L’éclipse de l’école

Au motif de sécurité et dans une impréparation remarquable, la France a interdit aux élèves des écoles, collèges et lycées de regarder l’éclipse solaire du 20 mars. L’affolement ministériel dont j’ai déjà parlé ici aurait-il atteint son plus haut degré, ou faut-il que nous nous attendions à pire ?

J’avais déjà appris qu’à Bordeaux, lors de l’éclipse de Soleil, on avait confiné les élèves dans les classes avec interdiction de regarder au dehors. Une institutrice d’école maternelle nous dit qu’elle avait pour consigne de ne pas laisser les enfants sortir de la classe pendant la récréation et de leur montrer un dessin animé en attendant que la dangereuse conjonction ait pris fin. Était-ce une mesure nationale ? Je sais bien que regarder le Soleil rend aveugle, mais est-on devenu incapable d’empêcher les petits élèves de le regarder directement ? Et l’éclipse étant prévue de longue date, ne pouvait-on pas les mettre en garde, et leur procurer des lunettes protectrices ? C’était l’occasion d’une belle leçon d’astronomie.

Voici un autre témoignage. Les professeurs qui accompagnaient une classe en sortie scolaire, ayant reçu plusieurs messages d’alerte de l’administration et de certains parents d’élèves, décidèrent de fermer tous les rideaux du car pour que personne n’ait l’idée folle de jeter un œil vers le soleil. Il y a mieux. Un professeur a osé confectionner avec une petite boîte en carton une chambre noire qui permettait de voir, projetée sur la paroi du fond, l’occultation progressive de l’astre. C’était sans compter avec la panique des « adultes » présents : certains de ses collègues qu’il croyait raisonnables l’ont considéré comme un agitateur qui donnait des idées dangereuses aux jeunes gens ; ils l’ont mis en garde, refusant de regarder par protestation. Au lycée, les volets roulants étaient baissés et même désactivés, pour que personne ne puisse risquer un regard dehors.

Nous n’avons pas eu la conjonction de la Lune et du Soleil, mais de la peur et du refus d’instruire. Sous prétexte de sécurité, en réalité par peur de ses enfants, qu’elle méprise, la France a interdit aux élèves des écoles, des collèges et des lycées de regarder l’éclipse de soleil ! Beau symbole, une école terrifiée sur l’ordre de ses responsables, une école transformée en caverne par peur d’un excès de lumière. Nous sommes chez les fous.

5 thoughts on “L’éclipse de l’école

  1. Il Rève

    Quand un(e) ministre de l’éducation nationale propose de tourner le dos aux événements naturels de prise de conscience des planètes les plus connues de l’homme, il y a de quoi s’inquiéter. A plusieurs titres. Inciter les enseignants à fermer les yeux sur une éclipse de soleil, rarement observable, c’est empêcher de regarder la nature. C’est à dire notre passé et notre présent. C’est aussi laisser entendre que « ça » n’a pas d’importance, « ça  » ne mérite même pas un regard. Et pourtant c’est au moment où la lumière solaire disparaît que l’on peut comprendre en un seul regard et une partie du système solaire et une partie du fonctionnement des planètes. Un pas immense dans l’investissement cognitif. Empêcher cela c’est nier l’expérience à faire pour connaitre et c’est du même coup nier la démarche dite « expérimentale » de la découverte du monde. C’est rompre avec une méthode de connaissance du réel. Affirmer le danger d’un tel regard porté sur ce qui nous permet d’être « au chaud » c’est accentuer une approche « réservée » vers la connaissance. Cette éclipse ne fut pas seulement celle du soleil. Elle fut aussi, hélas, celle de la raison pédagogique.

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  2. subirats

    je confirme ….une remplaçante en CM1 n’a pas pu faire profiter aux élèves de sa classe de cet évènement -la titulaire maitresse d’application(c’est dire!) stressée a exigé qu’ ils restent confinés dans une salle aux rideaux tirés pdt que d’autres munis de protection suivaient l’évènement et auraient pu prêter leurs lunettes à leurs camarades (niet) ! Remplaçante frustrée’ ,élèves discriminés qui s’occupaient de verbes au futur pdt ce tps et parents mécontents ! « qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu » pour mériter de pareils enseignants( obéissance servile aux consignes de la hiérarchie ,aucune adaptation ,des attitudes anxiogènes et des méthodes (bof) rigides et conformes aux ordres
    /1er responsable de la dégradation du système …l’enseignant soi-même????

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    1. Il Rève

      L’éducation nationale est une structure hiérarchisée avec un fonctionnement dit « descendant ». Héritage de l’histoire de la construction de « l’école de la République ». Il n’est pas étonnant que dans ces conditions les enseignants aient suivi les recommandations provenant du ministère de tutelle. Avec d’autant plus de conscience professionnelle que la conception d’un projet « Eclipse de soleil », demande du temps à être formalisé et adopté (ou non) par les conseils d’école ou conseils d’administration des collèges et lycées. Hors de cette procédure le moindre incident peut ne pas être « couvert » par la hiérarchie. Ainsi le ministère ayant pris le parti de la prudence a de ce fait orienté les enseignants vers le repli plutôt que vers l’exploitation pédagogique du phénomène. C’est ainsi que seuls quelques enseignants de classes innovantes ou au cœur des « savoirs situés » ont pris le risque de la vraie connaissance. L’école n’a pas su et pas pu jouer son rôle émancipateur. Aux dépens de la volonté de la majorité des enseignants. Nous ne dirons jamais que lorsque une armée gagne une bataille c’est en raison du général, et quand elle la perd à cause des soldats.

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      1. jambe

        Mon école a regardé en chœur l’éclipse, sténopé à la clé, lunettes, thermorésistance, …toutes idées diffusées par documents pédagogiques de l’inspection de circonscription, plusieurs jours avant l’événement. Quelle surprise quand déboule émanant des « huiles » l’injonction contradictoire de rester calfeutrés. Injonction à laquelle nous avons désobéi sans remords ni culpabilité…

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        1. Il Rève

          Des soldats ont ainsi gagné des guerres. Et des enseignants ont ouvert à leurs élèves le chemin de la curiosité dans la découverte du nouveau, du fugitif. Le mouvement des astres est devenu pour eux réalité réelle. Je dirai donc bravo l’instit. A défaut de pouvoir crier, hélas, pour cette fois, bravo l’école.

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