La carte bleue vertueuse, surmoi plastifié

J’ai d’abord cru à une blague. Mais non, une étape a été franchie dans la culpabilisation écolo avec l’invention d’une carte bleue qui affiche l’empreinte CO2 de ce que vous achetez avec. Au comble de la perfection, une version de cette carte bloque vos achats si vous dépassez « un certain quota ». Un sommet de propreté peut donc être atteint avec ce surmoi plastifié : en restant sagement sur votre compte, l’argent n’a plus du tout d’odeur, il est renvoyé à son essence.

Voilà devant quoi s’extasie une chronique économique matinale du 17 juin sur Europe 11 . La description enthousiaste ne dit pas qui fixe « un certain quota » au-delà duquel on reçoit le message « achat refusé ». Mais l’expression « version autoritaire » utilisée pour caractériser la carte bloqueuse est peut-être un indice.

L’invention est suédoise. Et le chroniqueur de préciser, admiratif, que « la Suède est à la pointe en matière d’écologie » avant d’ajouter, presque menaçant, que « tout ce qui vient de Suède en matière d’écologie s’impose très vite ». Le moyen de ne pas effectuer une génuflexion suiviste devant un tel « modèle », brillant exemple de ce que la culture moralisatrice luthérienne fait de mieux ? Le mieux s’entend bien sûr selon les critères de pureté à la mode du moment – on ose à peine rappeler la politique eugéniste menée jusqu’à une époque récente par ce pays 2.

De « la honte de prendre l’avion » à l’hygiénisme et à la carte bleue vertueuse – entre autres mesures bien propres sur elles qui vous mettent en garde contre vous-même et vous conduisent sur le droit chemin – la structure éthique est la même. Elle fut jadis décrite et étudiée par Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme.

Que le plastique puisse être un bon investissement pour le surmoi écolo, qui l’eût cru ?

Notes

2 – Voir https://www.nouvelobs.com/monde/20000329.OBS3272/la-suede-face-a-l-eugenisme.html . On trouvera une étude sur l’histoire de l’eugénisme scandinave dans cet article https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1998_num_53_3_6877 .

9 thoughts on “La carte bleue vertueuse, surmoi plastifié

  1. Antonio C

    Bonjour,
    Ce qui est choquant de mon point de vue, et significatif, c’est que ladite banque qui vous fournit le kit du citoyen responsable finance « en même temps » les produits qui nous tuerons en toute irresponsabilité, et vous proposerons les actions. Significatif de la schizophrénie du marché libre et non faussé. Voir les discours politiques sur le climat et la réalité des investissements. Du coup, l’attitude des suédois (des banques) apparait pour ce qu’elle est : libérale. C’est à la population de se transformer, de faire advenir une nouvelle humanité, car le système économique et le pouvoir qui le sert ne font pas partie des sujets de nos prérogatives de consommateurs. Ce serait des données et non pas des construits. TINA c’est : plutôt morts que sans la liberté d’entreprendre, plutôt morts que limiter la propriété privée.
    Et si Mezetulle nous parlait de ça ? La liberté d’entreprendre est-elle compatible avec l’esprit de la laïcité ? Si oui, si non, jusqu’où ? La propriété privée sans limite est-elle compatible avec l’esprit de la laïcité ? Si oui, si non, jusqu’où ?
    Antonio C

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    1. CALMEL

      Juste une petite prière. Si vous pouviez cesser d’utiliser le terme de schizophrène qui, dans ce contexte ne veut rien dire et choque ceux qui souffrent de ces symptômes. J’en connais qui sont régulièrement choqués. Par ailleurs la contradiction qu’évoque ce terme dans le contexte où vous l’utilisez ne correspond en aucun cas à cette pathologie. Je sais que cette figure de style est à la mode mais…
      Merci

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      1. pascaleBM

        Je m’autorise une réponse à l’usage du terme « schizophrénie » qui, avant de désigner une maladie mentale, et hors de ce contexte, doit être rapporté tout simplement à sa signification étymologique. L’extension à la pathologie mentale est tardive, et ne représente, en quelque sorte, qu’un aspect (médical) de cette signification.
        Ainsi, on peut, sans la moindre connotation autre que le sens « couper en deux » (sur le plan des idées) c’est-à-dire manier ou maintenir des contradictions dans ses propos, se prévaloir d’une certaine « schizophrénie » ou s’en défendre, sans faire la moindre offense à quiconque. Et cela doit, en principe pour les usagers respectueux de la précision sémantique, se sentir dans leurs discours, évidemment….( dans le cas contraire, c’est reprochable en effet….) ; admettons qu’en ce lieu, la plupart connaisse le sens ancien de ce terme.

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        1. CALMEL Huguette

          Je suis désolée de vous contredire mais le terme de schizophrénie a été inventé au début du XXe siècle par un psychiatre zurichois pour caractériser cette affection mentale. Ce n’est pas parce que des racines grecques ont été utilisées que ce terme est ancien. Un grand nombre de mots fabriqués à cette époque là copient des racines grecques comme auparavant on copiait des racines latines. Il n’y a donc pas « d’extension » à la pathologie mentale. Ce terme n’existe que pour caractériser cette affection.
          A titre anecdotique, j’ai un traité du rythme du début du XXe siècle qui écrit rhythme pour faire une peu plus grec peut-être….
          Le génie de la langue français utilisant plutôt la dérivation pour créer des mots nouveau on remarque que ce procédé est très peu utilisé depuis quelques siècles (il serait trop long d’expliquer pourquoi)
          Cordialement

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          1. pascaleBM

            J’ai dû mal me faire comprendre, mais ce terrain est terriblement délicat, aussi, je ne tiens pas à polémiquer, juste tenter de préciser ce que j’ai voulu dire qui convient d’ailleurs pour d’autres termes qui sont aujourd’hui rapportés à leur seule dimension médicale (je sais bien qu’ schizophrénie apparaît au début du XXème siècle dans ce cadre) et les wikipédia et autres sources du net y contribuent totalement. Mais user de ce terme, je dirai par métaphore, métonymie ou généralisation, eu égard à sa signification très précise, n’est pas faire outrage, à mon avis. C’est juste ce que j’ai voulu -mal sûrement- dire. Ainsi, il me semble que l’on peut proposer l’adjectif « schizophrénique » pour qualifier’un propos ou un comportement, que sais-je, marqué par un dualisme, une contraction même, apparemment irréconciliable, mais pourtant, défendable, chacun pour soi. Ainsi, de nombreux termes rapportables, tout particulièrement, à la médecine, sont de cette nature… mais il est devenu habituel de favoriser, voire de ne garder, que le sens spécialisé, trouvant offense à la reprise de son sens dans un contexte qui, sémantiquement, le rend tout à fait pertinent.
            En revanche, je ne comprends pas bien la pertinence de l’exemple orthographique du « rythme » rapporté à cette question…. Oublions car l’intérêt tient dans les propos rafraîchissants du billet de C.K

  2. Braize

    A. de Tarlet ne serait-il pas passé à côté de l’héritage de la capacité de réflexion critique d’autres hommes de médias portant le même patronyme que lui ?
    Mezetulle a raison : on semble toucher le fin fond de la bêtise suiviste qui peut parfois caractériser les NTIC.
    Mais, quand même, aux êtres infantiles incapables de mesurer seuls la débilité de leur comportement de consommateur au regard de l’avenir même de la planète, ne faut-il pas de tels instruments « coercitifs » ?
    Je crains que la réponse soit positive.
    En plus venant des nouvelles technologies les « ubérisés » jusqu’à la moelle vont y prendre plaisir et le bâton deviendra ainsi carotte…
    Alléluia !

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  3. pascaleBM

    Et la puce électronique que contient cet hypocrite moyen de paiement ? dont tout le monde sait -sur cette question non plus on ne pourra pas dire « on ne savait pas »- le prix humain sur les lieux d’extraction de métaux rares pour la fabriquer, et aussi l’infernal cercle vicieux des moyens an-écologiques pour y parvenir.
    Tout cela relève du même non-sens qui ferme les petites gares pour mettre des autobus sur les routes ; qui demande l’abandon des véhicules à énergie fossile -sans dire mot des batteries hyper polluantes abandonnées- au profit de véhicules électriques à batteries… à nouveau, mais autrement, malfaisantes ; qui ose dire que l’usage de l’informatique est « propre » pour la planète, sans jamais parler de la consommation ahurissante d’énergie à quoi on nous force… etc, etc… Rentrer dans l’examen minutieux de ces propositions de voyous, et c’est l’abattement garanti, et peut-être le désespoir…

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  4. Incognitototo

    Chère Catherine,

    J’ai d’abord cru à un poison d’avril à retardement en lisant le titre, mais non, on en est bien là… La culture (jouissive) de la culpabilité protestante a produit le nazisme ; elle donne aujourd’hui cette nouvelle forme hybride d’écologie punitive, où on nous rappelle perpétuellement que ce que nous faisons est mal, mais où on ne remet jamais en cause les fondamentaux néo-libéraux qui ne peuvent aboutir qu’à ce mal.
    Vous faites d’ailleurs bien de rappeler que ce pays (comme bien d’autres pays à forte culture protestante) a pratiqué l’eugénisme.
    De façon plus générale, je me demande depuis bien longtemps qu’est-ce qui fait que cette culture religieuse (et la plupart des autres aussi) engendre tant de totalitarismes « au nom du bien ». L’écologie punitive en est d’ailleurs clairement une émanation… dénonçons le mal, pour pouvoir continuer à jouir de cette culpabilité semble être la perversion à la mode de la pensée politique, qui est le degré zéro de la cohérence.

    Heureusement, à la lecture de votre article et des commentaires précédents, il semble que je ne sois pas seul à ne pas être dupe… mais tudieu que c’est pénible d’entendre toujours et partout cette rengaine bien pensante qui nous fait passer pour des monstres à chaque acte de nos vies, alors même que les fondamentaux qui nous conduisent à ne pas pouvoir faire autrement ne sont jamais remis en cause.

    Bien amicalement.

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  5. Ping : Écologie : quel spectacle ! | CinciVox

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