L’Éducation nationale contre l’école (par Louise Buisson)

Le texte ci-dessous n’est pas une fiction, mais un authentique témoignage, reçu d’une institutrice, sur la situation de l’école. Le ton désabusé est celui, navré et navrant, d’une indignation qu’on sent dépassée depuis longtemps. Il en dit long sur l’état d’exaspération et de découragement qui étreint les enseignants attachés à l’instruction. Car on ne se contente pas, en haut lieu, de pervertir leur mission, on s’acharne en outre à saper leur moral en les désavouant ouvertement auprès des élèves.

En visite dans une école élémentaire l’an passé, madame La Ministre de l’Éducation Nationale n’a pas daigné saluer l’équipe enseignante mais a précisé aux élèves qu’ils pouvaient la joindre s’ils estimaient avoir trop de devoirs et pas assez de récréations. Si l’école ne doit pas devenir définitivement un centre de loisirs, souhaitons qu’ils n’aient pas pris ces propos au sérieux !

La politique des rythmes éducatifs mise en place depuis plus de deux ans, sans et contre les enseignants, est, comme toutes les enquêtes le démontrent, un échec qui était prévisible. Jamais les élèves/enfants n’ont été aussi agités, bruyants et fatigués. Jamais les enseignants n’ont été aussi éprouvés par leur fonction de moins en moins enseignante et de plus en plus « éducative ». Leurs journées consistent, désormais, à ne faire que de la discipline de groupe au détriment des disciplines, de l’acquisition de savoirs.

Cette réforme a anéanti la symbolique réservée à une classe qui n’est plus exclusivement un lieu où l’on rencontre savoirs, rigueur et exigence mais qui est désormais un lieu de loisirs1 portés par des animateurs souvent trop jeunes, pas assez formés, ayant un niveau d’exigence et de langue très faible, une attitude qui n’éduque pas mais, au contraire, qui désinstitutionnalise ce que la majorité des enseignants tente chaque jour, malgré tout, de construire et de préserver.

Les enfants/élèves vivent en collectivité 40 à 45 heures par semaine sans repos possible, dans un vacarme assourdissant qu’aucun d’entre nous ne supporterait.

Et que penser de l’entrisme du religieux et du marketing dans l’école ? Est-il normal que la République, qui semble s’excuser de ses propres valeurs, laisse le Qatar, les Emirats Unis et les marques recouvrir les enfants de « tags » aussi tapageurs qu’asservissants ? Comment ne pas voir une offensive de la part de ces États, peu soucieux des valeurs démocratiques, et du marché pour conquérir les corps de nos enfants avant de conquérir leur esprit ?

Est-il normal, alors qu’est réaffirmée l’égalité filles/garçons dans les programmes, de voir des mères d’élèves accompagnant les sorties scolaires, toutes drapées de noir de la tête aux pieds, ne laissant apparaître que l’ovale de leur visage, servir les pique-niques avec des gants, comme le hasard de nos promenades nous le fait constater dans les parcs de nos villes ? Banaliser l’effacement du corps de la femme dans l’espace public au sein même de l’école est une véritable insulte.

Il y a plus qu’un fossé entre la parole de la Ministre et ce que les enseignants vivent dans les écoles.

On retiendra de ce quinquennat – comme du précédent – qu’il tient pour négligeable la place d’un maître, d’une maîtresse dans une classe. L’expérience et la parole de ces derniers n’ont aucune valeur au 110 rue Grenelle. Tout est désormais décidé sans ceux qui font l’école.

L’Éducation nationale n’est plus au service de l’école.

Louise Buisson, institutrice
[NdE. c’est sur le conseil de Mezetulle que le texte est signé d’un pseudonyme]

1 – Rappelons que le mot « école » vient de skholè « le loisir » en grec ancien – le loisir au singulier c’est-à-dire la sérénité réflexive détachée de tout assujettissement à une utilité immédiate, à une demande sociale, a fortiori à un marché comme celui des « loisirs ».

2 thoughts on “L’Éducation nationale contre l’école (par Louise Buisson)

  1. Tristan Béal

    Merci pour votre témoignage sur ce mépris si manifeste de notre ministère.
    Il serait bon qu’un jour soient renversés les termes de votre titre martial et que l’école cesse d’être dans cette piètre position obsidionale qui est la sienne depuis maintenant trop longtemps et que l’attaque vienne d’elle. Certes, chaque jour de la semaine, nombreux sont les maîtres à sauver l’école malgré le ministère et à mener leur mission émancipatrice. Et cette résistance sourde et intime est déjà noble. Mais je ne cesse de me dire que nous ignorons la puissance qui est la nôtre, notre puissance de lutte et d’effroi. Il nous serait tout à fait possible de bloquer le pays en n’enseignant plus. On pourrait rétorquer qu’avec le SMA nous avons précisement perdu cette capacité : que nous faisions classe ou pas, les enfants sont accueillis à l’école et gardés par les municipalités. Certes ; il n’empêche qu’une telle révolte nous rendrait une certaine fierté…

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  2. delaby pascal

    Hormis les paragraphes consacrés à la présence de l’islamisme ( situations auxquelles je n’ai pas été personnellement confronté ) le bilan que vous exposez est parfaitement exact et conforme à la réalité . Une réalité certes imposée par le ministère ,mais voulue,initiée,avalisée par des syndicats,des associations (de parents,de DDEN …)
    Instituteur (pardon, professeur des écoles…) j’ai eu l’occasion de faire savoir aux parents que leur enfant scolarisé dans ma classe de CP ,s’endormait après les » activités » imposées par la réforme . Mal m’en a pris puisque cela m’a valu une visite (certes gênée ) de mon inspectrice m’intimant (verbalement ) de ne pas renouveler ce genre de courrier . L’Inspectrice intervenait sur demande de la Municipalité ….
    Cette réforme des rythmes est un mensonge absolu:elle ne restitue en rien les trois heures d’enseignement supprimées par le gouvernement précédent ,elle les remplace par du macramé .
    Un gouvernement attaché à l’instruction des classes populaires aurait rétabli les cours du samedi matin .Il n’est absolument pas certain que les enseignants y auraient été opposés !
    Cette réforme doit être abolie ! Mais qui soutient et les élèves et les instituteurs dans cette lutte ?

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