je n’ai pas noté la lettre de Mme du Deffand ; il faudrait vérifier d’abord si celle-ci est publiée. Une autre visite en bibliothèque s’impose… ! Correspondance de Voltaire éd. Th. Besterman, vol. 90 (janvier-avril 1775), Genève : Institut et musée Voltaire, 1964.

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  4. ramecourt

    Bravo !
    Je publie de ce pas ce texte pleine d’humoure (les femmes en ont aussi; il est injuste de ne pas le signaler)

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  5. Caspard Annette

    Tout à fait époustouflée par vos propositions, Pascale BM, et j’approuve à 100% ! Votre analyse, chère Catherine, est absolument irréfutable, et je me réjouis de savoir que vous êtes déjà au moins deux défensEUSES de nos revendications ! Assez de sexisme, assez de mépris des femmes, nous sommes des humaines à partes entières ! (vous constatez que j’applique immédiatement vos idées).

    Quant à moi, au sujet de l’actualitéE du jour (je parle d’hier, 1er/04), je me suis ditE qu’il serait bon également de féminiser les noms d’animaux (pardon, animauTES), entre autres les poissons (pourquoi les poissons spécialement ? comme ça, au hasard – j’aurais pu choisir tout autre animal …)

    Quelques exemples de mes essais de féminisation :
    – un poisson —> une poix sonne (ça s’impose!)
    – un bar —> une barrette
    – un hareng —> une harEngue (bon, d’accord, il faudrait un A … )
    – un merlan —> une mère langue
    – un maquereau —> une mac querelle
    – un turbot —> une tue rebelle
    – un goujon —> une goue jaune
    – un rouget —> une rouge haie
    – un anchois —> une anche wâââh !
    – etc …

    Et puis aucune raison de ne pas masculiniser les noms de poissons au féminin, comme :
    – une daurade —> un dos rat
    – une sardine —> un sar dingu
    – une lotte —> un lot (le plus gros de préférence …)
    – une carpe —> un quart peuhhh!
    – etc …

    On pourrait continuer longtemps ainsi, de même qu’étoffer vos démonstrationNEs, Catherine et Pascale, mais je laisse à d’autres intervenants le loisir d’exercer leurs capacitéEs de réflexionNEs …

    A vos recherches, collègues internauTS – mieux vaut s’attacher à ce genre d’amusement que suivre ce qu’on appelle (sans aucune légitimité) la « campagne » – personnellement, j’emploierais d’autres termes …

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  6. Pascale Paré-Rey

    Merci pour ces réflexions …

    Chaque fois que je lis non plus seulement dans quelque flyer bien pensant mais dans des notes administratives, officielles, du écher-e-s étudiant-e-s, bonjours à tout-e-s, soyez motivé-e-s  » etc. j’ai beaucoup de mal à écrire ainsi mais vous m’aurez comprisE), je me dis qu’il faudrait un bon coup de gueule de Catherine Kintzler et pourquoi pas un appel à légiférer pour qu’on arrête de nous obliger à une lecture bredouillante, inepte et inopérante, soulignant ce que nous savons bien déjà (il me semble?) à savoir que nous sommes hommes et femmes, pardon, femmes et hommes, à lire de tels textes.
    Et si on se pensait autrement que pourvu d’attributs plus ou moins généreux, c’est-à-dire comme des citoyens, des français, des hommes (des parties de l’humanité) ?

    Assez de ces tirets!
    Sus aux -e-!
    Vive le neutre!

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