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Le « racisme systémique » selon Éric Fassin (par B. Straehli)

En analysant minutieusement un article où Éric Fassin tente d’exposer et de justifier la notion de « racisme systémique », Benjamin Straehli1 en montre les incohérences et révèle l’inconsistance logique de son emploi. La force de la démonstration qu’on va lire vient de ce qu’elle prend au sérieux, en les appliquant rigoureusement, les critères et les propriétés qu’un défenseur de ce prétendu concept définit lui-même. On a là un cas d’école qui illustre « la façon dont un universitaire peut, quand il vulgarise et milite, nuire à la qualité des débats, au lieu d’éclairer ses lecteurs ».

Introduction

Dans un article publié en 20222, Matt Lutz met en question de façon pertinente la notion de « racisme systémique ». D’un côté, reconnaît-il, le phénomène que cette expression est censée désigner existe bel et bien : dans les sociétés occidentales, les personnes non blanches sont surreprésentées parmi les chômeurs, les prisonniers, les pauvres… Il y a donc bien un ensemble d’inégalités sociales corrélées à l’origine ethnique ou à la couleur de peau. D’un autre côté, dénonce-t-il, le vocable est trompeur, car il donne l’impression illusoire que l’on a expliqué le phénomène, quand on lui a simplement donné un nom. Son emploi incite en effet à dire que les personnes non blanches sont discriminées parce qu’il y a un racisme systémique ; mais si on demande ce que veut dire l’expression « racisme systémique », on s’entendra répondre : cela signifie que les personnes non blanches subissent des discriminations. Matt Lutz rapproche ce discours de la merveilleuse explication qu’offre, dans Le Malade imaginaire de Molière, la médecine au sujet du pouvoir soporifique de l’opium : il fait dormir parce qu’il y a en lui une substance dormitive dont la vertu est d’assoupir les sens. Dans les deux cas, relève-t-il, il ne s’agit que de donner un faux vernis scientifique à une plate tautologie. Un tel procédé détourne les esprits d’une véritable recherche des mécanismes qui produisent ou entretiennent le phénomène ainsi nommé, tout autant que d’une recherche rationnelle des meilleurs moyens de le combattre.

L’effet souligné par Matt Lutz a de quoi susciter la perplexité. Pourquoi l’expression « racisme systémique » est-elle spontanément perçue comme véhiculant une certaine explication d’un phénomène social, et non comme un simple nom donné à ce phénomène par pure convention ? La réponse est sans doute que le mot même de racisme est également, et même d’abord, porteur d’autres significations : il désigne aussi les théories affirmant l’existence et l’inégalité de races humaines, ainsi que des comportements punissables selon la loi. Il n’y a personne qui, face au mot « racisme », pense uniquement à un ensemble d’inégalités sociales, indépendantes des intentions des membres de la société ; le mot évoque inévitablement une intention malveillante de défendre une prétendue supériorité blanche, et c’est bien pourquoi, en disant que « la société est raciste de façon systémique », on produit l’illusion d’avoir expliqué les difficultés rencontrées par les personnes non blanches, même si on n’a fait que leur donner un nom.

Néanmoins, pourrait-on se demander, ne s’agirait-il pas là, tout simplement, d’un échec du grand public à saisir le sens exact d’une notion, ou même d’une confusion entretenue à dessein par les adversaires de cette dernière, pour la discréditer ? L’objet du présent article est de montrer que la confusion conceptuelle peut bien venir, au contraire, de défenseurs de la notion, et non des plus ignares. J’entends le faire en prenant pour exemple un article d’Éric Fassin, « Les coupables, ce sont les victimes », publié d’abord sur le site de l’Obs- 3 le 9 avril 2021, puis republié sur son blog le 9 juin 2021 sous le titre « Qu’est-ce que le racisme ? La définition en procès »4 . Ce texte relève de ce que l’on pourrait appeler de la vulgarisation militante ; l’auteur, enseignant-chercheur en sociologie, s’appuie sur ses compétences en ce domaine pour s’adresser au grand public et le persuader qu’il est pertinent de parler de racisme systémique, ainsi que de prendre parti pour différents mouvements ou individus qui disent le combattre : le comité Adama Traoré, Sud-Éducation 93, Taha Bouhafs, etc. Ce que j’appelle ici vulgarisation militante est une démarche parfaitement légitime : si un chercheur estime que certains faits ou notions, dont ses travaux l’amènent à prendre connaissance, justifient certaines prises de position politiques, il est normal qu’il le fasse savoir à un large public, pourvu que sa présentation de l’état des connaissances soit juste. Mon propos n’est donc nullement d’accuser Éric Fassin de confondre recherche et militantisme ; c’est à dessein que je prends pour objet d’étude un texte qui ne prétend pas appartenir à la littérature académique : il s’agit pour moi de mettre en évidence les failles d’un discours adressé au grand public, par quelqu’un dont les titres feraient espérer la meilleure qualité possible dans cet exercice.

Controverse théorique ou querelle de mots ?

Dès le début de son texte, Éric Fassin présente l’introduction de l’expression « racisme systémique », non comme une simple convention terminologique, mais comme un progrès dans la connaissance. Il va jusqu’à parler de « changement de paradigme », indiquant ainsi qu’il y aurait eu un bouleversement dans la compréhension théorique que l’on peut avoir du racisme : jusque dans les années 1980, on aurait cru que le racisme était une idéologie partagée par certains individus, puis on se serait rendu compte qu’il était en réalité un ensemble de mécanismes sociaux produisant des discriminations dont sont victimes les personnes « racisées », et ce même si elles ne sont pas confrontées à des partisans de l’idéologie raciste.

Une telle présentation des choses a de quoi étonner. C’est un fait qu’il y a des discours affirmant l’existence et l’inégalité de races humaines. C’est aussi un fait que dans la société, les personnes d’une certaine origine ethnique ou d’une certaine couleur de peau peuvent rencontrer plus de difficultés que les autres, même si elles n’ont affaire qu’à des interlocuteurs rejetant l’idéologie raciste. Il y a donc là deux phénomènes, entretenant sans doute entre eux des rapports complexes, mais pouvant probablement exister indépendamment l’un de l’autre. Le bon sens suggérerait de donner un nom distinct à chacun des deux. Pour qu’il y ait là, au contraire, deux théories sur la nature de quelque chose qui s’appellerait « racisme », encore faudrait-il qu’il y ait d’abord un consensus pour appeler de ce nom un seul et même phénomène ; on pourrait alors, dans un second temps, s’interroger sur la nature de ce dernier. Mais la raison d’être de l’article d’Éric Fassin est justement l’absence d’un tel consensus : son but est de contester que Linda Kebbab soit victime de racisme quand Taha Bouhafs la traite d’« Arabe de service »5 ; il n’y a donc pas deux théories concurrentes de la même chose, mais une controverse quant au choix de ce qu’on appellera d’un certain nom. Un esprit soupçonneux pourrait se demander si, en tentant de faire passer cela pour une révolution scientifique, Éric Fassin ne cherche pas tout bonnement à masquer le véritable but de la manœuvre : pouvoir décider arbitrairement à qui on va infliger ou épargner le qualificatif infamant de « raciste ».

L’usage incohérent d’une notion

Cette première critique est cependant insuffisante. Il faut en effet nous pencher sur la justification qu’Éric Fassin donne de ce choix terminologique. Il s’agit, selon lui, de changer la question que l’on se pose : « Non plus : qui est raciste ? Mais : qui subit le racisme ? C’est donc renverser le point de vue, en délaissant l’idéologie pour s’attacher à l’expérience des discriminations qui constitue ces personnes que l’on nomme désormais racisées. » On aurait donc là une définition minimale du phénomène qu’il conviendrait d’appeler « racisme » : l’expérience des discriminations. Le progrès théorique aurait alors consisté à comprendre que les discriminations n’étaient pas systématiquement dues à l’idéologie des gens, mais à des mécanismes structurels indépendants de cette idéologie. Il y aurait donc bien remplacement d’une théorie par une autre, quant à la cause d’un certain phénomène.

Un tel point de vue peut être cohérent dans l’absolu ; néanmoins, dans le contexte de l’engagement militant d’Éric Fassin, il crée une grave difficulté. En effet, s’il faut appeler racisme les mécanismes qui conduisent à la discrimination de certaines populations, il faut s’attendre à ce que, parmi ces causes, puissent également figurer certaines conduites des populations en question. S’il faut, comme Éric Fassin y invite, qualifier une institution de « raciste » dès lors que les personnes « racisées » y sont sous-représentées, il est tout à fait possible, par exemple, que cette sous-représentation soit en partie due à une pression des communautés détournant les individus de s’engager dans cette institution. On en viendrait alors à considérer des victimes de racisme comme coupables de racisme envers elles-mêmes. La notion de racisme systémique, telle qu’Éric Fassin l’explique, mène logiquement à une telle conclusion.

Or c’est précisément contre cette idée que son texte est écrit. Comme le montre le premier titre de l’article, l’objectif affiché est de lutter contre un discours qui ferait, de ceux que l’auteur considère comme les victimes du racisme, ses nouveaux responsables. On comprend alors aisément le parti qu’il croit pouvoir tirer de l’idée de racisme systémique : suivant cette notion, les militants noirs ou arabes qui ont la sympathie d’Éric Fassin ne sauraient être coupables de « racisme anti-Blancs », puisque les Blancs, n’étant pas victimes de discriminations systémiques, ne peuvent pas être victimes de racisme.

Mais la notion de racisme systémique n’est ni suffisante, ni toujours d’une grande aide, pour qui veut ainsi laver les militants ou les « racisés » de l’accusation de racisme, et les contorsions auxquelles l’auteur se livre pour y parvenir sont frappantes. Relevons en premier lieu ce qu’il dit de l’antisémitisme. Selon lui, le travestissement des victimes de racisme en coupables se serait fait en plusieurs étapes :

« La première, c’est l’invention du « nouvel antisémitisme », que Pierre-André Taguieff qualifie plus précisément de « nouvelle judéophobie » : à la différence de l’ancien, dont il prendrait le relais, il serait ancré à gauche ; en outre, c’est dans les « banlieues », autrement dit les classes populaires issues de l’immigration, qu’on le rencontrerait surtout. Sur ces deux points, c’est bien l’ancêtre de l’islamo-gauchisme, notion que l’on doit aussi à Pierre-André Taguieff. Or les enquêtes empiriques de la CNCDH « nuancent » pour le moins cette hypothèse : selon le rapport annuel de 2016, aujourd’hui comme hier, « le rejet des juifs va de pair avec celui des musulmans, des étrangers, des immigrés. » Le vieil antisémitisme n’a pas été remplacé par le nouveau. »

À lire ces lignes, qui ne croirait que le rapport de 2016 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a montré l’absurdité de la notion de « nouvel antisémitisme » ? En citant entre guillemets le verbe « nuancent », effectivement employé dans le texte de la Commission à ce sujet6, et en ajoutant « pour le moins », Éric Fassin suggère que ce verbe serait un euphémisme. En réalité, pour qui prend la peine de lire ce rapport, les choses apparaissent sous un jour bien différent. La Commission conteste bien que le nouvel antisémitisme chasse l’ancien, en relevant que « les opinions restent structurées par les stéréotypes liés au pouvoir, à l’argent, à la suspicion de double allégeance, bref au vieil antisémitisme »7. Mais c’est après avoir souligné, dans la même phrase, qu’il en va tout autrement des « actes antisémites, très liés, depuis le déclenchement de la Seconde Intifada, aux péripéties du conflit israélo-palestinien ». Ce rapport reconnaît donc bien la réalité du « nouvel antisémitisme » ; on pourrait, en conséquence, faire ironiquement remarquer à Éric Fassin que cette notion semble être au moins aussi légitime que celle de « racisme systémique ».

Mais ce dernier concept conduit, pour sa part, à une étrange contradiction quand il s’agit de laver Taha Bouhafs de l’accusation de racisme. Rappelons que le texte a été republié sur le blog de l’auteur, peu de temps avant le procès qui a abouti à la condamnation du militant pour avoir traité Linda Kebbab d’ « Arabe de service ». Cette insulte faisait suite à une déclaration de cette porte-parole du syndicat policier Unité SGP FO, contestant que les circonstances de la mort d’Adama Traoré soient comparables à celles de la mort de George Floyd. Taha Bouhafs insinuait ainsi que Linda Kebbab n’aurait été qu’une marionnette aux mains d’un pouvoir blanc, mise sur le devant de la scène pour dissimuler le racisme de la police. On comprend bien que le fait d’avoir à subir ce genre d’insulte constitue, pour une femme arabe, un obstacle à surmonter pour s’engager dans la police et y prendre des responsabilités professionnelles ou syndicales. Si l’on prend au sérieux la justification donnée par Éric Fassin lui-même de la notion de racisme systémique, à savoir qu’il faut prendre en compte l’expérience réelle des personnes « racisées », la conclusion logique serait que la syndicaliste est bel et bien, en l’occurrence, victime de racisme. Les insultes dont les policiers arabes peuvent être la cible, de la part d’autres Arabes, en tant que prétendus traîtres à leur ethnie, font manifestement partie des mécanismes sociaux qui peuvent, en dissuadant de s’y engager, contribuer à la sous-représentation des Arabes dans la police, et donc à son « racisme systémique ».

Il était donc impossible de s’appuyer vraiment sur cette notion pour innocenter Taha Bouhafs, et c’est pourquoi, sans le dire, Éric Fassin change subrepticement sa définition du racisme quand il commente cette affaire. Son argument consiste en effet à dire que l’insulte ne vise pas « tous les Arabes », mais un trait accidentel de certains d’entre eux (être au service d’une institution jugée raciste) ; l’insulte serait donc politique et non raciste. On voit que suivant ce raisonnement, pour être raciste un propos ou un acte doit viser tous les membres d’un groupe ethnique, en raison de leur appartenance même à ce groupe, et non en raison d’un comportement particulier de certains d’entre eux. Un tel critère n’a évidemment rien à voir avec la définition du racisme donnée au début de l’article, à savoir les mécanismes sociaux conduisant à la discrimination de certains groupes ethniques. On pourrait, bien sûr, se dire que, puisqu’il s’agit d’une affaire devant être jugée au tribunal, ce qui compte est le sens que le législateur donne à la notion d’injure à caractère raciste, et non la définition du sociologue. Mais le texte d’Éric Fassin n’invite nullement à faire cette distinction, et présente les choses comme si son explication même du « racisme systémique » ruinait l’accusation de racisme portée contre Taha Bouhafs.

L’incohérence devient plus forte encore si, armé de ce nouveau critère de racisme, on se penche sur d’autres exemples donnés précédemment dans le texte. Comme on peut s’y attendre, l’article ne manque pas de présenter les « lois à répétition visant le voile » comme l’expression d’un racisme d’État. D’après la définition donnée du racisme systémique, cela pourrait encore se comprendre : on pourrait dire, par exemple, que la loi interdisant à une lycéenne de l’enseignement public d’entrer voilée dans son établissement, en s’opposant à une prescription religieuse, crée une difficulté que rencontreront surtout des élèves arabes ou noires, malgré le nombre non négligeable de converties blanches. Bien sûr, on pourrait toutefois s’amuser à renverser le raisonnement, et soutenir que dans une institution qui prétend éduquer les élèves à l’égalité entre hommes et femmes, ce serait faire preuve de racisme systémique que de s’accommoder de la présence du voile : en effet, cela contribuerait à présenter l’égalité comme un privilège de Blanche, tandis qu’il serait normal que des Arabes et des Noires se soumettent à une règle issue de traditions misogynes de l’Antiquité, et justifiée aujourd’hui encore par des discours ouvertement sexistes (que l’on songe aux inénarrables prédicateurs appelant à considérer la femme comme une perle précieuse à protéger, et non comme une marchandise sur un étalage). Mais tâchons maintenant d’appliquer le critère au nom duquel Éric Fassin innocente les insulteurs tels que Taha Bouhafs : une loi comme celle de 2004 ne vise pas toutes les musulmanes, encore moins toutes les Arabes ou toutes les Noires, et elle ne s’en prend qu’à un trait accidentel, pour parler comme l’auteur, de certaines d’entre elles, la décision de se soumettre à une certaine prescription religieuse, décision qui est loin d’être partagée par toutes. Selon ce critère, il faudrait alors conclure que cette loi n’a rien de raciste.

Conclusion

Confusion savamment entretenue entre convention terminologique et controverse sur la nature d’un phénomène, incohérences répétées dans l’usage de la notion de racisme et dans la manière de la définir, zeste de mauvaise foi sur la question de l’antisémitisme : l’article d’Éric Fassin, dont l’auteur a visiblement été suffisamment fier pour le publier deux fois, est particulièrement mauvais. Il constitue un véritable cas d’école, s’il s’agit d’illustrer la façon dont un universitaire peut, quand il vulgarise et milite, nuire à la qualité des débats, au lieu d’éclairer ses lecteurs.

Il n’y a, certes, aucune conclusion à en tirer quant à la qualité de ses travaux académiques, dont ce texte ne fait pas partie. Et il serait hasardeux d’en tirer des conclusions générales sur la notion de racisme systémique, qui ne peut être tenue pour responsable de tout ce que l’on écrit sur elle. La question qui a servi de point de départ à mon examen était de savoir si la confusion que semble véhiculer cette notion, et qui est relevée par Matt Lutz, provient uniquement d’une incompréhension de la part du grand public. Une lecture critique de l’article d’Éric Fassin suggère une autre hypothèse : le mal pourrait venir de la façon même dont les promoteurs les plus experts de la notion en font la publicité. Cette hypothèse ne pourrait être confirmée que par l’examen d’un grand nombre d’autres textes ; je ne peux conclure ici qu’à l’inconsistance de celui que j’ai critiqué.

Notes

1 – Benjamin Straehli est professeur de philosophie au lycée Jean Zay de Jarny (Meurthe-et-Moselle).

2 – Matt Lutz, « The Problem With Systemic Racism” », Persuasion, mis en ligne le 24 janvier 2022, URL : https://www.persuasion.community/p/the-problem-with-systemic-racism (consulté le 29 octobre 2023)

5 – Taha Bouhafs avait qualifié ainsi Linda Kebbab en 2020, sur Twitter, après une déclaration de cette dernière visant à défendre la police. Il a été condamné pour cela en 2021, quelque temps après la publication de l’article d’Eric Fassin.

6 – Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2016, Rapport présenté à Monsieur le Premier Ministre, La documentation Française, 2017, p. 116. Rapport téléchargeable sur le site https://www.cncdh.fr/publications/rapport-2016-sur-la-lutte-contre-le-racisme-lantisemitisme-et-la-xenophobie, consulté le 29 octobre 2023.

7 – Ibid.

Les professeurs de mathématiques sont-ils fatalistes ? (par Mathieu Gibier)

À la suite de l’annonce par le ministre de l’Éducation nationale du rétablissement de l’enseignement des mathématiques pour tous les élèves de première, Mathieu Gibier1 s’interroge sur le commentaire de la présidente de l’Association des professeurs de mathématiques au sujet d’un « module de réconciliation » avec les mathématiques pour les élèves de seconde en difficulté dans cette discipline2. Il serait, selon elle, « discriminant » de proposer à des élèves quelque chose qu’ils n’aiment pas… Au fond, c’est l’instruction elle-même qui, à ce compte, serait « discriminante » et il faudrait renoncer à instruire au nom de l’égalité.

Le ministre Pap Ndiaye a annoncé le 13 novembre le rétablissement d’une heure et demie de cours de mathématiques pour tous les élèves de première dès la rentrée prochaine : l’enseignement, optionnel cette année, redevient donc obligatoire. Saluons ce retour en arrière par rapport à la réforme Blanquer ! Pourquoi en effet est-il essentiel que tous les élèves reçoivent un enseignement mathématique au lycée ? Non pour qu’ils deviennent ingénieurs, mais pour que tous fassent l’expérience du vrai savoir, celui qu’on ne peut pas confondre avec la croyance. Il y a certes des disparités considérables entre les élèves face à cette discipline : certains comprennent sans aucun effort ce qui arrête les autres. Mais considérer que les plus en difficulté sont par nature inaptes à comprendre les mathématiques et donc les en dispenser, c’est au fond les mépriser et les juger incapables d’accéder à une pensée vraiment libre sur quelque sujet que ce soit. Il est donc bon que le ministère prévoie d’accompagner les élèves qui ont le plus de mal en leur proposant des cours de « consolidation » au collège et de « réconciliation » en seconde. En seconde, il s’agirait d’un « module » hebdomadaire d’une heure ou une heure et demie, dont il ne semble pas encore décidé s’il sera obligatoire ou optionnel pour les élèves concernés.

On aurait pu s’attendre à ce que les professeurs de mathématiques soient satisfaits de ces annonces, même si elles ne règlent certes pas tous les problèmes de l’enseignement de cette discipline en France. Or, interrogée par France Inter (journal de 8h du 14/11), la présidente de l’association des professeurs de mathématiques (APMEP), Claire Piolti-Lamorthe, se montre pour le moins réservée. Elle critique en particulier le module de « réconciliation » qui pourrait être obligatoire pour les élèves de seconde en difficulté. Je la cite : « On peut penser que si ce sont des élèves qui ont eu des difficultés en maths et pas un goût prononcé pour les maths ils n’auront pas forcément envie d’aller dans ces modules. Les élèves peuvent le vivre un petit peu comme quelque chose de discriminant : finalement ils ont une heure en plus alors que déjà ils n’aimaient pas. » Il serait donc « discriminant » de ne pas renoncer à instruire les élèves qui ne comprennent pas ? Se rend-on compte de ce que signifie un tel propos ?

Tous les élèves n’ont pas besoin de faire les mêmes efforts pour apprendre les mêmes choses, c’est un fait. C’est un fait aussi qu’un élève que les mathématiques rebutent n’aura pas envie d’en faire plus que les autres. Mais alors faudrait-il, au nom de l’égalité, renoncer à instruire ceux qui ont plus de mal afin de ne pas exiger d’eux plus d’efforts que des autres ? N’est-ce pas ce renoncement, au contraire, qui est « discriminant » et profondément contraire à l’égalité des esprits ? Je sais bien que certains élèves ont de telles lacunes en mathématiques quand ils arrivent au lycée qu’il est dérisoire de prétendre leur faire rattraper leur retard avec une heure de plus par semaine. Mais si justement, dans le cadre d’un tel module, il est possible de prendre son temps, de sortir du programme, d’aller chercher l’élève là où il en est resté, en n’ayant pas peur de revenir au plus élémentaire, alors je suis convaincu qu’un tel enseignement pourrait effectivement réconcilier certains élèves avec la discipline, et avec eux-mêmes. Aux professeurs de mathématiques de saisir cette occasion plutôt que d’avoir peur de « discriminer » les élèves alors qu’ils leur viennent en aide !

Qu’on me permette de rappeler un passage d’Alain (Propos du 15 juin 1925) :

« Celui qui n’a aucune idée de la nécessité géométrique manquera l’idée même de nécessité extérieure. Toute la physique et toute l’histoire ne la lui donneront point. Donc peu de science, mais une bonne science, et toujours la preuve la plus rigoureuse. Le beau de la géométrie est qu’il y a des étages de preuves, et quelque chose de net et de sain dans toutes. Que la sphère et le prisme, donc, nous donnent des leçons de choses. À qui ? À tous. Il est bien plaisant de décider qu’un enfant ignorera la géométrie parce qu’il a peine à la comprendre ; c’est un signe au contraire qu’il faut patiemment l’y faire entrer. Thalès ne savait point toute notre géométrie ; mais ce qu’il savait, il le savait bien. Ainsi la moindre vue de la nécessité sera une lumière pour toute une vie. Ne comptez donc pas les heures, ne mesurez pas les aptitudes, mais dites seulement :  ‘Il faut’. »3

Il est vrai que l’enseignement de la géométrie a quasiment disparu du lycée : il y aurait beaucoup à dire et à critiquer sur les programmes de mathématiques… Mais, pour une fois qu’une mesure va dans le bon sens, ne cédons pas au fatalisme.

Notes

1 – Professeur de philosophie au Lycée Faidherbe de Lille, Mathieu Gibier travaille sur la philosophie des mathématiques d’Auguste Comte.

3 – En ce qui concerne le rôle indispensable des mathématiques dans la culture de l’esprit, on pourra lire ou relire, entre autres articles sur ce site, la mise au point de Jean-Michel Muglioni, notamment dans https://www.mezetulle.fr/comment-juger-une-reforme-de-lecole/ (en particulier « Apprendre, comprendre, et non s’informer » et, plus bas, « l’exemple de Descartes »).

Faut-il ajouter « Laïcité » à la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » ?

Faut-il ajouter « Laïcité » à la devise républicaine ? Je n’y suis pas favorable. Un tel ajout rendrait la devise hétérogène en lui faisant viser deux objets disjoints. Et il affaiblirait l’intelligibilité du triptyque dont l’ordre et la clôture n’énoncent pas un classement, mais un fonctionnement.

L’homogénéité de la devise

Il est bien tentant d’accrocher la laïcité à la devise républicaine. Ne s’agit-il pas d’un principe fondamental que la Constitution de 1958, à l’alinéa 1 de son article premier, consacre en l’incorporant à la définition de la République française ? « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Mais, à lire cette définition, et en remarquant que « laïque » figure en deuxième position dans la série des attributs essentiels, il faudrait alors ajouter aussi « Indivisibilité » ! On me répondra que la laïcité est un principe particulièrement malmené et attaqué depuis des décennies, et qu’il ne serait pas mauvais de lui donner une dimension sacralisée en énonçant le substantif qui sous-tend l’adjectif « laïque ». Mais n’en est-il pas de même de l’indivisibilité, rognée à bas bruit depuis fort longtemps ?

Poursuivons la lecture de l’article premier. La phrase qui suit est intéressante car y apparaît expressément un des termes de la devise : « Elle [i.e. la France, la République française] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens […] ». Autrement dit, l’égalité est un attribut politique essentiel des citoyens que la République doit assurer – essentiel dis-je car sans égalité, la citoyenneté ne pourrait pas s’exercer. Cette remarque éclaire le sens de la devise : l’égalité est une propriété des citoyens. On peut en conclure que le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » parle bien des citoyens, et qu’il n’a pas pour objet de caractériser la République (ce que fait, en revanche, l’article 1er de la Constitution). Dans la République française, les citoyens sont libres, ils sont égaux, ils sont frères. Mais la laïcité n’est pas plus que l’indivisibilité une propriété des citoyens : c’est la République, c’est l’association politique qui est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

La suite du texte de l’alinéa 1 de l’art. 1er serait inintelligible et même choquante si on n’adoptait pas cette explication quant à son objet : « Elle [i.e. la République française] respecte toutes les croyances. » Est-ce que les citoyens doivent respecter toutes les croyances ? Certainement pas ! ce serait réintroduire un délit de blasphème et ce serait contraire à la Déclaration des droits. C’est l’association politique, la République, qui, en s’abstenant de toute condamnation et de toute approbation à l’égard des croyances, s’astreint à ce respect1.

L’article 1er (alinéa 1) de la Constitution énumère des propriétés et des obligations relatives à l’association politique et non aux citoyens de cette association. La laïcité n’est pas, pas plus que la démocratie, une propriété essentielle des citoyens : les citoyens doivent  respecter les lois, lesquelles sont laïques et démocratiques, mais ils n’ont pas à faire profession d’engagement laïque, démocratique ni même social. Nous connaissons tous des personnes qui sont antilaïques et nous n’avons jamais pensé, sur ce motif, qu’elles ne sont pas des citoyens à part entière. Se déclarer antilaïque ou même se déclarer antidémocrate n’est pas un délit – ce qui est un délit, c’est d’enfreindre une loi laïque ou démocratique. L’engagement laïque est celui d’un citoyen désireux de défendre les principes républicains, et il est heureux, souhaitable même, que des citoyens s’engagent dans cette voie, mais cela ne les rend pas plus citoyens que ceux qui ne s’y engagent pas. En revanche une association politique qui n’est pas laïque n’est pas républicaine au sens où la République française l’est.

Les deux textes ont bien un objet différent. De quoi parle l’article premier de la Constitution ? De l’association politique appelée « la République française » et de sa législation. De quoi parle la devise républicaine ? Des citoyens. Ajouter « laïcité » à la devise la rendrait donc hétérogène en changeant brusquement son objet.

Le fonctionnement de la devise

Un tel ajout n’aurait pas seulement pour effet de disloquer la devise en y introduisant un hiatus quant à son objet, elle en affecterait le fonctionnement même, qui repose sur l’ordre de trois, et seulement trois, concepts.

Liberté. Ce terme est placé en première position : il désigne la fin que le citoyen poursuit en consentant à entrer dans l’association politique. C’est Rousseau qui a exprimé le plus fortement cette finalité et son caractère paradoxal dès le début de son ouvrage Du Contrat social 2: « […] la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire et sans négliger les soins qu’il se doit ? ». Et Rousseau ose formuler un problème apparemment impossible – « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle, chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant » – ajoutant effrontément : « Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution. »3

C’est ici qu’intervient le second terme Égalité.  Placé en position moyenne, c’est la clé de voûte, le moteur qui rend l’opération possible. Elle s’effectue en égalisant les parties prenantes (chaque individu), en faisant qu’aucune d’entre elles ne soit en mesure d’asservir une autre ou d’autres et qu’aucune ne soit asservie par une autre ou par d’autres. Il s’agit d’engendrer l’égalité des sujets en tant qu’ils produisent le droit pour lequel ils s’associent et en tant qu’ils en reçoivent les résultats. Chacun sera, également à tout autre, le producteur du droit et son bénéficiaire : c’est ce que vise l’association républicaine. L’égalité n’est donc pas une fin en elle-même (on ne s’associe pas pour être égaux), mais c’est seulement par l’égalité que les sujets du droit prennent conscience d’eux-mêmes et qu’ils peuvent procéder à l’opération qui leur donnera ce maximum de liberté et de droits auquel ils aspirent.

Fraternité. Avant de se déployer dans les domaines juridique et politique, l’effet de cette opération est moral. Chaque associé se découvre lui-même comme sujet libre et voit alors autrui sous le même rapport : l’autre est mon semblable, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs que moi, c’est un autre moi. Les regards cessent de se porter jalousement les uns sur les autres. Ils se tournent vers l’horizon élargi d’une association qui se soutient par le maximum d’indépendance qu’elle donne à chacun des individus qui la composent à l’égard de tous les autres. La fraternité du lien politique n’a rien à voir avec la fraternité familialiste compassionnelle et féroce de surveillance mutuelle inspirée par l’amour exclusif de l’égalité (que personne n’en ait plus que moi!). C’est celle de sujets animés par l’amour de la liberté qui réfléchissent à rendre les libertés compatibles et qui se reconnaissent mutuellement la dignité de substances.

La série ternaire de la devise ne peut pas être ouverte indéfiniment et sans qu’on fasse réflexion sur sa composition actuelle. Elle énonce un parcours conceptuel dans lequel chaque terme occupe, à sa juste place, une fonction – finalité, moyen, effet. Y ajouter un terme risque d’en rompre le fonctionnement par hiatus et de le diluer en prétendant surenchérir sur son effet moral. Réfléchissons à graver la laïcité dans le marbre des institutions de manière plus efficace et moins brouillonne4 qu’en dévitalisant une devise par un contresens sur son objet.

Notes

1 – Il n’en reste pas moins que cette phrase, isolée de son contexte, peut être lue de manière tendancieuse et qu’il serait plus judicieux de la remplacer par celle-ci, inspirée de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 : « « Elle [la France] assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ». Ce serait une manière de graver la laïcité dans le marbre plus cohérente et plus efficace que d’ajouter « laïcité » à la devise républicaine. Voir la fin de l’article « Du respect érigé en principe ».
[Edit du 17 décembre] On lira aussi avec intérêt le commentaire et la suggestion de François Braize sur ce sujet : https://www.mezetulle.fr/du-respect-erige-en-principe/#comment-9271

2– Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, I, 6.

3 – Je m’inspire ici d’un article que j’ai publié sur Mezetulle en 2016 : « Rousseau : le Contrat social avec perte et fracas« .

4 – Voir la note 1.

Éléments pour réinstituer l’élitisme républicain

L’égalité chez Condorcet

À partir de Condorcet, Charles Coutel propose une analyse de l’élitisme républicain et montre en quoi, opposé aussi bien à l’égalitarisme qu’à l’élitisme de la naissance ou de l’argent, il s’inscrit dans le concept d’égalité, qu’il éclaire à son tour. L’institution de l’Instruction publique est au cœur de cette réflexion : l’école publique, malmenée à présent depuis des décennies au nom d’une vulgate sociologiste qui lui enjoint de se renier, serait bien inspirée d’en méditer et de s’en réapproprier les principes.

Ce texte vient enrichir un dossier comprenant un ensemble d’articles sur Condorcet1

Condorcet pourrait bien, sur la question de l’égalité, se révéler un des penseurs les plus précis et les plus clairs pour nos temps démocratiques ; il pourrait même nous aider à réinstituer la notion de plus en plus méconnue d’élitisme républicain2. Il échappe, en effet, aux réductions que nous nous ingénions à opérer sur la notion philosophique d’égalité : l’égalitarisme à courte vue et l’élitisme arrogant, lié à la naissance ou à l’argent. Condorcet est le porteur de trois espérances : voir, un jour, s’établir une égalité entre les nations, une égalité dans tout peuple et un équilibre des ressources et des besoins entre les hommes. En ce sens, Condorcet est un mélioriste3.

Les analyses qui suivent s’inscrivent dans ce méliorisme universaliste, républicain et humaniste, et souhaitent insister sur la question de l’égalité dans la théorie de l’instruction publique, pièce maîtresse de la philosophie condorcétienne. Nous trouverions ainsi chez lui de quoi nous prémunir contre la vulgate sociologiste actuellement dominante qui ne voit dans l’école républicaine, voire dans notre République, que la reproduction des inégalités socio-économiques.

Un paradoxe surprenant : mettre l’inégalité au service de l’égalité

À l’idée de renverser tous les privilèges sur le plan politique correspond toujours, chez Condorcet, la volonté de lutter contre les inégalités et les injustices sociales et économiques. Il compte notamment sur l’Instruction publique pour réduire toutes les contradictions persistant entre les principes fondamentaux proclamés en 1789 et la réalité. Condorcet, dans son Rapport sur l’instruction publique (édition Edilig, 1989, p. 82), précise : « [il s’agit] d’établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi »4.

Cependant, le philosophe ne glisse pas vers l’égalitarisme abstrait de certains de ses contemporains, qui revient toujours à tirer les choses vers le bas et à pactiser avec l’ignorance. Comment, dès lors, concilier cette affirmation que tous les hommes sont égaux, sur le plan politique et des droits de l’homme, avec l’idée que les esprits et les talents ne sont pas semblables ? L’égalité d’instruction doit lutter à la fois contre le retour subreptice de l’inégalité dans l’accès aux savoirs (dans le préceptorat privé par exemple), mais aussi contre la tentation de l’égalitarisme qui, à partir de l’égalité morale et politique des hommes, en arrive à haïr les talents et les lumières, à condamner l’excellence et à interdire l’admiration et toute défense héroïque de la République.

Cet « élitisme républicain » n’a pas toujours été bien compris. Le coup de génie de Condorcet fut de comprendre que la diversité des esprits peut se mettre au service de l’égalité politique proclamée par la loi. Pour cela, il se tourne vers les plus savants qui, au sein de la Société nationale des sciences et des arts qu’il imagine, déterminent les savoirs élémentaires dont la maîtrise rend chaque citoyen apte à l’autonomie intellectuelle requise par la constitution républicaine. L’élémentarité des savoirs enseignés assure la formation du jugement éclairé des citoyens : elle constitue l’alphabet de notre émancipation.

Mais ce jeu entre l’inégalité et l’égalité présuppose une autorité supérieure échappant à tout risque d’une exploitation politique des inégalités présentes. De plus, l’Instruction publique doit être un lieu où règne l’égalité entre les élèves sur le plan matériel (par la gratuité) et sur le plan des opinions (par la laïcité5). Condorcet se réfère souvent à Adam Smith pour poser le problème suivant : comment concilier l’égalité politique proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 avec la diversité des conditions, des esprits et des talents ? Ne pas affronter cette difficulté, notamment par l’instruction publique mais aussi par la vertu politique de la puissance publique, serait laisser croire que l’affirmation de l’égalité politique ou éthique des hommes n’a aucune implication concrète ; elle paraîtrait ainsi vite mystificatrice. Si le régime républicain ne réduit pas effectivement les inégalités, il se discrédite et fait douter de ses références explicites aux droits de l’homme ; plus grave : il se pourrait bien que certains désespèrent des droits de l’homme eux-mêmes, en en faisant une arme aux mains des impérialistes et des colonialistes.

L’égalité dans l’instruction anticipe sur l’égalité des conditions et des fortunes sans imposer une uniformité égalitariste ni un unanimisme consensuel. C’est cette thèse qui est actuellement méconnue par une certaine vulgate sociologiste qui s’ingénie à faire croire que l’avenir scolaire d’un élève pourrait être prédit par l’étude des conditions socio-économiques présentes de ses parents.

L’apport d’Adam Smith

Pour justifier son « élitisme républicain », Condorcet se tourne vers Adam Smith :

« M. Smith a remarqué que, plus les professions mécaniques se divisaient, plus le peuple était exposé à contracter cette stupidité naturelle aux hommes bornés à un petit nombre d’idées d’un même genre, l’instruction est le seul remède de ce mal, d’autant plus dangereux dans un État, que les lois y ont établi plus d’égalité. » (Condorcet, Premier Mémoire sur l’instruction publique, éd. Garnier Flammarion, p. 78)

Il importe donc d’appliquer l’exigence d’égalité proclamée en 1789. Mais comment échapper à l’égalitarisme ? Pour Condorcet :

« L’égalité des esprits et celle de l’instruction sont des chimères. Il faut donc chercher à rendre utile cette inégalité nécessaire. Or le moyen le plus sûr d’y parvenir n’est-il pas de diriger les esprits vers les occupations qui mettent un individu en état d’enseigner les autres, de les défendre contre l’erreur. » (Rapport, éd. cit., p. 186)

Il faut donc contribuer à l’instruction de tous grâce aux savoirs élémentaires, car « L’homme […] qui sait les quatre règles de l’arithmétique, ne peut être dans la dépendance de Newton pour aucune des actions de la vie commune. » (ib., p. 187)

Les savoirs élémentaires, universellement répandus par l’Instruction publique, assurent l’égalité de tous les hommes sans attenter à la diversité des esprits et des talents, ni aux progrès des lumières. La maîtrise des éléments fait accéder chacun à l’autonomie, dans le respect des compétences et des lumières des plus savants et sans faire du savoir un pouvoir au service de l’État6, fût-il républicain.

Ainsi, l’égalité de tous ne sacrifie pas l’excellence : nous sommes au cœur de l’élitisme républicain. Sans cette égalité de l’instruction élémentaire et sans une solide instruction civique et morale, une école entretiendrait l’idée que la maîtrise d’un savoir viserait l’exercice d’un pouvoir ou serait liée à la puissance de l’argent, d’où la condamnation du préceptorat privé par Condorcet. En ce sens, l’égalité d’instruction est requise car :

  • elle est en conformité avec les droits naturels et permet à chacun de ne dépendre que de soi et de développer sa raison, dans le cadre de la formation d’une raison commune ;
  • elle ne sacrifie pas l’excellence et ne tombe pas dans l’égalitarisme abstrait ;
  • elle contribue à la fois à l’apprentissage de la citoyenneté (préparation aux fonctions publiques) et aux progrès des lumières : elle assure aussi le lien entre l’épistémologique et le juridique ;
  • elle permet de sortir du « sophisme » de Rousseau qui confond les savoirs en eux-mêmes et leurs usages dans des relations inégalitaires entre les hommes. L’essor des lumières ne remet pas en cause l’égalité, si tous les hommes sont suffisamment instruits pour respecter les savoirs sans en être les dupes : accepter que quelqu’un soit plus savant que moi ne me lèse en rien si je ne dépends pas de lui pour penser, choisir et voter ;
  • elle a aussi une utilité économique en contribuant aux progrès des sciences et des techniques.

Les implications institutionnelles du principe d’égalité

Le principe d’égalité va tenter de sortir du paradoxe initial en produisant des effets institutionnels précis car les savoirs ne sont des sources d’inégalité que s’ils ne sont pas diffusés universellement : le travail des académies doit être relayé par l’Instruction publique et se doubler d’une tâche d’élémentarisation. L’exigence d’égalité induit donc les autres principes de l’Instruction publique. L’égalité, pour s’instituer, doit être éclairée :

  • par son application dans le champ des savoirs enseignés à travers les savoirs élémentaires (l’égalité appliquée au savoir enseigné) ;
  • par sa légitimation institutionnelle et juridique, par le principe de laïcité (neutralisant les préjugés et les inégalités de départ) ;
  • par un effort de traduction didactique visant à faire comprendre les mêmes éléments à tous les esprits dans leur diversité (en revanche, toute attitude catéchistique et dogmatique gomme cette diversité des esprits et dissimule la teneur problématique et perfectible de tout savoir) ;
  • par une unification (non uniformisante) éthique et humaniste : par une référence constante à l’amour de l’humanité et au respect des droits naturels, le principe d’égalité s’interdit de glisser vers l’égalitarisme, le grégarisme ou encore l’individualisme.

C’est le rôle de la Société nationale d’inscrire l’Instruction publique dans le perfectionnement de l’humanité. L’Instruction publique met donc le meilleur à la portée de tous : d’où la volonté de veiller à la qualité des programmes, des manuels scolaires et de la formation des futurs maîtres. Ces remarques explicitent les quatre implications institutionnelles du principe d’égalité présentées, notamment, dans le Rapport de 1792 :

1°) La mixité : Condorcet étend l’Instruction publique aux deux sexes : « Il faut encore ici bien se garder de séparer les hommes des femmes, de préparer à celles-ci une instruction plus bornée, et d’abuser du nom de la nature pour consacrer les préjugés de l’ignorance et la tyrannie de la force. » (Cinq mémoires, éd. cit., p. 196, voir aussi p. 98 à 104)

2°) L’obligation scolaire fut proclamée sous la IIIe République, grâce aux efforts de Jules Ferry et de Jean Macé ; mais déjà, à plusieurs reprises, Condorcet avait manifesté le souci de voir l’Instruction publique devenir « universelle ».

Le pouvoir constituant du peuple est affirmé mais aussi médiatisé par la capacité de chaque citoyen à raisonner sur ses choix lors d’un scrutin. Cela présuppose l’instruction élémentaire des futurs citoyens. Le lien entre la souveraineté républicaine et la raison éthique de chaque citoyen est assuré par une instruction civique et morale sur laquelle Condorcet insiste toujours7.

Comment accepter, lors d’un vote, une décision qui me déplaît si, par ailleurs, je ne vois pas dans cette majorité de suffrages une invitation à revenir sur mon premier avis et à réfléchir sur ma faillibilité ? Mais, d’autre part, bien que minoritaire, je puis cependant avoir raison à long terme : la constitution républicaine me donne la possibilité de reposer le problème que j’estime mal réglé par le précédent scrutin. Ainsi l’instruction publique, par l’obligation scolaire, m’invite à la vigilance critique, si je partage l’avis majoritaire, mais aussi à la critique constructive, si je suis dans la minorité : si tous les hommes sont éclairés et instruits, le vote majoritaire aura une force qu’il n’aurait pas si les hommes étaient ignorants. L’obligation scolaire apporte une réponse à l’un de nos problèmes initiaux : la majorité est signe provisoire du vrai seulement si l’instruction élémentaire est obligatoire ; par l’instruction élémentaire obligatoire, toute opinion doit se présenter comme une thèse critiquable et non comme un dogme.

L’égalité politique et juridique des personnes ne signifie pas l’équivalence des énoncés et des thèses en présence. Le républicanisme est un débat continu entre les citoyens. Mais ce principe d’obligation n’est effectif que si l’école instruit vraiment, ce qui renvoie aux autres principes de l’instruction publique (indépendance de l’instruction vis-à-vis du pouvoir exécutif, élémentarité, citoyenneté, humanité). De cette obligation découle le principe d’égale répartition et implantation géographique de l’Instruction publique : aucun lieu ne doit être oublié. De ce principe d’obligation, Condorcet déduit aussi une théorie de l’instruction des adultes : cette volonté se retrouvera dans la tradition des universités populaires du républicanisme français.

Le principe d’obligation scolaire n’est donc pas une contrainte extérieure à l’individu : il révèle à chaque élève qu’il est responsable de la détermination commune du bien public et qu’il est dépositaire de la souveraineté.

3°) La gratuité scolaire s’oppose aux tenants du préceptorat privé qui, en faisant de l’accès aux savoirs le privilège des riches, occulte la puissance émancipatrice des lumières. Cette équivalence entre richesse et savoirs entretient l’idée fausse que les savoirs servent à l’exercice des pouvoirs. Pour Condorcet, la gratuité de l’Instruction publique doit être considérée surtout dans son rapport avec l’égalité sociale. Cette gratuité a un autre effet : elle rend possible la continuité entre les savoirs élémentaires, les savoirs scientifiques et les lumières politiques. C’est une mesure qui permet à tous d’assumer les fonctions publiques.

4°) L’unification de la langue dans l’Instruction publique : c’est aussi au nom de l’exigence d’égalité que Condorcet prône l’existence et la diffusion d’une langue claire et unifiée au sein de l’Instruction publique. Condorcet développe une théorie de la langue universelle qui prend les mathématiques comme référence, mais il tempère ce rêve chimérique car l’idée d’une langue universelle est incompatible avec la perfectibilité de l’humanité et l’historicité de la raison. Devant les élèves, le maître devrait exclure toute ambiguïté dans sa propre langue. Cette revendication de l’univocité et de la clarté du langage est omniprésente dans l’œuvre de Condorcet, qui voit dans la confusion des mots l’origine des conflits rencontrés par les hommes et l’une des causes des inégalités.

Il se tourne vers les sociétés savantes et les académies pour qu’elles fixent le sens des mots sans en appauvrir la polysémie. Condorcet suggère que l’Instruction publique « se perfectionnant sans cesse » est le seul remède à cette tentation de « faire simple » quand les choses, en fait, sont complexes. Entre les castes cléricales qui veulent émerveiller sans expliquer et les charlatans qui veulent tout simplifier, il y a une complicité évidente : ne pas donner au peuple le moyen de comprendre et de s’instruire. L’Instruction publique condorcétienne ne cède ni à l’enthousiasme simplificateur ni à l’obscurantisme égalitariste, car elle met les savoirs à la portée de tous sans sacrifier l’excellence et la diversité des esprits et des talents : Condorcet y parvient par une théorie complexe et originale de l’élémentarisation des savoirs enseignés. Cette remarque nous autorisant, peut-être, à avancer l’idée que toute crise de l’idée d’égalité serait liée à une crise de l’idée d’élémentarité des savoirs enseignés dans l’École de la République.

Quelques conclusions

Nos précédentes analyses visaient à dépasser notre perplexité initiale face à l’apparent paradoxe condorcétien de l’égalité : mettre la diversité des talents au service de l’égalité elle-même. Ce paradoxe n’en est plus un : il devient une tâche pour tous au sein de la République dès lors qu’elle se veut à la fois sociale, solidaire, fraternelle, humaniste et hospitalière8. L’égalité des hommes et des citoyens n’est pas l’uniformité des avis et l’équivalence des énoncés ou des jugements. Le progrès de l’égalité requiert le progrès des lumières générales ; ce progrès présuppose une Instruction publique de qualité. C’est à elle de pousser chacun vers son point d’excellence où se conquiert l’estime de soi et où se renforce la vertu politique, qui revient à aimer les lois et la République.

C’est dire aussi, comme nous le suggérions, l’actualité de l’approche condorcétienne de l’égalité ; mais pour comprendre cela il faut se souvenir que les démocraties peuvent vouloir sacrifier l’égalité au nom de la liberté et la liberté au nom de l’égalité, c’est-à-dire se tromper sur l’une et l’autre, comme nous en avertit sans cesse Alexis de Tocqueville. Dans les Cinq mémoires, (éd. cit., p. 104), Condorcet avertit :

« Généreux amis de l’égalité, de la liberté, réunissez-vous pour exiger de la puissance publique une instruction publique qui rende la raison populaire, ou craignez de perdre bientôt tout le fruit de vos nobles efforts. »

Notes

1[NdE] Voir la liste des textes dans cet article du Bloc-notes. Charles Coutel est professeur émérite à l’Université d’Artois, auteur de nombreux ouvrages notamment sur l’école, sur Péguy, spécialiste de Condorcet, dernier ouvrage paru : voir la note 8. 

2 – Sur l’historique des contresens commis sur la notion d’élitisme, voir la rubrique Vitriol de la revue Humanisme, no 321, rédigée par Léo Romand-Monnier.

3 – Condorcet s’explique sur ce méliorisme : « Qu’importe que tout soit bien pourvu que nous fassions en sorte que tout soit mieux qu’il n’était avant nous. » (Œuvres complètes, édition Arago, tome 4, p. 225). Comme l’a très judicieusement remarqué le chercheur Laurent Loty, le méliorisme condorcétien permet de ne pas avoir à choisir entre le pessimisme et l’optimisme.

4 – Pour plus de clarté, quand il s’agit de l’institution, Instruction publique prend une majuscule, mais pas quand il s’agit du concept.

5Condorcet défend l’« esprit public » contre l’« esprit de secte » ; voir notre contribution dans le numéro 325 d’Humanisme.

6 – Cette thèse de Condorcet trouvera sa traduction institutionnelle dans le projet des écoles normales supérieures grâce à l’œuvre et à l’action de Lakanal. Question : comment faire pour que cette thèse informe les plans de formation des maîtres au sein des nouveaux Instituts nationaux ?

7 – Se reporter à la dernière partie de notre livre Condorcet. Instituer le citoyen, Michalon, 1999. Voir aussi C. Kintzler Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen, Minerve, 2015 (3e éd.), 1re partie et sur ce site « Condorcet, l’instruction publique et la pensée politique » https://www.mezetulle.fr/condorcet-linstruction-publique-et-la-pensee-politique .

8 – Sur ce dernier aspect, nous nous permettons de renvoyer à l’introduction générale de notre livre Hospitalité. Cheminer entre poésie et philosophie, Balland, 2020.

Vous avez dit « sélection » ?

Jean-Michel Muglioni n’a pas pris parti publiquement dans les discussions qui portent sur les projets de réforme ministériels : c’est aux professeurs en exercice de se prononcer. Mais il propose une esquisse de réflexion sur la sélection. Il ne s’agit pas de savoir s’il y aura sélection, mais quelle sélection instituer. Sinon la société, sans règle, impose la pire des sélections. On le voit aujourd’hui, la sélection est reine partout, et généralement de manière cachée et par conséquent elle est sociale. Il est étonnant dans ces conditions qu’au nom de l’égalité on craigne de voir organiser une sélection fondée seulement sur la qualité du travail et des connaissances des élèves et des étudiants. Comment sortir de la confusion qui caractérise tous les discours pour ou contre ce qu’on appelle l’élitisme républicain ? Cette analyse est aussi une justification des concours nationaux de recrutement, sélection qui, comme l’agrégation, garantit en outre le niveau scientifique des professeurs.

Je sais qu’un retraité n’a pas à parler pour ses collègues en exercice, lui-même en effet ne risquant pas de pâtir des conséquences éventuelles de son discours. Je sais que les conditions de travail changent d’une année sur l’autre et que par conséquent je ne peux juger la situation actuelle des écoles, des collèges, des lycées, et des universités, sinon par ouï-dire. Au moment où je vois certains collègues bien intentionnés s’opposer aux réformes du ministre actuel avec plus de virulence qu’aux réformes précédentes qui allaient dans le sens inverse, je veux seulement proposer quelques pistes de réflexion, sans illusion sur l’avenir de nos établissements d’enseignement.

Le déni de la sélection

J’ai l’an dernier, pour rendre service à un ami, préparé au CAPES de philosophie un jeune homme de sa connaissance, collé au concours avec des notes fort basses, qui s’en inquiétait justement. Il avait obtenu dans une grande université licence et maîtrise, et une maîtrise très spécialisée. Je ne dirai pas en quoi consistait cette spécialisation pour qu’on ne reconnaisse ni ce candidat, ni ses professeurs, mais je transposerai son cas. Disons donc qu’il a fait une maîtrise sur la réception du cogito au Japon. Je lui ai donné à commenter une page de Descartes et j’ai pu voir qu’il ne connaissait presque rien à l’auteur dont il avait étudié la réception. J’ai la faiblesse de penser qu’il n’était pas seul responsable de son ignorance, étant arrivé dans de bonnes conditions à passer le bac, la licence et sa maitrise sur la réception de Descartes. Il y a quelque chose qui ne va pas dans l’organisation des études. Je voudrais seulement à partir de cet exemple réfléchir sur l’absence de sélection, et même tout simplement l’absence de sanction des études.

Un étudiant qui a fêté son bac, dont la famille est fière qu’il ait obtenu la licence et la maîtrise, qui croyait pouvoir devenir professeur de philosophie, qui même a dû travailler pour vivre pendant ce qu’on lui disait être ses études, voilà brusquement qu’à 22 ans, ou même 25 ans s’il a dû redoubler certaines années, il découvre que ce à quoi il se destinait lui est interdit. N’aurait-il pas mieux valu lui montrer plus tôt ce qui est requis pour faire des études de philosophie ? N’aurait-il pas mieux valu une sélection qui lui permette une orientation différente, ou tout simplement qui le force à se rendre compte bien plus tôt qu’il avait à apprendre, à lire, à travailler ? Bien plus tôt, c’est-à-dire dès le primaire.

Je me souviens avoir été appelé à ma seconde année d’enseignement en classe terminale par un proviseur, par ailleurs fort poli, parce que je notais trop bas. Je lui ai dit que, n’ayant aucune superstition en matière de notation, toute notation étant relative, je pouvais remonter mes notes, et je lui ai demandé combien de points il serait heureux que j’ajoute : il n’a plus rien dit. Les élèves ont compris que ma notation, plus sévère qu’au bac, correspondait à ce qui les attendait s’ils voulaient se lancer dans des études supérieures. C’était en 1970… Et je sais que prendre à 17 ans conscience que jusqu’ici on les avait notés pour plaire à leurs parents et que les choses sérieuses allaient commencer ne dut pas être facile pour tous mes élèves.

Sélection cachée et sélection explicite

J’ai pu constater en famille et chez des amis que nombre d’élèves sortaient de leur lycée sans savoir qu’il y a des classes préparatoires, de telle sorte que ceux même qui pourraient y avoir accès ignorent l’existence des grandes écoles. On cache aussi au plus grand nombre qu’il y a sélection partout, en tout, et ceux qui ne sont pas au parfum en pâtissent : tout se passe comme dans le milieu où il faut être au parfum pour survivre. Mais on préfère qu’il en soit ainsi plutôt que d’organiser un véritable système de sélection, purement scolaire et universitaire. Je ne dis pas que c’est un tel système que Blanquer mettra en place. Mais le refus de voir instituer une sélection ne peut que rendre toute amélioration des études au lycée et au-delà impossible. Et même avant le lycée.

Mon propos repose sur ce présupposé que si une instruction élémentaire peut être et même doit être dispensée à tout enfant, il n’est pas vrai que tous peuvent suivre les mêmes études : même dans l’hypothèse d’une société juste, les uns courront plus vite que les autres ou seront meilleurs mathématiciens. J’oserai même dire qu’entre le meilleur mathématicien et le moins bon, l’écart est plus grand qu’entre le champion olympique à la course et n’importe lequel d’entre nous. Sinon, comment les armées auraient-elles autrefois traversé l’Europe à pied en quelques jours ? Une représentation de la démocratie domine aujourd’hui, selon laquelle il serait injuste de distinguer le meilleur latiniste ou le meilleur physicien mais non le meilleur footballeur. Confondre ainsi la sélection avec la concurrence de la société la plus libérale fait le jeu du libéralisme et de la sélection sauvage. Trop d’arguments que j’ai pu voir opposer aux actuels projets de réforme me semblent reposer sur ces préjugés qui ont été pour beaucoup dans la dégradation systématique de l’école.

Je vais en rajouter, comme on dit. Il y a plus de trente ans, un ami qui recrutait pour une entreprise de production de fleurs me disait qu’il ne suffisait pas que le candidat ait une mention très bien à sa thèse, ni même qu’on sache dans quelle université il avait fait ses études : il voulait savoir quel était son patron de thèse. Le recrutement des élèves pour les classes préparatoires se fait à partir du dossier scolaire de l’élève : on sait très vite quel établissement ou même quel collègue n’ose pas dire le niveau de ses élèves, et donc il peut arriver qu’un candidat dont la moyenne est de 14 soit pris de préférence à celui qui a 18, parce qu’on sait que le dossier de celui-ci est gonflé. Ainsi la sélection s’exerce à l’insu des familles et de leurs enfants, sur des critères qu’ils ignorent.

Le système des classes préparatoires est un système de sélection, dès l’inscription et avant même les concours des grandes écoles, eux-mêmes fort sélectifs, et tout le monde devrait le savoir. Il est vrai qu’alors la sélection porte effectivement sur les disciplines enseignées. Au contraire les études de médecine reposent sur une sélection impitoyable en première année, qui n’est pas du tout fondée sur les capacités des étudiants à devenir médecin. Deux ministres ont refusé naguère que la sélection soit faite directement à l’entrée de la première année en fonction des résultats au baccalauréat et des livrets scolaires. Pour diversifier les recrutements et donner à tous une chance en dehors de la sélection d’origine, des passerelles auraient été créées donnant la possibilité de s’inscrire en troisième année de médecine à des candidats qui auraient montré leurs capacités par leurs résultats obtenus dans des universités, quelle que soit la discipline choisie : grâce à ce refus, tous peuvent accéder à l’université après le bac, sans sélection ! On sait ce qui en résulte. Etc. Et partout l’entretien avant emploi est un système de sélection.

Tel patron d’une petite entreprise s’arrache les cheveux devant le français et la manière d’écrire de tel licencié d’une grande université : les lycées et les universités ne sont pas capables de préparer les étudiants à un quelconque emploi, dit-il. Ils en sortent en effet pour être jetés dans la nature et y affronter une sélection sauvage, brutale. Comme les employeurs voient bien qu’on leur envoie des candidats incapables de parler et d’écrire le français, ils déplorent à juste titre que les études ne préparent pas assez élèves et étudiants à l’entreprise, et du coup les politiques veulent réformer les programmes jugés trop spéculatifs : il faudrait orienter les études en fonction des exigences de l’entreprise. Mais ne suffirait-il pas que l’école, du primaire à l’université incluse, fasse son travail et par exemple qu’on y sanctionne toute insuffisance dans la pratique de la langue française parlée et écrite ? On m’accusera de vouloir exclure les enfants des « quartiers » : mais qui nous interdit de leur apprendre à parler et à écrire ? Le français est-il la langue naturelle de certains milieux que dans d’autres milieux on serait incapable d’apprendre ?

Sélection scolaire ou sélection sociale ?

Parents, élèves, étudiants, professeurs, tout le monde refuse la sélection. Le tirage au sort, à juste titre, apparaît comme une absurdité : mais est-il moins juste que la sélection sociale ? Il est vrai qu’à Athènes, il était tempéré : on ne choisissait pas les généraux par tirage au sort ni, sauf erreur de ma part, le ministre des finances, qui devait avoir une grosse fortune afin de pouvoir en sortant de mandat régler ses comptes. En outre le sort exprimait la volonté des dieux, garantie qui contredirait la laïcité. En France, sans une sélection franche et avouée, transparente, seule fonctionne une sélection sociale et financière. J’ai parlé d’un véritable système de sélection, purement scolaire et universitaire. Si certains sociologues veulent à tout prix que toute sélection scolaire soit sociale parce qu’elle favorise les enfants dont les familles savent suivre les études, ce qui est indéniable, je demande si l’état de l’école aujourd’hui a pallié cette inégalité. Au lieu de conclure qu’il fallait que l’école soit plus rigoureuse et qu’elle instruise tout le monde, sans jamais se contenter de l’implicite, on a conclu que l’instruction en tant que telle reproduit les inégalités. On a détruit l’école, en vertu du raisonnement suivant : si l’on baisse le niveau des études, cette inégalité cessera, et par exemple il a été interdit de donner du travail à la maison dans le primaire, de sorte que les parents bien informés s’en sont chargés ou en ont chargé des amis compétents ou ont payé pour cela des étudiants, des instituteurs. On a donc fait en sorte que ne peuvent s’instruire que ceux-là même dont on craignait que leur chance sociale les favorise : ils s’instruisent chez eux, ou dans des établissements qu’ils savent choisir. Et là encore, pour que son enfant aille dans le bon établissement, mieux vaut être au parfum et même avoir quelques relations.

Il faut sans doute craindre que l’autonomie prônée par le ministre produise une inégalité entre les établissements. Mais c’est déjà le cas aujourd’hui, au point que la sélection parfois n’est même pas sociale, mais financière. Je m’explique ! J’ai entendu des journalistes s’en prendre à la « culture scolaire » des lycées qui favorise les enfants de professeurs ou d’instituteurs : sélection sociale, disaient-ils ! Or il y a aussi une sélection financière : il arrive qu’une famille achète à prix d’or un simple garage pour avoir une adresse fictive et obtenir l’inscription de son enfant dans un lycée prestigieux de centre-ville. Ainsi j’ai demandé en vain que les profits de l’immobilier soient versés aux professeurs du quartier latin dont j’étais, parce que le prix des logements y est particulièrement élevé du fait qu’on cherche à y habiter à cause de la qualité de leur enseignement. Mais comprend-on encore l’ironie ? On sait aussi que, pour compenser les insuffisances de l’enseignement gratuit, des familles font de grosses dépenses : leurs enfants suivent des cours dispensés par des officines privées. Par-dessus le marché une part de ces dépenses donne droit à dégrèvement d’impôts. Voilà encore une manière de sélectionner par l’argent, puisque ces dégrèvements ne profitent qu’à ceux qui paient des impôts.

L’élitisme républicain et les concours

Il faut ajouter une remarque essentielle : le système scolaire et universitaire de sélection que je dis nécessaire peut avoir une conséquence particulièrement néfaste, le bachotage à tous les niveaux, et une définition de programmes qui ne servent pas au développement de l’esprit, mais à la sélection, c’est-à-dire répondent aux besoins du marché du travail et de la fonction publique. Or l’école n’a pas pour finalité de sélectionner les futurs cadres de la nation ou des entreprises, mais d’instruire les hommes. Ainsi l’éducation physique et sportive ne saurait avoir pour finalité la sélection de futurs champions olympiques, mais le développement harmonieux du corps humain. Un élitisme républicain qui se contenterait d’écrémer une population et de constituer ainsi une nouvelle aristocratie serait peut-être élitiste, mais à coup sûr il ne serait pas républicain. Il faut donc que l’enseignement, contrôlé alors par des examens et des concours, demeure un véritable enseignement et que la réussite aux examens et au concours en soit le couronnement et non la finalité. Comme toujours, la meilleure institution ne suffit pas sans un certain esprit, et en l’occurrence sans la volonté d’apprendre et de comprendre, la volonté de savoir pour savoir, et non pas seulement le désir d’avoir son diplôme ou de se préparer à une carrière ou un emploi futurs, ou pour le professeur, le désir d’avoir de bons résultats, comme on dit. Et sans doute le mépris de l’instruction, le mépris du savoir en tant qu’il présente un intérêt pour lui-même, sont-ils aujourd’hui plus qu’hier ce qui risque d’interdire toute bonne réforme. Mépris dont j’accuse la société tout entière et une bonne part des pédagogues et des fonctionnaires de l’institution scolaire. Mais il est plus facile de laisser en place un système de sélection sociale que de concevoir pour le plus grand nombre, qui n’entrera pas à Polytechnique ou ne fera pas de brillantes études universitaire, les filières qui permettraient à la fois de suivre un enseignement général et de se préparer à trouver un emploi. Car c’est à cette condition que l’institution de parcours sélectifs ne viserait pas seulement à éliminer ceux qui ne courent pas assez vite. Alors l’élitisme républicain signifierait qu’on n’a pas besoin d’être protégé par sa famille pour faire de vraies études.

Monsieur Duroy de Chaumareys avait réussi à échapper à la mort lors de la bataille de Quiberon en 1795, gagnée par Hoche contre les émigrés, les chouans et les Anglais, qui voulaient débarquer en Bretagne. Il avait alors pu fuir en Westphalie et il revint en France au début de la Restauration. Un décret de 1815 lui permit d’obtenir le grade et la pension de capitaine de frégate. C’est ainsi qu’il obtint à 51 ans le commandement de La Méduse, en remplacement d’un bonapartiste. Il n’avait pas navigué depuis plus de vingt-cinq ans, mais imbu de sa noblesse il n’écouta personne et échoua son bateau au large de la Mauritanie le 4 juillet 1816. Il sera condamné à trois ans de prison en mars 1817. L’affaire fit grand bruit et demeure célèbre grâce au tableau peint par Géricault en 1819, Le radeau de la Méduse.

La Révolution a institué de nombreux concours toujours en vigueur. Abolir les privilèges et la distinction des ordres, Noblesse, Clergé, Tiers-Etat, proclamer que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », c’était vouloir que par exemple un commandant de navire soit recruté non pas sur sa naissance mais sur sa compétence reconnue, contrairement à ce qui a été le cas sous la Restauration avec Chaumareys. Se rend-on compte aujourd’hui que refuser toute sélection, c’est revenir à l’Ancien Régime ? Qu’il est contradictoire de refuser la sélection scolaire et universitaire quand on continue de penser, à juste titre au demeurant, qu’il faut pour recruter les professeurs des concours nationaux ? Introduire la sélection pour les étudiants et remettre en cause les concours nationaux serait également contradictoire.

Leur formation et le recrutement départementaux faisaient que les instituteurs n’étaient pas étrangers au milieu dans lequel ils avaient à enseigner : cette régionalisation républicaine a bien fonctionné. L’organisation de concours nationaux devenue trop lourde en raison du nombre de candidats, on comprend donc que certains puissent être comme on dit régionalisés. Mais l’agrégation est la pièce maîtresse de ce qui marche encore dans notre « système éducatif ». La disparition des concours nationaux aurait pour conséquence nécessaire une baisse du niveau scientifique du corps enseignant et même de l’enseignement universitaire lui-même, puisque le caractère national du concours est un facteur d’émulation entre universités. J’avoue que j’approuve ce genre de « concurrence » interne à l’enseignement public, qui ne donne lieu à aucun avantage financier aux universités les meilleures ni à leurs professeurs. Si je suis accusé de donner dans l’idéologie libérale, je dirai qu’il y a ainsi dans le fonctionnement actuel de l’institution universitaire un mélange de jacobinisme et de libéralisme qui en assure la bonne marche, ou du moins ce qu’il en reste. En outre une telle organisation est essentielle pour les disciplines qui, comme la philosophie ou les lettres, ont pour seul ou presque seul débouché le métier de professeur. Mais il est de bon ton de s’en prendre à cette spécificité française.

La sélection institutionnalisée par concours et fondée sur des critères objectifs, comme le savoir d’un mathématicien ou d’un latiniste, la compétence d’un ingénieur ou d’un médecin, critères soit scientifiques soit professionnels, est la seule manière possible je ne dis pas de supprimer mais de limiter la sélection par l’argent et la naissance. Et là encore il y a lieu de lutter contre un effet pervers : les concours assurent le recrutement de femmes et d’hommes relativement jeunes dont souvent toute la carrière est tracée d’avance, tandis que d’autres, qui n’ont pu réussir à ces concours mais qui se sont révélés fort compétents et parfois même meilleurs que leurs chefs diplômés, voient leur carrière bloquée. Il convient donc comme on a commencé à le faire, de leur permettre de s’élever dans la hiérarchie des entreprises ou des établissements publics, et même de parvenir sans concours aux plus hauts postes (il n’est pas sûr en effet que des concours internes soient une bonne solution). Mais on remarquera qu’il s’agirait là encore d’une manière de sélection.

© Jean-Michel Muglioni, Mezetulle, 2018

Égalité, compétition et perfectibilité

Faut-il lutter contre toute forme d’inégalité ?

La devise républicaine « Liberté-Égalité-Fraternité » place l’égalité en son centre, mais aussi en seconde position dans une séquence sur laquelle il est intéressant de s’interroger1. Son homogénéité repose sur l’objet dont elle parle : les citoyens sont libres, égaux et fraternels2. L’égalité est souvent extraite de cette séquence ternaire et présentée comme la caractéristique principale d’une association politique républicaine, et comme un idéal qui devrait être poursuivi et concrétisé en tous domaines. Cette absolutisation de l’égalité a une origine philosophique, mais elle a aujourd’hui pour effet une sorte de dogmatisme politiquement correct qui conduit souvent à opposer l’égalité à la liberté et à réprouver la notion même de compétition3
On peut montrer non seulement que la liberté et l’égalité ne sont pas opposées, mais aussi que la notion même de compétition, pourvu qu’on la prenne au sérieux, suppose l’égalité. En outre, il apparaît que la compétition peut être bonne pour la démocratie dans la mesure où elle engage la perfectibilité humaine.

La relation essentielle entre égalité et démocratie est inspirée d’un célèbre passage de Montesquieu :

« L’amour de la république, dans une démocratie, est celui de la démocratie; l’amour de la démocratie est celui de l’égalité. L’amour de la démocratie est encore l’amour de la frugalité. Chacun devant y avoir le même bonheur et les mêmes avantages, y doit goûter les mêmes plaisirs, et former les mêmes espérances; chose qu’on ne peut attendre que de la frugalité générale. L’amour de l’égalité, dans une démocratie, borne l’ambition au seul désir, au seul bonheur de rendre à sa patrie de plus grands services que les autres citoyens. Ils ne peuvent pas lui rendre tous des services égaux; mais ils doivent tous également lui en rendre. En naissant, on contracte envers elle une dette immense dont on ne peut jamais s’acquitter.Ainsi les distinctions y naissent du principe de l’égalité, lors même qu’elle paraît ôtée par des services heureux, ou par des talents supérieurs »4.

En associant égalité et frugalité, en définissant l’égalité de manière morale comme esprit de sacrifice et dévotion du citoyen à la communauté politique, Montesquieu pense probablement aux démocraties anciennes. Or les démocraties modernes ne demandent pas aux citoyens d’aimer les lois, elles ne leur demandent pas non plus d’effacer leur individualité et leur singularité devant la communauté républicaine, et n’avancent pas l’argument de la dette de l’individu à l’égard de la communauté politique. À tous ces égards, l’égalité installée par la Déclaration des droits de 1789 est disjointe de cette conception puisqu’il s’agit de l’égalité des droits : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Cependant, Montesquieu annonce une propriété fondamentale de l’égalité moderne : loin d’être opposée à la distinction, l’égalité en est au contraire le fondement « les distinctions naissent du principe d’égalité » : ceci déjà permet sinon d’opposer égalité à égalitarisme, du moins de les distinguer – même si le paragraphe sur la frugalité invite à les réunir. La référence implicite à l’égalité des citoyens chez les Anciens resurgit régulièrement, et particulièrement dans des situations de crise comme celle que nous connaissons. 

L’égalité comme outil de la liberté et comme condition du concept de compétition

Rousseau a fait du concept d’égalité le moteur de sa théorie du Contrat social. Sa pensée est fondamentale ici parce qu’elle fournit un outil pour comprendre la séquentialité de notre devise républicaine : « Liberté – Égalité – Fraternité ». Je n’entrerai pas dans le détail, très technique, du raisonnement de Rousseau, qui porte sur les deux premiers termes. Pour aller vite, je dirai que la liberté est première parce qu’elle est la fin, le but de l’association politique, et que l’égalité en est la cheville ouvrière. D’où l’on peut conclure que la fraternité en est l’effet.

Dès la position du problème de l’association politique, Rousseau commence par poser que la liberté ne saurait faire l’objet d’une négociation : y renoncer serait « renoncer à sa qualité d’homme »5. Ainsi le premier terme, « liberté », ne peut être que premier.
Rousseau envenime le problème par la célèbre formule :

« Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant »6

La « solution » qu’il apporte est plutôt étrange, à savoir : « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. » Pour tout conserver et « rester aussi libre qu’auparavant », il faudrait donc commencer par tout aliéner ? Or c’est précisément cette opération de totalisation qui va donner à la liberté sa plénitude, en la faisant passer par l’égalité.

La totalisation incluant tous les agents et portant sur tous les objets engendre l’égalité parfaite des sujets en tant qu’ils produisent le droit et qu’ils en reçoivent les résultats7. Si on donne tout, que reste-t-il ? Reste ce qui ne peut pas se donner, c’est-à-dire le support même du droit : le sujet politico-juridique. Un sujet égale un autre sujet. Mais c’est au niveau de la réception que l’opération est encore plus intéressante : je donne ma liberté, tous donnent leur liberté, et tous reçoivent la liberté de tous. Autrement dit la liberté que je reçois c’est celle de n’importe qui, celle que tous peuvent recevoir. C’est la liberté conjuguée à l’universel, c’est la liberté comme concept et non comme simple revendication particulière.

L’opération produit un double bénéfice. D’abord elle fait que chacun se découvre lui-même, se constitue en sujet du droit. En procédant à l’aliénation totale, tous se découvrent dans la nudité politico-juridique de sujets essentiels du droit, comme des « je » que l’association révèle en même temps qu’elle se forme. Le deuxième bénéfice est concret. Je peux certes croire que la liberté, c’est la mienne et celle de nul autre, ou celle des miens, d’un « nous » excluant les autres, mais personne n’a jamais pu exercer durablement cette proposition, et personne, jamais, ne peut la soutenir. Il n’y a de pensée de la liberté que dans son extension, c’est-à-dire son attribution à tout sujet possible. La liberté n’est plus celle d’un agent isolé, à la merci des autres libertés particulières, mais c’est la liberté en tant que chacun peut en jouir, celle que la loi va définir, accorder à chacun et protéger.

Nous avons donc les deux premiers termes de notre devise : (a) la liberté et (b) l’égalité qui est la condition de la liberté. L’ordre est important : l’égalité est un outil, une condition de possibilité, mais la liberté reste toujours la finalité première. Les agents du contrat ne s’associent pas afin d’être égaux, mais ils se rendent égaux afin d’être aussi libres et même plus libres qu’auparavant. On comprend alors de manière plus forte en quoi l’égalité est essentielle à une démocratie, et cette fois à une démocratie moderne : sans l’égalité des sujets du droit, la liberté des modernes n’est ni pensable ni réalisable.

La liberté ne peut pas se réaliser pleinement si elle reste particulière, si elle reste ma liberté et celle des miens : elle n’atteint sa dimension complète que si elle est la liberté de tous, également. C’est l’opération de totalisation qui me fait découvrir l’égalité des sujets du droit, et les droits que va recevoir chaque sujet sont les mêmes.

Ainsi on définira chaque droit comme attribuable et applicable à tous, et cette attribution universelle permet de comprendre à la fois l’extension et la limitation de chaque droit. Je suis à la fois plus libre qu’auparavant (où ma liberté était limitée par mes forces et où elle n’était garantie par rien), et ma liberté devenant celle de tous trouve ici sa limite : je peux faire tout ce que je veux, pourvu que cela ne fasse pas obstacle à la même liberté exercée par autrui. Ainsi je peux par exemple exercer ma force physique librement et en jouir, mais je ne peux pas la tourner contre autrui. L’exemple de la propriété est encore plus parlant : la propriété n’a d’autre limite que l’exercice du droit de propriété par autrui. Les propriétés pourront donc être considérablement inégales, mais aucune ne devra être telle qu’elle empêche autrui d’être si peu que ce soit propriétaire. Applications concrètes : personne ne peut posséder un bien en monopole, personne ne peut devenir objet de propriété, personne ne peut posséder personne, et lorsqu’un bien est proposé à l’accès à la propriété, tous doivent pouvoir y concourir – ce qui signifie une réglementation du commerce.

J’ai fait ce détour par Rousseau parce qu’il permet d’éclairer les relations entre égalité et compétition. « Compétition » signifie : prétention à quelque chose (pétition), jointe au préfixe cum qui veut dire « avec ». Nous prétendons avec les autres, et l’égalité rend cette prétention universelle : avec tout autre. Tous ont les mêmes droits de concourir et personne ne peut être exclu a priori. On peut donc dire que non seulement l’égalité n’est pas contraire à la compétition, mais encore que seule l’égalité donne à la compétition son sens plein. Ce que tout le monde sait : il n’y a pas de compétition s’il n’y a pas égalité de traitement entre les concurrents.

L’égalité des droits ne réclame nullement l’égalisation des choses, des forces, des talents, des propriétés, autrement dit elle ne se confond pas avec l’égalitarisme : elle établit que tous ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. La Révolution française a aboli les privilèges d’Ancien régime et permet la possibilité d’une compétition égale entre tous.

Que faire des inégalités produites par l’égalité des droits ? Faut-il combattre toutes les inégalités ?

Je voudrais à présent prendre la question par l’autre côté. Car j’ai insisté jusqu’à présent sur les tenants de la compétition, ses conditions : si tous ont les mêmes droits, si personne n’est handicapé ou favorisé a priori, la compétition n’est pas contraire à l’égalité. Mais est-ce la même chose si on s’interroge sur ses aboutissants ? Le résultat de toute compétition n’est-il pas, par définition, inégal ? Et plus généralement, faut-il lutter contre toutes les inégalités ?

Prenons l’exemple des emplois publics qui se recrutent par concours. Ils peuvent conférer une autorité, des pouvoirs que n’ont pas les autres citoyens (un policier peut m’ordonner d’arrêter mon véhicule, un juge peut prononcer une peine, un jury d’examen peut décerner ou refuser un diplôme). Mais cette autorité, ce pouvoir, sont réglementés par la loi : ils ne sont pas substantiellement attachés à une personne, mais à une fonction, laquelle est temporaire. Cette fonction elle-même est ouverte à tous, pourvu qu’ils remplissent des conditions de compétence et de talent définies et dont personne n’est exclu du fait de ce qu’il est, de sa naissance, de son origine, de sa fortune, etc.

Mais la question est plus large. On pourrait penser qu’il est souhaitable de réaliser l’égalité partout. Or cela suppose que toutes les inégalités sont à la fois comparables et mauvaises, ce qui ne va pas de soi. Si une démocratie se caractérise par la place fondamentale qu’y assure l’égalité comme condition de la liberté, doit-on pour autant soutenir que toutes les inégalités sont également nuisibles ? Faut-il lutter contre toute forme d’inégalité ?

Je vais cette fois m’aider de Condorcet. En effet, Condorcet développe une pensée substantielle et originale de l’égalité. D’autre part, il soulève un paradoxe inhérent à la lutte contre les inégalités et qui peut se traduire par une contrariété entre égalité et compétition.

Condorcet a abordé la question de l’égalité des droits de manière très concrète : en argumentant notamment pour l’accès égal des hommes et des femmes au droit de cité. Il s’appuie sur une définition minimaliste du fondement de ces droits :

« Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes,ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes : et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens »8.

Il faut ici avoir le courage et la grandeur de ne voir rien d’autre en un être humain qu’une articulation spécifique du sensible et du rationnel. Dès lors, toutes les considérations « concrètes » prenant en compte la coutume, le climat, les habitudes, l’inertie sociale, le poids des origines, le sexe, la couleur, la religion, les intérêts, etc., sont également négligeables. Ce qui est non négociable tient précisément à l’abstraction du fondement de l’autorité ; ce qui est véritablement concret, c’est le programme des mesures à prendre pour que ce fondement se déploie conformément à sa définition, qui est la même pour tous. La réduction des inégalités est donc indispensable, non pas parce que les inégalités heurtent les bons sentiments, mais parce qu’elles font obstacle à la liberté sans laquelle un être sensible ne saurait être aussi un être rationnel et réflexif.

Or les conséquences d’une telle conception sont paradoxales.

L’égalité se déduit de la définition de l’homme comme sujet du droit. Les êtres sensibles et rationnels sont égaux, et c’est cette seule propriété qui les fait tels. On en conclut que toutes les inégalités ne sont pas également indésirables : seules le sont celles qui contredisent cette définition ou qui lui font obstacle. D’abord, les inégalités peuvent tenir à des propriétés extérieures au champ qui définit l’égalité : forces, talents, habiletés – autant de dispositions du corps et de l’esprit qui ne modifient en rien le principe même de l’égalité, même si elles sont inégalement distribuées. La réduction des inégalités s’attaquera donc principalement à celles qui sont le fait de l’organisation sociale : abolition des privilèges et de tous les systèmes de droits et devoirs fondés sur une différence a priori – comme la race, le sexe, l’opinion – mesures volontaristes permettant à tous d’exercer leur liberté (comme par exemple l’Instruction publique), mesures économiques favorisant l’accès à la propriété et rendant impossibles les monopoles privés.

On voit aussi qu’il faudrait encore entrer dans le détail et distinguer ici les droits-liberté et les droits-créance. Les premiers sont tels qu’on peut ou non les exercer – par exemple le droit de propriété : pourvu que ce droit soit correctement défini et auto-limité, celui qui ne l’exerce pas n’est pas pour autant privé de droits, il n’est pas en situation de dépendance. Idem pour le droit de libre circulation, pour le droit de culte, le droit de manifester ses opinions, etc. En revanche les droits-créance sont tels que si l’on ne les exerce pas réellement, on est exposé à perdre sa qualité de sujet, et ses droits : le devoir de la puissance publique est donc de faire en sorte que tous puissent en jouir réellement. C’est ainsi que Condorcet a raisonné pour l’instruction. On pourra raisonner de la sorte pour la santé, le logement, un revenu minimum.

Le paradoxe est que certaines formes d’inégalité peuvent résulter des dispositions prises pour  combattre des inégalités. L’exemple classique, maintes fois commenté par Condorcet, est celui de l’instruction, de la maîtrise des connaissances. Pour réduire l’inégalité qui soumet l’ignorant au savant, il faut instruire – d’où la nécessité de l’Instruction publique comme institution, comme devoir de la puissance publique9. L’accès au savoir émancipe les hommes, mais en même temps il permet à ceux qui ont plus de disposition pour l’étude de déployer plus complètement une forme de supériorité qui ne se serait pas révélée en son absence : on retrouve ici les effets de la compétition dans ses résultats. Autrement dit, le dynamisme propre aux hommes et au développement des droits est à la fois le principe qui les fait égaux et le moteur qui les rend inégaux, faisant apparaître de nouvelles inégalités.

Condorcet introduit une distinction fondamentale et claire entre les différentes inégalités et il pose la question du bien-fondé de leur réduction. L’inégalité entre les hommes n’est injuste et contraire au principe qui fait d’eux des sujets de droit inaliénables que lorsqu’elle soumet l’un à l’autre, les uns aux autres. Sont donc à combattre toutes les inégalités « qui entraînent une dépendance » (tout particulièrement lorsqu’elles sont l’effet d’un dispositif social) et seulement celles-là. Le critère, lorsqu’on se demande s’il faut ou non combattre une inégalité, c’est de savoir si elle est un obstacle à la liberté, si elle diminue la liberté.

Les formes de ce combat sont multiples, elles peuvent même emprunter des voies contraires. Ainsi, l’inégale répartition des forces physiques et des ressources matérielles (biens, armes, etc.) doit être combattue par voie d’interdiction, de restriction et de redistribution : on interdira l’usage de la force envers autrui, on interdira la possession des armes, on dissuadera et on régulera l’accumulation des biens par un système fiscal en particulier sur les patrimoines, notamment par des droits de succession. En revanche l’inégalité des talents sera au contraire traitée par une politique d’accroissement et d’expansion maximale des lumières, des sciences et des arts.

Ici encore, la question de l’instruction peut servir d’exemple. L’argumentation est développée à plusieurs reprises par Condorcet, on la trouve notamment au début du Premier mémoire sur l’instruction publique :

« C’est donc encore un devoir de la société que d’offrir à tous les moyens d’acquérir les connaissances auxquelles la force de leur intelligence et le temps qu’ils peuvent employer à s’instruire leur permettent d’atteindre. Il en résultera sans doute une différence plus grande en faveur de ceux qui ont plus de talent naturel, et à qui une fortune indépendante laisse la liberté de consacrer plus d’années à l’étude ; mais si cette inégalité ne soumet pas un homme à un autre, si elle offre un appui au plus faible, sans lui donner un maître, elle n’est ni un mal, ni une injustice ; et, certes, ce serait un amour de l’égalité bien funeste que celui qui craindrait d’étendre la classe des hommes éclairés et d’y augmenter les lumières »10.

Perfectibilité, compétition et déclin

Le critère de la liberté permet donc de cibler l’inégalité nuisible, celle qu’il faut combattre, et de laisser tranquilles les inégalités qui n’ont pas d’effet sur la liberté et les droits en général, qui n’oppriment personne. Mais il y a davantage puisque, comme on vient de le voir, la lutte contre les inégalités nuisibles peut elle-même engendrer des inégalités qui sans elle seraient restées en germe, ne se seraient pas développées. Ainsi, le développement des connaissances, des sciences, des techniques, en encourageant les talents, réalise des potentialités nouvelles, etc.

Peut-on parler d’« effet pervers » ? Pas exactement : un effet pervers est lui-même mauvais et nuisible, il est indésirable ; de plus il est en général difficile à prévoir. Or le développement dont on vient de parler installe bien une compétition dont le résultat est une forme d’inégalité, mais il est prévisible et surtout il n’est pas nuisible. J’ai parlé de dynamisme. Condorcet aurait parlé d’un effet nécessaire de la perfectibilité humaine et je voudrais, pour finir, examiner la question sous cet angle.

On a pu voir que ce type de mesure ne blesse pas les droits, cela est essentiel. Mais on peut aussi montrer qu’il est profitable à l’ensemble de la société ; ceux qui n’en sont pas directement bénéficiaires de manière individuelle en bénéficient généralement et indirectement. Cela est évident pour ce qui touche ce qu’on appelle la recherche appliquée, mais c’est autant vrai pour la recherche fondamentale : personne n’est opprimé par l’algèbre de Boole, qui pendant longtemps n’a servi à rien, et à présent tout le monde en profite, et pas seulement les mathématiciens chercheurs. Pour reprendre un exemple emprunté à Condorcet : personne ne peut en vouloir à d’Alembert d’avoir trouvé l’équation et le principe qui portent son nom, et de manière générale une découverte est bonne pour tout le monde.

On en conclut facilement que la compétition, une fois réglée par le critère de la liberté de tous, n’est pas mauvaise, mais de plus qu’elle peut être bonne. De ce point de vue, la compétition non seulement doit être libre, mais certaines compétitions doivent être encouragées, sinon organisées, par la puissance publique. C’est par exemple la fonction des grandes institutions savantes, de l’investissement dans la recherche et l’innovation. La grande originalité de Condorcet est d’avoir inclus l’ensemble du système scolaire dans cette hauteur de vue : pour lui, il y a continuité entre le savoir élémentaire et les formes les plus élevées de la connaissance humaine.

J’ai fait référence au concept de perfectibilité. On ne peut pas se contenter de raisonner en termes linéaires et progressifs. La perfectibilité humaine est telle que si elle ne se développe pas, si elle ne trouve pas des aliments pour se déployer, si elle n’est pas constamment au-dessus d’elle-même, elle retombe inévitablement à un niveau inférieur, elle régresse. Là encore l’exemple du développement des connaissances est parlant : une société qui se contenterait de maintenir ses connaissances à un certain niveau, sans chercher à les développer davantage – une société statique à idéologie frugale – retomberait nécessairement au-dessous du niveau qu’elle prétend maintenir. Je ne sais pas ce qu’une politique de décroissance donnerait au niveau économique, mais on est certain qu’une politique de décroissance dans le domaine des connaissances serait une société où le niveau du savoir diminuerait inéluctablement, livré à sa propre inertie11. Il en va ici des connaissances comme de la population – si elle n’augmente pas elle diminue nécessairement – ou comme de la politique d’acquisition des livres dans une bibliothèque : il y a un seuil d’acquisition au-dessous duquel on appauvrit nécessairement les collections. L’absence de progression est un déclin.

De ce point de vue, et pourvu qu’elle satisfasse le critère de la préservation des droits, la compétition est une nécessité par laquelle l’humanité doit faire face à sa propre perfectibilité : personne n’a intérêt à ce que l’humanité se dégrade et soit au-dessous d’elle-même.

L’articulation entre le principe d’égalité et le principe de liberté permet de distinguer entre entre égalité et égalitarisme. On peut en outre pousser le principe de la subordination de l’égalité à la liberté jusqu’à son point paradoxal en assumant le dynamisme inhérent à la lutte contre les inégalités et en posant la question de la perfectibilité et de ses effets.
L’idée directrice demeure : il faut combattre les inégalités qui entraînent une dépendance, toutes celles-là et seulement celles-là. Ce combat peut révéler des inégalités et produire de la compétition : c’est le sens même d’une compétition « à armes égales » que de dégager des forces, des talents, des propriétés inégales, pourvu qu’aucune soumission n’en résulte. Non seulement cela ne peut pas être mauvais en soi, mais il serait dommageable de ne pas le faire. Une égalité érigée en idéal absolu et indistinct installerait une société du ressentiment et de la surveillance mutuelle, où toute supériorité serait persécutée ; elle engagerait aussi un déclin programmé dommageable à tous.

Notes

1 – La bibliographie sur la devise républicaine est considérable, voir notamment Michel Borgetto La Devise « Liberté, égalité, fraternité », Paris : PUF, 1997, où l’on trouvera d’autres références.

2 – Il ne me semble pas opportun d’y ajouter, comme cela est parfois suggéré, « Laïcité » car la laïcité n’est pas une propriété des citoyens, mais une propriété de l’association politique. On ne s’associe pas pour être laïques, mais la laïcité fait partie des propriétés de l’association politique permettant d’assurer la liberté et l’égalité.

3 – C’est notamment l’idéologie qui prévaut dans le domaine scolaire : éviter l’émulation entre les élèves au nom de « l’égalité des chances », au moment même où on encourage et valorise la compétition dans le domaine sportif ou dans celui de l’entreprise.

4 – De l’Esprit des lois, V, 3.

5Du Contrat social, I, 4.

6Ibid., I, 6.

7– Sur cette opération de totalisation, voir Louis Althusser, « Sur le Contrat social » dans Cahiers pour l’analyse. L’impensé de J.-J. Rousseau, n° 8 oct. 1967, p. 5-42.

8Sur l’admission des femmes au droit de cité, éd. Arago, vol. X, p. 122. C’est moi qui souligne.

9 – Le droit à l’instruction est un droit-créance : il est tel que si on ne l’exerce pas réellement, on est exposé à perdre sa liberté et ses droits.

10Cinq Mémoires sur l’instruction publique (1791), Paris : GF-Flammarion, 1994, p. 62-63.

11 – C’est une des raisons pour lesquelles Condorcet était favorable à l’existence d’un enseignement privé.

© Catherine Kintzler, Mezetulle.net 2013, Mezetulle.fr 2015