« Situation de la France » de Pierre Manent: petits remèdes, grand effet

Un brûlot anti-laïque et anti-républicain

Dans Situation de la France, Pierre Manent diagnostique un état de faiblesse et propose des remèdes. Selon lui, le régime laïque se révèle impuissant à inclure une des composantes sociales de la France, à savoir « les musulmans ». Il serait alors nécessaire de modifier le dispositif en leur proposant un contrat, point d’entrée d’une reconnaissance politique des religions. À l’issue de l’ouvrage, c’est toute la conception philosophique du modèle républicain – immanentiste, minimaliste et atomiste – qui est congédiée.

1 – Visite rapide d’un brûlot anti-laïque et anti-républicain

Dans Situation de la France1, Pierre Manent s’emploie à diagnostiquer un état de faiblesse et à proposer des remèdes. Selon lui, le dispositif républicain actuel se révèle impuissant à inclure une des composantes sociales de la France, à savoir « les musulmans », et son impuissance aurait pour cause principale la laïcité – thème obsessionnel du livre. Pour guérir cette faiblesse, il serait nécessaire de modifier le dispositif en proposant aux musulmans un « contrat » comprenant la reconnaissance officielle d’un mode de vie qui leur serait propre.

Avançant quelques concessions qui semblent à première vue fort modestes, la proposition agit comme un effet domino que l’auteur déploie de proche en proche. Quelques remèdes, notamment l’introduction d’une dose de reconnaissance des communautés à « marqueurs religieux », finissent par remettre en question l’ensemble du modèle républicain. Le tout est recomposé sous la houlette d’un holisme national aimanté par un catholicisme fédérateur des esprits que l’auteur rappelle à sa vocation pastorale et politique : le retour de la transcendance dans la conduite des affaires publiques. À l’issue de l’ouvrage, ce n’est pas seulement la laïcité apparente – obsession et bête noire de l’auteur – qui est congédiée, mais avec elle la conception philosophique (immanentiste, minimaliste et atomiste) de l’association politique qu’elle révèle et qui la rend possible.

Tout dans ce livre devrait me hérisser et me déplaire. Je m’en voudrais cependant de passer sous silence le plaisir certain que j’ai pris à le lire. J’y relève des passages roboratifs et bien sentis sur l’ineptie et la nuisance de la notion d’ « islamophobie », sur la nocivité d’une politique scolaire qui s’acharne à vider l’enseignement de son contenu d’instruction libératrice, et sur l’incapacité de l’État à conduire un projet politique ferme – observations que je partage avec l’auteur et dont je tire des conclusions opposées aux siennes. Mais surtout c’est un livre, destiné à une lecture sans reprise d’haleine. S’y déploie une parole audacieuse, dans un style fluide et ferme, d’une seule traite, sans les béquilles « pour les nuls » que seraient des chapitres et des sous-titres, parole livrée au souffle du lecteur sans repères autres que de simples numéros, mais aussi sans les points d’assurance d’une référence consultable, d’une note de bas de page, d’une citation, d’un seul exemple précis et discriminant, encore moins d’éléments bibliographiques. Cette confiance demandée au lecteur se retourne aisément. À vouloir ainsi parler d’autorité, on risque de ne pas être cru sur parole.

Je m’emploierai dans les lignes qui suivent à me tenir sur un autre versant, à briser le sortilège en recourant à la lourdeur inélégante d’une argumentation laborieuse. Il faut dire pourquoi la médecine douce de Pierre Manent est un philtre drastique destiné à nous purger du modèle politique républicain.

2 – Une présentation sophistique du régime laïque

J’ai parlé d’une obsession de la laïcité. Dans Situation de la France, l’auteur entretient constamment la confusion sur ce concept.

Tantôt il rappelle à juste titre (même s’il le fait péjorativement) que le principe de laïcité n’a de sens que dans le domaine de l’autorité publique et de ce qui participe d’elle, et qu’il ne peut s’appliquer à la société civile, laquelle est libre dans le cadre du droit commun. Tantôt il avance – et plus fréquemment – que la laïcité aurait pour objet un « effacement de la présence publique du religieux » (4e de couv.), ou l’installation d’une « société religieusement neutre » (p. 32), consistant aujourd’hui à « faire disparaître la religion comme chose sociale et spirituelle » (p. 42) et prétendant obtenir une « transsubstantiation de l’islam observable en le rendant invisible » (p. 75)2.

Confusions et ambivalences

Une telle vision brouille la définition juridique et la pratique de la laïcité comme régime politique, lequel articule deux éléments. D’une part le principe de laïcité, valide dans le domaine de l’autorité publique et ce qui participe d’elle, qui réclame de celle-ci l’abstention en matière de croyances et d’incroyances (c’est en ce sens qu’on peut parler « d’effacement de la présence publique du religieux »). De l’autre l’infinité de la société civile dont la liberté d’opinion, d’expression et d’affichage est entière, y compris en public, dans le cadre du droit commun : on voit alors se retourner le sens de l’expression « effacement de la présence publique du religieux ». Cette dualité n’est pas exposée pour elle-même, mais elle est interprétée de manière unilatérale en termes d’effacement à la faveur de l’ambivalence du terme « public »3. Le procès de la laïcité pour tentative de « nettoyage » n’est certes pas nouveau, mais le procédé qui le soutient ici s’apparente à un sophisme du gruyère qui prétend anéantir la substance du fromage en regardant ses trous.

Effectivement, « la marque religieuse », et Pierre Manent a raison de le rappeler même si c’est pour le déplorer, « n’intéresse pas le corps politique » (p. 165). Mais pourquoi déplorer que ce principe d’abstention « ne dise rien de la société » (p.32) ? Encore heureux que son minimalisme n’impose à la société rien d’autre que ce qui relève du droit commun, qu’il la laisse libre de se déterminer, aussi bien individuellement que collectivement en matière de convictions et de mœurs ! Croire ou faire croire que ce qui n’a pas de statut politique serait inexistant juridiquement et invisible socialement est une supercherie à laquelle seuls des lecteurs à la fois ignorants et aveugles peuvent se laisser prendre. Les entreprises, les associations y compris cultuelles ont un statut juridique sans avoir d’efficience politique, les manifestations religieuses ne sont nullement contraintes de se tenir à l’abri du regard d’autrui, et de manière générale la liberté d’expression est la règle dans la société civile.

Il est répété à l’envi tout au long du livre que « les musulmans » ne pourraient pas déployer leur façon de vivre sur le territoire national. Comme si les lecteurs, même s’ils limitent leur expérience à la rive gauche de Paris intra muros et à quelques quartiers chics de la rive droite, n’avaient jamais rencontré une femme portant le voile dans la rue ou dans les transports publics, jamais vu un rayon halal dans un supermarché, jamais pu observer autour d’eux des pratiques diverses du ramadan ! Et, après s’être ainsi rendu aveugle et avoir fait croire au lecteur qu’il vit dans un désert d’expression religieuse, on a l’effronterie de déclarer la laïcité « abstraite » !

Il n’y a rien de plus concret et de plus libre que cette respiration qui distingue deux espaces, qui ne soumet personne ni à une uniformisation étatique, ni à une uniformisation par assignation à une appartenance privée. On peut habiter cette séparation4, précisément parce qu’on y respire.

Dans le procès intenté à la laïcité, P. Manent ne craint pas l’outrance : « ce qui est à l’œuvre – écrit-il p. 129 – c’est la disqualification de tous les contenus de vie partageables au motif qu’ils n’ont pas été choisis par chacun, ou qu’ils n’agréent pas à chacun ». On ne peut mieux confondre la notion d’espace zéro qui a pour objet, précisément, le déploiement de tous les contenus d’opinion (qu’ils soient ou non partageables, y compris ceux qui n’existent pas encore, pourvu qu’ils ne soient pas contraires au droit commun) avec un outil ravageur de désertification et de stérilisation de l’espace civil.

Effacement des religions ou laïcité ?

Une autre idée fausse mais largement répandue – et c’est là-dessus que commence le livre – consiste à installer la confusion entre la sortie de la religion et la laïcité, autrement dit entre le mouvement historique de sécularisation et les propriétés juridiques et philosophiques du régime laïque. J’ai suffisamment procédé à l’examen de cette question, à travers une analyse du livre de Jean-Claude Monod5, pour me contenter d’en reprendre ici les grandes lignes.

Que la laïcité s’inscrive dans le processus historique de sécularisation, que à bien des égards leur histoire soit parallèle, ce sont des évidences. Mais peut-on légitimement en conclure que le dispositif laïque comme régime politique a les mêmes propriétés qu’une sortie croissante de la religion ? Il y a là un glissement théorique qui confond les conditions historiques avec les conditions intellectuelles, l’étude des propriétés d’un concept avec celle d’un processus dans l’histoire. La preuve en est que jamais la laïcité n’a réclamé un effacement en extension ou une atténuation en intensité du religieux, jamais elle n’a pour conséquence une exigence de « modération » de la foi : elle n’est en rien opposée à la ferveur, elle réclame seulement aux religions l’abandon de leurs prétentions politiques. Alors oui, d’accord avec Pierre Manent pour dire qu’il faut « suspendre le postulat selon lequel la religion est destinée à s’effacer des sociétés modernes » (p. 20), mais on fera remarquer que la laïcité n’a jamais installé ce postulat.

3 – Un régime laïque incapable, inadapté et obsolète ?

« Notre régime doit céder » : une faiblesse est un motif pour s’affaiblir davantage

La grande affaire, cheville ouvrière du livre, est la présence de l’islam en France. Selon l’auteur, les musulmans auraient installé un état des mœurs susceptible de transformer substantiellement notre existence politique. Le régime laïque se révélerait incapable de traiter cet aspect, pris au dépourvu parce que fondamentalement inadapté à la situation nouvelle. Il faudrait alors changer ce régime. C’est dit p. 69 avec un aplomb tranquille : « notre régime doit céder et accepter franchement leurs mœurs puisque les musulmans sont nos concitoyens »6.

On admirera au passage le raisonnement : « puisque les X sont nos concitoyens et qu’ils récusent par leurs mœurs le régime politique, alors il faut changer ce régime et l’aligner sur les mœurs des X ». Reste à savoir si la mineure du syllogisme est vraie (les mœurs de nos concitoyens musulmans, ici et maintenant, seraient-elles contraires au régime laïque?) – c’est ce qu’on abordera plus loin.

Revenons à la prétendue incapacité d’une politique laïque. Qu’elle soit due à la constitution même du régime laïque plutôt qu’à la faiblesse des politiques à la promouvoir et à l’appliquer durant des décennies, ce sont deux hypothèses que l’auteur ne distingue pas, trop occupé qu’il est à ramener la seconde à la première : la laïcité ne marche pas (on néglige de dire qu’elle a été constamment affaiblie et « accommodée »7) donc il faut l’abandonner. En résumé : une faiblesse est un motif pour s’affaiblir davantage. Pour remonter un malade, rien ne vaut une bonne saignée.

Une laïcité en miroir avec le catholicisme

Intervient alors un argument répandu, à l’appui d’une obsolescence de la laïcité. Notre régime laïque aurait été déterminé par sa relation singulière et exclusive avec le catholicisme, notamment à travers les débats dont est issue la loi de 1905. P. Manent n’est pas le seul à avancer l’idée à des fins d’effacement de la laïcité : Marcel Gauchet l’a fait dans un entretien à Philosophie Magazine8. Un effet de miroir avec le catholicisme rendrait la laïcité dépendante de ce contexte et donc inadaptée à l’émergence de nouveaux phénomènes religieux.

Mais le fait que le catholicisme était dominant au moment de la loi de 1905 ne limite pas la portée de cette loi. Avec un tel raisonnement, on peut aussi prétendre que les droits de l’homme ne valent que pour la population montante au moment de leur proclamation – c’est un poncif des critiques des droits de l’homme : ils ont d’abord été faits pour une classe bourgeoise qui avait besoin de briser les féodalités par la promotion des droits individuels égaux9.

On fera remarquer que la législation laïque ne s’est pas figée en 1905. Elle continue à vivre, et tout particulièrement à l’époque actuelle ou récente (avortement, émancipation des femmes mariées, mariage civil, loi de mars 2004 sur les signes religieux à l’école, discussions sur la fin de vie, sur les cellules-souches). À l’autre bout, l’expérience historique laïque commence bien avant le début du XXe siècle, notamment avec la Révolution française. Loin de disqualifier la laïcité, cette expérience est exemplaire de ce que peut accomplir un peuple résolu à se défaire de l’autorité politique d’une religion hégémonique.

Fondamentalement, la question est de savoir s’il y a des avancées du droit, lesquelles profitent à tous. Les lois laïques posent plus de libertés et garantissent plus de sécurité que ne l’a fait aucune religion, et que ne l’a fait aucun modèle de type concordataire. Prétendre que la laïcité s’appliquerait mal à l’islam, c’est fétichiser la version la plus réactionnaire – la plus bruyante – de l’islam qui refuse toute adaptation, c’est déjà avoir décidé, de manière désinvolte et méprisante, que « les musulmans » s’y reconnaissent indistinctement.

« Les musulmans » auraient-ils un problème avec la laïcité ?

L’idée d’une cession face aux « mœurs musulmanes » ainsi fétichisées s’autorise d’un préalable particulièrement choquant pour la fille d’immigré que je suis : « Nous n’avons pas posé de conditions à leur installation » (p. 69). Comme si l’installation dans un pays ne valait pas ipso facto pour acceptation de ses lois. Comme si nos concitoyens de religion et de culture musulmane étaient marqués par une tache d’étrangeté foncière appelant un traitement particulier.

Vraiment, « les musulmans » méconnaîtraient les lois, les subiraient plus que les autres et seraient incapables de comprendre ce qu’est un régime laïque ? Vraiment, il suffirait de s’installer en France et d’y agir à sa guise pour pouvoir se prévaloir d’une modification de facto du régime politique au motif d’un je ne sais quel « contrat tacite» ? Disons plutôt que, par faiblesse et clientélisme, les politiques qui se sont succédé n’ont pas osé appliquer les lois, et qu’elles ont vu dans « les musulmans » une communauté fantasmatique coalisée autour d’une version rétrograde de l’islam qu’il ne faudrait pas « stigmatiser ». Voilà comment on tire argument d’une erreur de politique pour en commettre une autre, mais cette fois législative : il faudrait maintenant éclaircir ce fameux « contrat » et le rendre explicite… en cédant bien sûr !

N’est-ce pas supposer, de manière insultante, que « les musulmans », pris de manière indistincte, seraient particulièrement sourds au langage de la loi et entièrement réfractaires à tout principe laïque ? C’est effectivement ce qui est dit p. 34-37 : on ne pourrait pas faire avec l’islam ce que la laïcité a accompli avec le catholicisme. Vouloir réussir avec les Français de confession musulmane ce que la IIIe République a réussi avec les catholiques serait « une idée fausse dont nous périssons » : il faut croire donc que les musulmans seraient particulièrement et massivement réfractaires au mode de vie propre à un régime républicain laïque ? Or Merah a assassiné un militaire français de confession musulmane au motif de son allégeance républicaine. Les frères Kouachi ne se sont pas embarrassés de scrupules pour tirer indistinctement sur tous ceux qui travaillaient pour les mécréants de Charlie Hebdo ou qui entendaient les protéger. Le 13 novembre, aucune précaution n’a été prise par les massacreurs pour épargner les musulmans présents au Bataclan et attablés dans les cafés. Bien au contraire. L’odieuse police morale religieuse visant les musulmans vivant en France apparaît de plus en plus clairement. Pierre Manent ferait bien de lire de près les communiqués du Califat10 qui les menacent précisément parce qu’ils sont coupables à ses yeux d’être en paix avec une république laïque et d’en adopter le mode de vie. Le Califat, qui s’y connaît, a très bien compris que l’immense majorité des Français de confession musulmane et des musulmans vivant en France n’a pas de problème avec la laïcité et que, suprême apostasie, beaucoup pourraient même être touchés par l’indifférence religieuse.

Depuis une réflexion de cabinet avec des catégories taillées à coup de serpe, on vient demander à la laïcité de s’infléchir pour s’adapter à tel ou tel « fait social » qu’on tire de son chapeau, de s’adapter à telle ou telle vision ultra-réactionnaire se réclamant d’une religion. Pierre Manent a écrit son livre avant le 13 novembre 2015 : son discours pouvait encore passer pour l’expression philosophique d’un anti-laïcisme fort répandu. Lu aujourd’hui, il prend rétrospectivement les accents d’une capitulation qui propose de sacrifier la laïcité sur l’autel du terrorisme.

4 – Un programme contractuel apparemment dérisoire

Trois clauses d’un contrat de reconnaissance

Reste à examiner l’ordonnance alignant les petits remèdes. Le programme d’explicitation du « contrat tacite » se résume apparemment à trois clauses dont l’auteur, dans les commentaires qu’il en a faits dans les médias, se plaît à souligner la modestie.

  1. Il ne faut pas imposer de porc à la cantine dans les écoles publiques (p. 72). Mais où a-t-on vu que la loi impose le cochon ? Pierre Manent confond ici une fois de plus la laïcité avec une tapageuse politique locale de provocation dont on connaît parfaitement l’origine et les motifs.

  2. On sera accommodant sur la manière de concevoir les relations entre les sexes – par exemple il n’est pas gênant d’accéder aux demandes de non-mixité pour les séances scolaires de piscine (p. 72). Les femmes et leur condition n’étant pas vraiment une question politique, il n’y a pas de raison de « damner une civilisation » en la jugeant sur le sort qu’elle leur réserve (p. 74) : qu’en termes nuancés cet abandon en rase campagne est dit ! En revanche on sera intraitable, scrogneugneu, sur la polygamie et sur le port du voile intégral.

    Martine Storti11 a relevé l’articulation de ces deux premières clauses en montrant que l’insignifiance de la première (le porc) n’a de sens qu’à mettre en évidence le cynisme de la seconde (les droits des femmes n’ont pas de pertinence politique).

  3. Outre les crans d’arrêt de la polygamie et du port du voile intégral (que la loi interdit déjà), le contrat établira le caractère non négociable de la liberté d’expression et de pensée, de l’attitude critique (p. 76-80). Il est sans doute insuffisant de s’en tenir à la loi qui les garantit déjà ?

On ne fera pas à Pierre Manent l’injure de croire qu’il s’est donné la peine d’écrire un livre sur un menu de cantine ou la séparation filles-garçons à la piscine, ni pour dire qu’il faut répéter dans un contrat avec un groupe particulier des éléments déjà clairement énoncés par la loi et que nul n’est censé ignorer. On peut s’interroger sur ce que signifie une formule aussi anodine que « accepter les mœurs ». Faut-il réclamer l’abrogation de la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école publique – revendication que l’islam radical brandit au nom du respect des mœurs ? Faut-il accepter que les musulmanes qui refusent de porter le voile restent sans protection face au harcèlement au nom de la pudeur et de la bienséance islamiques ? La thérapeutique du docteur Manent, pointilleuse sur les piscines et les menus scolaires, ne s’arrête pas sur ces minuscules détails.

Quatrième clause serpent de mer : le financement public des cultes

Une quatrième clause, plus discrète, nous met sur la piste et rompt avec l’apparente superfluité des trois précédentes. On la déniche p. 136. Un serpent de mer réapparaît : le financement public des cultes. C’est par une petite porte : une aide accordée par les collectivités locales. Sauf que « cette aide n’est guère conforme à la loi de 1905 » (dont il faudrait abroger l’article 2), mais puisqu’elle « se justifie », pourquoi pas ? J’ai déjà réfuté ad nauseam ces « justifications », mais il faut y revenir brièvement en cinq points.

  • Faut-il transformer la liberté de culte en un droit-créance financé par la puissance publique ? Cela aboutirait à rompre l’égalité en introduisant des discriminations entre les citoyens. Selon un sondage Sociovision de novembre 2014, ceux qui pratiquent effectivement un culte sont 10% en France, et ceux qui se déclarent indifférents à toute religion sont près de 40%. Ce sont des estimations à méditer. Les non-croyants et les indifférents ne réclament aucune reconnaissance officielle, mais faut-il qu’ils paient pour des cultes que beaucoup réprouvent ?

  • Pour soutenir l’idée d’une aide publique à des religions auxquelles une grande partie des citoyens n’adhère pas, il faudrait prouver qu’elles sont d’utilité publique, ce qui est loin d’être acquis.

  • Le principe de la reconnaissance officielle suppose une liste explicite de religions bénéficiaires et mènerait à un régime de type concordataire dans lequel la liberté des cultes, exposée à l’ingérence de l’État, n’est pas garantie.

  • L’argument selon lequel un financement public empêcherait un financement venant de l’étranger ne tient pas la route : en quoi un cadeau public pourrait-il empêcher des cadeaux privés ?

  • L’idée selon laquelle un financement public permettrait un contrôle du radicalisme terroriste dans les mosquées oublie qu’un tel contrôle est prévu par la loi de 1905. « Je te finance et en retour tu me garantis la paix » : depuis quand l’observance de la loi entre-t-elle dans un deal ? Qu’est-ce qui empêche les musulmans de s’organiser eux mêmes en proposant, comme certains imams l’ont fait, une sorte de Conseil de l’ordre ?

5 – Un ample projet politique de communautarisation sous la houlette d’une transcendance enfin retrouvée

L’Église reprend du service public

Le projet apparaît alors dans son ampleur. La proposition de reconnaissance officielle des « musulmans » n’est que la partie émergée d’un iceberg politique dont on mesure la profondeur dans la dernière partie du livre. Elle s’accompagne, comme on peut s’y attendre, de considérations sur les deux autres grandes présences religieuses – juive et chrétienne – qui font que le paysage religieux français n’est pas majoritairement musulman. Nul besoin de lire entre les lignes pour comprendre que leur reconnaissance politique serait incluse dans le paquet-cadeau offert à un islam réduit à sa version la plus rétrograde.

Se dévoile alors un édifice théologico-politique national invité à fédérer « cinq grandes masses spirituelles » – judaïsme, islam, protestantisme, Église catholique, idéologies des droits de l’homme – au sein desquelles l’Église catholique, réinvestie d’une mission publique, reprend du service : « elle ne peut plus être laissée sous la cloche de la laïcité selon l’interprétation donnée désormais de celle-ci » (p. 161). Elle jouera le rôle de médiateur au motif que la France serait une nation de marque chrétienne. On reste confondu devant ce projet maximaliste qui n’ose pas s’avouer providentiel, qui avance précautionneusement une évocation de Bossuet12, mais qui propose clairement de réinsérer la liberté « dans un ordre spirituel » dont la nature ne fait guère de doute.

Un anti-atomisme

Il faut reconnaître que l’auteur a prévenu : « une certaine communautarisation est inévitable. Elle est même souhaitable dans la mesure où elle prévient le mensonge idéologique de la nouvelle laïcité qui prétend nous obliger à faire semblant d’être seulement des individus-citoyens » (p. 165).

C’est oublier que nombre de citoyens pratiquant une religion sont aussi d’ardents défenseurs de la laïcité et du modèle politique immanentiste et atomiste qu’elle suppose.

C’est oublier que beaucoup de pratiquants, même fervents, ne renonceraient pas facilement à jouir de la respiration laïque et qu’ils se trouvent très bien d’être des individus-citoyens à l’abri d’une indiscrète assignation publique.

C’est oublier l’existence des non-croyants et des indifférents. Non qu’ils soient plus dignes de considération que les autres, mais leur existence même pose un problème fondamental de philosophie politique déjà relevé par Locke en 1689. Ces indifférents, par définition, ne forment pas communauté : rien ne permet de les enrôler sous une bannière, fût-elle « l’idéologie des droits de l’homme » ; leur existence est par nature atomisée. Comment alors constituer un lien politique sans les exclure ou les déprécier ? C’est à cette question fondamentale que répond la laïcité : construire un lien politique qui ne doit rien dans sa pensée à un lien préalable, qu’il soit religieux, ethnique, culturel. J’ai recouru pour expliciter ce point primordial au concept de classe paradoxale13 : retenons seulement ici que l’atomisme des singularités (le droit des individus) est constituant de toute association politique laïque. On ajoutera que ces indifférents ne peuvent ni ne veulent se constituer en lobby. Ils seraient donc quantité négligeable comme est négligeable aux yeux de l’auteur l’assiette de l’association politique républicaine, formée essentiellement d’individus14.

La République est-elle un contrat ? Un modèle archaïque et inégalitaire

Avec cette notion de reconnaissance négociée, on se trouve en présence d’un modèle contractuel. Or il n’y a pas de contrat entre la République française et les citoyens : ce sont les citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants élus, qui font les lois, c’est le sens même de la souveraineté nationale. Ou alors, si on veut entrer dans la technique philosophique, on peut parler d’un contrat de type rousseauiste, dans lequel tous contractent avec tous et moi avec moi-même, ce qui exclut tout contrat politique avec une portion des citoyens définie a priori par une appartenance communautaire préalable – religieuse, ethnique ou autre.

La République n’est pas un deal avec tel ou tel groupe (constitué comment et avec quelle légitimité ?), elle ne traite pas avec des lobbies, ce n’est pas une association de type commercial. Ce n’est pas en vertu d’un traitement particulier qu’on obtient ses droits, sa liberté, sa sécurité : on les traduit en termes universels pour qu’ils soient compossibles, juridiquement énonçables, applicables en même temps à tous et c’est dans cet esprit qu’on s’efforce de faire les lois. On n’y réussit pas toujours, mais, du mariage civil aux lois scolaires, de la séparation des églises et de l’État à l’émancipation juridique et politique des femmes en passant par la protection de la recherche en biologie et les avancées sur le droit de mourir dignement, les dispositions laïques sont exemplaires à cet égard.

Alors si cette préconisation de contrat politique avec un groupe ne se réduit pas à une inutile répétition de la loi, si elle est à prendre vraiment au sérieux, elle revient à abolir modèle républicain par la reconnaissance de communautés en tant qu’agents politiques, ayant des droits et des devoirs spécifiques, reconnaissance coalisant des ensembles par des assignations sur la légitimité desquelles on peut s’interroger. D’une telle reconnaissance seraient en outre exclus par définition tous ceux qui ne se réclament d’aucune appartenance et qui sont pourtant très nombreux en France. Enfin c’est balayer d’un revers de main la thèse minimaliste de l’immanence du politique, la mieux à même de protéger l’État des religions, les religions de l’État, les religions les unes des autres et d’assurer la liberté de conscience.

Les petits remèdes révèlent leur grand effet : un modèle politique archaïque et inégalitaire dans son principe, mais parfaitement adapté à une société qui trouve son compte dans des formations moléculaires faisant obstacle à l’universalité du modèle républicain. Nul doute que ce livre sera lu avec bienveillance par une partie des « décideurs » et des intellectuels pourvoyeurs de think tanks, puisqu’il susurre à leurs oreilles que la faiblesse appelle la faiblesse et qu’une génuflexion devant ce que l’islam radical a de plus rétrograde serait une bonne affaire.

Notes

1 – Paris et Perpignan : Desclée de Brouwer, 2015.

2 – Présentation ultra-laïciste dont j’ai proposé une analyse dans mon Penser la laïcité (Paris : Minerve, 2014) chapitre I – voir notamment le tableau p. 40 qui met en évidence l’identité structurelle entre la dérive « assouplie » et la dérive durcie.

3 – On la trouve dans l’ouvrage de Jean-Marc Ferry Les Lumières de la religion. Entretien avec Elodie Maurot, (Paris : Bayard, 2013), où il est question notamment de « privatisation forcée de l’appartenance religieuse » et d’ex-communication (avec un tiret) des religions (p. 25). L’auteur en fait un usage toutefois plus nuancé et plus référencé que celui qu’en fait ici Pierre Manent, dans la mesure où il s’intéresse plus à la contribution des religions à la « raison publique » (selon un modèle habermassien) qu’à une reconnaissance politique ès qualités des communautés religieuses.

4 – « On n’habite pas une séparation », p. 151.

5 – Jean-Claude Monod, Sécularisation et laïcité, Paris : PUF, 2007. Voir la discussion de ce livre dans Penser la laïcité., chapitre I, p. 30 et suivantes.

6 – C’est l’auteur qui souligne céder.

7 – On rappellera, entre autres, Lionel Jospin introduisant le port des signes religieux à l’école publique, le rapport Machelon, la loi Carle, le financement d’édifices religieux, les rapports remis à JM Ayrault en octobre 2013, le peu de zèle dans l’application des lois laïques, sans compter les nombreux hommes politiques réclamant le « toilettage » de la loi de 1905.

8 – Philosophie magazine n°95 (décembre 2015-janvier 2016), voir p. 72.

9 – Voir Bertrand Binoche Critiques des Droits de l’Homme, Paris, P.U.F., 1989.

10 – On lira l’analyse de Philippe-Joseph Salazar, « Le communiqué du Califat a une dimension cachée » dans Philosophie magazine n°95 (décembre 2015-janvier 2016), p. 50, ainsi que celle de Jean-Claude Milner, « Le Califat a des lettres » en ligne sur le site du Monde des livres, en téléchargement pdf ici .

11 – Martine Storti « Le porc, les femmes et le philosophe », en ligne sur le site de l’auteur, repris sur Mezetulle.

12 – P. 160. P. Manent n’en retient qu’une modélisation affaiblie de la fonction médiatrice de l’Église. Mais dans un livre presque entièrement exempt de références, l’évocation de Bossuet ne peut qu’attirer l’attention en apportant la figure symétrique à la contre-référence faite à Épicure un peu plus haut (p.108). Plutôt que de revenir à la religion d’Épicure qui repose sur l’indifférence entre les hommes et les dieux, redonner sens à la Providence divine.

13 – Voir Penser la laïcité, p. 27 et suivantes, où j’expose ce concept emprunté à Jean-Claude Milner.

14 – Cf p. 119 : « Qui ne sait parler que le langage des droits individuels ne traitera jamais de manière pertinente un problème social ou politique ».

© Catherine Kintzler, 2015.

Lire aussi « Le porc, les femmes et le philosophe » par Martine Storti.

22 mars 2016, lire la réponse de Pierre Manent « Pierre Manent répond à Catherine Kintzler« 

[Edit du 16 avril 2016. Voir l’ensemble du débat publié sur Mezetulle]

59 thoughts on “« Situation de la France » de Pierre Manent: petits remèdes, grand effet

  1. Brighelli

    J’avais évoqué le livre de Manent le 14 novembre dernier (dans le Figaro : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/11/13/31001-20151113ARTFIG00388-jean-paul-brighelli-un-criminel-islamiste-n-est-pas-un-damne-de-la-terre-c-est-juste-un-criminel.php). A la question « Que pensez-vous de la proposition de Pierre Manent qui prône une réaffirmation des racines chrétiennes conjuguée à une véritable négociation avec les musulmans modérés? »
    J’avais répondu :
    « J’en dis que Houellebecq est décidément visionnaire! Non, sérieusement, comment peut-on penser à négocier sans être en situation de force? Non qu’il n’existe des musulmans modérés: mais combien seraient disposés à s’interposer devant des extrémistes? Et combien, parmi les instances dirigeantes de l’Islam européen, sont les faux-nez d’extrémistes camouflés qui attendent patiemment que les démocraties soient tombées dans le piège? J’ai bien peur que Pierre Manent, et quelques autres, ne fasse partie des idiots utiles d’un totalitarisme à venir. »

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  2. Ping : À lire : « « Situation de la France » de Pierre Manent : petits remèdes, grand effet », par Catherine Kintzler | Ufal.org

  3. Fabienne COURVOISIER

    merci pour « l’ensemble de votre oeuvre »,mais ne faites pas de pub à « certain(e)s » en les citant dans vos titres.
    Cela proposé, je n’ai pas besoin de préciser que je suis de votre bord…
    Permettez-moi de vous souhaiter « la bonne année » aussi!

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    1. Mezetulle

      Bonjour,
      Oui on peut se poser la question. Il se trouve que ce livre a bénéficié d’une telle couverture médiatique que ça n’a plus beaucoup d’importance maintenant. Il faut penser aussi aux personnes qui, l’ayant lu ou ayant lu les divers compte rendus plutôt complaisants, cherchent sur le web des éléments critiques et tapent forcément le titre du livre et le nom de l’auteur dans les moteurs de recherche.
      bonnes fêtes de fin d’année.

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  4. René Chiche

    Voici (lien en fin de msge) une stupéfiante analyse de Pierre Manent. J’avoue n’avoir pas lu le livre mais me contenter de réagir à l’argumentation tenue dans cette interview. Elle comporte, soit dit en passant, des aspects intéressants mais sur fond d’une confusion grave concernant la laïcité qui n’est d’ailleurs que la reproduction du discours ordinaire et lui-même confus à son sujet. Pierre Manent fait d’abord reposer sa réflexion sur la distinction, juste, entre l’Etat et la société, l’Etat étant l’organisation politique de la société. Il utilise cette distinction pour affirmer que la laïcité ne concerne que l’Etat comme pouvoir de commandement mais ne concerne pas la société. Mais j’aimerais bien comprendre sur quoi s’exerce ce pouvoir de commandement, sinon sur la société, c’est-à-dire sur les individus dont elle se compose. Si ces individus s’organisent en communautés, seul l’Etat peut rendre ces communautés légitimes. Or il se trouve que l’Etat républicain consiste seulement dans la souveraineté du peuple, c’est-à-dire de l’ensemble des citoyens, dont seule la qualité de citoyen et la dignité d’être humain est considérée dans ce « contrat social », à l’exclusion de toute autre qualité. D’où découle l’égalité républicaine, qui est entre les citoyens et seulement entre les citoyens, et non pas entre les chrétiens et les musulmans ni même entre les hommes et les femmes : le fait que les individus ne soient pas que des citoyens, qu’ils aient un sexe, des opinions, des croyances qui les distinguent par ailleurs ou qu’ils partagent les mêmes manières de table n’intéresse pas le législateur. Prétendre, comme le fait Pierre Manent, qu’il faut réécrire le contrat social en tenant compte de ces aspects de l’identité individuelle, qui sont hérités de l’histoire (je fais une exception pour la question de la parité, mais je n’en parle pas pour l’instant car ce n’est pas le sujet de l’interview), c’est tout simplement détruire la République. La laïcité, il faut le dire et le répeter, n’est pas seulement ni principalement la séparation de l’Etat et des églises quelles qu’elles soient ; elle n’est pas seulement la séparation du politique et du religieux ; cette séparation n’est qu’une conséquence de la laïcité. La laïcité consiste à garantir aux citoyens la liberté de conscience, et ce faisant, à rejeter hors de l’espace où s’exerce la souveraineté du peuple, hors de l’espace public (qu’il ne faut pas confondre avec les lieux accessibles au public…) par conséquent, tout ce qui relève de cette liberté de conscience, pourvu que les manifestations de cette liberté y compris dans les lieux publics n’entraînent aucun trouble à l’ordre public. Prétendre, sous couvert de prendre en considération tel ou tel aspect de l’identité des citoyens, donner des droits au citoyen non plus en tant qu’il est citoyen mais en tant qu’il est ceci ou cela, c’est assurément rompre le contrat social et revenir à toute allure à un état de guerre de chacun contre tous. Bref, il s’agit là d’une conception pré-républicaine, très curieuse de la part d’un philosophe, mais qu’il convient de qualifier d’inconséquente plutôt que d’audacieuse comme le fait le journaliste….

    http://www.lesinrocks.com/2015/10/04/actualite/la-france-doit-accepter-franchement-les-moeurs-des-citoyens-musulmans-11778452/

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    1. piquet

      Bonjour,

      Manent idiot? Certainement pasNon. Utile? Mais à quoi?
      C’est un des dangers qu’il peut y avoir à islamiser le terrorisme à la Daech, à l’interpréter systématiquement comme « musulman » comme le fait Daech lui-même.
      Faute de d’oser voir dans le tueur un tueur, on s’expose à ce qu’un Manent vienne nous dire: soyez donc plus « souple » avec cet Islam et vous éviterez de vous faire mitrailler ou exploser; vous pourrez enfin dormir tranquille; ce sont des croyants: vous les athées, vous pouvez pas comprendre; tout ce qu’ils demandent, c’est le respect de leur foi, votre laïcité cà marche pas, c’est trop sévère, ça les pousse à la violence, ça fait des années qu’on vous dit dans nos livres que les droits de l’homme, c’est pas bon etc.
      L’ « utilité » de ce baratin, c’est cousu de fil blanc: transiger sur la laïcité à l’égard des musulmans, ça peut faire redémarrer la concurrence entre religions dont les Français d’aujourd’hui se désintéressent « déplorablement »(voir Zemmour).
      Il y a une passion-tentation pour la guerre de religions. Et en France, des intellectuels « chrétiens » qui, depuis longtemps ne répugnent pas à voir dans d’éventuels conflits armés entre religions la dernière chance de restaurer, refonder la « Nation française ». C’est la Ligue qui revient, avec des patronymes qui fleurent bon l’OAS… Avec quelque chose de libanais à la Gemayel.
      Leur message, c’est au fond: vous en avez trop fait avec votre laïcité, elle est « out »(« preuve »: « elle n’a pas empêché les attentats »), laissez-nous donc régler cela entre croyants…

      Ce pourquoi, il me semble
      1° que le terrorisme de Daech étant analogue à celui d’un Mesrine -jusque dans les alibis « théoriques »(l’instinct de mort…!), il ne saurait s’agir d’une guerre.
      2° que la terreur a été favorisée par l’insuffisance et non par l’excès de notre vigilance laïque (se limiter à l’interdiction du voile sans agir dans les quartiers fut un recul: danger des PETITES différences).

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      1. piquet

        En résumé:
        En tant que croyant sincère, je souhaite de toutes mes forces un Etat qui m’épargne la confrontation à d’autres croyants… à autre chose que moi.
        Maintenant, si je n’étais pas un croyant sincère…

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  5. Jean Pierre Foirry

    Merci pour votre article. J’aimerais ajouter deux points assez décourageants. Un. Il est bien connu que ce sont les minorités agissantes (comprenant à la fois des militants politiques « normaux » et des acteurs « radicaux ») qui imposent leurs vues aux sociétés démocratiques. Actuellement, nous avons le choix entre Ménard (des crèches dans les lieux publics administratifs et les écoles), Pleniel/Ramadan (des voiles islamiques……), Manent (compromis entre religieux : des crèches et des voiles islamiques…..) et Kintzler (laïcité à la française) : combien d’acteurs agissants et/ou que pouvons-nous faire pour défendre et promouvoir cette dernière option ? Deux. La disparition programmée du modèle républicain (laïcité à la française, démocratie participative, liberté promue comme valeur supérieure, égalité ne se résumant pas à la seule égalité des chances, fraternité et confiance entre citoyens formés aux mêmes valeurs) par les élites est bien avancée et, si tout continue comme avant, le pire est à venir. La laïcité avec adjectifs, la démocratie bafouée, la valorisation de la triade négative (sécurité, diversité, méfiance) et les dérives actuelles (cosmopolitisme, communautarisme, « antiracisme », libéralisme économique, immoralité de la sphère politique) ne peuvent aboutir qu’à la montée des désastres (barbaries, extrémismes, guerres civiles…). Les violences de toutes sortes sont déjà omniprésentes et doivent logiquement continuer à monter en puissance si le monde reste tel qu’il est : les pertes de contrôle toucheront de plus en plus les chômeurs et les travailleurs des entreprises (burn out, dépressions, suicides, replis identitaires, abandons et SDF, actions violentes sur les lieux des entreprises) ; les conflits liés à la présence de migrants et réfugiés désespérés augmenteront ; les attentats aveugles se multiplieront et ne seront plus seulement islamistes (aux Merah, Nemmouche, Kouachi ou Coulibaly, correspondront de plus en plus des Breivik et Van Gelder avec leurs motivations propres).

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  6. piquet

    bonjour,

    Le texte de Manent rejoint en effet celui de Gauchet. Ce n’est guère surprenant. Ces universitaires de qualité sont les piliers de l’institut Raymond Aron à l’EHESS.
    Loin de leur contester le droit d’être fidèles à leurs convictions politiques, on est quand même en droit de déplorer qu’elles n’aient pas jusqu’à présent été plus explicites.
    Avancer « larvatus »ou sur un mode crypté inspiré de Leo Strauss: est-ce compatible avec le débat démocratique?
    Bien à vous.

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    1. Mezetulle

      Bonsoir, et merci pour ce lien vers votre article.
      Je n’ai pas mis de guillemets partout à musulmans (notamment je n’en ai pas mis lorsque j’évoque les communiqués du Califat) ; je l’ai fait en particulier pour indiquer que dans le livre de P. Manent les personnes de confession et de culture musulmane sont regroupées sans beaucoup de distinctions, comme s’il n’y avait pas plus différent entre un musulman et un autre musulman ! Cela souligne ce que dans votre article vous désignez par « l’appartenance supposée à une entité largement fantasmée ».

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  7. elisabeth

    Finalement, ce que vous nous apprenez c’est que la Révolution et les Lumières n’ont pas encore gagné contre les racines du romantisme . Merci de renouveller et de clarifier ce débat pour appeler à la vigilance.

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    1. Mezetulle

      Je ne crois pas que la pensée de Pierre Manent prenne ses sources dans le romantisme. Un certain romantisme plonge ses racines vers des sources de type « Volksgeist », mais à mon avis ce n’est pas ce que défend Manent, qui est à sa manière universaliste – car « catholique » veut dire « universel » – mais cette universalité-là n’est pas coïncidente avec celle des Lumières.

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      1. elisabeth

        Merci de votre commentaire .Oui, vous avez raison, Pierre Manent n’est pas un partisan du  » Volkgeist » puisqu’en tant que catholique, il approuverait plutöt l’épitre de St Paul en Galates 3, 28 :
        « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »
        Et comme P.Manent est apparemment contre un christianisme « triomphant », il prône la co-existence pacifiques des « peuples »et de leurs moeurs ( ou d’une partie ). Cela donne une pensée plus complexe que ce que j’ai cru résumer mais visiblement dangereuse .
        Le situer n’est donc pas simple !

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        1. piquet

          Je ne suis pas du tout rassuré par cette complexité!
          « Coexistence pacifique? » Pas entre croyants.
          N’oublions pas que, pour un croyant, la conviction de vérité ne se négocie pas. Et peu importe ici ce à quoi croit le croyant.
          On peut connaître saint Paul… il y en a aussi d’autres qui connaissent le verset du Coran sur la tolérance…
          Mais ce qui importe ici, c’est moins ce qu’on connaît que l’usage mental qu’on en fait. Et là, de ce point de vue, les différences de contenu s’estompent: Coran, Volkgeist, patristique, c’est tout bon.
          pourquoi pas végétarisme?
          Je me souviens:
          « L’islam a inventé la tolérance, et il en est tellement fier qu’il ne peut pas admettre que tout le monde ne soit pas adepte d’une religion aussi inventive que la sienne…et qui est la dernière en date-donc la plus perfectionnée » (C. Levi-Strauss, La pensée sauvage, ) Je préfère ça à l’érudition littérale de Salazar.
          Et on pourrait appliquer cela ailleurs, et citer Bayle (Contrains-les d’entrer).
          Bien à vous

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          1. elisabeth

            D’où l’immense conquête du principe de laïcité ! Il est bien ce qui permet la co-existence des religions et ne doit pas être confondu avec la tolérance comme on le fait trop souvent .
            Quant à vos amalgames ( du Volkgeist au végétarisme), je n’ai pas compris et le présupposé selon lequel le croyant, quel qu’il soit, est dogmatique limite fanatique date un peu . On peut être croyant et attaché ,dans l’intérêt même de la religion, à la laïcité !
            A méditer

  8. Philippe

    Très bonne analyse, qui prouve une fois de plus que la laïcité est un combat de chaque jour et ou l’ennemi est partout. L’ abandon de l’ égalité et de la fraternité au profit d’une  » liberté individuelle » glorifiée montre bien le vide intellectuel qu’a laissé la chute de la pensée marxiste. Rien pour remplacer cet espoir déçu. Il n’y a plus d’opposition théorique à la transcendance . D’ ou un appui des élites sur le communautarisme, qui permet le contrôle aisé de la vie sociale. En fait on va aboutir au régime des capitulations chère à l’ empire Ottoman. Drôle de retour en arrière……. Bientôt le retour des croisades?

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  9. Philippe

    Le vrai danger de ce livre est qu’il est fluide et parle d’autorité
    Il ne s’embarrasse pas de références, il apparait donc comme un simple livre de vérité…….

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  10. Benjamin

    « On sera accommodant sur la manière de concevoir les relations entre les sexes. » Il y a des inattentions, des « bourdes », qui jugent un homme. Ce peut-il que Monsieur Manent ait réellement pensé ce qu’implique cette proposition ? Il ne s’agit pas seulement d’abandonner les femmes en rase campagne, premières bien sûr à subir les conséquences d’une si accommodante négation de la primauté de la personne sur le sexe, mais d’abandonner aussi les hommes qui perdent tout autant en éducation. Il s’agit aussi d’une méprise sur ce qu’est le droit. Car en effet, ma conception personnelle des relations entre les sexes exige qu’ils soient réunis à la piscine. Depuis quand le droit est-il affaire de conception personnelle et non de liberté des personnes ? Enfin, j’ai hâte de connaître les conceptions diverses sur lesquels nous pourrons nous accommoder concernant les relations entre les religions, les orientations sexuelles, les couleurs de peau, les handicaps physiques ou mentaux, les niveaux de revenu des parents, etc.
    Très bonne et accommodante année tous.
    P.S.: la liste polémique ci-dessus ne fait bien sûr pas référence à des conceptions de groupes ou de personnes particulières. Je ne voudrais qu’on me fasse un procès de de x-phobie, x pouvant prendre la valeur que vous voulez.

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    1. Mezetulle

      Bonsoir,
      Le passage que vous citez entre guillemets (« On sera accommodant sur la manière de concevoir les relations entre les sexes ») est de moi, c’est ma façon de résumer le texte de P. Manent, qui bien sûr est beaucoup plus feutré !

      Mais vous pourrez juger vous-même. Voici le texte.
      P. 73-74, après avoir évoqué la question de « ce qui apparaît à l’opinion commune comme la condition subordonnée de la femme musulmane » comme étant « la seule objection sérieuse » à la démarche qu’il recommande, P. Manent écrit :

      « Le problème assurément mérite réflexion, mais, précisément, il me semble que ceux qui le soulèvent sont souvent bien pressés de conclure et de juger. »

      Il ajoute quelques lignes plus loin :

      « Or la question n’est pas de savoir si nos mœurs sont bonnes ou mauvaises, elle est plutôt de se demander s’il est raisonnable de juger les mœurs musulmanes selon les critères qui prévalent depuis plus ou moins longtemps parmi nous, ou plus précisément, s’il est raisonnable de vouloir recomposer ces moeurs selon ces critères. Encore une fois, le contrat tacite de l’immigration ne comportait pas que les musulmans dussent adhérer à l’idée occidentale des relations entre les sexes. Ce qui était inclus dans le contrat tacite, c’était la légalité exclusive du mariage monogame. Nous sommes en droit d’interdire la polygamie et nous le faisons, du moins en principe. Pour le reste, les relations entre les sexes sont un sujet d’une telle complexité et délicatesse qu’il est sans doute déraisonnable de damner une civilisation sur cette question. »

      C’est ce passage qui a fait bondir Martine Storti et qu’elle commente dans son article auquel je me permets de vous renvoyer. Elle a raison de ne pas considérer cela comme une bourde, mais comme une prise de position très claire 1° qui renvoie le soutien apporté aux femmes musulmanes qui luttent pour leurs droits à une sorte de néo-colonialisme (et qui donc donne raison à ceux qui entendent leur imposer une condition subordonnée) 2° qui considère la question du droit des droits des femmes comme purement sociale et culturelle – on voit même resurgir le vieil argument « c’est trop délicat » – les femmes c’est tellement merveilleux que ça sort du champ politique !

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    1. Mezetulle

      Bonsoir,

      Je ne peux vous répondre qu’en citant les deux passages remarquables où P. Manent fait usage de cette notion.
      – p. 69 (j’ai mis « contrat tacite » en gras, les italiques sont de l’auteur) :

      « Je soutiens donc que notre régime doit céder, et accepter franchement leurs mœurs puisque les musulmans sont nos concitoyens. Nous n’avons pas posé de conditions à leur installation, ils ne les ont donc pas enfreintes. Étant acceptés dans l’égalité, ils avaient toute raison de penser qu’ils étaient acceptés « comme ils étaient ». Nous ne pouvons pas revenir sur cette acceptation sans rompre le contrat tacite qui a accompagné l’immigration durant les quarante années qui viennent de s’écouler. »

      – p. 73, j’ai cité l’autre passage dans la réponse à Benjamin.

      « Encore une fois, le contrat tacite de l’immigration ne comportait pas que les musulmans dussent adhérer à l’idée occidentale des relations entre les sexes. Ce qui était inclus dans le contrat tacite, c’était la légalité exclusive du mariage monogame. »

      Il me semble, et je le dis dans l’article d’une autre manière en évitant le terme « contrat » qui me semble inapproprié en matière politique, que c’est exactement l’inverse : s’installer dans un pays vaut acceptation de ses lois.
      Par ailleurs on voit bien que P. Manent romance cette prétendue tacite acceptation des « mœurs musulmanes » lors d’une « installation » d’immigration : c’est au début des années 90 (donc très tardivement et nullement du fait d’une « installation ») que sont apparues des « mœurs » comme le port d’insignes religieux dans les écoles publiques et les administrations ou les revendications de séparation des sexes.

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      1. tochûde

        Bonjour et bonne année 2016.

         » c’est au début des années 90 (donc très tardivement et nullement du fait d’une « installation »)  »

        Ce n’est pas sûr. Il ne faut pas confondre le discours médiatique confus sur le calendrier de l’immigration en France et sa réalité.

        Dans ce document de l’Insee/Ined :

        http://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19558/dt168_teo.fr.pdf

        on donne, page 22, les dates d’arrivée par pays. Et on constate que les immigrés venus de Tunisie et du Maroc sont arrivés pour moitié après 1987, d’Algérie pour moitié après 1990, de Turquie après 1989 et d’Afrique subsaharienne pour moitié après 1995.

        Donc il y a sans doute bien un effet lié à l’installation, et surtout au nombre installé.

        Par ailleurs, on ne peut pas dire que ces installations auraient correspondu à un besoin objectif de l’économie française, puisque celle-ci connait le chômage de masse depuis 1974, bien avant les dates moyennes d’arrivée. Il y a donc eu une part de choix, mais qui semble plus lié à des préférences idéologiques qu’à des besoins économiques.

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        1. Mezetulle

          Bonjour et bonne année !
          Merci pour ces chiffres, j’en prends bonne note. Quoi qu’il en soit les apports dont vous faites état succédaient à une « installation » déjà bien ancienne et dont les « mœurs » pouvaient jouer le rôle de boussole et d’exemple comme facteur d’intégration. Il semble qu’une rupture soit intervenue dans la fin des années 80, la première affaire dite de « voile » à l’école publique date de 1989.

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          1. tochûde

            En fait (et je n’y reviendrai plus) cette installation n’est pas si ancienne, à un nombre élevé en tout cas. Et le nombre joue quand même un certain rôle, d’un point de vue politique, pour atténuer par exemple une radicalisation liée à l’évolution d’autres pays.

            D’après le livre de Ralph Schor, histoire de l’immigration (collection Université chez Armand Colin), les chiffres de l’immigration africaine en France (y compris non musulmans) sont les suivants :

            1946 : 54 000
            1954 : 230 000
            1962 : 428 000
            1968 : 652 000

            Avant et après 1962, ce sont les Algériens qui étaient les plus nombreux, pour des raisons différentes. En 1954, ils étaient 212 000, mais cela correspond à une décision de levée des restrictions aux déplacements ne concernant pas les autres pays du Maghreb, prise en 1946 (Edouard Depreux étant ministre de l’intérieur) pour tenir compte du statut de départements français de l’Algérie. Cette immigration n’était d’ailleurs pas spécialement demandée par les entreprises, à la différence de l’immigration intra-européenne, pour un problème de qualification ne correspondant pas à leurs besoins. Il y avait par ailleurs beaucoup d’aller et retours.

            Avant 1946 on compte plutôt en dizaines de milliers pour les Africains. Pendant les Trente Glorieuses, ce sont bien les Italiens, Espagnols et Portugais qui faisaient le plus important des effectifs (on voit d’ailleurs dans le document une évolution un peu différente des Portugais, sur beaucoup des sujets traités).

          2. tochûde

            On m’a fait remarquer que je me suis trompé dans la lecture du document de l’Ined, car le tableau cité porte sur les immigrés ayant 18 à 60 ans en 2008. Donc les dates moyennes d’arrivée sont plus basses que ce que j’indiquais si on regarde l’ensemble des immigrés.

            Ce qui est vrai, c’est que les musulmans immigrés en France sont arrivés en majorité après le premier choc pétrolier ; et qu’ils sont arrivés tardivement dans les Trente Glorieuses (pour l’ensemble des pays africains, 652 000 personnes en 1968 d’après le livre de Schor).

      2. piquet

        bonjour,
        Je m’étonnais simplement de cet usage, que j’avais repéré, de la notion de contrat tacite qui est une singulière facilité intellectuelle!
        (notion de gestion des ressources humaines dont l’importation ici me semble problématique)

        Merci

        Répondre
  11. piquet

    Pour « Elisabeth » (28 décembre):
    Bonjour,
    Merci pour votre réponse, qui est très intéressante.
    Ce que je voulais dire en « amalgamant » le végetarisme, le Volkgeist, c’est que, pour ce qui nous occupe (la philosophie politique), le contenu de la croyance (le « dogme » si l’on veut) importe peu : j’aurais pu citer aussi bien la transsubstantiation ou le clonage raélien… qui sont tout aussi justiciables de la laïcité que les dogmes des autres confessions.
    Ce que la laïcité prend en considération, c’est la forme ou si on veut le principe même de l’acte de foi . Car c’est cet acte de foi qui est dangereux, c’est son intangibilité qui est invoquée contre l’ordre public. (je ne vous apprends rien!). M. Manent n’est pas Torquemada, mais il raisonne au-delà de ce que vous appelez la « limite fanatique »,
    lorsqu’il qu’il propose que l’autorité politique négocie sur une exigence religieuse (musulmane), ie sur un contenu religieux. (proscription du porc; relations entre les sexes, c’est bien dans le Coran, c’est bien du contenu, non?).
    (Tout en excluant tacitement, de cette négociation le contenu auquel il croit, lui!)
    A mon avis ce qu’il y a de radicalement non laïque chez Manent: c’est qu’il veut que l’Etat fasse du contenu. Alors que la laïcité ne négocie pas avec le religieux sur son contenu. Un laïque peut évidemment être croyant (!), mais il ne demande ni à César de négocier en matière de contenu religieux, ni au Temple de battre monnaie.
    Si M. Manent avait souhaité la cohabitation des religions, il aurait fait un livre tout différent qui aurait proposé aux autres confessions de négocier des concessions réciproques sur le dogme . Mais M. Manent sait bien que « dogme » et « négociation » sont comme l’huile et l’eau; et que nous ressentons douloureusement ces derniers temps, combien l’oecuménisme a fait faillite, bien plutôt que la laïcité.
    Ce pourquoi je crains que ce soit là un livre de guerres de religions: nous n’avons pas affaire à un auteur violent, mais la violence a toujours eu ses « porteurs sains ».
    A votre disposition si j’ai encore été obscur
    Cordialement
    Michel Piquet

    P.S. Je ne suis pas sûr que le vrai et le faux puissent dater. Méditons…

    Répondre
  12. elisabeth

    @ « piquet »
    merci d’avoir répondu.
    Nous sommes d’accord sur le principe de la laïcité, comme principe de séparation de la sphère publique/privée . Ce qui me gêne ( un peu !) c’est vos définitions sur les dogmes et l’acte de foi. La laïcité, me semble-t-il, laisse toute latitude à « l’acte de foi », en tant qu’il relève de la conscience, de la sphère privée voire intime, et n’est pas « dangereux » puisqu’il est mis hors d’état de nuire par la laïcité, justement ! Ce qui serait dangereux c’est que la laïcité imposât une croyance ou non croyance et là, on confondrait laïcité avec athéïsme , ce qui est aussi dommageable que de la confondre avec la tolérance ! Les interdictions et prescriptions de l’Islam relèvent moins du dogme ( cf piliers de l’islam) proprement dit, que de la tradition ou des moeurs .
    Tout le problème serait de savoir si ces dernières sont consubstantielles à l’Islam . Là est tout l’enjeu des débats entre musulmans . La laïcité règle tout cela en disant que tant que les moeurs ne doivent pas interférer avec la sphère publique (politique), c’est ainsi qu’elle peut empêcher les guerres civiles de religions !

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    1. philippe

      Un point important semble être édulcoré. Le fait que l’islam est supranational. Pour le Coran on est d’abord musulman avant d’être citoyen de tel ou tel pays. Et qu’importe le régime, dictatorial, royaliste ou républicain tant qu’il est soumis aux préceptes du prophète et des 900 000 hadits qui en résultent.

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      1. Mezetulle

        Je souligne dans l’article (voir le point 3) que le Califat s’en prend aux Français de confession musulmane précisément parce qu’ils acceptent sans état d’âme les lois d’une république laïque et donc parce qu’ils sont Français avant d’être musulmans, et aussi parce que l’islam, visiblement, ils en prennent et ils en laissent. Ne pas oublier non plus que beaucoup de nos compatriotes de confession musulmane sont morts sous le drapeau.

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      2. piquet

        à « Philippe »
        Bonjour,
        Vous en connaissez beaucoup des religions qui ne soient pas « supra-nationales »? Cela fait partie de toute « position religieuse », de sa grandeur, mais aussi de son danger -contre lequel prémunit la laïcité. Quel que soit par ailleurs le contenu dogmatique auquel il croit, un homme de foi ne se limite jamais à un territoire déterminé.
        Salut
        michel piquet

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    2. piquet

      Bonjour,
      A mon avis, (je dis bien: « à mon avis ») interdictions et prescriptions (qui figurent dans les textes, en termes le plus souvent très peu clairs -c’est important-) tiennent à la situation de l’homme de foi, ie aux circonstances du surgissementet de l’implantation du message auquel il croit . Et non au CONTENU de cette foi. Pour s’en tenir à l’exigence du voile, elle est plutôt obscure dans le texte du Coran (en quoi il consiste & les personnes concernées, etc.). Mais sa prescription a joué un rôle important dans la position de Mahomet et de ses compagnons à l’égard des païens polythéistes avec lesquels s’est engagée une concurrence à mort.
      Celle même qui s’attache à tout ACTE de foi en tant que tel, QUEL QUE SOIT LE CONTENU, L’OBJET DE LA FOI CONSIDÉRÉE.
      Enfin pour ce que j’en dis…
      Heureux de vous lire.
      Cordialement
      Michel Piquet

      P.S. J’ai abordé cette question avec/contre « Adeimentos » un peu plus bas.

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  13. Adeimantos

    L’ouvrage de Pierre Manent révèle une pensée complexe et nuancée. Commenter cet ouvrage sans l’avoir lu me paraît être sinon une grave imposture, du moins bien indélicat, ou pour le moins absurde. De plus, il est un procès facile à combiner, qui consiste à prêter des intentions malignes à un texte au-delà de ce qu’il dit. Peut-être est-il nécessaire de rappeler une règle élémentaire en matière de lecture (et d’analyse politique) : c’est à la surface des choses, et là seulement, que se posent les problèmes qui sont au cœur des choses.

    Cela étant posé, Pierre Manent n’élude aucun des problèmes traités par le commentaire de Catherine Kintzler, qui me paraît quelquefoiss outrer son propos, et par voie de conséquence, tordre le texte de Pierre Manent, sans doute à des fins didactiques. Contentons-nous ici de revenir sur deux points, l’un essentiel et l’autre plutôt périphérique, pour ensuite revenir au point central du texte de Pierre Manent, écrit à partir des tueries de janvier 2015.
    Le point essentiel du commentaire de Catherine Kintzler touche à sa différence de conception avec P. Manent sur la laïcité; le point périphérique a trait aux mœurs musulmanes en matière de sexualité.

    1) La lecture manentienne de la laïcité consiste à présenter la situation de la France selon un schéma a 4 pôles : la société, la Nation, l’État et l’Église. La société est diverse et diversement traversée par des opinions de toute nature, dont les opinions religieuses. La Nation (française) est sacrée : ce n’est pas la société que l’on défend lorsque la Patrie est en danger, mais la Nation. L’État est l’instrument aux multiples ressorts dont la société française s’est dotée pour organiser l’ordre et la liberté, notamment l’ordre et la liberté au sein des opinions. La notion de société « neutre » , au sens où l’entendent de nombreux partisans d’une certaine interprétation de la laïcité, ne saurait être qu’une vue de l’esprit. C’est dans l’espace social, dans l’espace public, que se nouent les opinions et les actions. Nous « voyons » des églises, des croix aux carrefour, comme nous « voyons » des processions, des fêtes de la musique et des défilés de motards. Certes, à côté de l’Église visible, il existe l’Église invisible à quoi les défenseurs durs de la laïcité voudraient réduire toutes les opinions (à la seule dimension de la conscience intime). L’Église catholique, et là n’est pas le moindre des problèmes qui ont contribué à l’histoire de France, n’est pas une secte française (ou allemande, ou italienne). Le penchant de l’Église de France pour le gallicanisme ou l’ultra-montanisme est une des données de la question (de la vie intellectuelle, spirituelle et politique). D’autres opinions religieuses existent en France, dont le rôle et le caractère « historique » ont été moins marquants et dont les rites et les actions sont plus ou moins visibles, en tout cas moins v »marquants » que ne le sont les clochers des villages de France. La laïcité telle qu’on peut la résumer historiquement en France porte la marque d’une séparation (cela est typique des démocraties : il faut séparer, mais néanmoins réunir). L’Église catholique et l’État se sont séparés au siècle dernier par un accord (et on peut renvoyer là-dessus à la pluriséculaire histoire du rapport des pouvoirs politiques français à l’Église de Rome, qui a été marquée par une suite de concordats, ou d’actes unilatéraux, comme la « Pragmatique Sanction de Bourges » de 1438) : l’État s’occupe de l’action politique, tandis que le régime d’action dévolu à l’Église comprend la santé, l’éducation, la formation, divers dispositifs de charité, etc. La séparation de l’Église et de l’État est un cantonnement du rôle et des fonctions de l’Église catholique, non un effacement de celle-ci au seul domaine de l’espace privé. Ce qui est demandé aux Catholiques de France c’est de faire vivre la nation (de participer au bien commun) sans s’en emparer politiquement. Napoléon avait demandé en 1806 au Juifs de France, par le biais d’une liste de 12 questions posées au Grand Sanhédrin, de s’engager dans la vie civique française. Nous parlons bien d’accord, d’un traité de concorde et de concessions de part et d’autres. Nulle part il n’a été demandé aux catholiques de France de renoncer à leur Foi pour se tourner vers le déisme et le culte de l’Être suprême, sous prétexte de laïcité. Mais il est loisible à juste titre de poser la question de savoir qui demande aux Musulmans de France (et comment ?) d’exercer avec civisme leur appartenance à la nation française, lorsque, au nom de leur religion, de jeunes français convertis ou non, commettent des meurtres de masse envers leurs concitoyens. Pierre Manent s’attache à poser les termes du problème d’une manière qui étonne beaucoup, puisqu’il n’indique en rien : a) que l’islam en France n’existe pas; b) que la meilleure option consiste à diluer un problème politique dans des considérations sociologiques; c) que tout compte fait, les lois existantes et leur cortège de droits suffisent à traiter les questions pendantes, puisque la seule religion qui vaille est celle qui inscrit les droits de l’homme au cœur de tout citoyen.

    2) Le point accessoire, ou secondaire, que j’ai appelé périphérique, mis en exergue par une lecture fautive du texte de Manent par Martine Storti, concerne les mœurs musulmanes en matière de sexualité. Pierre Manent n’écrit jamais dans son petit ouvrage que les mœurs musulmanes dans leur totalité sont conformes au droit français. Il ne fait même pas allusion à tel ou tel détail de ces mœurs pour s’en offusquer ou le critiquer. Il se borne à souligner deux choses : la polygamie — qui est interdite dans le droit français — devrait faire partie des mœurs auxquelles les musulmans de France devraient renoncer (il faut comprendre : la polygamie est hors la loi, mais la loi n’est pas appliquée. Je remarque d’ailleurs que C. Kintzler indique dans son commentaire que telle ou telle situation est prévue par la loi … Ce qui ne préjuge en rien de l’efficace de cette loi). De plus, dans un régime de séparation, il n’est pas impossible de penser que les jeunes gens d’âge scolaire soient séparés, notamment lorsqu’il s’agit des activités de piscine (et Martine Storti feint de lire que P. Manent acquiesce à la demande des associations musulmanes de séparer les horaires de piscine pour les adultes). On peut remarquer à propos de ces activités scolaires, que la question de la pudeur ne fait pas partie des point de discussion de la part de ceux qui, éducateurs, prennent part aux débats. Ils pourraient cependant admettre qu’il existe chez les adolescents quelque chose comme de la pudeur.

    Certes, les mœurs musulmanes rappellent que de la pudeur à la contrainte religieuse, le chemin est court. Nous voyons pointer à l’horizon les débats sur le port du voile. Le propos de Manent que rappelle C. Kintzler — propos qui refuse le voile intégral — est de souligner que la question de la liberté du port d’un vêtement ne devrait pas aller jusqu’à une intrusion dans l’intimité des rapports entre les hommes et les femmes. P. Manent se borne à rappeler que ces questions — de l’interdépendance de l’homme et de la femme dans la conjugalité — ne sont pas traitées dans le détail par le législateur (et certainement, les articles du code civil lus en mairie lors de la cérémonie du mariage, pourtant assez diserts, n’entrent aucunement dans ces détails). Il me semble qu’il faut comprendre ici, non pas que Pierre Manent entérine de facto la dépendance de la femme musulmane à l’égard de son époux, mais que ces questions engagent aussi une réflexion sur nos propres mœurs (et en particulier une discussion sur les critères contemporains en matière d’évaluation des mœurs des autres).

    La question prégnante que soulève le petit ouvrage de Pierre Manent ne me semble pas être celle qui concerne au premier chef la laïcité — contrairement à ce qu’affirme Catherine Kintzler qui, encore une fois, croit ou semble croire que la loi a répondu par avance aux questions et aux analyses formulées par « Situation de la France ». Cette question est celle de la faiblesse de la nation française, qui se désolidarise de plus en plus de son État et de ses représentants politiques, et cela pour des raisons politiques qui ne sont pas portées à la connaissance du lecteur dans ce livre (mais qui sont analysées dans d’autres ouvrages de P. Manent tels que le « Cours familier de philosophie politique » et « la raison des nations »). En se remémorant les tueries de janvier et de novembre 2015, en songeant à la déliquescence de l’organisation européenne, en observant le champ de ruines de notre politique étrangère, en nous inquiétant de l’état lamentable du marché du travail et des palinodies coutumières à notre système d’éducation publique, il est possible de se demander si l’ouvrage de Pierre Manent apporte quelque chose, sinon de « nouveau », du moins qui échappe aux jérémiades et aux gesticulations médiatiques habituelles. Contrairement à Catherine Kintzler, il me paraît évident que nos concitoyens de confession musulmane sont invisibles, sauf erreur, dans l’espace politique, même si nous pouvons voir comme elle dans les rues de nos villes des femmes voilées et des boucheries hallal. Il me paraît évident que nos concitoyens de confession musulmane ont, pour une grande partie d’entre eux, les pieds en France et la tête ailleurs. Quels sont leurs organes de presse ? Leurs instances de représentation sont-elles … représentatives ? Sont-ils prêts à mourir pour la Patrie ? Contrairement à une pensée paresseuse et à bon compte, l’ouvrage de P. Manent n’est pas une proposition de capitulation en rase campagne de la France devant l’Islam — comme voudraient le faire accroire Pascal Bruckner et Jean-Paul Brighelli. Pierre Manent n’est pas un penseur de la dhimmitude. Il me semble qu’il a le courage de proposer des analyses lucides, sans cacher son appartenance à l’obédience catholique. Ce qu’il demande peut paraître singulier. À l’école de Charles Péguy, il propose à la France de se confronter en actes (et pas seulement en paroles) à ce qui la menace (et les tueries de 2015, nous en sommes tous d’accord, font partie du problème). Il propose un retour vers un dynamisme politique qui fait actuellement défaut et apte à nous sortir d’une longue léthargie. Sans doute le fait-il en adoptant un ton prophétique qui rappelle celui de Jean-Paul II (« France ! Qu’as-tu fait de ton baptême ? »). On peut comprendre que cela en gêne plus d’un ! Mais il me semble assez pusillanime d’accueillir par des considérations secondaires ce qui paraît être pour le moment le seul ouvrage de philosophie politique qui développe un tel effort d’analyse dans une situation politique qui — faut-il le rappeler ? — est celle de l’état d’urgence.

    Pour écouter (et voir) quelques développements (débat en 2 parties) par Jean-François Colosimo et Pierre Manent sur la chaîne « Histoire » :
    http://www.histoire.fr/actualit%C3%A9s/historiquement-show-217-sp%C3%A9ciale-pierre-manent-12

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    1. Mezetulle

      Bonsoir,
      Merci pour cette critique de ma critique. Je la publie sans tarder. Elle appelle, bien sûr, une réponse circonstanciée que je ferai d’ici quelques jours.

      [Edit : voir la réponse datée du 5 janvier, après celle de Piquet ci-dessous]

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    2. piquet

      Bonjour, et merci pour ce plaidoyer nuancé.

      Je ne m’attarderai pas sur la « pudeur », polygamie, voile, piscine etc. qui ont en effet comme vous le dites, un statut périphérique.
      je m’en tiens à ce que vous appelez la lecture manentienne de la laïcité.
      a) Un des principes de base de l’herméneutique étant que le sens d’un texte ne se résume pas toujours aux intentions de son auteur, force est de prendre acte de ce que ce texte de Manent joue son rôle dans le débat très concret et tragique: c’est donc, si j’ose dire, des « intentions » du texte lui-même qu’il s’agit de débattre. Ce qui oblige évidemment le commentateur à creuser un peu sous la « surface ».
      b) En outre vous ne contesterez pas que M. Manent est un disciple de Léo Strauss, et un tenant de son « art d’écrire ésotérique-ironique-élitiste (cf. La persécution & l’art d’écrire). Mais alors, la lecture de ses textes exige quelques…précautions élémentaires -dont celle, précisément, de ne pas s’en tenir à « la surface »… Ce n’est pas là lui prêter des intentions « malignes », c’est le prendre tel qu’il est.
      c) Sur le fond, je suis plutôt de votre avis lorsque vous écrivez: « il est loisible à juste titre de poser la question de savoir qui demande aux Musulmans de France (et comment ?) d’exercer avec civisme leur appartenance à la nation française, lorsque, au nom de leur religion, de jeunes français convertis ou non, commettent des meurtres de masse envers leurs concitoyens. »
      Mais il se trouve qu’il y a eu jadis des chrétiens de France qui, eux aussi, au nom de leur religion, convertis ou non, ont commis des meurtres de masse envers leurs concitoyens. Je connais une colline de France qu’on désigne comme la « butte des Innocents », depuis trois siècles, en souvenir des dizaines de femmes et d’enfants dont on a retrouvé là les corps violés, découpés, décapités, brûlés sans qu’on ait pu très bien démêler qui, des bourreaux et des victimes étaient protestants ou catholiques. (même en « creusant sous la surface »).
      d) la laïcité ne me semble pas « réduire TOUTES les opinions à la seule dimension de la conscience intime ». Elle me paraît plutôt fondée sur une claire prise en compte de l’originalité et de la spécificité de l’acte de foi. De la gravité de celui-ci, qui incommensurable avec les opinions « profanes », et de son extrême dangerosité pour l’ordre social. (c’est toute l’audace du génial (et anonyme): « nul ne doit être inquiété pour ses opinions MEME religieuses » de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. « Même » ce n’est pas : « dont » ou: « au nombre desquelles » les religieuses). La conviction de vérité du croyant est intangible.
      De là l’incitation « religieuse » à la haine et à la violence. Autrement dit, celle-ci ne tient pas au contenu des dogmes, mais à la position même d’engagement complet et de loyauté totales tenant à l’acte de foi en lui-même.
      On peut bien s’étonner que le Coran, parole d’un Dieu miséricordieux, ait rendu dingues les tueurs (comme dit Charlie hebdo), mais tout est dans le: « a rendu ».
      Prenez le contenu de la religion chrétienne, c’est la parole d’un dieu d’amour: le Sermon sur la Montagne.
      Mais si vous considérez à présent la position du chrétien comme croyant, c’est l’injonction de haïr qui surgit aussitôt: « Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas (…) il ne peut être mon disciple » Luc 14, 25-33 .
      Autrement dit, QUEL QUE SOIT L’OBJET de la foi considérée, c’est une logique du « EUX OU NOUS » qui se met en branle. Toutes choses égales par ailleurs, »eux » ce sont tantôt les polythéistes païens du temps de Mahomet (et le vêtement, le voile a joué un rôle important dans cette concurrence), tantôt les Juifs des débuts du christianisme (quand les apôtres, avant la Pentecôte, « fermaient les portes de peur des juifs »). Cette haine tenant à la situation, bien plus qu’au contenu, est inévitable, puisque le message religieux commence par être surgissement critique, voire effraction, donc situation de rivalité et de concurrence avec d’autres messages aussi intransigeants. Et cette haine est même indéfiniment réitérable, transposable: Daesh n’a pas eu grand mal à présenter la prise d’un café à Paris comme un rite païen et polythéisteà des désocialisés travaillés par leurs hormones ; la Ligue à diaboliser la Réforme et vice-versa, comme le Vatican fut plus qu’enclin, naguère, à traiter par un silence prudent une liquidation des juifs qui lui a paru ressembler furieusement à un châtiment des tenants de ceux qui livrèrent Jésus et de ceux qui lui préférèrent Barrabas.
      C’est cette radicalité de la position d’homme de foi que, me semble-t-il, la laïcité prend au sérieux, en ce que cette position de foi est radicalement étrangère à la politique, à l’art de gouverner comme art du possible et du compromis, de la négociation. Tout le contraire d’un « eux ou nous » intrinsèquement totalitaire et non politique.
      Toute concession faite, dans la gestion de la Cité, à cette position, (et pas seulement ce que propose Manent) à ce « eux ou nous » des hommes de foi combinerait les inconvénients:
      -de compromettre la sécurité des Français. Car ce serait bien plutôt torpiller que renforcer l’Etat en France que lui demander d’accorder à la paranoïa d’une religion ce que, aussitôt, celle d’une autre ne manquera pas de réclamer pour elle. Un Etat n’a rien à gagner à s’engager de fait dans la rivalité à mort des religieux. (Et les croyants non plus, d’ailleurs).
      -mais aussi de dégrader ce sur quoi porte l’acte de foi, ici la miséricorde musulmane, là l’amour chrétien du prochain .
      Théocratie ou laïcité?

      Merci de votre attention et au plaisir de vous lire
      Michel Piquet

      P.S. Il est inutile (et peu démonstratif) de soupçonner ses interlocuteurs de ne pas avoir lu l’ouvrage considéré. Spécialement quand, pour sa part, on se prive pas de leur reprocher d’exprimer des soupçons sur des intentions cachées de l’auteur!
      Sans rancune en ce qui me concerne.

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    3. Mezetulle

      Bonsoir.
      @ Adeimantos : j’avais promis une réponse à votre commentaire du 2 janvier.

      1 – Questions de forme et de statut de la lecture.

      Je pense qu’il apparaît suffisamment dans l’article que j’ai lu le livre de Pierre Manent, et cela le crayon à la main. Je cite ses propos, sans les forcer au-delà de ce qui est écrit. Par exemple, je n’ai pas inventé le terme « communautarisation », ni l’oscillation constante entre lecture juridique et lecture doxique de la laïcité (fondée sur une de ses interprétations par l’opinion). Martine Storti ne rêve pas lorsqu’elle avance que le passage sur les femmes reprend le soupçon de néo-colonialisme en appelant au relativisme du jugement.
      Adeimantos avance qu’il est souhaitable de lire Situation de la France en étant nourri de la lecture d’ouvrages antérieurs de P. Manent. Cela, certainement, est utile. Mais cela n’est nullement présenté ainsi par l’auteur lui-même qui publie un livre sans aucune référence (pas davantage à lui-même qu’à d’autres travaux – à ma connaissance les seuls noms propres de référence cités dans l’ouvrage sont Epicure et Bossuet, comme je le souligne dans la note 12 de l’article) : le lecteur est manifestement invité à une lecture « à l’infinitif » et c’est du reste un des charmes du livre !

      2 – Le point « essentiel » du commentaire.

      J’ai parlé d’un « effet domino ». La laïcité (« bête noire » déjà présente dans La Raison des nations, mais pas sous la forme obsessionnelle qu’on constate dans Situation de la France) est un point d’appui de cet effet – il n’est sans doute pas le seul, mais l’auteur y attache suffisamment d’importance et lui donne assez de volume pour qu’on voie que, effectivement, c’est un point d’appui essentiel (= si on supprimait du livre toute la critique qui y est faite de la laïcité, le propos en serait considérablement affecté et affaibli).
      En revanche, et le titre de mon article le dit, cet effet domino pose la question de la nature du régime républicain tel que la France l’a travaillé depuis la Révolution française. C’est là, à mes yeux, l’intérêt profond du livre, ce qui en fait un livre de philosophie politique : c’est là l’essentiel.
      C’est pourquoi je souligne à plusieurs reprises les quatre propriétés philosophiques qui me semblent fondamentales pour caractériser le régime républicain laïque : immanence, minimalisme, atomisme, non-contractualisme. Je ne vais pas exposer le détail de ces propriétés dans un commentaire, je l’ai fait dans mon Penser la laïcité. Je ne manque pas de souligner, dans l’article ci-dessus, la divergence, sur chacun de ces points, entre les vues de P. Manent et les miennes.
      Au début de l’article, je dis – et ce n’est pas une formule de complaisance – que je partage le constat de faiblesse relevé par l’auteur. Il n’est pas du reste le seul à l’établir, mais il le fait dans le cadre de sa propre pensée et dans une perspective qui lui semble propre à soutenir cette pensée. Or la question qu’il pose, à partir de ce constat de faiblesse dans lequel il inclut (à mon avis à tort) la structure même du régime laïque, est très claire et importante, et je la formulerai ainsi : faut-il, pour conjurer cette faiblesse (pour y remédier), passer à un régime qui restaure la transcendance dans le domaine politique ?
      Répondre positivement à cette question, comme l’auteur le fait à la fin du livre, c’est ipso facto non seulement abandonner l’immanentisme républicain, mais aussi le minimalisme. Et la modalité susceptible de mettre en place cette restauration est une vision moléculaire du corps politique (reconnaissance politique de communautés sur marqueurs spirituels), ce qui est opposé à l’atomisme du droit politique en régime républicain laïque, atomisme que je défends. Je crois sur ce point prendre très au sérieux la pensée de l’auteur qui a pris soin de restreindre ses références aux deux seuls noms d’Epicure et de Bossuet.
      Je laisse la question du contractualisme pour le point suivant.

      3 – Quelques autres points

      a) Le commentateur Adeimantos s’appuie sur l’analyse de la société et des faits sociaux, à quoi je n’ai rien à redire. Aucune société n’est laïque, seule une association politique peut l’être, et personne ne demande à la société d’être laïque. Il est donc erroné de prétendre que la laïcité appelle une société neutre : c’est confondre la laïcité avec une de ses représentations sociales (que j’ai analysée sous la forme d’une dérive). Plus largement, c’est aussi supposer une identité de structure entre sécularisation et laïcité – confusion que j’aborde dans l’article et que j’ai longuement discutée dans Penser la laïcité.

      b) Des exemples historiques sont sollicités en faveur d’un modèle contractuel où l’Etat « demande » quelque chose aux catholiques, aux juifs, aux musulmans, etc. Mais justement un régime républicain laïque n’est pas contractuel : la loi s’impose aux citoyens non comme une demande ou un échange, mais parce qu’elle émane d’eux. Et ce corps politique n’est pas fractionné en molécules il est formé d’individus, la loi s’applique à tous et à chacun. La célèbre formule de Clermont-Tonnerre est plus libératrice que tous les concordats et tous les contrats : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation ; il faut tout leur accorder comme individus ; il faut qu’ils soient citoyens ».
      Le vocabulaire est révélateur à cet égard : dans une République laïque on ne parle pas, s’agissant des citoyens, de « Juifs de France », mais de « Français de confession juive, Français de confession catholique… », etc. N’oublions pas non plus les Français sans confession, sans foi mais non pas sans loi.
      Un régime laïque ne réclame pas l’effacement de la foi ni son atténuation : il demande seulement que les religions renoncent à leurs visées politiques, renoncent à faire la loi en tant que telles – ce qui ne signifie nullement qu’on doive renoncer à une pensée d’inspiration religieuse pour participer au débat politique. Je fais remarquer qu’un culte officiel de l’Être suprême, un athéisme officiel ou un culte officiel des droits de l’homme ne seraient rien d’autre qu’une religion civile, la seule forme de religion intégralement incompatible avec la laïcité !

      c) Les droits des femmes et la mixité.
      Le commentateur, en avançant la pudeur adolescente, feint de croire que la mixité dans les cours de natation à l’école impliquerait celle des vestiaires ! Il n’a jamais été question de cela : on mélange garçons et filles durant la leçon.
      Sur le statut conjugal et des femmes en général. Il est reproché à P. Manent, non pas de souscrire à une soumission, mais de considérer que la question des relations entre les sexes (qui du reste est distincte de celle de la sexualité) doit être examinée en tenant compte d’un jugement de relativité à une tradition, à une culture, à des mœurs etc. : dans cette mesure dire qu’il y a soumission ce serait imposer abusivement un jugement occidental… C’est ce que relève Martine Storti à juste titre : vouloir soutenir les femmes qui entendent se libérer relèverait d’un raisonnement de type néo-colonialiste ! Avec de tels raisonnements, on n’aurait jamais aboli les privilèges ou le droit d’aînesse.
      Quant au refus du voile intégral, il ne s’agit pas d’une question de laïcité. Tous les masques, cagoules « destinés à dissimuler le visage » sont visés. P. Manent avance à ce sujet une argumentation que j’ai moi-même développée plus longuement au chapitre 3 de Penser la laïcité.

      d) Nos concitoyens de confession musulmane sont-ils invisibles ? Pas du tout ! Et pourquoi, aussi, leur attribuer à tous le désir de l’être ? En tout cas, rien ne les empêche de se manifester de manière visible dans des lieux accessibles au public et beaucoup le font. Rien ne les empêche de fonder des journaux, de s’organiser en différentes instances, de fonder des cercles de réflexion, des associations de nature diverse. Ce que la laïcité impose, c’est l’invisibilité des religions dans l’ordre de l’efficience politique, de l’exercice des fonctions officielles, du discours du droit public. Aucune directive religieuse ne peut faire loi, aucun représentant de culte ne peut se prévaloir de cette qualité pour vouloir régler la pensée et les mœurs d’autrui (cléricalisme), ni accéder à une responsabilité publique ès qualités. Cela n’a jamais empêché un responsable politique de faire état, par ailleurs de manière privée (ce qui ne veut pas dire intime ou cachée), de ses convictions religieuses ou non-religieuses ou anti-religieuses. Qu’on pense à De Gaulle, à François Bayrou, à Michel Charasse, à Bariza Khiari ! Mais aucun ne peut se permettre de transformer sa foi ou son athéisme en objet destiné à une efficience politique ou de les manifester dans le cadre d’une magistrature publique.

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      1. Adeimantos

        @ Catherine Kintzler

        Merci de commenter mon commentaire ! Je ne vais pas ici indéfiniment chercher à défendre les thèses du livre de P. Manent, par une apostille au commentaire du commentaire, mais me cantonner à quelques précisions :

        1) Certes, Pierre Manent dans son ouvrage « Situation de la France », ne renvoie pas à ses ouvrages antérieurs. Mais si l’on désire mieux comprendre dans le détail la manière dont il aborde les questions de philosophie politique, ainsi que la crise politique que traverse la France depuis des décennies, au sein de laquelle on peut insérer la question de l’islam en France, il paraît profitable de lire, outre « La Raison des nations », ses articles rassemblés dans « Enquête sur la démocratie », de même que son « Cours familier de philosophie politique ».

        2) Il me semble, mais je peux me tromper, que le « caractère obsessionnel » que vous décelez chez P. Manent à l’endroit de la laïcité rassemble tout le point du débat. Vous affirmez que la défense de la laïcité est l’arme de destruction massive contre tous les errements du moment, en particulier afin de bien « défendre la République et ses valeurs » au moment où les attentats terroristes mettent à mal l’union nationale (je mets des guillemets volontairement, afin d’insister sur ce syntagme figé dont beaucoup usent comme d’un slogan). P. Manent ne se lève pas contre la laïcité. Quiconque lit attentivement « Situation de la France » ne trouvera nullement une phrase telle que : « La laïcité est un régime de séparation dont il faut se débarrasser ». En revanche, Manent souligne tout au long de son livre la faiblesse du régime de la laïcité, tel qu’il est présenté comme argument incantatoire, comme rempart et refuge contre les problèmes posés par l’islam en France. P. Manent relève que la plupart des problèmes rencontrés par la nation en matière de port du voile intégral, de transgression de la loi, d’actes antisémites, de dégradations de lieux de culte, d’insultes, de profanations, d’actions armées et d’assassinats terroristes, ne sont nullement tenus en lisière par le culte et la défense réels ou supposés de la laïcité. On peut même aller jusqu’à affirmer le caractère inopérant de la laïcité sur ses problèmes. On peut en déduire une faiblesse du régime de la laïcité. Ergo, il faut changer de régime ! Cependant, Pierre Manent ne professe absolument pas une théocratie (ou quelque chose qui s’en inspirerait, même de loin). Son ouvrage (d’ailleurs comme les dernières pages de « la raison des nations »), s’il s’adresse aux lecteurs de bonne volonté, musulman ou pas, en appelle surtout et in fine aux catholiques de bonne volonté, qui seraient bien inspirés s’ils réactivaient leur engagement dans la vie politique de la nation. Ainsi, je pense que votre critique sous-estime la portée du livre de Pierre Manent en le confinant dans un de ses aspect qui est la critique de la faiblesse opératoire de la laïcité.

        3) La question de la pudeur n’est pas résolue par les vestiaires séparés dans les piscines. De la même manière, on peut comprendre que si chaque élève doit apprendre que la vie sociale en France se fonde sur la mixité des hommes et des femmes dans l’espace public, cette mixité ne doit pas être conditionnée par la neutralisation abstraite des sexes, au prétexte que la loi interdit tel ou tel comportement. On peut chercher à éviter que les garçons n’agressent les filles, en les séparant de celles-ci ou, ce qui revient au même, en les excluant de certaines activités. Le régime de séparation peut apparaître comme un affaiblissement de la force de la loi. On pourrait reconnaître aisément que l’absence d’autorité conférée à la loi, provient de l’élargissement du régime de la liberté et partant, cause du relâchement des mœurs, dont la critique n’est pas spécifiquement islamique (on peut trouver sur ce sujet une critique politique remarquable dans l’ouvrage de Xénophon sur « la Constitution des Lacédémoniens »).

        4) Dernier point : nous sommes d’accord, il me semble, sur le fait que chacun peut exciper de son orientation spirituelle et intellectuelle pour s’engager dans une démarche politique. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé historiquement à partir du moment où la démocratie française s’est installée sur une base électorale élargie. On a vu s’ajouter aux médiations politiques un ensemble plus ou moins actif et plus ou moins représentatif de corps intermédiaires, d’associations, de syndicats, de ligues, etc. Dans la IIe République, on a vu naitre un catholicisme libéral et un catholicisme social (voir Frédéric Ozanam). Lorsque P. Manent écrit que les musulmans en France sont invisibles, il ne dit pas que personne ne voit de musulmans, ni dans la rue, ni ailleurs. Ils sont « politiquement invisibles », en tout cas moins visibles qu’il ne le souhaite : entrer dans la conversation civique, c’est prendre parti, affirmer, revendiquer, écrire, prendre position. Pierre Manent fait remarquer que nul ne sait ce que veulent les musulmans de France. Qu’ils soient associés en un seul mouvement, ou dispersés en une pluralité de petits groupes d’influence, le moins qu’on puisse dire, écrit Manent, c’est qu’ils sont bien silencieux. Vous écrivez : « Rien ne les empêche de fonder des journaux, de s’organiser en différentes instances, de fonder des cercles de réflexion, des associations de nature diverse. ». Certes, nous en sommes d’accord ! Où sont donc ces journaux, ces cercles de réflexion, ces associations qui s’adressent à leurs compatriotes non-musulmans ?

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        1. Mezetulle

          Bonjour,
          Merci pour ces précisions, j’essaie d’être brève.

          Point 1 – J’ai écrit qu’il est toujours utile de lire. Situation de la France s’inscrit expressément, toutefois, dans une tradition littéraire appelant une lecture « à l’infinitif ». Et je pourrais retourner le compliment en demandant, de mon côté, qu’on lise mes ouvrages de philo politique !

          Point 2 – Je n’ai jamais présenté la laïcité comme une « arme de destruction massive ». Votre inventaire des prétendus points d’inefficience n’avance que des questions d’ordre public – y compris celle du port du voile intégral (cagoule) qui n’a rien à voir avec la laïcité (cf. chap. 3 de mon Penser la laïcité sur les fausses questions laïques). Sur la position de P. Manent au sujet de la laïcité, j’ai donné, me semble-t-il, suffisamment de références dans le livre, et on pourrait en ajouter. Nous sommes d’accord sur le caractère dérisoire des arguments incantatoires : c’est en partie pour cela que j’ai écrit deux livres sur le sujet. Je partage le constat de faiblesse, je n’en propose pas la même étiologie que Pierre Manent – je m’en explique dans l’article, je m’en suis expliquée longuement à plusieurs reprises dans plusieurs autres articles et dans mon livre précité.
          Il me semble n’avoir pas « confiné » l’intérêt du livre de P. Manent : relisez ma dernière réponse, il s’agit effectivement à mes yeux d’une discussion sur la nature de l’association politique et les propriétés du lien politique. C’est clairement dit, en outre, à la fin de l’article.

          Point 3 – Mixité n’est pas neutralisation abstraite : c’est une des raisons pour lesquelles on peut effectivement distinguer, au sujet des séances de piscine scolaire, les vestiaires et la leçon de natation. Nous avons en France une longue expérience des relations de civilité entre les sexes qu’il me semble nécessaire de préserver (la galanterie ne se confond pas avec un paternalisme, et on n’est pas obligé d’être mufle pour pratiquer l’égalité!). Grande lectrice de Rousseau (notamment de sa pensée esthétique – et là je me permets de renvoyer à un autre volet de mon travail publié), j’ai quelques craintes s’agissant de l’appel à un modèle lacédémonien.

          Point 4 – Je crois avoir suffisamment souligné la différence entre communauté d’association et communautarisme politique. Que les musulmans et les personnes de culture musulmane prennent la parole, on ne souhaite que ça, et aussi qu’ils brisent l’assignation qui prétend les coaliser autour d’une version particulièrement rétrograde de l’islam – c’est cette prise de parole diversifiée et cette salutaire division critique que le Califat ne supporte pas, comme je l’ai également indiqué dans l’article. La liberté d’expression suppose qu’on ne raisonne pas constamment en termes d’assignation ni généralement en termes moléculaires. Je peux dire sans étonner ni choquer personne « Je m’appelle Catherine, je suis de culture gallo-romaine et catholique ; je ne suis pas catholique, je n’ai aucune religion » mais pourrais-je dire sans étonner ni choquer : « Je m’appelle Aïcha, etc. ; je ne suis pas musulmane » ? Je m’inspire ici d’un article dont je recommande la lecture http://www.gaucherepublicaine.org/debats/les-musulmans-deurope-on-est-en-train-de-leur-enlever-paris/7397321

          En fait je me rends compte, en me relisant, que je suis amenée fort souvent à répéter ce que j’ai écrit dans l’article et dans ma première réponse, donc celle-ci est encore trop longue !

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    1. piquet

      Bonjour,

      Peut-être certains de vos textes traitant le sujet qui suit m’ont-ils échappé….

      Sous cette réserve, permettez-moi de m’étonner du silence persistant de vos intervenants et de vous-même au sujet de l’actuel projet de loi de modification de la procédure pénale, visant à prolonger les dispositions de l’état d’urgence au-delà du terme de celui-ci (26 février 2016).

      Certes, j’ai été informé, dans mon âge tendre, des critiques articulées par votre héros à l’encontre de l’équilibre des pouvoirs selon Montesquieu. Et pourtant, je ne puis en arriver à croire que votre fidélité aux enseignements de Condorcet soit allée jusqu’à vous faire négliger l’atteinte flagrante à la séparation des pouvoirs que comporte ce projet.

      Dans des procédures de privation de liberté, la suppression de tout juge indépendant et son remplacement par des fonctionnaires (le préfet et le Parquet et la police à leurs ordres) est d’une gravité qui confine à l’obscène.
      Il est urgent de s’associer à la protestation des plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire qui y voient “des dispositions dangereuses pour les libertés et gravement contraires aux droits de l’homme”, (1er Président de la C. de cassation et Procureur général, 15 janvier 2016).
      Le Conseil d’Etat, lui, s’apprête manifestement à ne trouver aucune objection à ce projet. (C’est dire, dés à présent l’impossibilité pour les victimes de demander des comptes…)
      Aussi bien, l’existence même d’une “justice” administrative est-elle une des plus vieilles tares anti droits de l’homme de nos Républiques (laïques ou pas).(elle n’avait rien trouvé à redire aux statuts des juifs sous Vichy…).

      Soyons rudimentaires: imaginez une nuit sur votre palier les flics d’un préfet Front national. Et souvenez-vous de tous les crimes de Vichy qu’ont permis les décrets… Daladier.

      Dire qu’il y en a encore qui se demandent “Comment les démocraties finissent?”

      Ne me tenez pas rigueur de mon emportement, merci

      Cordialement

      Michel Piquet

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  14. Adeimantos

    @Piquet

    Je voudrais répondre brièvement à vos remarques, qui sont nombreuses; ma réponse, aussi brève soit-elle, suivra donc le cours de votre propos :
    1) Je me suis mal exprimé lorsque j’ai écrit qu’il paraissait absurde de critiquer un livre que l’on n’avait pas lu. Cette remarque générale s’adressait naturellement aux intervenants s’exprimant sur ce blog à titre de commentateurs et qui se trouvent dans le cas étrange qui consiste à s’exprimer sur ce qu’on ne connaît pas, et souvent ad hominem. Cette remarque ne s’adressait pas à ceux des commentateurs qui auraient lu l’ouvrage.

    2) J’ai écrit que la question de la pudeur avait un statut périphérique au sein même de l’argumentation de « Situation de la France »; mais je ne dis pas que cette question est absolument périphérique. C’est d’ailleurs tellement vrai qu’une partie de la critique contre les analyses de Pierre Manent porte sur la relation entre les mœurs musulmanes et la manière dont les non-musulmans perçoivent ces mœurs.

    3) S’agissant de l’art d’écrire plus ou moins ésotérique de Pierre Manent, déduit du fait que Manent serait un disciple de Leo Strauss, je vous laisse le loisir de démêler l’écheveau construit à partir de syllogismes hasardeux, dont le moindre pourrait être celui-ci : « Tous les philosophes catholiques sont des lecteurs. Or, Pierre Manent lit Leo Strauss. Donc Pierre Manent est straussien ». On peut établir le même type de raisonnement avec « Pierre Manent élève de Raymond Aron », « Pierre Manent lecteur de Thomas d’Aquin », « Pierre Manent lecteur de Tocqueville », etc. La thématique de l’ésotérisme philosophique est à manipuler avec précaution, précisément parce que c’est là une des fins de l’art d’écrire : tromper le mauvais lecteur, ou le lecteur pressé d’arriver à des conclusions qui lui plaisent, à propos de questions fondamentales, mais qu’il faut présenter de manière à ne pas choquer les esprits superficiels, tout en alertant le lecteur attentif. J’ajoute qu’il n’est pas indifférent de comprendre que la thématique de l’art d’écrire ésotérique est venue à l’esprit de Leo Strauss par le biais d’une information donnée par Jacob Klein sur Gotthold Ephraim Lessing, ce qui a pu conduire Strauss à éclaircir le prétendu spinozisme de Lessing, mais surtout à réfléchir sur la place de la dérision dans l’argumentation des Lumières, dérision qui n’est pas absente des débats contemporains. Je renvoie ici à un article de Marc de Launay, parmi d’autres lectures possibles sur l’ésotérisme de Strauss, qui s’attache aux liens entre Leo Strauss et Lessing : http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2003-2-page-245.htm.

    4) L’argument qui réduit tout débat sur le rapport entre la religion et la politique au fanatisme religieux et, par suite, qui réduit les exactions commises au nom de la religion comme la preuve historique indiscutable de la malignité du christianisme, est un argument très répandu, mais au demeurant assez étrange, pour deux raisons. D’abord, nous ne débattons pas, si je ne me trompe, des guerres de religion qui ont accompagné la naissance de l’État moderne en Europe, mais bien d’un ensemble de problèmes produits par la réception de la présence récente et effective de nombre de musulmans en Europe et particulièrement en France. Il faut rappeler d’abord que l’histoire de France, pour ne rien dire de l’histoire européenne, est confrontée de longue date aux diverses vicissitudes des entités politiques hors d’Europe, parmi lesquelles l’empire ottoman, dont l’émergence, le développement, puis l’effondrement ont provoqué de multiples réactions militaires (au hasard : siège de Vienne en 1529, bataille de Lépante en 1571, les guerres contre les Régences barbaresques en Méditerranée : Djidjelli en 1664, Tripoli en 1801-1805, etc.). Ensuite, il faut très certainement admettre que si l’Église catholique n’a pas en elle-même de préoccupation politique, il n’est pas difficile de trouver dans l’histoire européenne des acteurs politiques qui, au nom de l’autorité qu’ils prétendaient avoir sur les peuples et les esprits, ont utilisé la religion. Cela commence par l’empereur Constantin 1er (qui se convertit sur son lit de mort, et qui a joué un rôle non négligeable dans la tenue du 1er concile de Nicée), puis se développe avec la règle ‘ejus regio cujus religio’ sacralisant les nations allemandes au XVIe siècle, en passant par le conflit entre le Pape et l’Empereur et les tentation gallicanes de Napoléon Bonaparte. Cette remarque ne préjuge en rien des erreurs commises par l’Église de Rome, et de la difficulté présentée par « la réunion des deux têtes de l’aigle », pour parler comme Jean-Jacques Rousseau, mais aucun observateur sérieux ne peut raisonnablement affirmer que le signal de la Saint-Barthélémy fut donné par Rome. En revanche, il est fort instructif de suivre comment les Catholiques et les Réformés ont cherché ensemble et séparément une solution à la question politique de la pluralité des religions dans une même nation (cf. les « moyenneurs » au XVIe s.).

    5) Je ne pense pas qu’une discussion sur des points de théologie catholique, en particulier sur la question de savoir si « dépouiller le vieil homme », ou interpréter les Évangiles dans le sens de la haine et de l’exclusion de l’autre, peut convenablement éclairer le ‘factum brutum’ d’actes de terreur commis en France au nom de l’islam. Il semble dérisoire d’accuser les catholiques de France d’être des fanatiques, alors que le pouvoir de nuisance des Catholiques en France (appelant au meurtre au nom de leur Foi) relève plus du fantasme que d’une réalité bien documentée, très certainement parce que les catholiques ont su entrer en discussion avec les institutions politiques. Pour autant, l’ouvrage de P. Manent rappelle à bon droit la spécificité de l’islam en France, celle d’être une orthopraxie avec son cortège de lois définissant le licite et l’illicite, dénué de présence politique dans le cadre représentatif. Et on peut très bien comprendre, non sans arrières-pensées, qu’un islam compatible avec un corpus juridique en bien des endroits perçu comme fondamentalement étranger, nécessiterait une forme de ‘romanisation’. P. Manent ne va pas jusque là : il se borne à écrire que de même qu’il y a eu (et qu’il reste peut-être encore une possibilité de le revitaliser) un mouvement politique de démocratie chrétienne en France dès la fin de la Révolution, on pourrait s’attendre à ce que les musulmans français s’organisent de façon à être visible dans l’espace de la discussion civique.

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  15. Adrien Louis

    Chère Madame,
    Votre recension, qui entend briser le sortilège du livre par une argumentation laborieuse, me semble surtout prêter assez injustement beaucoup de confusions à Pierre Manent. Il est vrai que vous ne semblez pas lui concéder son point de départ : à savoir que notre pays, qui souffre d’une impuissance politique toujours plus grande et douloureuse ainsi que d’une inimitié civique croissante, devrait rapidement se donner les moyens d’articuler une nouvelle amitié civique qui pourrait elle-même fonder la possibilité d’une action commune. Il me semble qu’il faudrait au moins prendre ce problème au sérieux car si Pierre Manent est « obsédé », comme vous dites si étrangement (pourquoi ce qui est obsession chez lui ne serait qu’une préoccupation légitime chez vous ?) par la laïcité, c’est que précisément des personnes pensent cette laïcité capable, à elle seule, de résoudre ces problèmes. Au lieu de prendre au sérieux cette question, qui conditionne la prise au sérieux du livre, vous vous lancez dans la contestation de tout ce qui vous paraît choquer vos propres principes. Ce faisant, vous prêtez injustement au livre de Manent toutes les propositions contre lesquelles vous vous battez au nom d’une juste compréhension de la laïcité. Avant d’en venir à quelques exemples de ces attributions fautives, j’aimerais souligner que ce brûlot anti-républicain, comme vous dites, me semble quant à moi animé d’une préoccupation très républicaine : à savoir, justement, l’amitié civique. Les conditions que Manent donnent à cette amitié civique sont en effet fort troublantes, mais je ne vois pas de raison d’en faire un esprit pré-voltairien travaillant à saper la République, comme le font messieurs Grunberg et Cohen, que vous semblez approuver. J’en viens à quelques points qui me paraissent, encore une fois, relever d’une lecture injuste et partiale.
    1. Vous reprochez à Manent d’entretenir une confusion sur la notion de laïcité, en en faisant le principe d’une neutralisation religieuse de la société. Manent dit tout au contraire que c’est notre manière habituelle de comprendre la laïcité qui entretient cette confusion, quand par exemple V.Peillon veut enseigner la morale laïque. Pour sa part, Manent dit précisément que la laïcité n’a jamais demandé à la société d’être neutre.
    2. Vous reprochez à Manent de faire croire au lecteur que la société est un désert d’expression religieuse. Il dit précisément que notre société manifeste de plus en plus, avec l’islam, une vie religieuse se conformant à des mœurs qui nous paraissent étrangères. Ce qu’il reproche à la laïcité, ce n’est pas d’avoir neutralisé la société. Il reproche à une certaine compréhension de la laïcité de nous aveugler sur la dimension sociale, collective de la vie religieuse.
    3. Vous reprochez à Manent de supposer que la laïcité est incapable de faire pour l’islam ce qu’elle a fait pour le catholicisme. Mais Manent dit justement que la laïcité n’a jamais accompli pour le catholicisme ce que l’on voudrait qu’elle fasse aujourd’hui pour l’islam, à savoir, convertir le sens de leur croyance en en faisant un libre choix individuel, et non le ralliement à une autorité commune (l’Eglise pour les catholiques).
    4. Vous reprochez toujours à Manent de prêter aux musulmans une incapacité particulière à s’adapter à notre loi, d’où la nécessité de renégocier un contrat. Il me semble que Manent se contente de souligner que le régime laïc n’empêche pas les musulmans de se conformer à leurs mœurs ou à leur représentation de la femme – mais la loi républicaine impliquait bien la monogamie. Prêter à Manent la volonté de renoncer aux droits de la femme est vraiment une outrance.
    5. Vous accusez le sophisme selon lequel le financement public des moquées empêcherait le financement privé en provenance de pays étrangers. Votre partialité vous empêche donc de voir que Manent n’introduit cette proposition qu’à la condition expresse que la France commande l’indépendance complète du culte musulman en France (donc, rende illégal tout financement étranger).
    6. Enfin, vous soupçonnez Manent de vouloir renverser le principe républicain, dont la vocation serait de produire un lien politique qui ne doit rien à un lien préalable. Deux questions : est-ce que cela interdit les associations religieuses qui vivent dans la société de proposer, comme telles, une certaine direction à notre pays ? Est-ce que l’atomisme républicain, comme vous dites, vous semble aujourd’hui bien propre à faire autre chose qu’à nous donner des droits toujours nouveaux, ce qui est peut-être admirable, mais ce qui n’est sûrement pas propre à stimuler une action commune, ou même un lien politique.
    C’est à bon droit que le livre de Manent éveille de fortes perplexités, mais cela ne nous dispense pas d’être honnêtes avec son propos, ni sensibles à ses problèmes.
    Cordialement à vous,
    A. Louis.

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    1. Mezetulle

      Cher monsieur,

      Je publie tout de suite votre commentaire afin de ne pas vous faire languir, mais je mettrai un certain temps à répondre car mon emploi du temps est trop bousculé dans les jours qui viennent.
      Je me contente pour le moment de souligner que, sur chaque « reproche », j’ai pris soin de citer précisément le ou les passages du livre. Mais bien sûr, on peut trouver aussi des passages où l’auteur dit autre chose, de sorte qu’on peut toujours prétendre que « certes il dit A mais pas vraiment car il dit aussi non-A à un autre moment, et donc c’est plus compliqué, on lui fait un mauvais procès » ! ce n’est pas la moindre des vertus de ce livre très habile et remarquablement bien écrit ! Mais j’y reviendrai. Et bien sûr les questions de fond comme celle de la nature de l’association politique méritent toujours d’être abordées et méditées.
      Merci de votre patience.

      Répondre
      1. Adrien Louis

        Chère Madame,
        Je vous remercie beaucoup d’avoir publié mon commentaire avant de pouvoir y répondre en détail. Je patienterai donc, mais en attendant, je vous avoue aussi ma perplexité à voir soupçonné d’habileté machiavélique ce qui m’apparaît à moi comme relevant, disons, de l’esprit de finesse. J’ai moi aussi quelque difficulté à percevoir en quoi consiste précisément l’amitié civique à laquelle en appelle Manent, et la manière dont les religions pourraient selon lui contribuer à la vie politique. Manent lui-même semble concéder que les moyens inédits que nous devons trouver sont difficiles à imaginer. Faut-il voir dans cette concession une ruse perfide de plus, dissimulant un projet en fait fort précis ? Pour ma part, je ne vois pas de raison de douter de la sincérité de son interrogation. Mais surtout, je ne trouve pas que Pierre Manent dise une chose et son contraire, ce qui serait effectivement un argument sérieux, sinon le seul argument sérieux, pour lui prêter un art d’écrire straussien ou que sais-je (je passe sur la facilité d’un de vos commentateurs consistant à dire : Manent a eu de l’admiration pour Strauss – parler de lui comme d’un « disciple » de Strauss est aussi une outrancer -, donc il cache ses pensées anti-démocratiques ou anti-républicaines dans ses livres…). Quant aux citations, c’est évidemment mieux que rien, mais nous savons fort bien qu’on peut également en faire un usage « habile » et qu’elles ne sont pas gage absolu de fidélité au texte.

        Bien cordialement,
        A.Louis.

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        1. Catherine Kintzler Auteur de l’article

          Bonsoir,

          Sur l’ensemble de vos remarques, vous trouverez des éléments de réponse dans la discussion avec « Adeimantos » ci-dessus. Je reviens juste sur quelques points en m’efforçant de suivre l’ordre dans lequel vous avez présenté vos questions et objections dans votre premier commentaire (dont je reprends ci-dessous la numérotation).

          Il me semble avoir pris le livre très au sérieux, et je dis que je partage en grande partie le « constat » de P. Manent sur le diagnostic de faiblesse de l’Etat. C’est principalement sur l’étiologie que je suis en désaccord. La laïcité ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes dont il est fait état dans ce diagnostic, en revanche son abandon produit ou rend virulents en grande partie les problèmes qui sont discutés. Du reste la laïcité n’est pas à proprement parler un acte de gouvernement, mais un espace qui installe des conditions pour l’action politique.
          J’avance donc une autre possibilité (et je n’ai pas attendu le livre de P. Manent pour le faire) : une grande partie de ces faiblesses a pour origine l’abandon à la fois d’objets républicains fondamentaux (tels que la laïcité et le principe de l’instruction publique) et d’une politique républicaine. Je l’ai écrit dans mon livre Penser la laïcité, après l’avoir dit et redit dans plusieurs articles en ligne depuis 2007.
          Je parle d’obsession dans la mesure où, justement, la laïcité n’est pas l’objet du livre, mais où elle y apparaît dans des occurrences très nombreuses et particulièrement offensives – disons que P. Manent ne perd pas une occasion d’en parler. C’est l’inverse en ce qui me concerne : j’ai consacré deux livres explicitement au concept de laïcité – c’est leur objet, et non mon obsession.

          1-2. J’ai parlé de l’entretien d’une confusion entre le régime de laïcité et une représentation doxique « ultra-laïciste ». Je n’ai pas prétendu que l’auteur lui-même la commet. Il l’entretient chez son lecteur en passant fréquemment et insensiblement de l’une à l’autre de sorte que le lecteur comprend que la laïcité aujourd’hui se ramène à une représentation doxique durcie. Voir entre autres : p. 31-32,.42, 75, 4e de couv. En témoigne aussi l’usage souvent ambivalent des termes « public », « publiquement », « espace public » – désignant tantôt ce qui participe de l’autorité publique, tantôt ce qui est observable dans la société civile sous le regard d’autrui. Ce va-et-vient producteur de confusion s’observe aussi, moins fréquemment, entre sécularisation et laïcité (par ex. p 20). Vous appelez « esprit de finesse » ces oscillations, j’y vois des obstacles à la clarté-distinction des concepts pour le lecteur. Par ailleurs, je n’ai jamais fait allusion à un modèle straussien d’écriture.
          Il n’y a à mon avis aucune dissimulation de la part de l’auteur s’agissant du projet du livre. C’est très clair, comme je le dis à la fin de mon article.
          Vous jetez le doute sur l’usage des citations : c’est m’attribuer une manipulation et un « montage » de celles-ci. D’une telle accusation on ne peut se défendre qu’en conviant les lecteurs à aller voir par eux-mêmes.

          3. Il me semble que vous n’avez pas lu de près le § de l’article sous-titré « Une laïcité en miroir avec le catholicisme ». Je pense que P. Manent considère le régime laïque comme obsolète de manière générale du fait qu’il aurait été pensé en miroir avec le catholicisme et qu’il est obsolète de manière particulière face aux « musulmans » parce qu’il n’aurait pas été pensé en relation à un problème d’intégration. C’est cela que je discute : je ne souscris pas à la thèse d’une forme de familiarité ou de gémellité entre laïcité et catholicisme, d’où l’on pourrait conclure à l’obsolescence, à l’inadaptation, de la laïcité, c’est ce que j’essaie de montrer dans ce §.

          4. L’ordre des propositions est à inverser : je reproche d’abord à P. Manent de raisonner en termes de contrat tacite (et plus généralement en termes contractuels, voir la fin de l’article). Ensuite apparaît l’idée que ce supposé « contrat tacite » devrait être élucidé par la puissance publique en direction de la partie prenante désignée sous le terme « les musulmans ». Cette idée suppose qu’on attribue à cette partie prenante des propriétés particulières : et notamment, qu’on ne pourrait s’entendre avec elle qu’en lui proposant un contrat particulier, comme si ceux qui sont désignés par le terme « les musulmans » étaient exceptés de l’intelligence ordinaire de la loi supposée chez les autres citoyens. Ce qui est une thèse discriminante.
          Effectivement le régime laïque n’empêche personne de suivre les mœurs qui lui conviennent pourvu que le droit soit respecté.
          Concernant les droits des femmes j’ai parlé d’abandon en soulignant, à la suite de Martine Storti, que l’auteur renvoie la question au domaine des mœurs alors qu’elle entre dans le champ politique. Dans la réponse ci-dessus à « Benjamin » du 22 décembre que je vous invite à lire, je reprends de manière plus précise le raisonnement de Martine Storti.
          En écrivant p. 74 qu’il « est sans doute déraisonnable de condamner une civilisation » sur cette question, il est clair que l’auteur ne parle pas des civilisations anciennes, mais bien de ce qui se passe aujourd’hui. Permettez-moi de dire que cela m’inquiète. En écrivant cela, l’auteur considère que la question des relations entre les sexes doit être examinée de manière relative à une tradition, à une culture, à des mœurs etc. : dans cette mesure dire qu’il y a soumission des femmes ce serait imposer abusivement un jugement occidental… C’est ce que relève Martine Storti à juste titre : vouloir soutenir les femmes qui entendent se libérer relèverait d’un raisonnement de type néo-colonialiste, et il serait plus « raisonnable » de s’abstenir de les soutenir…

          5. L’indépendance des cultes existe ; les musulmans s’organisent comme ils veulent et l’Etat n’a pas à y mettre son nez sauf pour faire respecter la loi, y compris en matière financière. Une association a le droit de recevoir des legs et des dons. Le financement public des cultes est interdit par la loi, et la liberté des cultes n’est pas un droit-créance, c’est un droit-liberté.

          6. Je vais peut-être vous choquer, mais ne pense pas que le régime républicain moderne vise une forme d’amitié. Dans un des chapitres de Penser la laïcité je me suis assez longuement expliquée au sujet de la notion de fraternité et en recourant par ailleurs au concept de classe paradoxale : cela me semble distinguer, entre autres, le concept républicain moderne de son concept ancien. Or une classe paradoxale (principe d’atomisme) n’exclut pas la notion de lien ni celle de solidarité entre les atomes qui s’associent pour rendre possible leur liberté et leur singularité : on peut être prêt à se battre et à risquer sa vie pour cela. C’est un point de discussion philosophique important et passionnant. Je dois dire que la lecture de Condorcet m’a beaucoup fait réfléchir sur ces points.
          En tout état de cause, je pense que je n’exagère pas en disant que le principe républicain moderne est remis en cause lorsque je lis p.58 :
          « Il y a bien une vie commune, ou une amitié civique à élaborer avec nos concitoyens musulmans, comme avec tous les autres, mais il nous faudra construire communauté et amitié sur d’autres bases que celles de la République laïque, ou au moins de l’interprétation dominante et pour ainsi dire scolaire de celle-ci. » (la fin de la phrase illustre, par ailleurs, ce dont il a été question au point 1-2).
          Il n’a jamais été question d’interdire aux associations religieuses d’exprimer des orientations politiques ni d’essayer de peser sur l’opinion, et elles ne s’en privent pas ! La laïcité s’oppose au cléricalisme, à la confusion entre autorité religieuse et autorité publique, elle ne s’oppose pas à l’expression des opinions.
          Le régime laïque n’est pas un principe de stimulation, mais d’organisation de la coexistence des libertés, il installe un « espace zéro » qui est aussi une condition du déploiement de l’action politique. J’ai rabâché cela tant de fois que je suis lasse de le répéter.

          Bien cordialement,

          [N.B. Aux lecteurs. « Mezetulle » et « Catherine Kintzler, auteur de l’article » sont une seule et même personne, l’affichage dépend de la manière dont je m’identifie pour entrer dans l’administration du site. Mais c’est pareil !]

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          1. Adrien Louis

            Merci pour votre réponse. Je comprends un peu mieux certaines de vos critiques. Pour la question de fond, je serais prêt à admettre que la République moderne ne vise pas l’amitié civique, mais demeure perplexe quant à la question de savoir si elle a raison en cela. Ou pour le dire autrement : je me demande si l’amitié civique n’est pas une condition élémentaire de la vie politique, effectivement négligée par les « modernes ». Mais je ne négligerai pas la lecture de votre livre et de Condorcet pour avancer dans la réflexion.

            Bien cordialement,
            A.Louis

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  20. Pancrace Brioché

    Comme devant une toile, le regard, avec le temps, s’enrichit ou se distancie. Cinq ans, c’est peut-être l’espace nécessaire pour relire cette sérieuse confrontation entre C Kintzler et P Manent, leurs thuriféraires. Les philosophes se sont esquintés à trouver comment associer les individus atomisés : Leibniz s’épuisait à rassembler des monades, qui « n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir » ; JJ Rousseau prônait une « religion civile », assez impitoyable ; J Rawls voulait organiser le pluralisme au moyen d’un « consensus par recoupement. », etc. En filigrane des textes évoqués plus haut, figurent un substantif, république, et ses dérivés adjectivés , républicain•aine. – Comme un troupeau dont le berger est devenu aveugle, la société ne peut plus être pensée sous l’égide de la république : hic et nunc, elle n’existe plus (p. ex. lire P Vermeren « On a cassé la République »). On conviendra bien sûr que l’acte de décès est politique, qu’il puisse être jugé légitime de continuer à philosopher en se référant au mythe. P.S Qu’un hommage technique soit ici rendu à ce site : rares sont ceux qui rivalisent en facilité d’usage.

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