RIC ta mère ?

Les questions de démocratie directe et comme on dit « participative » sont aujourd’hui débattues, notamment au sujet du « Référendum d’initiative citoyenne » (RIC). Attentif aux « excès que l’on peut parfois redouter », François Braize1 expose ici, sous un titre volontairement provocateur dont il s’écarte chemin faisant, pourquoi il est favorable à ce qu’il appelle un « RIC bien tempéré ».

Dans ce titre volontairement provocateur, la mère de l’injonction est la démocratie et sa forme républicaine. Il ne s’agit donc pas que d’un jeu de mots facile en référence à un groupe musical qui a défrayé la chronique, mais bien de savoir si on donne au peuple l’outil pour « riquer » la démocratie si l’envie lui en prenait, ou bien, au contraire, si on s’oriente vers un RIC bien tempéré qui serait protégé contre un tel excès. Telle est la question fondamentale que pose le RIC, que trop peu évoquent, et que l’on examine dans cet article.

À la différence du référendum « ordinaire » à l’initiative du président de la République (articles 11 et 89 de l’actuelle Constitution2), le RIC, référendum d’initiative citoyenne (ou référendum d’initiative populaire), dont nous ne sommes pas dotés en France, est un des outils de la démocratie directe. Il donne le pouvoir au peuple de se prononcer par son suffrage sur les sujets les plus larges, de la Constitution à la loi en passant par la ratification des engagements internationaux. Le peuple en a, en outre, l’initiative par pétition. Ainsi, c’est lui seul qui décide de la question qu’il se pose et qu’il tranche. Il s’agit d’un idéal-type démocratique.

Si l’opinion publique n’est pas vraiment divisée sur son envie de démocratie directe et sur le RIC3, en revanche, dans la classe politique, chez les intellectuels et dans les médias la division règne en maître.

Le référendum : une mauvaise réputation

Il faut dire que la question est vieille comme la démocratie et que la suspicion pèse sur le référendum du fait de son histoire plébiscitaire.

En effet, nos démocraties se sont construites, depuis les révolutions anglaise, américaine et française, sur la conquête du suffrage universel pour la désignation de nos représentants et en écartant délibérément (pour des jours meilleurs ?) la démocratie directe. Il a fallu près de trois siècles pour que soit conquise une véritable universalité des suffrages autorisés à s’exprimer lors des élections (jusqu’à l’extension du droit de vote aux femmes ou à certaines minorités ethniques), délaissant ainsi, au bout du compte, le portrait type de l’électeur resté longtemps en Amérique du Nord un propriétaire blanc et en Europe un individu de sexe masculin. Pendant ces trois siècles, le peuple a été laissé de côté derrière ses représentants qu’il était cependant admis progressivement à élire lui-même4.

Dans la plupart des pays de démocratie5, par l’énergie qu’elle a demandée, cette lutte pour le suffrage universel a éclipsé l’autre question fondamentale : l’intervention directe, ou non, du peuple dans les processus décisionnels notamment législatif, ou même constituant, par référendum à son initiative6. Délibérément, le peuple n’a pas été jugé apte à autre chose que choisir ses représentants. Le XXe siècle n’aura été que l’aboutissement de cette (première) étape de la construction des démocraties, l’ambition de la démocratie directe ayant été renvoyée à l’âge d’or de la démocratie athénienne, considérée comme impossible au-delà de l’échelle de cette dernière. En effet est-il absurde de croire que l’on ne peut transposer les procédures d’une cité qui ne comptait que quelques dizaines de milliers de citoyens et qui excluait toute une partie de sa population de la citoyenneté (femmes et esclaves) ?

Nous avons donc cru à cette impossibilité. Nous y avons cru car cela avait l’apparence d’une rationalité forte. En effet, comment légiférer, écrire la loi et a fortiori la Constitution à 40 ou 50 millions de mains ? Nous avons continué à croire à cette impossibilité, sans nous demander si une part de démocratie directe ne devait pas être instillée dans notre système politique, alors même que, ces dernières décennies, partout, tout se délitait. Les peuples fuyant les urnes et laissant la démocratie représentative, selon les scrutins, réduite à une part toujours plus faible du corps électoral. Même lorsque les peuples exprimaient leur défiance par un vote vers des extrêmes récusant la démocratie représentative, nous persistions. C’était eux, ce ne pouvait être nous, les dinosaures…

L’avènement du numérique est venu tout bouleverser

En outre, le numérique et les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) sont venus tout miner, là, devant nous, sans même qu’on le voie clairement. Et nos belles certitudes sur la démocratie représentative comme mode démocratique quasi-indépassable se sont comme effondrées fin 2018 en quelque sorte au détour d’un rond-point7. En effet, nos concitoyens ont l’impression de vivre une « démocratie directe » sur le Net et, ce, tous azimuts dans leur quotidien. Ils existent sur les réseaux sociaux et leurs avis, leurs choix, sont partagés, diffusés, comme jamais ce ne fut le cas. Et l’on voudrait que cela soit possible pour la vie de tous les jours, jusqu’aux plus futiles de leurs préoccupations, et pas pour ce qui est plus fondamental, pas pour la vie politique collective, vie pour laquelle on ne les consulterait que tous les cinq ans et selon des modes datés d’un autre temps ?

Ouvrons les yeux, faisons fonctionner nos neurones, nous sommes dans un monde où chacun (c’est un fait et non une opinion) peut donner son avis, choisir, noter à tout bout de champ et sur tout, d’un simple clic. Un monde où chacun peut tenter de lever une armée numérique de soutiens. On peut ne pas aimer, mais c’est notre monde et le réel qui s’offre à nos concitoyens.

Faire évoluer notre démocratie politique vers plus de démocratie directe

Le discours limitant notre démocratie à sa forme représentative ne semble plus recevable ? Ne nous mène-t-il pas, par des révoltes qui risquent d’être de plus en plus violentes, dans le mur des populismes ? Comment faire pour éviter cela ? Les principaux outils sont connus  et peuvent être mis en œuvre sans tomber dans des excès que l’on peut légitimement redouter :

  1. Remplacer en tout ou en partie l’élection de nos représentants nationaux, mais aussi peut-être de certaines catégories d’élus locaux, par le tirage au sort de citoyens qui siégeront directement selon des modalités à définir8 ;
  2. développer, pour les mandats électifs maintenus, l’élection à la représentation proportionnelle ;
  3. donner au peuple la capacité de faire ou de défaire la loi par référendum à son initiative ou même de faire des modifications constitutionnelles (RIC), également selon des modalités qui restent à définir.

S’agissant du RIC, objet de ce billet, sur le principe, l’étude Verhust – Nijeboer sur la démocratie directe réfute un à un les arguments des ses opposants9. Il est cependant nécessaire de traiter plusieurs questions essentielles qui doivent être tranchées car rien n’est simple contrairement à ce que soutiennent les partisans du RIC sans limite – questions que cette étude n’a pas vues ou tranchées de manière, selon nous, satisfaisante.

Outre les modalités pratiques de la procédure à construire qui sera très importante, trois questions essentielles se posent : celle du seuil de signatures à atteindre pour déclencher le RIC, celle du champ d’intervention du RIC (sur quels sujets ou matières peut-il intervenir ?) et celle de la portée du RIC (peut-il aller par exemple jusqu’à remettre en cause la démocratie, les droits de l’homme ou la forme républicaine de gouvernement?).

a) La procédure à construire

Elle devra présenter toutes les garanties nécessaires. Selon les mots que prononça Portalis, « On ne doit légiférer que d’une main tremblante ». Alors, imaginons la crainte à 45 millions de mains…10  D’autres pays, comme la Suisse notamment, ont su mettre en place une procédure qui sécurise le dispositif de référendum et les textes qui en sont issus. Il faudra que nous fassions de même. On ne saurait trop insister d’ores et déjà sur la nécessité qu’il y aura de confier la préparation des textes à soumettre au référendum à une autorité indépendante désignée dès la réforme constitutionnelle. Ce pourrait être l’organisme chargé en France du Débat public en faisant évoluer ses missions en ce sens et, sans nul doute aussi désormais, en changeant sa présidence.

Tout comme le gouvernement doit le faire en application de l’article 39 de la Constitution pour les projets de loi qu’il prépare, cet organisme devra solliciter l’avis préalable du Conseil d’État sur les projets de texte préparés pour répondre à une demande de RIC. Il y va de la sécurité et de la qualité juridiques. Il faudra prévoir aussi, dès la réforme constitutionnelle, le contrôle préalable de la constitutionnalité des textes législatifs soumis à référendum avant que le peuple ne se prononce. Car, si l’on peut admettre qu’un juge constitutionnel censure les représentants du peuple après leur vote, cela est beaucoup plus difficile pour le peuple une fois que celui-ci s’est exprimé et a décidé au suffrage universel direct. Autant donc que le contrôle de constitutionnalité s’exerce sur le projet de texte qui devra être soumis au RIC avant que le peuple ne vote. De la même façon, pour un RIC de modification de la Constitution, il faudra que la proposition de modification soit soumise au Conseil constitutionnel pour vérifier sa conformité aux valeurs et principes fondamentaux de notre démocratie rappelés notamment dans le Préambule de celle-ci (exigence que l’on proposera de sacraliser, Cf. infra, point d). Les avis du Conseil d’État et les décisions du Conseil constitutionnel devraient être rendus publics.

b) Le seuil de signatures

La question du seuil de signatures à réunir pour initier par pétition une procédure de RIC n’est pas aisée, mais elle peut se régler sans trop de difficultés.

Il faudrait, à la fois, exiger un nombre suffisant de signatures de demande de RIC pour éviter les initiatives peu sérieuses et ne correspondant pas à une véritable demande d’une partie significative du corps électoral et, en même temps, ne pas prévoir un nombre qui en rendrait la satisfaction impossible comme c’est le cas du référendum d’initiative populaire11 actuellement prévu par l’article 11 de notre Constitution. Celui-ci prévoit un seuil de 10% des inscrits soit 4,5 millions de signatures qui a été rédhibitoire. L’intelligence commande de tenir compte de l’expérience des pays qui pratiquent ce type de référendum citoyen. Ainsi, un seuil de 2% du corps électoral est exigé en Suisse. Si nous l’appliquions cela nous donnerait pour la France un seuil de 1 million de signatures, ce qui paraît raisonnable.

c) Le domaine d’intervention du RIC

À l’inverse des deux précédentes questions, pas simples mais gérables, avec la présente question on commence à entrer dans les difficultés vraiment sérieuses. Faut-il exclure certains sujets du champ du futur RIC ? S’agira-t-il simplement d’un RIC pouvant toucher au domaine législatif pour prendre de nouvelles lois ou en abroger d’anciennes, ou bien faut-il aller au-delà ? Par exemple, donner au RIC le pouvoir de modifier la Constitution, celui d’approuver les traités internationaux, celui de révoquer un élu ou de modifier les réponses apportées jusqu’à ce jour par la loi votée par nos représentants aux questions dites de « société » (peine de mort, IVG , mariage pour tous, éthiques de la vie et de la mort, etc.) ?

Même en étant démocrate dans l’âme on peut craindre qu’un RIC sans bornage ouvre la porte aux égarements dans un temps qui est celui de la démultiplication par le Net, ses réseaux et ses médias associés, des manœuvres de manipulation de l’opinion, nationales ou venues de l’étranger. On frémit aussi devant l’outil ainsi donné à de futurs gouvernants démocratiquement peu scrupuleux et fondamentalement conservateurs, comme il s’en profile déjà beaucoup en Europe. Aussi ne peut-on qu’être fondamentalement hostile à un RIC sans limite.

On doit aussi récuser le RIC révocatoire des élus qui les mettrait sur siège éjectable, ne produisant que démagogie et médiocrité. Pour se rendre compte du mal-fondé d’une telle proposition, il suffit de transposer une telle perspective d’instabilité de chaque instant à notre propre vie professionnelle. Chacun souhaite pour soi et les siens un CDI bien sûr et nos élus devraient voir, eux, leur mandat qui est déjà un CDD devenir révocable ad nutum ?

Le RIC révocatoire est sous-tendu par une vision populiste alors que, le temps de leur mandat, nos 400000 élus locaux et nationaux sacrifient bien souvent leur vie personnelle à l’intérêt collectif et général pendant que d’autres restent plutôt devant leur TV. Si les électeurs ne sont pas satisfaits d’un élu, ils ne le réélisent pas. Cela doit suffire.

Si le peuple, par un RIC, doit pouvoir intervenir dans le domaine législatif pour modifier ou abroger des lois existantes, en proposer de nouvelles (RIC législatif12) et modifier la Constitution (RIC constituant), ce qui est déjà beaucoup, il faut arrêter là l’exercice. Les centaines d’accords et traités internationaux signés ou ratifiés chaque année ne peuvent l’être par référendum. Ce serait une absurdité et cela témoigne d’une méconnaissance totale de la réalité de l’action diplomatique bi- ou multilatérale d’un grand pays. En revanche on peut envisager que les traités conduisant à devoir modifier au préalable la Constitution pourraient être ratifiés par un RIC.

Rappelons que le RIC législatif devra être soumis à un contrôle préalable de constitutionnalité que le peuple souverain aura confié au Conseil constitutionnel par la modification de notre Constitution pour créer le RIC (un tel contrôle préalable du Conseil constitutionnel est déjà prévu par l’article 11 de notre Constitution pour les référendums d’initiative partagée créés par la réforme constitutionnelle de 2008). Également, le RIC constituant devra respecter nos valeurs démocratiques et nos principes fondamentaux rappelés dans le Préambule de la Constitution. La réforme constitutionnelle, comme on va le voir ci-après, devrait sacraliser ces principes et valeurs vis-à-vis des deux pouvoirs constituants : d’un côté le peuple par référendum et, de l’autre, ses représentants élus, députés et sénateurs en application de l’article 89, car il n’y a pas de raison que ces derniers y échappent.

d) La question de la portée du RIC sera essentielle

Jusqu’où pourra-t-on aller par un RIC constituant ? Revenir sur les valeurs démocratiques ou sur la forme républicaine du gouvernement protégée par l’article 89, dernier alinéa, de notre Constitution? Question extraordinairement difficile, car elle pose celle de la limite de la souveraineté du Peuple qui est le détenteur de la souveraineté nationale en application de l‘article 3 de la Constitution. Des projets maximalistes circulent sur le Net prévoyant que le RIC pourrait tout : rien ne devrait lui être interdit car, expression du peuple souverain, il devrait pouvoir tout plier à la volonté populaire13. Une telle option est peu responsable puisqu’elle admet que le peuple puisse revenir, si l’envie lui en prend, sur ce qui a fait, par exemple, les progrès de nos démocraties, du pluralisme politique et de nos libertés individuelles ou collectives par trois siècles de luttes politiques et sociales. Ce qui ne peut que faire peur, comme si certains n‘avaient rien appris des totalitarismes exécrables du XXe siècle.

Un démocrate et un républicain ne peuvent que repousser de toutes leurs forces une telle ignominie potentielle. En effet, les valeurs et principes fondamentaux rappelés dans le Préambule de l’actuelle Constitution constituent le socle de notre démocratie (Déclaration des droits de l’homme de 1789, droits sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, Charte de l’environnement de 2004, etc.). Ce socle doit être préservé même face à un RIC, tout comme la forme républicaine du gouvernement. En effet, en démocratie, aucune souveraineté ne peut être absolue, même pas celle du peuple.

Ce socle de valeurs doit donc s’imposer à tous. Cette question est de principe et elle ne peut pas se régler par l’exigence d’une majorité qualifiée (3/5, 2/3 ou même 3/4 des suffrages exprimés) qui permettrait de les remettre en cause. S’agissant au fond de pouvoir nier les droits des individus ou des minorités il faudrait que tous y consentent. Nulle majorité ne devrait pouvoir le faire… Il faudra également que ce socle de valeurs s’impose au pouvoir constituant du Parlement car, comme on l’a dit, il n’y a aucune raison que cela ne soit pas le cas. Une rédaction juridique appropriée permettra de consacrer ce socle « erga omnes » le moment venu.

La question de l’enrichissement possible de ce socle par de nouveaux droits et principes, par RIC ou par le pouvoir constituant parlementaire, devra également être traitée de manière à ne pas figer les choses sur la rédaction du Préambule de la Constitution de 1958, même si elle est remarquable par son agrégation des résultats de deux siècles de luttes sociales et politiques en faveur de l’émancipation des hommes et des femmes.

La souveraineté du peuple est-elle absolue ?

D’un point de vue de philosophie politique ou de philosophie du droit, cette question soulève toutefois une difficulté majeure que l’on ne peut laisser de côté : qui, comment et d’où peut-on imposer quelque chose à la souveraineté du peuple ? Dans la conception classique, seule la Nature elle-même et/ou le divin avaient un tel pouvoir. Aux temps modernes ce n’est, a priori, que par une autorité supérieure au peuple, ou par autorégulation de celui-ci, que l’on peut d’une part imposer une limite à la souveraineté populaire mais d’autre part, encore plus, garantir son effectivité.

Il n’y a pas d’instance supra nationale qui puisse être fondée (dans l’ordre mondial que nous connaissons) à jouer ce rôle car ce droit est encore essentiellement conventionnel entre des États qui sont souverains et eux seuls peuvent défaire ce qu’ils ont fait. Rien donc à attendre du supra-national, pas plus que d’une prétendue Nature ou d’un ectoplasme divin. À défaut d’autorité supérieure au peuple, il ne nous reste que l’autorégulation.

Il serait donc bienvenu que le peuple décide, par la révision constitutionnelle qui créera le RIC, que tout référendum qui viendrait à être proposé aux suffrages devra respecter les valeurs et principes fondamentaux de notre démocratie et de notre République (tels que rappelés par le Préambule de la Constitution de 1958). Le peuple s’imposera donc cette contrainte à lui-même et prévoira que ce sera sous la vérification préalable du Conseil constitutionnel. Ainsi le peuple français fera le choix de rester durablement fidèle aux droits de l’homme, à la démocratie et à la République quels que soient les outils référendaires dont il se dote et qu’il mettra en œuvre.

Pour consacrer l’importance d’une telle décision, la réforme constitutionnelle créant le RIC pourra prévoir que nulle réforme constitutionnelle future (par un RIC ou par la voie parlementaire) ne pourra revenir sur ce choix du peuple français et que le Conseil constitutionnel sera le gardien de cette exigence à l’occasion de son contrôle préalable. De la sorte, la protection sera assurée de manière durable et exigeante14.

Le peuple français aura ainsi consacré un socle de principes qu’il ne pourra lui-même directement, ni par ses représentants, violenter par référendum, ainsi qu’un dispositif d’autorégulation dont il aura confié l’exercice au Conseil constitutionnel. Il n’exclura pas cependant de pouvoir enrichir, au fil du temps, le corpus actuel de nouveaux principes fondamentaux ou valeurs démocratiques15.

Bien entendu, si on peut admettre que l’on pourra apporter son soutien à une pétition lançant l’initiative d’un RIC et lui donner sa signature informatiquement, même si cela devra être de manière sécurisée, il sera indispensable que le vote lors du référendum se fasse selon les règles et les garanties démocratiques habituelles, dans un isoloir. En effet, n’en déplaise à beaucoup, voter à un référendum, même d’initiative citoyenne ou populaire, ce n’est pas attribuer un « like » à telle ou telle babiole numérisée !

Ainsi, plutôt qu’un sonore « RIC ta mère ! » qui pourrait conduire à mettre à mal la démocratie et la forme républicaine du gouvernement, c’est donc bien « une leçon de RIC bien tempéré » que l’on invite nos concitoyens, et les pouvoirs publics à leur suite, à privilégier lors du « grand débat national » qui s’ouvre. Comme on le dit du clavecin, quelque chose qui sonne bien dans tous les tons.

 

Notes

1 – François Braize est inspecteur général honoraire des affaires culturelles. On trouvera une autre version de ce texte sur son blog https://francoisbraize.wordpress.com/2019/01/03/ric-ta-mere/

2 – L’existence de ces deux articles doit être rappelée car les médias commencent à bruisser en ce début d’année 2019 de la perspective d’un référendum sec qu’organiserait l’exécutif sur la réforme constitutionnelle… Comme si on pouvait faire une modification constitutionnelle par un référendum organisé en application de l’article 11 de la Constitution ! Quand on ne s’appelle pas De Gaulle, seule la procédure de l’article 89 (vote de la réforme par les deux assemblées puis soumission du résultat au Congrès réuni à Versailles ou au peuple par référendum) permet de modifier la Constitution.

4 – Dans Le peuple contre la démocratie, Yascha Mounk (Éditions de l’Observatoire, 2018) montre à partir de sources historiques incontestables comment les pères de la démocratie américaine ont délibérément mis le peuple à l’écart de tout fonctionnement démocratique direct, parce qu’ils s’en méfiaient comme de la peste, et ont fait le choix de la démocratie représentative pour s’en protéger ; toutes les démocraties modernes ou presque ont emboîté le pas de cette prévention ; comment ne pas voir dans le même motif, la raison de la très lente accession au suffrage universel auquel même des régimes politiques ouverts et pluralistes ont préféré pendant longtemps un suffrage censitaire ?

6 – Les seuls référendums que nos démocraties pratiquèrent furent à l’initiative des gouvernements et prirent parfois un aspect plébiscitaire et droitier qui les rendit profondément antipathiques notamment à gauche. 

7 – Ce ne sont pas les velléités de démocratie participative de la campagne de 2007 (S. Royal) ou de 2017 (E. Macron) qui purent permettre d’imaginer un réel changement, tout au plus une mode ou une tactique de conquête du pouvoir ; d’ailleurs à notre connaissance ni l’une, ni l’autre ne proposèrent le RIC…

8 – Ce peut être une partie des députés et sénateurs, des assemblées locales, voire des assemblées citoyennes spécifiques, Voir à ce sujet l’excellent article de Jérôme Huet : https://francoisbraize.wordpress.com/jerome-huet/

9 – Voir ce livret sur le site de l’association article 3 : https://www.article3.fr/images/verhulst-nijeboer-direct-democracy-fr.pdf.

10 – Crainte qui ne nous quitte pas au contraire lorsqu’on lit les propositions de rédaction suggérées par les internautes pour créer le RIC sans aucun garde-fou lors de la consultation lancée par « Parlement et citoyens » sur ce sujet ; l’amateurisme juridique est flagrant à supposer que la maturité politique soit présente… Il y aura intérêt à cadrer l’exercice du RIC par une procédure qui réunisse toutes les compétences juridiques nécessaires.

11 – Référendum introduit à l’article 11 de la Constitution par la réforme constitutionnelle de 2008 et qui est un référendum d’initiative populaire avec un verrou parlementaire puisqu’il faut outre les signatures d’un nombre élevé de citoyens la signature de 1/5 des membres du Parlement.

12 – Si les lois spéciales (lois organiques, lois de finances, loi de financement de la Sécurité sociale), devaient entrer dans le champ du RIC, il faudrait alors que la procédure soit entourée des garanties nécessaires comme l’est le droit d’amendement des parlementaires par l’actuel article 40 de la Constitution.

13 – Voir par exemple le projet de loi constitutionnelle de l’association dite « Article 3 » qui promeut un RIC sans limite : https://www.article3.fr/informations/proposition-loi-constitutionnelle ; voir également les éléments du débat que cette association co-organise avec « Parlement et citoyens » à propos du RIC où les points de vue les plus maximalistes s’expriment sur la souveraineté du peuple que rien ne doit venir contraindre : https://parlement-et-citoyens.fr/project/referendum-dinitiative-citoyenne/consultation/consultation-48/types/modalites-concretes-de-mise-en-oeuvre-quelles-modalites-vous-sembleraient-les-plus-pertinentes-pour-mettre-en-place-ces-differentes-formes-de-ric/themes-le-ric-peut-il-sappliquer-a-tous-les-sujets-ou-doit-on-le-restreindre-a-certains-sujets/page/1

14 – De la sorte on résout la contradiction qu’il y aurait à prévoir qu’une majorité qualifiée, à l’occasion d’un RIC ou par la voie d’une réforme adoptée par le Parlement, puisse revenir sur la protection ainsi instaurée pour nos valeurs et principes fondamentaux, alors que l’on a dit que s’agissant d’une question de principe aussi fondamentale (nos droits et libertés les plus essentiels) il faudrait que tous y consentent et, donc, l’unanimité. En revanche, le droit même le plus vigilant ne peut empêcher que certains demain se dispensent de le respecter ; mais là, les choses seraient claires, nous serions alors en présence d’un coup d’État et d’une forfaiture pour ceux qui le commettraient.

15 – Suite aux vœux du président de la République qui a dit le 31 décembre 2018 qu’il fallait que nous placions l’Homme au centre des préoccupations publiques, il pourrait être utile d’enrichir le Préambule de notre Constitution d’un nouveau principe fondamental consacrant cette orientation intéressante ; on a fait un premier travail de réflexion à ce sujet à quelques-uns, voir sur ce point : http://www.slate.fr/story/95099/sixieme-republique