Recadrage de l’évêque aux armées

Comment Mezetulle a vu s’échapper un poisson d’avril

Dans le cadre de son ministère, l’évêque aux armées a récemment tenu des propos publics dénonçant l’IVG, le mariage entre personnes du même sexe, le droit à une fin de vie digne, celui à la liberté d’expression et de caricature, et invitant ses ouailles à ne pas les cautionner. 

Les propos de l’évêque sont consultables dans le numéro de février de la revue Egmil (Revue mensuelle de l’aumônerie militaire catholique aux armées), publication portant le logo officiel du Ministère de la défense1.

On lit notamment dans la rubrique «Propos de l’évêque» ce parallèle surprenant :

« L’idéologie islamique vient de faire 17 victimes en France. Mais l’idéologie de la bienpensance fait chaque année 200 000 victimes dans le sein de leur mère. L’IVG devenue droit fondamental est une arme de destruction massive. Alliés pour la France avec d’autres, nous devons faire front contre les attaques terroristes explicites. Mais, pour autant, nous ne devons pas cautionner les folies de l’euthanasie, du mariage pour tous et autres caricatures de Charlie-Hebdo.  » (p. 2)

Et de poursuivre un peu plus loin, après une pique contre la laïcité dite « agressive » :

« Comment aussi demander aujourd’hui à des musulmans droits et de bonne volonté de s’intégrer à une France qui leur est présentée comme une somme de valeurs libertaires, irréligieuses, amorales ? » (p. 4)

Certes, personne n’est tenu d’approuver les lois ni de les aimer, on doit les respecter et ne pas faire obstacle à leur application. De tels propos, s’ils étaient tenus par un citoyen ou une association quelconque, publiés dans un organe n’ayant aucune part à la puissance publique, relèveraient de la liberté d’expression qui veut, en même temps qu’on en tolère l’existence, qu’on puisse aussi les critiquer – c’est ce que Mezetulle ne manque pas de faire.

Mais, justement, ce n’est pas le cas : ces propos appelant ouvertement leurs lecteurs à se détourner (pour ne pas dire plus) de lois en vigueur sont tenus et publiés dans le cadre d’une fonction officielle installée par l’État (existence d’aumôneries notamment auprès des armées, des prisons, des hôpitaux). Et en tout état de cause, même en dehors de ce domaine, la loi de 1905 encadre de manière claire les déclarations faites par les ministres des différents cultes dans l’exercice de leur ministère, c’est l’objet de l’article 35 :

« Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile. » 2

Habituée à l’absence de fermeté laïque de la part des pouvoirs publics, Mezetulle pensait avoir un bon sujet de poisson d’avril en annonçant aujourd’hui des déclarations fracassantes de désaveu officiel et de rappel à l’ordre.

Mais plouf, le petit poisson se noie. Alertés par diverses associations laïques, féministes et LGBT, les pouvoirs publics n’ont pas tardé à réagir superbement et très courageusement. Qu’on en juge : le Ministère de la Défense a interdit à l’avenir l’apposition de son logo sur la couverture de la revue Egmil3, ce qui est, on le reconnaîtra, une sanction très lourde.

Alors maintenant que faire pour pêcher un poisson plus important que cette énorme prise qui vient de m’échapper ? Annoncer que le Ministère de l’Intérieur a saisi l’occasion, dans une circulaire publiée dans son Bulletin Officiel et envoyée à l’ensemble des autorités religieuses, de rappeler l’existence de l’article 35 de la loi de 1905 ? Annoncer que même l’Observatoire de la laïcité s’est senti obligé de faire une déclaration par laquelle il s’alarme de propos invitant à s’opposer à la loi, tenus publiquement par un représentant d’un culte dans l’exercice de son ministère ? Non, je ne vais pas faire ça, ce serait au-dessous du minimum de vraisemblance nécessaire à une bonne blague : tout le monde verrait que, là, vraiment, j’exagère et que c’est un poisson d’avril.

Notes

1 – Voir l’article sur le site de l’UFAL relayant une information du journal en ligne Yagg.com

2 – Notons au passage que cet article permet un contrôle a posteriori des religions strictement limité aux entraves qu’elles tenteraient de mettre à l’application des lois. Son existence (pourvu qu’il soit appliqué) rend superflu (et montre la dangerosité de) tout projet de contrôle a priori comme ceux qu’on a entendus récemment au sujet d’une prétendue « formation des imams » officiellement reconnue ou d’un « islam de France » organisé avec le concours de la puissance publique. Ce n’est pas à la République de mettre son nez dans les cultes et à les régenter de l’intérieur : seul un régime de non-séparation ou un régime de type concordataire peuvent se permettre une telle ingérence contraire à la liberté des cultes.

3 – Information diffusée par le site Radio-Notre-Dame

© Mezetulle, 2015.

4 thoughts on “Recadrage de l’évêque aux armées

  1. Caspard

    Pourtant, Catherine, je suis allée voir sur le « Bulletin officiel », ainsi que sur « L’Observatoire de la Laïcité ». Ce que proclament ces deux instances, leurs déclarations fracassantes, leurs réactions virulentes et indignées face au culot – il faut bien dire le mot …- de ce … monsieur Ravel (désolée, le terme « monseigneur » me resterait en travers de la gorge), sont bien réelles. Enfin quoi, je viens de les lire, chacun peut vérifier, il suffit de suivre les liens que vous fournissez !!! Et ça en vaut la peine, je vous assure. Internautes et fidèles de Catherine, ne tardez pas …
    Enfin, la France laïque se réveille! Stéphane Hessel n’est plus là, mais voilà que soudain certains se souviennent de ses écrits, il était temps !

    Alors, que faire, Catherine ? Votre poisson est dans le lac, dommage. Mais vous allez bien en trouver un autre, avant la fin de la journée, un VRAI … Je compte sur vous!

    Annette C.

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  2. Milaveau

    Bonjour,

    Je vous avoue mon scepticisme : 1 : le problème est-il bien posé ? 2) la réaction du ministre est-elle appropriée ?

    1) L’article de Luc Ravel pose-t-il problème ?
    Dans son blog « actualité du droit » : lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr Gilles Devers rapporte cette question :
    « Robert Poinard, un autre Monseigneur, vicaire général du diocèse aux armées et directeur de la publication d’Egmil, a vite répliqué : « En quoi, lorsque Monseigneur Ravel se fait l’écho de la doctrine catholique, dans une revue catholique que personne n’est dans l’obligation de lire, dénigre-t-il les droits de ceux qui ne partagent pas ses opinions ? En quoi l’évêque aux armées attente-t-il au droit des personnes puisque ceux qui ne partagent pas son opinion ne sont pas tenus de suivre ses avis ? »
    Je la reformule en m’inspirant de l’avis du CE sur les accompagnatrices de sorties scolaires :
    « Ainsi que le rappelle la charte de la laïcité, « si l’agent du service public a un devoir de stricte neutralité », « les usagers de service public ont le droit d’exprimer leur conviction religieuse ».Les agents personnifient un service qui doit être neutre, les usagers ne personnifient qu’eux-mêmes » (Étude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013, adoptée par l’assemblée du Conseil d’État le 19 décembre 2013 paragraphe 3.2.1, page 30).
    L’aumônerie participe-t-elle du service public ? Ne personnifie-elle qu’elle-même ? les deux à la fois ? Ce n’ est pas clair pour moi.
    Lu sur http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/etat-cultes-laicite/liberte-religieuse: « Les aumôniers militaires sont des engagés au titre du service de santé des armées, ils relèvent, à la fois, de l’autorité militaire et de l’aumônier en chef de leur culte. »

    2) La réaction du ministre est-elle appropriée ?
    Pour reprendre la distinction souvent défendue sur votre blog , il ne faudrait pas confondre valeur et principe :
    Si la revue Egmil est un organe qui a une « part à la puissance publique » et donc si l’aumônerie participe du service public et que le ministre considère que l’article de Luc Revel ne respecte pas le devoir de neutralité, il doit utiliser les moyens de droit pour faire respecter la loi : le seul fait de retirer le logo du ministère n’en est pas un.
    Si l’aumônerie ne participe pas du service public, le logo du ministère n’aurait jamais du figurer sur ce journal et ceci par principe. Or le ministre ne l’enlève pas par principe mais parce que les valeurs véhiculées ne sont pas les siennes : attention de ne pas ériger en principe les seuls valeurs auxquelles ont adhère car le risque dénoncé par Charles Arambourou pourrait de devenir réalité ( intervention filmée de Charles Arambourou, animateur de la commission Laïcité de l’UFAL sur le thème « Religions et laïcité : valeurs et principes » lors d’une conférence-débat sur « Les croyances et le vivre-ensemble au sein de l’Ecole de la République » organisée par la FCPE 77 à Savigny-le-Temple le 7 février 2015)
    La décision du ministre sert –elle bien la laïcité, ne prête telle pas le flanc à ceux qui la manipulent en l’assimilant à un « laïcisme » athée dirigé contre la religion ?
    Qu’en pensez-vous ?
    Merci à ceux qui m’apporteront leur éclaircissement

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Merci pour ces interrogations qui appellent des éclaircissements.
      Oui l’article de l’évêque aux armées pose problème dans la mesure où il est publié officiellement dans le cadre de son ministère et dans la mesure où il appelle ouvertement ses lecteurs à s’opposer à des lois en vigueur. En tant qu’aumônier aux armées, l’évêque est un officier ; son statut particulier ne l’astreint pas, bien évidemment, à la neutralité religieuse, mais il ne peut pas non plus tolérer un propos ouvertement dirigé contre l’application de lois en vigueur. Par ailleurs, l’article 35 de la loi de 1905 s’applique à tous les ministres de tous les cultes dans leurs déclarations publiques dans le cadre de leur ministère, qu’ils soient ou non aumôniers reconnus par la puissance publique.
      Sur votre point 2 (principes et valeurs), je suis d’accord avec votre raisonnement : ne pas confondre promotion de « valeurs » (qui peut devenir une sorte de religion civile) et respect de principes raisonnés clairement énoncés par la loi. En l’occurrence, ce n’est pas parce que les propos d’un évêque-officier ne seraient pas conformes à telles ou telles « valeurs » qu’il faudrait les désavouer, mais parce qu’ils enfreignent telle ou telle loi.

      Sur les accompagnateurs scolaires, l’étude du Conseil d’Etat que vous citez doit être lue jusqu’au bout car il y est fait expressément mention du cas particulier de l’Education nationale. Je me permets de vous renvoyer, sur ce point, à deux articles : 1° L’accompagnement des sorties scolaire est-il confié à des « mamans » ? (voir en particulier la note 1) 2° l’article de Charles Arambourou où l’argumentation juridique est détaillée.

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