Les « convictions laïques » existent : 12 en sont morts à Charlie

En développant, dans le dernier numéro d’UFAL-Info1, le thème des « convictions laïques », nous ne nous doutions pas, hélas, qu’elles pouvaient coûter la vie à certains de leurs défenseurs. L’article qui suit est un hommage aux morts de Charlie-Hebdo, et un appel au respect de leurs « convictions », clairement revendiquées par leur rédacteur en chef Charb. Puisse-t-il inciter à examen de (liberté de) conscience les « laïques qui se taisent », ou qui dénient leurs convictions : ceux-là se reconnaîtront sans qu’on les nomme, car la polémique ne sied pas au deuil.

« J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent »
Charb, rédacteur en chef de Charlie-Hebdo, assassiné le 7 janvier 2015.

Parmi les « laïques qui se taisent », il y a les « négationnistes de la laïcité » !

Pour eux, la laïcité ne serait pas une opinion, mais le cadre juridique réservé à la seule « sphère publique » (pouvoirs et services publics), et strictement limité à la neutralité vis-à-vis des religions. Elle ne saurait être invoquée par des personnes privées : ainsi une association privée ne pourrait se dire « laïque ». Ce raisonnement, tenu à tort le 19 mars 2013 dans l’affaire Baby-Loup par la chambre sociale de la cour de cassation, a finalement été démenti le 24 juin 2014 par l’assemblée plénière de la Haute-juridiction.

Bêtement, mais logiquement, il découle de telles prémisses que seules les croyances religieuses constitueraient des « convictions ». Tant pis pour la liberté de conscience qui protège toutes « les opinions, même religieuses » . Ce déni d’une liberté fondamentale se retrouve dans les dispositions du code du travail interdisant seulement les discriminations pour « convictions religieuses » (raccourci saisissant qui cannibalise toute autre opinion !), voire du code pénal (cf. Ufal-Info n° 59, p. 5). En somme, la laïcité serait un monopole d’État, et les convictions un monopole des religions !

On trouvera ci-dessous un florilège de ce déni de liberté de conscience, en contradiction totale avec l’histoire de la République et des républicains… Ces laïques honteux de leurs convictions font pis que de « se taire » : ils donnent des armes aux ennemis de la laïcité.

Une réfutation sans appel vient –hélas- d’être opposée, de la façon la plus tragique qui soit, à ces petites arguties. Que leurs auteurs aient la décence de méditer l’exemple de Charlie.

C’est bien pour ses convictions laïques qu’on a voulu « tuer Charlie »

Personne ne soutiendra que Charlie-Hebdo était un organisme public. Pourtant, il se réclamait bien de la laïcité, explicitement par les propos de sa rédaction, et jusque devant la justice.

Lors du fameux procès des « caricatures du prophète » (février 2007 et mars 2008), les rédacteurs du journal ont affirmé haut et fort que, pour eux, il ne saurait y avoir de délit de blasphème, et que la religion n’était sacrée que pour ceux qui s’en réclament. La justice de la République a alors confirmé (en première instance, puis en appel) :

« Dans une société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions, quelles qu’elles soient. »

En quittant les lieux de leurs crimes, le 7 janvier 2015, les frères Kouachi ont clamé : « Charlie est mort, le prophète est vengé ». Ils ne se sont pas trompés, eux, contrairement aux « laïques honteux » qui dénient encore que la laïcité puisse être aussi une conviction.

La laïcité : une conviction pas comme les autres, parce qu’elle les permet toutes

Répétons-le, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), et ce pour l’ensemble des pays signataires de la Convention européenne du même nom, a une fois pour toutes reconnu

« …les partisans de la laïcité sont en mesure de se prévaloir de vues atteignant le « degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance » requis pour qu’il s’agisse de « convictions » au sens de la Convention […] »

Les convictions laïques sont donc reconnues et protégées à égalité avec les religions. Devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Baby-Loup, 24 juin 2014), le procureur général Marin est venu le rappeler (cf. UFAL-Info n° 59).

Que les républicains ou laïques inconséquents veuillent bien s’en souvenir ! Qu’ils fassent l’effort de penser qu’une opinion puisse avoir pour objet de permettre toutes les autres, ce qui fait des convictions laïques ce que nous avons nommé des « convictions paradoxales »

La laïcité, c’est comme la République : il lui faut des partisans pour vivre !

Certes, il convient de distinguer l’expression des opinions – y compris laïques – dans la société civile, du « principe de laïcité » s’imposant dans la sphère publique. Mais dans les deux cas, la laïcité de la République a besoin des « partisans de la laïcité » (comme dit la CEDH) !

L’espace civil (la rue, les magasins, les stades, etc.) est celui des libertés publiques définies par la loi. Mais sa configuration n’est pas le même dans une « République laïque » comme la France, que dans une démocratie multiculturelle ou communautariste (Europe du Nord, Royaume-Uni, USA…). Par exemple : le mariage civil est une fois pour toutes séparé de toute dimension religieuse ; la liberté d’expression inclut celle de critiquer les religions ; la notion de blasphème n’y a pas cours. Ainsi, dans l’espace civil, les convictions laïques de l’UFAL l’ont conduite à prendre position en faveur du mariage entre personnes du même sexe, aussi bien que pour l’abrogation du délit de blasphème en Alsace-Moselle.

Quant à la sphère publique, domaine réservé du principe de laïcité, il serait naïf de croire que la loi s’y applique d’elle-même, et que les citoyens « laïques » n’y auraient pas leur mot à dire ! La preuve : malgré quelques sursauts bienvenus (comme la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école), nos gouvernements (de droite comme de gauche) et certains juges (dont le Conseil d’État) ne cessent insidieusement de vider la laïcité de son contenu. Et n’oublions pas les collectivités locales, dont les édiles, par lâcheté et/ou clientélisme, subventionnent en toute illégalité associations et lieux de culte. Le principe de laïcité lui-même est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls pouvoirs publics. Par exemple, à propos des parents accompagnateurs de sorties scolaires, l’UFAL a rappelé, avec d’autres, le principe constitutionnel de laïcité de l’enseignement public, face aux « accommodements (dé)raisonnables » prônés par le ministère. Nous n’avons pas, hélas, été entendus des pouvoirs publics : tel est l’état de déliquescence de notre laïcité, même « publique ».

Sans partisans animés de « vues atteignant le « degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance » nécessaire à l’action, le principe de laïcité s’éteindra.

Ce n’est pas par hasard que les communautaristes et les cléricaux s’attaquent en priorité à la sphère publique (école, mairies) pour imposer l’expression religieuse. Mais après tout, la République elle-même péricliterait, s’il n’y avait plus de citoyens animés de « convictions républicaines » : qui donc nierait l’existence et la nécessité de telles convictions, au motif que la République serait, seulement et une fois pour toutes, définie par la Constitution.

Florilège de citations négationnistes de la laïcité

Deux thèmes :

1 – admettre qu’elle soit une conviction « réduirait » la laïcité. 2 – c’est bon pour les Belges !

« La laïcité incarne la neutralité vis-à-vis du fait religieux. [Or] […] une adhésion […] à une idéologie, à une morale ou encore à une politique […] est le contraire de la neutralité. » (Un haut magistrat, mars 2013)

« […] la laïcité, principe supérieur et non simple opinion. » (Organisme gouvernemental, 15 octobre 2013)

« La laïcité, mode juridique de régulation des relations entre les cultes et l’Etat (…) se voit confinée dans un statut de « conviction ». (…) [Il s’agit d’une] régression concordataire ou inspirée du modèle belge (…) le principe de laïcité tel que défini par la Constitution ne saurait être réduit à une conviction (…) » (Association laïque, 29 novembre 2013)

« la laïcité n’est pas une religion ou une conviction philosophique parmi d’autres, c’est un principe d’organisation de la République, […] [il ne faut pas] ramener celle-ci à une conviction comme une autre, ou au même rang qu’une conviction religieuse. C’est la conception belge de la laïcité » (Article d’un militant laïque, 7 décembre 2013)

« La laïcité est-elle une religion ? » (Presse catholique, décembre 2013) ;

« … […] la laïcité ne saurait être une option, il s’agit d’un principe républicain(…) » (Avocats de collectivités locales, 10 janvier 2014).

« la laïcité française ne saurait être réduite à une simple tendance, opinion idéologique ou morale. En effet, nous ne sommes pas dans un système équivalent au système belge de « laïcité organisée ». (Organisme gouvernemental, 12 juin 2014.

Les 7, 8, 9 et 11 janvier 2015 n’ont pas été compris :

« la laïcité est un principe constitutionnel d’organisation de la société, pas une croyance » (Article d’un site laïque, 17 janvier 2015)

« la laïcité ne saurait être réduite à une conviction puisqu’il s’agit d’un principe d’organisation de l’État, impliquant que celui-ci garantisse la possibilité à chacun d’avoir sa propre conviction ou croyance. » (Un membre d’un organisme officiel, février 2015).

 

Faut-il avoir peur des Belges ?

Les négationnistes des convictions laïques brandissent comme un épouvantail « l’exemple belge » (voir « florilège de citations » ci-dessus). En Belgique, des subventions publiques sont versées à la « laïcité organisée » comme aux cultes, et des « directeurs de conscience humanistes » sont admis dans les prisons, hôpitaux, casernes, etc., concurremment aux aumôniers religieux. Curieusement, un organisme gouvernemental français, cité dans notre florilège, vient de prôner récemment des « conseillers humanistes » en milieu carcéral… allez comprendre !

En réalité, la Belgique est un Etat organisé selon un communautarisme officiel distinguant traditionnellement trois « piliers » : libéral (de droite et laïc), socialiste (de gauche et laïc), social-chrétien (religieux et centriste), avec chacun ses syndicats, mutuelles, associations, etc. Distinction à combiner avec les « communautés linguistiques » (wallonne, flamande, et allemande), de plus en plus prégnante. Surtout, la Belgique ne connaît pas de séparation des églises et de l’Etat : elle reconnaît et finance 6 cultes… ainsi que la « laïcité organisée » ; le dualisme scolaire (école officielle / école catholique, à égalité) y est institutionnel.

L’UFAL se félicite que des convictions laïques existent en Belgique – comme en France : nous entretenons les meilleurs rapports avec nos camarades laïques Belges ! La vraie différence est que la « laïcité organisée » y est reconnue et financée par l’Etat au même titre que les cultes – justement parce que le royaume n’est pas laïque ! En revanche, notre République, « indivisible » et « laïque », ne connaît qu’une seule communauté : celle des citoyens, abstraction faite de leurs « opinions – même religieuses ».

Cela dit, les Français seraient mal placés pour dédaigner « l’exemple belge ». Car ce royaume, bien que l’organisation des pouvoirs publics n’y soit pas laïque, est systématiquement en avance sur notre République dans tous les domaines où l’idée de laïcité a battu en brèche la domination idéologique des dogmes religieux sur la société : avortement, mariage des personnes du même sexe, fin de vie et euthanasie, etc. Comme quoi l’existence de convictions laïques fortes dans la société civile n’est pas moins efficace que la « laïcité monopole public ». L’idéal serait de combiner les deux : ayons autant de convictions laïques que les Belges, notre principe constitutionnel de laïcité n’en sera que mieux défendu !

Notes

1 – Le présent article, publié dans Ufal-Info n° 60, est repris ici avec l’aimable autorisation de la rédaction et les remerciements de Mezetulle. Lire l’article sur le site de l’UFAL.

© Charles Arambourou et UFAL-Info, 2015

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Pour citer cet article

URL : https://www.mezetulle.fr/les-convictions-laiques-existent-12-en-sont-morts-a-charlie/ "Les « convictions laïques » existent : 12 en sont morts à Charlie", par Charles Arambourou, Mezetulle et UFAL-Info, 26 avril 2015.

A propos de Charles Arambourou

Militant laïque, professeur puis haut-fonctionnaire, magistrat financier honoraire. Administrateur de l'UFAL - Union des familles laïques.

12 thoughts on “Les « convictions laïques » existent : 12 en sont morts à Charlie

  1. Denis

    Bonjour,
    je ne comprends pas bien le pavé « Florilège de citations négationnistes de la laïcité ». Il mêle en effet des propositions évidemment non laïque donc non discutables à d’autres extraites de sites de militants laïques. Pour ces derniers peut-on parler de négationnisme, un peu brutal n’est-ce pas ? là où il conviendrait de rectifier les inexactitudes parfois marginales par une démarche pédagogique. L’enthousiasme et la conviction de ces militants le mériteraient.
    Permettez-moi une remarque non polémique, je crains que les comportements rigides de certains « sachant » soient contreproductifs, fissurent le camp laïque et dispersent des troupes clairsemées, pour exemple les attaques contre Onfray ou celles de l’UFAL contre la Ligue de l’Enseignement. Les enjeux me semblent ailleurs et les dogmatiques de toute croyance savent stratégiquement se rassembler au-delà de leur différences (cf la lettre commune des représentants religieux pour la défense du Concordat).
    Bien amicalement et merci.

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    1. Charles Arambourou Auteur de l’article

      Cher Monsieur

      Vous me semblez au contraire avoir très bien compris la portée de l’encadré « florilège de citations négationnistes », puisque vous avez reconnu « l’association laïque » citée. Sur le fond, les propos en question ont en commun de considérer 1) que le principe juridique de laïcité serait supérieur à toute conviction (laquelle ne saurait que « le réduire » !), 2) que la laïcité ne saurait être une conviction : je vous renvoie sur ce point à mon article publié sur Mezetulle « La laïcité, une conviction paradoxale » ; 3) que la laïcité française serait préférable à la « conception belge de la laïcité », et enfin 4) qu’il ne saurait y avoir de conviction que des « croyances » (sous-entendu : spirituelles ou religieuses) -position qui est d’ailleurs celle d’une publication catholique qui titrait : « la laïcité est-elle une religion ? »

      La religion (j’ose le mot !) que je me suis fixée est de ne pas polémiquer en évoquant ceux qui ont payé de leur vie leurs convictions laïques. Respectons-les. Mais vous me permettrez de ne pas adhérer à votre appel à l’union sacrée du « camp laïque », tant il est entaché de confusion. Le « camp laïque », celui du « Serment de Vincennes » de 1960, reconstitué un instant en 1994, a volé en éclats depuis que ses principales organisations ont choisi de forger le concept de « laïcité ouverte », ou « adjectivée », de connivence avec le clergé catholique, dans les années 80-90 (dérive dénoncée par exemple par Guy Georges, ancien secrétaire général du Syndicat National des Instituteurs, ou Eddy Khaldi, militant incontesté de la laïcité à l’école). J’observe d’ailleurs qu’en dénonçant les partisans « rigides » de la laïcité, vous confirmez implicitement en soutenir la version « ouverte » -autrement dit, vidée de son contenu, comme le serait un code de la route « ouvert », permettant par exemple de franchir la ligne blanche « au cas par cas » ? (pardonnez-moi de me répéter, c’est une image que j’aime bien)…

      A l’heure où la République a plus que jamais besoin de confirmer sa laïcité, la clarification s’impose : ceux qui, par exemple, refusent toujours la loi du 15 mars 2004 réglementant le port des signes religieux par les élèves de l’école publique, qui ont dénoncé la crèche laïque Baby-Loup, ou qui acceptent que les adultes encadrant des activités scolaires portent des signes religieux, ceux-là sont clairement du côté de la confusion sur la laïcité, des accommodements raisonnables avec les religions. Les intégristes religieux de tout poil peuvent leur dire merci -pas la République.

      Pour revenir à notre propos, nier qu’il existe des « convictions laïques », c’est tout simplement renier l’engagement d’un Jean Macé (et de tant d’autres) -engagement de conviction, sans lequel jamais les lois laïques sur l’école n’auraient pu être votées ! Je crois, pour le coup, avoir été assez clair !

      L’unité des laïques est souhaitable, peut-être même possible, mais à condition de renoncer à toute confusion, et aux compromis anciennement élaborés avec les cléricaux. Pour vous prouver mon esprit d’ouverture -car, à tout pécheur, miséricorde-, j’ai noté avec satisfaction que la grande association laïque citée se définissait à nouveau, concernant ses centres de vacances, comme « entreprise de tendance laïque » -ce qu’elle avait renié voici un an ou deux. Tout espoir n’est donc pas perdu, car qui dit tendance, dit « conviction » ! Et j’ai également relevé avec satisfaction, dans un communiqué commun de trois organisations quelques propos fort justes (parmi d’autres qui, hélas, le sont moins) dénonçant notamment la dérive concordataire du gouvernement voulant créer un « islam de France » « représentatif », donc reconnu et … contrôlé par lui -ce qui est effectivement contraire à l’esprit et à la lettre de la loi de 1905. C’est sur ce genre de positions que l’unité du « camp laïque » peut se reconstituer.

      Bien à vous

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  2. Michel THYS

    Bonjour,
    Le Belge que je suis a été ravi de lire l’article de Charles ARAMBOUROU !
    Je vois que, depuis le 7 janvier, la conception française de la laïcité exclusivement « politique », séparant l’État et les religions, commence enfin à être remise en question. Certes, elle est justifiée et nécessaire au vivre-ensemble, mais à mes yeux, elle favorise paradoxalement le prosélytisme de toutes les religions, les revendications inspirées par des prescrits religieux, et même les dérives terroristes …

    Oui, « les convictions laïques et les convictions religieuses » sont reconnues et protégées », mais elles ne sont pas du tout comparables : l’athéisme, loin d’être une religion, est une option philosophique librement choisie sur base d’arguments rationnels et scientifiques, afin de développer l’esprit critique, l’autonomie de la conscience, la responsabilité individuelle, l’acceptation de la différence de l’autre, etc.
    Au contraire, la foi (et la soumission qu’elle implique), loin d’être le résultat d’un libre choix entre plusieurs alternatives d’ailleurs occultées, est imposée précocement par les religions et résulte d’influences précoces, irrationnelles, éducatives et culturelles. Les psychologues religieux, comme Antoine VERGOTE, ne le contestent pas.

    Hélas, nos lois, nos textes constitutionnels, notre système législatif, éducatif, etc. ont été rédigés à une époque où le catholicisme était majoritaire, et ils ne tiennent toujours pas compte du multiculturalisme et du communaitarisme actuels. On continue notamment à considérer, à tort selon moi, que « la liberté de conscience et de religion est garantie » comme si elle était innée et donc acquise, alors qu’à mon sens, elle ne s’acquiert qu’en prenant conscience des nombreux déterminismes qui nous régissent (héréditaires, hormonaux, éducatifs, culturels, socio-politiques, etc. Certes, tous les croyants sont sincèrement persuadés d’avoir choisi en toute liberté leur religion et même de croire, mais j’y vois une rationalisation a posteriori pour rendre leur foi intellectuellement acceptable, et aussi la persistance des influences religieuses inconscientes, depuis l’âge de 3 ans, dans les neurones de leur cerveau émotionnel, puis rationnel … Je respecte donc tous les croyants (non fondamentalistes car potentiellement terroristes), mais je condamne toutes les religions, en fonction du degré de soumission qu’elles imposent.

    Le mérite, mais aussi le défaut de la laïcité « politique » en France, aussi bien qu’en Belgique (malgré sa laïcité « philosophique »), c’est de « permettre », au nom de la neutralité, « toutes les convictions », y compris donc celles qui ne respectent pas les valeurs humanistes de la Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948 …
    Par élémentaire honnêteté intellectuelle et par une saine conception de la neutralité et de la tolérance, il me semble pourtant que l’État, tant français que belge, devrait mettre en place un système éducatif offrant à TOUS les adolescents une information minimale, objective et non prosélyte à la fois sur les principales religions (et le degré de soumission qu’elles imposent) ET sur les options émancipatrices de l’humanisme laïque, de la laïcité « philosophique », etc. afin qu’ils puissent choisir aussi librement que possible de croire ou de ne pas croire. Cette laïcité-là n’est donc pas antireligieuse : seulement anti-dogmatique et anticléricale. Mais elle reste hélas minoritaire et très peu défendue en Belgique. Même le principe de laïcité « politique » n’y est toujours pas inscrit dans la Constitution, parce que la religion catholique reste traditionnellement favorisée, et surtout parce que la laïcité « philosophique », en devenant « organisée », s’est lamentablement déforcée en se faisant subsidier au même titre que les religions !
    Michel THYS

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    1. Charles Arambourou Auteur de l’article

      Cher lecteur belge,
       
      Je vous remercie d’avoir été sensible au coup de chapeau que j’ai adressé à la Belgique, depuis une France où l’on s’autorise volontiers à donner des leçons au monde, tout en affaiblissant chaque jour, à coup de compromis et d’accommodements, les principes « que le monde entier nous envie » (croyons-nous).
       
      Je note avec intérêt le jugement que vous portez sur la « laïcité organisée », subventionnée en Belgique au même titre que les religions (comme le sera peut-être le bouddhisme, comme « philosophie » !). Mais peut-être cela influence-t-il votre appréciation sur la laïcité. Quand je parle de « convictions laïques » (voyez mon article sur Mezetulle « une conviction paradoxale »), je ne me réfère en rien à une quelconque « philosophie laïque organisée » qui devrait être traitée à égalité avec les religions. Le paradoxe de la laïcité est que cette conviction les permet toutes (avec des limites, je vais y revenir) : les croyants laïques existent en France, il s’agit même d’une très ancienne tradition des milieux universitaires (notamment). En aucun cas, la laïcité ne peut se confondre avec l’athéisme, ou l’agnosticisme.
       
      Or, quoi que vous en pensiez, c’est précisément la dimension juridique de la laïcité qui permet cela en France. Un « laïque » est celui (peu importe qu’il croie ou non) qui est convaincu (et le manifeste) que la séparation des pouvoirs et services publics –spécialement l’école- d’avec les cultes, leur neutralité religieuse absolue, sont la garantie de la paix civile et de l’égalité entre citoyens, grâce à la liberté de conscience : toutes choses qui ne peuvent se faire que par la loi.
      Le principe juridique de laïcité ne doit donc surtout pas être remis en cause ! En revanche, il faut sans cesse rappeler qu’il ne serait rien sans les convictions (profondément républicaines) qui le portent et l’ont fait inscrire dans le droit positif (1881-82, puis 1905, et 1946) –lesquelles convictions ne doivent surtout pas faiblir et cesser de se manifester, sous peine de voir la liberté de conscience et l’égalité reculer.
       
      Cela étant rappelé (qui est propre à la France), je réponds à deux de vos objections.
      1) En aucun cas la laïcité « politique » ne peut avoir pour effet, comme vous le craignez, de « permettre, au nom de la neutralité, toutes les convictions, y compris donc celles qui ne respectent pas les valeurs humanistes… ». Car sa nature juridique même fait qu’elle s’inscrit automatiquement dans le cadre du droit existant : ordre public interne, droits de l’homme et libertés fondamentales (plutôt qu’à la Déclaration universelle de 1948, je m’en tiendrai à la Convention européenne de 1950, et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui vient, à plusieurs reprises, de se pencher sur la laïcité française). La laïcité est une conviction paradoxale en ce qu’elle les permet toutes…  j’aurais dû préciser : sous réserve de l’ordre public établi par la loi, des droits humains, et des libertés fondamentales garanties dans une société démocratique. C’est juste un peu long…
      2) Je partage votre critique -très spinoziste- de l’illusion de la liberté, par l’ignorance des causes qui déterminent nos actions. Mais le propre de la laïcité « juridique » est justement de se refuser à se prononcer sur le contenu des croyances ou options spirituelles. J’ai le droit de croire aux fées, au Père Noël, ou aux Îles bienheureuses, du moment que je ne trouble pas l’ordre public.
       
      D’ailleurs, il me paraît téméraire d’affirmer, comme vous, que « l’athéisme… est une option philosophique librement choisie sur base d’arguments rationnels et scientifiques, afin de développer l’esprit critique, l’autonomie de la conscience, la responsabilité individuelle, l’acceptation de la différence de l’autre, ». Rien ne le prouve, puisque certains croyants manifestent parfaitement les qualités rationnelles et humanistes que vous prônez, alors que certains athées font exactement le contraire. Il y avait un courant athée dans le nazisme, ne l’oublions jamais. Pour ma part, je préfère le « Dieu, autrement dit la Nature » de Spinoza, au « surhomme » de l’athéisme idéaliste de Nietzsche. L’athéisme n’est qu’une position philosophique possible, et surtout partielle : elle se heurte automatiquement à la question de l’ontologie, sauf à s’affirmer en outre matérialiste –à mes yeux du moins.
      Il reste que la laïcité ne consiste pas à « faire vivre ensemble » croyants, incroyants, agnostiques et athées, (contrairement à ce que dit souvent mon ami Henri Pena-Ruiz, avec lequel je diverge sur ce point). La laïcité ce n’est pas la « tolérance élargie aux incroyants et athées », c’est la neutralisation du marqueur religieux dans les rapports entre les citoyens : dans le cadre des services publics, bien sûr, mais aussi sans doute dans celui de la société civile (dans quelles limites, c’est le débat actuel, mais il devient évident que l’affichage religieux prosélyte compromet la paix sociale).
       
      Enfin, l’émancipation des individus reste bien sûr un but humaniste, dont la laïcité est un des moyens. Mais comment agit-elle ? Non pas en attaquant directement les idéologies et les croyances : mais en les « forçant » (juridiquement) à faire le détour par le cadre de la loi. C’est là tout l’intérêt de la « laïcité juridique ». Lorsque la loi contraint les individus et/ou les communautés, dans des cas très précis, à mettre entre parenthèses leurs diverses options spirituelles, elle fait faire à tous l’expérience que : 1° aucune croyance n’est supérieure à la loi, 2° aucune d’entre elles n’est préférable aux autres, ni moins légitime. Voilà d’ailleurs pourquoi dès l’origine l’église catholique a condamné le principe de « liberté de conscience » : c’est le péché de « relativisme » (toutes les croyances se valent), qui mène à l’athéisme. Voilà aussi pourquoi la République suppose que s’expriment athées, libres-penseurs, caricaturistes blasphémateurs, etc. Pas seulement qu’ils en aient le droit, mais qu’ils le fassent.
      En un mot, c’est aux religions que la laïcité juridique demande le plus gros effort, et qu’elle coûte le plus !
       
      Bien cordialement

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      1. Michel THYS

        Cher Monsieur ARAMBOUROU,
        Grand merci pour votre prompte réponse, très étayée de surcroît !
        À quelques nuances près, nous sommes sur la même longueur d’onde, mais ma réponse risque d’être moins concise que la vôtre, ce dont je vous prie de m’excuser.
        Je désapprouve autant que vous, où que ce soit, « une quelconque philosophie laïque organisée qui devrait être traitée à égalité avec les religions ». La plupart des laïques belges (politiques et philosophiques) reconnaissent que ce fut une erreur, et contestent à présent la subsidiation de tous les cultes, en ce compris celle de la « laïcité organisée » qui n’en est pas un.

        Les mentalités évoluent, mais très – trop – lentement, à cause de l’obligatoire inféodation juridique à la rigidité de textes constitutionnels, souvent d’un autre temps … Sauf parfois à profiter d’une de leurs imprécisions qui imposait en Belgique l’organisation de cours de religions et de morale laïque, mais heureusement pas l’obligation d’inscrire son enfant à l’un d’eux !

        Comme vous le savez sans doute, il n’y aura donc plus d’obligation en Belgique d’inscrire son enfant à un cours de religion ou de morale (à remplacer par un cours d’une ou deux heures de philosophie pour tous, ce qui rassemblera enfin tous les élèves au lieu de les séparer). Mais l’organisation encore utopique d’un enseignement de type pluraliste, supprimant donc celui qui est confessionnel, élitiste, communautariste et donc obsolète, imposera aux enseignants, tant croyants qu’incroyants, une neutralité et un rôle « tampon » qui nécessiteront une formation adéquate.

        Soit dit pour mémoire : si les associations de libres penseurs belges ont jadis revendiqué leur subsidiation, je pense que c’était parce qu’ elles ne vivotaient que grâce aux modestes cotisations de leurs membres, et que c’était pour elles la seule façon de faire connaître et reconnaître officiellement leur existence. Non pas dans un but prosélyte (chacun devant se forger à son rythme ses propres convictions), mais pour proposer une information « laïque » (= non confessionnelle) et plus tard une aide sociale aux non croyants.

        Vous écrivez : « En aucun cas, la laïcité ne peut se confondre avec l’athéisme ou l’agnosticisme ». Cela ne me semble vrai que pour la laïcité politique à la française, qui convient aussi bien aux croyants qu’aux incroyants, mais pas, selon moi, pour celle qui est philosophique, plus engagée que « neutre ».
        L’athéisme est en effet bien plus qu’« une position philosophique possible et surtout partielle ». À mon sens, la question philosophique de « l’ontologie » devrait à présent être repensée en tenant compte des observations psycho-neuro-physiologiques-actuelles : par exemple, statistiquement, un enfant de parents croyants deviendra croyant (et souvent le restera), tandis que celui de parents athées deviendra athée, sauf influences émotionnelles ultérieures non assumées.

        En ce qui concerne l’absolue « liberté de conscience », chère aux francs-maçons a-dogmatiques du GOdF, du GOB et du DH, je la défends d’auant plus lorsqu’elle résulte d’un choix entre des alternatives. Mais, comme je l’ai indiqué dans ma précédente intervention, je la relativise du fait de mon point de vue « psycho-neuro-physiologique , éducatif et culturel», très inhabituel et téméraire, puisque, se situant en amont des considérations notamment juridiques, il prend en compte l’origine éducative et culturelle de la foi et sa fréquente persistance neuronale, flagrante chez les musulmans, d’ailleurs privés du droit d’apostasie.
        Vous écrivez : « Certains croyants manifestent parfaitement les qualités rationnelles et humanistes que vous prônez, alors que certains athées font exactement le contraire ». Certes, mais vous reconnaîtrez sans doute que le cerveau rationnel est privilégié par les athées, alors que c’est le cerveau émotionnel qui l’est chez les croyants.

        Quant au respect des valeurs humanistes par la laïcité politique, est-il suffisamment garanti par « le fait qu’elle s’inscrit automatiquement dans le cadre du droit existant : ordre public interne, droits de l’homme et libertés fondamentales » ? Vous ajoutez : « Le propre de la laïcité « juridique » est justement de se refuser à se prononcer sur le contenu des croyances ou options spirituelles. J’ai le droit de croire aux fées, au Père Noël, ou aux Îles bienheureuses, du moment que je ne trouble pas l’ordre public ».
        Certes, mais au nom de l’émancipation philosophique et morale du plus grand nombre, n’est-il pas devenu nécessaire de mettre en place, au-delà d’un simple cours de « citoyenneté », un « cours » de morale laïque, à la belge, bien sûr amélioré ?

        Car le cerveau humain ne possède que virtuellement la capacité évolutive d’acquérir les valeurs constitutives de la conscience morale. À mes yeux, loin d’apparaître spontanément, ou par obéissance à des « commandements » religieux, ces valeurs ne s’acquièrent et ne s’actualisent que lentement, par une éducation familiale puis scolaire, fondées sur l’autonomie, la responsabilité individuelle, l’esprit critique, l’apprentissage des limites et du respect des autres et de soi-même, sur l’exemple des parents et des éducateurs, non pas intellectuellement, mais par des expériences affectives, vécues ou suggérées par empathie, parfois a contrario (cf. notamment les « dilemmes moraux » de Lawrence KOLHBERG), etc …

        À propos du « courant athée dans le nazisme », je pense que son absence totale de respect de la vie humaine n’est pas due à son idéologie politique soi-disant « athée » (puisque, selon moi, l’athéisme est seulement une option philosophique rationnelle), mais à la croyance religieuse initiale du« dominant » que fut Hitler, et à celle des « dominés » qu’il a d’autant plus facilement endoctrinés que la soumission religieuse initiale a constitué un terreau favorable à leur soumission idéologique et induit la conviction de leur prétendue « supériorité aryenne ».

        Estimer que « la laïcité, c’est la neutralisation du marqueur religieux dans les rapports entre les citoyens (…) », n’est-ce pas se cantonner à la seule laïcité politique, manifestement incapable de faire émerger, via une laïcité philosophique accessible à tous et partout, une conscience à la fois morale et citoyenne ?
        Je pense comme vous que «l’émancipation des individus », à laquelle contribue la laïcité (surtout philosophique), ne se réalisera ni « en attaquant directement les idéologies et les croyances », ni « en les « forçant » (juridiquement) à faire le détour par le cadre de la loi », mais en plusieurs générations, par le biais de l’éducation, lorsqu’elle sera enfin délivrée de tout enseignement confessionnel (devenant vraiment privé et non subsidié).

        Au-delà de la condamnation de la liberté de conscience par toutes les religions (l’islam surtout), qui n’y voient que « péché de « relativisme » (toutes les croyances se valent), qui mène à l’athéisme », le droit à la liberté d’expression liberté d’expression (non provocatrice quand même) n’est à mes yeux qu’un premier pas vers celle de promouvoir légalement les valeurs « universalisables » de l’humanisme laïque, car elles me paraissent bénéfiques à tous et partout. Mais il va de soi que les croyances religieuses resteront toujours légitimes et d’autant plus respectables qu’elles auront été choisies en connaissance des alternatives non con-confessionnelles.
        Désolé d’avoir été aussi long …
        Bien cordialement,
        Michel THYS.
        http://michel.thys.over-blog.org/article-une-approche-inhabituelle-neuroscientifique-du-phenomene-religieux-62040993.html
        1.

        Répondre
        1. Charles Arambourou Auteur de l’article

          Merci, cher Michel Thys, de nous en apprendre à votre tour un peu plus sur la laïcité en Belgique.
           
          Mon article visait justement à empêcher qu’on ne réduise, en France, la laïcité à sa dimension « politique », plus exactement juridique, en rappelant qu’elle est d’abord une « conviction », mais paradoxale. En ce sens, elle n’a rien d’une « neutralité », c’est bien un engagement philosophique, politique et social. Là-dessus, nous serons d’accord : mais pas de dédain, s’il vous plaît, pour cette double dimension de notre laïcité en France !
           
          En revanche, nous divergerons (ce qui est le propre des esprits libres) au moins sur deux autres points philosophiques (auxquels je me tiendrai, pour ne pas faire trop long).
           
          1) La liberté de conscience est absolue, ou elle n’est pas. Si vous la « relativisez », vous la détruisez. Je vous renvoie à nouveau à notre Déclaration des droits de 1789, art. 10 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, … ». La « liberté de pensée » (art. 9 de la Convention européenne des droits de l’homme) est absolue : c’est seulement son expression qui est relative, et peut être limitée par la loi. Un cadre politique aussi libéral est non seulement une obligation du citoyen, mais un devoir pour le philosophe. Je crois avoir souligné combien le « relativisme juridique » qui en découle « coûte » en fait aux religions !
           
          Un peu de pub. : lisez les ouvrages de Catherine Kintzler (notamment Qu’est-ce que la laïcité ? et Penser la laïcité), pour avoir une vue philosophique complète des implications de la laïcité telle que nous pouvons la concevoir dans la République française.
           
          2) J’ai lu avec intérêt votre blog, et tout en respectant votre point de vue, je ne le partage pas. Il est à mon avis excessivement mécaniste. Le déterminisme neurophysiologique, même si l’on ajoute « social et culturel », ne laisse pas uniquement, ni même essentiellement, des traces dans nos circuits neuronaux. Au demeurant, les notions de « cerveau émotionnel » et de « cerveau rationnel » ne sont plus confirmées par les neurosciences, qui mettent au contraire de plus en plus en lumière la « plasticité » étonnante du cerveau.
           
          Si l’on considère alors la conscience (ce que je crois…) comme une propriété émergente de la matière, de même que le langage, l’essentiel de notre « formatage » idéologique apparaît de nature linguistique et conceptuelle (comme le disait déjà Aristote). Ce qui permet, par des arguments rationnels, et surtout par le développement des savoirs, de faire échapper l’individu (qui veut bien écouter, débattre, apprendre…) aux formatages. L’idée de « vrai » et de « faux », de « juste » ou « d’injuste », etc. est construite dans la conscience par le langage, non formatée par nos circuits neuronaux. Je pense donc que l’école publique laïque, dans la mesure où elle se donnerait (à nouveau…) pour objet la transmission critique des savoirs et la construction par l’élève de sa propre pensée rationnelle, est le meilleur moyen d’assurer l’émancipation des esprits, et l’accession à la dignité des citoyens dont la République a besoin. Voir Condorcet. Et pour cela, surtout pas besoin de prêches de morale, serait-elle « laïque » !
           
          La « neutralité religieuse » de la laïcité « politique » que vous jugez (à tort, je crois) réductrice, aboutit en fait à la « neutralisation des religions », essentielle. Mais il est vrai que la laïcité ne suffit pas à l’émancipation des esprits sans l’école publique laïque (première historiquement en France), et qu’elle est remise en cause par le subventionnement de l’école confessionnelle.
           
          Philosophiquement, nous sommes tous deux déterministes, mais je me réclame d’un matérialisme « émergentiste », et vous d’un matérialisme mécaniste –car, semble-t-il, vous posez l’athéisme, comme condition a priori de la philosophie, ce que je considère comme une erreur de type idéaliste. Mais ceci n’est en rien une insulte : beaucoup de scientifiques partagent ce point de vue, illustré notamment par J.P. Changeux (je pense aux travaux de Stanislas Dehaene, par exemple, sur « les neurones du langage » : passionnant scientifiquement, mais épistémologiquement peu robuste à mon humble avis…).
           
          Mon allusion à l’athéisme de certains courants nazis vous a laissé sceptique : c’est pourtant un fait historique, toujours vérifié. Il existe une extrême-droite fasciste parfaitement athée. Cela nous a valu d’ailleurs entre 1940 et 1944 l’abrogation du Concordat dans l’Alsace-Moselle sous domination nazie ! Encore une fois, l’athéisme ne suffit pas, car il ne fait que répondre à une question (d’ailleurs fausse) : celle de l’existence ou non d’un principe créateur. Philosophiquement, il laisse en friche, je le redis, l’ontologie : qu’est-ce que l’être, la matière, etc. Bien sûr, il existe des ontologies athées, et des plus célèbres : mais ce sont d’abord des philosophies (non des produits fatals de la recherche scientifique), et c’est davantage sur ce terrain que sur celui de l’athéisme que l’on peut débattre avec elles. Je n’oublie pas que nous sommes ici sur un blog philosophique…
           
          Je pense que nous pouvons nous en tenir à la constatation de ces divergences philosophiques, puisque apparemment nous ne nous convaincrons pas mutuellement : nos points d’accord me paraissent largement plus importants et plus opératoires.
           
          Cordialement

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  3. quoistiaux serge

    Puis-je, en tant que Belge, agnostique, mettre mon grain de sel à propos de « laïcité organisée ». Le CAL, centre d’action laïque, s’est proclamé défenseur des individus « sans-religion » lésés par la situation des « piliers », dont le principal était celui des catholiques, selon la notion napoléonienne, disant que la religion de la majorités des citoyens était la religion catholique. Intention louable, certes, mais dont la mise en œuvre fut « autoproclamée ». En effet aucune consultation ne fut organisée, puisque c’est contraire à la loi tant civile que morale.
    Il en résulte qu’une partie de la population, athée, agnostique ou autre « libre-penseur » n’est aucunement tenue de reconnaître le CAL comme son représentant, puisque les valeurs proclamées par le CAL dans ses statuts professent une notion de la laïcité qui en fait en quelque sorte une communauté, c’est-à-dire un nouveau pilier, ce sur quoi la dite partie de la population qui ne se considère pas comme une communauté, mais une diversité d’individus, peut être en désaccord.
    La « laïcité organisée  » ne peut donc pas être considérée comme la pensée laïque de la majorité de la population belge dite « sans-religion ». Que les voix françaises de la laïcité qui veulent manifester leur sympathie pour les « petits Belges », prennent donc garde à ne pas confondre « laïcité organisée » et laïcité tout court, les laïques « non-organisés » étant assez chatouilleux quant à leur indépendance d’esprit.
    C’est tout ce que voulaient exprimer ces quelques mots.

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    1. Charles Arambourou Auteur de l’article

      Un grand merci pour votre commentaire, qui enrichit utilement nos informations… Vous soulignez les contradictions de la « laïcité organisée », concession de fait à la « pilarisation » de la société. Cela dit, les « organisés » belges restent d’incontestables laïques : mais ils ne représentent qu’une partie des « convictions laïques », dont l’existence et la vitalité en Belgique sont à mes yeux plutôt une leçon pour nous, Français, qui avons tendance à nous endormir sur le mol oreiller du « principe constitutionnel de laïcité ». 

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  4. Perret

    Merci pour cet article revigorant, qui appelle les laïques de conviction à s’engager dans le combat militant.
    Une remarque, toutefois : je considère, comme Denis, que certaines des citations figurant dans le florilège ne méritent pas l’accusation de négationnisme, car elles sont coupées de leur contexte. Il faut en effet situer les choses dans le temps et faire un peu d’histoire : dans les années 90, les militants laïques étaient confrontés au discours de ceux qui, à gauche comme à droite, défendaient un modèle d’organisation politique de type communautariste. Les promoteurs de ce modèle, pour vider la laïcité de sa substance, avaient coutume de dire qu’elle n’était qu’une croyance parmi d’autres, une opinion qui, bien entendu, avait droit de cité, mais à égalité avec les autres. On comprend ainsi pourquoi les laïques ont alors mis en avant l’idée selon laquelle la laïcité est d’abord un principe d’organisation politique, principe sur lequel repose le modèle républicain, et non une croyance parmi d’autres.
    Depuis l’affaire Baby Loup, les choses ont changé : pour refuser aux militants laïques le droit de créer une association de tendance laïque, les mêmes adversaires de la laïcité n’ont eu de cesse de présenter celle-ci comme un principe d’organisation politique… La ficelle est grosse, et facile : ils ont repris la thèse que les militants laïques leur ont opposée dans les années 90 pour la retourner contre eux. Face à ce nouveau discours, il faut effectivement rappeler que la laïcité est aussi (et paradoxalement, comme Charles Arambourou le montre très bien) une conviction. Mais il faut laisser aux militants laïques le temps de modifier leur discours, de comprendre que la position qu’ils défendaient dans les années 90 n’excluait pas la thèse selon laquelle la laïcité est aussi une valeur (même si le terme me déplait), une cause à laquelle on peut adhérer par conviction, bref, l’objet d’une flamme !
    Comme dirait Lacan, la vérité ne se dit jamais « toute ». Elle se précise au point par point, à la faveur des circonstances qui nous amènent et nous obligent à déterminer ce qui ne l’était pas, à dire ce qui était implicite, et à déployer, en l’occurrence, un aspect du concept de laïcité qui, jusque là, était resté inaperçu. Ou, pour le dire dans un registre plus hégélien, il y a une nécessaire patience du concept. Tout le monde n’est pas capable, comme Charles Arambourou, de faire sortir la laïcité toute casquée de la cuisse de Jupiter ! Certains militants laïques, dont je suis, ont été amenés à préciser leur pensée au fur à et mesure des batailles. Ils ne méritent pas, pour autant, l’attribut infamant de « négationniste ».

    Marie Perret

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    1. Charles Arambourou Auteur de l’article

      Merci de votre observation, que je sais émaner d’une défenderesse irréprochable de la laïcité, et qui m’oblige à préciser mes propos. Oui, il manque le contexte dont la phrase est extraite, mais la date aurait dû suffire : écrire cela le 17 janvier 2015 incitait à conclure que ceux de Charlie ne pouvaient être morts pour la cause de la laïcité, puisque celle-ci serait seulement « un principe constitutionnel d’organisation de la société », donc inaccessible à un organe de presse privé comme à des dessinateurs simples citoyens… Soit l’exacte définition de ce que je dénonce comme « négationnisme » (ligne de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 19 mars 2013).
       
      Est-ce « infâmant » ? Sans doute, pour ceux qui se présentent comme « laïques » tout en ne cessant d’œuvrer pour édulcorer la laïcité, en alliance tantôt avec l’église catholique (années 90), tantôt avec les pourfendeurs exclusifs de « l’islamophobie ». Pardon d’être brutal : quand on massacre des laïques, la « patience du concept », hégélienne ou pas, est-elle encore à l’ordre du jour ? Il est urgent de dire qui se situe de quel côté de la kalachnikov, car il n’y en a malheureusement que deux.
       
      Mais revenons à la philosophie. La phrase enferme clairement son lecteur dans l’alternative piégée suivante : cadre juridique OU croyance. Ce qui revient à imposer l’idée qu’il n’y aurait de convictions que les croyances. Position qui est exactement celle des cléricaux, demandant ironiquement dans un quotidien de décembre 2013 : « la laïcité est-elle une religion ? ». Reductio ad religionem ? Evidemment, que la laïcité n’est ni une croyance ni une religion : derrière ces portes ouvertes que l’on nous invite à enfoncer, se cache un précipice pour la raison. Car le contraire d’une bêtise n’est pas forcément une vérité, et vice versa.
       
      Pour nous en assurer, examinons les concepts. Dans les textes juridiques européens et même français, l’expression « religion ou convictions » (hendiadys, pour les linguistes) englobe toutes les « opinions, même religieuses » (art. 10 de la Déclaration des droits de 1789). Par combinaison de ces deux sources du droit positif, le terme conviction désigne ainsi toute opinion non religieuse. La vraie question, à laquelle l’histoire a répondu depuis longtemps, est donc celle-ci : la laïcité est-elle une opinion ? La réponse, je crois l’avoir montré, est oui. Mais comme elle est « paradoxale », toutes ses implications ne se dévoilent pas du premier coup : il faut donc accepter, dans le cadre du combat convictionnel que nous menons, vous et moi (et d’autres aussi), le détour par la pratique : dans quel camp se situe-t-on ? « Pas de théorie laïque sans pratique laïque »… et vice versa : pour le coup, voilà sans doute une vérité qui ne sort ni casquée, ni de la cuisse de Jupiter.

      Répondre
  5. Michel THYS

    Merci, cher Charles Arambourou, pour votre réponse, qui sera donc la dernière puisqu’en effet « nous ne nous convaincrons pas mutuellement », ce qui ne m’étonne pas, car aussi bien pour vous que pour moi, tout se passe un peu comme si le maintien d’une « homéostasie », d’un équilibre non plus physiologique mais psychologique, nous incitait à maintenir autant que possible nos points de vue respectifs.
    À mes yeux, le but de cet échange n’était d’ailleurs pas de nous convaincre mutuellement mais de mieux les comprendre, et d’éviter des malentendus. C’est pourquoi je me permets cette dernière intervention.

    Je me suis en effet mal exprimé en écrivant que « je relativise la liberté de conscience », puisqu’à mon sens, elle n’est pas innée, ni « garantie » par la Constitution, et qu’avant de pouvoir s’exprimer, elle doit donc avoir été acquise en prenant conscience, comme je l’écrivais, des déterminismes qui la réduisent.
    Je respecte dès lors d’autant plus les libertés de conscience, de religion, de pensée et d’expression lorsqu’elles sont le fruit de la réflexion et du libre-examen, évidemment après avoir eu connaissance des alternatives.

    « Les notions de cerveau émotionnel et de cerveau rationnel » de McLEAN, ont été critiquées à bon droit parce qu’elles étaient simplistes et ne tenaient pas compte de leurs interactions constantes et éminemment complexes. Ce n’est plus le cas à présent. Cette théorie, qui n’avait plus qu’un simple intérêt pédagogique, me semble actuellement fondée et d’ailleurs exploitée par les neurosciences, via l’IRM fonctionnelle, etc.
    « La plasticité » synaptique et neuronale, résultant de la répétition des « expériences », aussi bien celles qui concernent les « zones » émotionnelles que rationnelles, me semble renforcer l’hypothèseet la thèse d’une imprégnation le plus souvent indélébile des influences religieuses précoces, dans les premières zones d’abord, puis dans les secondes à l’âge adulte.

    Certes, le « formatage idéologique » des seuls primates humains est d’abord « linguistique », sans quoi aucune influence verbale ou écrite n’aurait pu lui être communiquée ni imposée. Mais pour que l’individu puisse « échapper au formatage », il est indispensable selon moi que son esprit critique ait été développé, ce que ne font évidemment pas les religions … !
    Certes, « l’idée de vrai et de faux, de juste et d’injuste » est formulée par le langage, mais son fondement me semble influencé par l’éducation reçue, qu’elle soit religieuse ou non.

    Surtout à notre époque multiconfessionnelle, je pense donc que l’école publique se peut plus se limiter à la transmission des « valeurs citoyennes de la République » et qu’elle devrait avoir légalement le droit de compenser toute éducation familiale, notamment religieuse, unilatérale, communautariste et donc incompatible avec le vivre-ensemble. Il faudrait à présent, me semble-t-il, développer l’esprit critique à tous égards et la conscience morale de TOUS les enfants et adolescents (via notamment la méthode des dilemmes moraux deKohlberg) et leur faire découvrir que la différence de l’autre est enrichissante.
    Je crains que l’actuelle «neutralité religieuse de la laïcité politique » n’aboutisse pas à la « neutralisation des religions », mais qu’elle favorise au contraire leur prosélytisme, notamment en « subventionnant l’école confessionnelle ».

    Je ne « pose » pas « l’athéisme comme condition a priori de la philosophie », car pour moi, tout être humain naît évidemment « a-thée », et il le restera en principe si ses parents le sont. L’athéisme n’existe dès lors qu’en réaction au théisme, à cause de ses prétentions hégémoniques. L’athéisme se passe forcément de l’intervention imaginaire d’un « principe créateur » anthropomorphique, simplificateur et sécurisant. Mais il est vrai que «l’ontologie athée» n’est pas encore une alternative assez pertinente en regard de l’ontologie « croyante », souvent plus rivée à la question du « pourquoi » qu’à celle « comment »…

    Beaucoup de scientifiques se déclarent agnostiques plutôt qu’athées, car la méthode scientifique leur impose de ne pas exclure que survienne un élément nouveau, aussi improbable soit-il.
    Mais ils ajoutent souvent que leur agnosticisme est « à connotation, à hypothèse de travail athée ».
    Pour d’autres, c’est à connotation théiste ou déiste.
    Je lirai avec intérêt les ouvrages de Catherine Kintzler : ils m’inciteront, je n’en doute pas, à nuancer certaines de mes conceptions à propos de « l’implication de la laïcité dans la République française ».

    Mais je m’étonne qu’apparemment vous approuviez le statut concordataire toujours actuel de l’Alsace -Moselle, qui favorise anormalement les religions.
    Je pense que si, « entre 1940 et 1944, sous domination nazie, l’extrême droite fasciste parfaitement athée  a abrogé le Concordat de l’Alsace-Moselle », c’était par idéologie politique et dominatrice et non par conviction philosophique athée. Ne confondons pas « les torchons et les serviettes » !

    Je regretterai de tels échanges de vues avec vous, cher Charles !
    Très cordialement,
    Michel THYS

    Répondre
    1. Charles Arambourou Auteur de l’article

      Rassurez-vous, cher Michel Thys, nous aurons d’autres occasions d’échange : mais il ne faut pas lasser le lecteur et occuper trop d’espace sur ce blog. Je réponds simplement sur quelques points qui me paraissent à éclaircir ou commenter.

      1) Je trouve que votre conception de la liberté de conscience est par trop restrictive (en fait, interventionniste, voire dirigiste) : en gros, selon vous, elle se mérite. Vous écrivez : « lorsque… », « après avoir »… : elle est chez vous conditionnelle, alors qu’elle doit être absolue, ou ne pas être ! L’Etat laïque n’a pas à juger du bien-fondé des pensées, seulement à veiller à ce que leur expression ne perturbe ni l’ordre public légal, ni la liberté des autres. Telle est l’interprétation libérale (au sens politique) de la loi de 1905 française, la seule juste, disait Briand, et en tout cas celle qui va philosophiquement le plus loin.

      2) Nul ne conteste que nous soyons déterminés. La différence entre nous est le moyen de ce déterminisme : à mon avis, il relève de la culture –en tout cas pour la partie essentielle qui concerne l’instruction de l’élève et la formation du citoyen. Vous l’admettez vous-même, en reconnaissant que les notions de vrai/faux, juste/injuste, etc. « semblent influencées par l’éducation reçue » -formatage culturel. La pratique du piano modifie effectivement la configuration matérielle du cerveau… à condition d’être suffisamment régulière et intense, ce qui dépend de facteurs culturels évidents !

      3) Nous sommes d’accord : la neutralité religieuse de la laïcité politique ne « neutralise les religions » que si elle ne subventionne pas l’enseignement religieux. Auquel cas, ce n’est plus une « neutralité religieuse », et c’est bien le problème en France depuis la loi Debré de 1959.

      4) Sur l’ontologie, je vous rassure. Il en existe bien une, et des plus robustes, parfaitement agnostique ou athée : celle des scientifiques (que vous citez). Leur athéisme n’est que méthodologique : le scientifique croyant met entre parenthèses sa foi le temps de ses recherches. Du moins en principe… Une ontologie moniste et matérialiste, donc athée, me paraît la seule crédible épistémologiquement pour fonder la démarche scientifique. Que le chercheur croie ou pas.

      5) Je combats fermement le statut des cultes d’Alsace-Moselle ! J’en ai même construit, avec d’autres, une issue juridique négociée et progressive possible. J’ai simplement rappelé qu’il avait été (malencontreusement) rétabli à la Libération, alors que les nazis l’avaient supprimé, quelle qu’en soit la raison. Mais les historiens sont d’accord sur un point : il existe dans tous les fascismes un courant rationaliste athée aux côtés de courants spiritualistes. Je maintiens donc que l’athéisme ne suffit pas.

      Bien cordialement

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