L’IGN perd le nord et la mémoire

La série de cartes « De loisirs de plein air » de l’Institut géographique national

La série des cartes IGN (Institut géographique national) « De loisirs de plein air » propose des chefs d’œuvre de marketing, inutilisables pour qui veut s’orienter, où au moins deux siècles de savoir et de savoir-faire sont délibérément massacrés par une frénésie d’effacement qui confond simplification et appauvrissement.

L’IGN publie depuis fort longtemps d’excellentes cartes topographiques au 1/25000e très appréciées des randonneurs, marcheurs, cyclistes et cavaliers. La Série bleue – relayée par les TOP 25 – est justement réputée pour sa précision, sa fiabilité, sa clarté de lecture, son haut niveau d’information cartographique, la rationalité de ses choix.

À quoi sert une carte ? À s’orienter, à apprécier la morphologie d’un terrain et à identifier des éléments remarquables ou utiles. Mais c’est aussi, et de ce fait même, un objet intellectuel qui réunit des disciplines variées et qui permet à celui qui consulte la carte de s’instruire : comment mesurer un angle, une distance, comment se représenter un relief, dans quel sens va la pente, comment interpréter une indication de toponymie, quelle est la logique du jeu des couleurs, etc. ? Une carte sert aussi à se donner le plaisir de penser et d’admirer les savoirs dont elle est un concentré.

Ce haut niveau de cartes topographiques mis à la disposition et à la portée de tous, relayé par l’excellent site Géoportail, met la barre trop haut ? La gamme s’est enrichie en 2007 avec un produit moins ambitieux : la série « Carte IGN de loisirs de plein air ». Dessein louable en soi : des cartes à grande échelle destinées aux promeneurs, moins encombrantes que celles de la Série bleue ou des TOP25, ciblées sur des zones fréquentées avec des suggestions d’itinéraires et des informations culturelles, c’est a priori une bonne idée. Mais, à les regarder de près, on mesure la piètre considération dans laquelle sont tenus leurs acheteurs potentiels. Des siècles de savoir et de savoir-faire sont charitablement épargnés à leurs cerveaux supposés débiles : on se trouve devant des chefs d’œuvre non pas de simplification mais d’appauvrissement volontaire.

Cette série couvre des secteurs très fréquentés par les promeneurs, et donc la plupart des grandes forêts d’Ile de France. Je m’en suis procuré trois.

Aucune indication explicite du nord géographique ne figure dans la légende ou les marges des cartes que je possède. Aucun méridien n’y est tracé. Devant cette lacune fondamentale, qui ruine toute idée de carte, mon étonnement fut tel que je suis retournée exprès à la boutique IGN pour demander au personnel si j’avais bien vu… : dites-moi comment on trouve le nord! Mais non, c’est bien ça : le nord n’est pas indiqué. Bien sûr, il est facile de voir que le haut de la carte est orienté au nord, mais rien ne dit que les bords de la carte soient rigoureusement orientés vers le nord géographique, et donc on n’a aucun outil fiable pour utiliser une boussole. 

Ce n’est pas tout. Les courbes de niveau, utiles pour savoir tout bêtement quand on monte et quand on descend, et intéressantes parce qu’elles permettent de se représenter la morphologie d’un paysage, ont disparu. Ne cherchez pas non plus quelques points cotés qui auraient échappé à cette frénésie d’effacement : il n’y en a pas !

Mais je suis injuste. Si, si, on a bien pensé à l’orientation, comme le révèle un détail savoureux. La mention « compatible GPS », annoncée pompeusement sur la couverture, se traduit par des amorces du quadrillage UTM sur les bords de la carte. Le problème est qu’on ne peut pas tracer soi-même le quadrillage : les amorces verticales n’étant présentes que d’un côté de la carte, on ne peut pas les joindre [1].

Le lecteur pourra se faire une idée sur pièces en comparant deux photos de la même portion de terrain, l’une dans la version classique (celle qu’on trouve sur le Géoportail de l’IGN correspondant aux informations qu’on trouve sur les cartes Série bleue et Top25) et l’autre dans la version allégée « Loisirs de plein air ».

J’ai choisi cette portion parce qu’elle est assez accidentée – Saint-Martin du Tertre est le point culminant d’Ile de France, où Chappe a expérimenté son télégraphe auquel un musée est consacré sur place. Mais je l’ai choisie aussi parce qu’elle est traversée par l’historique méridien de Paris. On voit très bien ce méridien, les courbes de niveau et les points cotés sur la version classique ci-dessous, faite à partir d’une copie d’écran du Géoportail. En outre, les cartes récentes de la Série bleue et TOP25 comportent le quadrillage UTM qu’on ne voit pas ici.

IGNGeoportailStMartin

Version classique (Géoportail)

IGNLoisirRedim1

Version « Loisirs de plein air »

Résumons-nous : ces cartes « de loisir » sont des gadgets. Elles méprisent ceux qui les achètent en supposant qu’ils n’ont aucune notion d’orientation et – pire – qu’ils n’ont pas à en acquérir puisqu’elles ne comportent aucun repère permettant de s’instruire et de progresser. On suppose qu’ils s’en remettent à un GPS, et on leur jette en pâture indigeste les amorces d’un quadrillage pour le moins problématique à utiliser… Ce sont des plans coloriés qui invitent juste à suivre les itinéraires tracés en gros traits.

Dans l’exemple que je donne, l’IGN non seulement perd le nord, mais perd sa propre mémoire en effaçant délibérément un méridien dont la présence indiquerait, avec le nord, qu’il existe une histoire de la cartographie. On renonce aussi bien à la dimension géographique qu’à la dimension historique et à la dimension de progression « pédagogique » : on reste en surface à tous les sens du terme, la carte n’est plus un objet intellectuel et à peine reste-t-elle un objet utile. C’est juste bon à être vendu et à faire du fric.

Randonneurs, cyclistes, cavaliers, promeneurs qui sillonnez la France métropolitaine et les DOM-TOM [2], n’achetez surtout pas ces gadgets ! Visitez le Géoportail. Et munissez-vous de cartes IGN au 1/25000e Série bleue ou TOP 25 : elles sont bien faites, utiles, belles, pleines de savoir et d’histoire, elles donnent les outils pour voir et pour comprendre. Rien qu’en les regardant, on se sent plus intelligent.

 Notes

1– Il est exclu de s’aider de la distance par rapport à un bord vertical de la carte : en supposant que ce bord soit correctement orienté N-S, cela ne servirait à rien puisque les verticales UTM ne sont pas exactement orientées N-S. Mais peut-être que les bords de la carte sont orientés UTM ? Rien ne le dit.

2 – On reste confondu en voyant que le site de la Boutique Loisir de l’IGN catalogue les cartes de randonnée couvrant les DOM-TOM dans la rubrique « Randonnée Etranger » !
[Edit du 13 juin 2019] Bévue corrigée sur la boutique en ligne, où on trouve une rubrique DOM-TOM.

© Catherine Kintzler

6 thoughts on “L’IGN perd le nord et la mémoire

  1. DT

    J’ai également remarqué la même « simplification » et le même mépris de l’utilisateur relevant manifestement d’une dérive commerciale dans les éditions successives de l’Atlas Michelin de la France au 1/200 000e postérieures à 2007. Une quantité impressionnante d’informations géographiques essentielles à la compréhension (de nombreux relevés d’altitude, l’essentiel du profil du relief, les détails de la répartition du bâti dans les agglomérations…) ont disparu au profit d’informations « ludiques » ou « pratiques » (bases de loisirs, aires d’autoroute, pompes à essence…). Les couleurs sont devenues plus vives et la cartographie multiplie les zones colorées de manière unie et schématique. Il y a eu visiblement, une fois de plus, un travail méthodique de mise au pas, imposé par un management extérieur aux impératifs de la discipline. Quant à l’IGN, à l’image d’autres institutions comme l’ONF, il a subi une cure drastique d’amaigrissement suite à la LOLF et la RGPP, en particulier sous le quinquennat Sarkozy.

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  2. Eric

    Bonjour, je profite de ce sujet pour vous poser une question sur le quadrillage des carte IGN top 25 dites « compatible GPS » et de son utilisation avec une boussole. J’ai cherché à savoir, lorsqu’il s’agit d’orienter la carte par exemple, selon quelles lignes il fallait aligner le nord de la boussole, et j’ai lu tout et son contraire. Aligner sur les lignes bleus du quadrillage UTM pour les uns, non pour les autres car elles ne sont pas dans l’axe nord-sud, sur les lignes noires correspondants aux méridiens, plus difficile parce que plus rares, pas simple de s’aligner dessus quand on veut relever un azimut avec la boussole éloignée de tout méridien. Sur les bords ou les plis de la carte ou à l’aide des flêches indiquants le nord géographique et le décalage avec le nord magnétique dans la légende, là non plus, pas simple, en tout cas pour moi, mais peut-être que je m’y prends mal. Les lignes du quadrillage UTM sont bien pratiques parce que trés présentes, il y en a toujours une pas loin de la boussole quand on fait un relevé ou qu’on veut orienter la carte. Enfin bref, quelle est la bonne pratique pour aligner le nord de la boussole sur une carte IGN TOP25, sur quoi faut-il s’aligner ? Si quelqu’un peut m’éclairer, merci d’avance !

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    1. Mezetulle

      L’alignement du nord de la boussole s’effectue sur le nord géographique : celui-ci est indiqué par les méridiens tracés en noir sur la carte (nord en haut, sud en bas). En général, les bords verticaux de la carte sont parallèles aux méridiens.
      Depuis la publication de cet article, l’IGN a entrepris une réédition actualisée des cartes Top25 au 25000e : les plus récentes ne sont pas alignées sur le nord géographique mais sur le nord du quadrillage UTM (en bleu) qui ne correspond pas exactement au nord géographique. Ce dispositif nouveau est à la fois inutile (puisque le quadrillage UTM bleu est omniprésent sur la carte, on n’a pas besoin que la carte soit en plus alignée sur lui) et stupide (puisqu’on a besoin, lorsqu’on utilise une boussole, d’un repérage du nord géographique et que ce « recentrage » supprime l’alignement des bords verticaux de la carte sur les méridiens). Il faut donc toujours avoir soin de repérer un vrai méridien (en noir) sur la carte et s’il est éloigné du secteur que l’on veut travailler…. eh bien il ne reste plus qu’à tracer soi-même le ou les méridiens intermédiaires au crayon en s’aidant d’un méridien de référence et/ou des amorces en noir situées dans les marges en haut et en bas de la carte. Bravo pour la simplification !
      Fort heureusement cette nouvelle série est encore peu répandue, mais elle est destinée à remplacer petit à petit l’ensemble des cartes au 25000e.

      Quant à la déclinaison magnétique (l’aiguille de la boussole pointe vers le nord magnétique, qui est mobile par rapport au nord géographique), elle est très faible en ce moment en France métropolitaine, et donc négligeable pour un randonneur pédestre (actuellement 0° 36′ Est à Paris, 1° 25′ Est à Lyon). Il n’en va pas de même dans bien des départements ou territoires d’Outre mer (par ex. 18° 23′ Ouest à Cayenne actuellement). Vous trouverez un calculateur de déclinaison magnétique à cette adresse : https://www.ngdc.noaa.gov/geomag-web/#declination

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    2. Jason Miller

      Pour relever un azimut avec une boussole, si je ne me trompe pas, il n’y a pas besoin d’avoir un quadrillage dense de méridiens pour nous faciliter la vie. Il faut juste UN SEUL méridien (un vrai ! pas une ligne bleu UTM) et la déclinaison magnétique (qui est à presque 1° E selon NOAA pour la région parisienne, à cette date, ce qui n’est pas négligeable sur de longues distances si on veut la précision).
      (1) Tourner le cadran rotatif de la boussole à nord.
      (2) Poser le bord de la boussole plaque le long du méridien puis tourner soigneusement l’ensemble (carte plus boussole) jusqu’à ce que l’aiguille indique la DECLINAISON (à peine 1° E à Paris à ce jour) et non pas la flèche de visée.
      (3) Ancrer votre carte maintenant orientée en posant des cailloux ou autres poids sur les bords. Si vous bougez la carte par accident, il faut recommencer, orientant de nouveau la carte.
      (4) Maintenant tracer une ligne entre les points A et B de votre trajet sur la carte avec un crayon.
      (5) Poser le bord de la plaque de la boussole le long de cette ligne tracée.
      (6) Tourner le cadran rotatif jusqu’à ce que l’aiguille se trouve directement sur la flèche de visée. OUI ! Cela veut dire que vous venez de mesurer un azimut MAGNETIQUE et non pas GEOGRAPHIQUE. Mais ça ne change absolument rien puisque la carte, elle, a été orientée géographiquement. C’est le seul moment où il faut faire attention à la déclinaison, en utilisant cette méthode.
      (7) Maintenant noter l’azimut magnétique que vous venez de relever.
      (8) Suivre cet azimut magnétique à votre destination (en utilisant des repères intermédiaires sur le même azimut, bien sûr).
      Source: « Staying Found » par June Fleming (Mountaineers Books). Ce n’est pas moi qui a inventé cette méthode.

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      1. Mezetulle

        Merci pour cette méthode.
        Son avantage est qu’on peut utiliser la boussole pour relever un azimut sur la carte sans faire coïncider les lignes de fond de boîtier avec un méridien tracé, donc effectivement elle peut être utilisée sur une carte qui ne comporte qu’un seul méridien, celui-ci pouvant se trouver ailleurs que dans la zone où on effectue le relevé, et sans avoir besoin éventuellement de tracer un méridien exprès pour la mesure.
        Son inconvénient est qu’il faut orienter la carte réellement et surtout la maintenir dans cette position pour effectuer la mesure, ce qui n’est pas toujours facile sur le terrain où on ne trouve pas forcément une surface plane, où on est souvent exposé à du vent, des intempéries. Alors que la méthode classique de relevé d’azimut sur la carte utilise la boussole comme un simple rapporteur, quelle que soit l’orientation de la carte et quelle que soit la position de l’aiguille… mais dans ce cas on a besoin d’un méridien tracé (ou d’une portion de méridien) passant sous la boussole (pour le faire coïncider avec les lignes de fond de boîtier) et d’autre part il faut tenir compte, lorsqu’elle est pertinente, de la déclinaison magnétique (mais beaucoup de boussoles permettent de la régler).
        Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients.

        Mais quelle que soit la méthode, encore faut-il qu’il y ait au moins un méridien sur la carte… or la série de cartes dont il est question dans l’article ci-dessus en est totalement dépourvue!

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