Démocratie et tolérance à la violence

Jean-Michel Muglioni cherche à comprendre d’où vient que la violence qui a caractérisé les manifestations de ces derniers mois est tolérée par le plus grand nombre et même paraît approuvée. Cette violence n’est pas nouvelle dans un pays qui ne cesse de se déchirer : que signifie son approbation, sinon le refus de la loi et des institutions quelles qu’elles soient, le refus de l’État de droit et de toute autorité ?

Depuis novembre 2018, tous les samedis : blocage de ronds-points ou de péages d’autoroute, et manifestations généralement non déclarées en ville, qui dégénèrent en batailles rangées avec la police, quand ce n’est pas en pillage et en destruction systématique des boutiques et des banques ; et par-dessus le marché, attaques de gendarmerie, de préfectures, de tribunaux, d’un ministère, violences contre des journalistes, etc., sans compter la violence de slogans, notamment antisémites, dans la rue et des propos tenus sur les réseaux sociaux1. Quelques dizaines de milliers de manifestants dans toute la France, quelques centaines dans quelques villes, refusent les règles jusque-là en vigueur pour manifester, et l’ensemble de la population semble non seulement tolérer ces violences, mais les approuver et se réjouir même de pouvoir y assister sur ses écrans comme si c’était une série télévisée. Les menaces contre les élus, les exactions commises contre certains d’entre eux n’émeuvent pas davantage.

Pourquoi cette violence est-elle approuvée ?

On peut expliquer cette tolérance à la violence par une sympathie pour les revendications des manifestants. Ce que les syndicats, ou plutôt ce qu’il en reste, n’ont pu obtenir par la voie normale a été concédé par le gouvernement : chacun peut donc penser que la violence seule permet d’être entendu et d’obtenir satisfaction. On peut insister aussi sur le rôle des médias, des chaînes d’information continue (les manifestants n’ont pas besoin de s’organiser, ils n’ont qu’à les regarder pour savoir où se rendre) et surtout des réseaux sociaux, avec tous les mensonges qui y circulent. On sait aussi que des officines spécialisées, parfois depuis des pays étrangers mais fort bien organisées chez nous, y distillent des fausses nouvelles et de fausses images. On peut aussi penser que les images – vraies ! – des heurts avec la police expliquent la sympathie pour les manifestants. La réponse de la police, est, quoi qu’on dise, mesurée, le mot d’ordre étant d’éviter à tout prix qu’il y ait un mort, et cela depuis la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986. Mais ces batailles rangées ne peuvent que paraître insupportables à l’image, avec d’un côté le désordre d’hommes apparemment sans défense, et de l’autre des policiers ou des gendarmes en rangs serrés, casqués, avec des sortes d’armures, équipés de boucliers, de gaz lacrymogène, de grenades GLI-F4 et de flashballs (l’usage de ces armes étant plus que discutable) : ils ont le rôle des méchants, d’autant qu’inévitablement certains perdent leur calme ; et il y a toujours un téléphone portable pour les filmer. Au contraire, qu’un boxeur retraité mais en pleine forme malgré les gaz lacrymogènes perde la tête et en vienne à frapper à terre à coups de pied un garde mobile, le voilà qui passe auprès des manifestants pour une victime.

Que cette violence n’est pas nouvelle et n’a jamais beaucoup indigné

Je ne me prononce pas sur le sens de ces événements, dont les causes sont profondes et dont on ne peut mesurer les conséquences. Je dis seulement ici mon étonnement devant le fait que cette violence ne choque pas, sauf lorsqu’il s’agit d’en accuser les forces de l’ordre, violence policière en effet choquante, si elle est établie, mais l’indignation sélective est une constante de l’histoire. D’où vient donc que la violence soit tolérée et en particulier lorsqu’elle vise non pas seulement les forces de l’ordre, mais les institutions ? Il est vrai que ce n’est pas un phénomène nouveau. Les pompiers en sont depuis longtemps victimes, et sans doute n’est-ce pas dans les mêmes quartiers : mais quel soutien ont-ils reçu ? Je ne sache pas non plus qu’il y ait une levée de boucliers lorsque des instituteurs ou des professeurs en sont l’objet de la part d’élèves ou de leurs parents. La situation de conflit, de violence même, qui règne dans de nombreuses classes depuis longtemps ne provoque guère d’émotion. Les gouvernements successifs (et les syndicats) ne l’ont pas prise en compte, et les associations de parents d’élèves ne paraissent pas non plus s’émouvoir. Quand un chef d’établissement de qualité est amené à dire à un professeur qui arrive dans son lycée qu’il n’y est plus question de pédagogie mais de gestion de conflit, il faut s’attendre au pire dans tout le pays2. Le personnel hospitalier n’est-il pas lui aussi l’objet de violences ?

Autre exemple : le tollé produit par la limitation de vitesse et la destruction systématique des radars qui mesurent la vitesse des automobilistes, alors qu’il est incontestable que depuis qu’ils ont été installés, le nombre de morts sur les routes diminue : on peut maintenant s’attendre au pire. Il n’y a aucune commune mesure entre la décision de limiter la vitesse et la violence qui lui répond, quand même on admettrait qu’à certains endroits cette limitation était inutile. La violence routière est non pas seulement tolérée mais approuvée, généralement par les hommes en apparence les plus paisibles. Je n’ai pas vu non plus, au moment des manifestations contre la loi El Khomri, que la France ait paru scandalisée de la casse – casse que j’ai pu constater encore après le 1er mai 2018 à Paris avenue Ledru-Rollin près de chez moi où des devantures étaient en morceaux, casse pratiquement impunie pendant que des jeunes gens de bonne famille, inoffensifs, qui se trouvaient ingénument au milieu de la bagarre, devaient passer la nuit au poste au grand dam de leurs familles qui s’en sont donc prises à la police. Le pays a-t-il été choqué de voir des universités dévastées au printemps dernier ? Et pour finir, provisoirement, je n’ai pas vu que les dix ou onze morts dus aux divers barrages routiers aient ému les populations ou les médias : ce sont de malheureux accidents. Faut-il admettre que n’importe quel mécontent coupe une route et ainsi provoque des accidents mortels ? Quand des manifestants qui en sont responsables sont allés rendre hommage aux victimes avec des bougies, cela n’a pas choqué, mais on a jugé maladroit que la police arrête leur meneur qui avait annoncé qu’il irait manifester sans en demander l’autorisation légale, disant qu’il allait poser des bougies en hommage à ces victimes – ses victimes. Qu’aurait provoqué une bavure policière faisant un mort ? Tout se passe donc comme si toute forme d’autorité venant d’une institution de la République était rejetée et que la désobéissance à la loi3 et la violence non seulement allaient de soi mais étaient approuvées. Les gilets jaunes sont de leur temps, ils sont d’un pays où tout est conflictuel et où aucune autorité n’est reconnue.

Des raisons de la colère

Les lecteurs de Mezetulle le savent, je ne doute pas qu’une politique libérale, au sens du libéralisme économique, soit par nature contraire à l’idée républicaine, et qu’elle choque plus en France que dans d’autres pays européens. Lorsqu’on considère, cela depuis longtemps et partout dans le monde, que l’enrichissement financier doit être le moins possible réglé par la loi et que la bonne marche de l’économie requiert une baisse des impôts, c’est une remise en cause du principe même de la redistribution. Il ne suffit pas de dire que les inégalités s’accroissent : elles sont le principe d’une telle économie (même si la France a jusqu’ici été un des pays les moins touchés par ce mouvement), et il ne faut pas alors s’étonner que le respect des lois, ce qu’on appelait le civisme, en soit affecté et qu’en conséquence la violence ne choque pas. Mais la violence actuelle s’oppose-t-elle vraiment au libéralisme, lorsqu’elle exprime un ras-le-bol fiscal, comme on dit ? Les tenants du régime libéral considèrent eux aussi que le niveau des taxes en France est trop important et doit être aligné sur ce qui se passe ailleurs – ce qui, il faut sans cesse le rappeler4, implique une baisse de la protection sociale.

Le ressentiment et ses symboles

Autre exemple : la signification qu’on dit symbolique de l’impôt sur la fortune5. Cet impôt pourtant ne rapporte pas grand-chose à l’État (donc ne sert pas vraiment pour la redistribution). Son invention n’était qu’une manière de faire croire qu’on taxait les plus riches : il aurait fallu plus de courage pour faire une vraie réforme fiscale. La réussite de cette supercherie est complète puisque aujourd’hui ce symbole compte plus aux yeux des moins riches qu’une véritable justice fiscale, qui par exemple porterait sur les héritages. Ce ressentiment à l’égard des prétendus riches n’enrichira pas les pauvres mais rend sans doute tolérant envers les violences. Et inversement la suppression d’une partie de cet impôt était symbolique pour les investisseurs qui y voyaient un signe de la France en leur faveur. Se battre ainsi à coup de pseudo-symboles ne constitue pas une politique. Et quand même ceux des investisseurs potentiels qui ont quitté la France pour échapper à sa fiscalité reviendraient, est-on sûr qu’ils investiront en France ou même, si c’est le cas, que cet investissement n’enrichira pas les actionnaires, dont ils feront partie, plus que le pays ?

Le refus de la loi et des institutions en tant que telles

Quelques milliers de personnes manifestent par procuration pour tous ceux qui refusent ses institutions, ou plutôt toute forme d’institution : cette manière de tolérer la violence participe de ce qu’il faut bien appeler un refus d’obéir à la loi. On trouve une part de l’explication dans un article d’André Perrin6, qui montre quel discours est tenu par de prétendus philosophes ou sociologues pour qui obéir à la loi est un esclavage. Ceux des intellectuels qu’on peut entendre sur les médias sont loin d’être tous républicains et de se souvenir qu’on sait depuis l’Antiquité que seule la loi garantit la liberté contre toutes le formes de despotisme.

Certes, la tolérance à la violence peut venir du sentiment que la loi n’est qu’un instrument au service d’intérêts particuliers et non de l’intérêt général. Un exemple trop clair est la manière dont les autoroutes ont été cédées à des entreprises privées pour les enrichir. De là la plus grande confusion. Mais s’il est vrai que des lois sont utilisées pour conforter les pouvoirs en place et d’abord celui de l’argent, pourtant lois et institutions, c’est-à-dire l’État de droit, sont les seules limites à leur puissance. Et si le marxisme révolutionnaire n’a plus guère d’influence en France, l’idée qu’il y a une violence capitaliste qui justifie le recours à la violence dans la rue demeure ancrée dans les esprits – quand elle n’est pas publiquement proclamée. Faut-il confondre, sous la dénomination de violence « symbolique », l’injustice sociale (réelle) et la violence physique, c’est-à-dire remettre en cause l’État de droit ? La loi passant pour l’expression de la violence des puissants et les institutions pour ce qui perpétue leur domination, il faudrait désobéir et s’insurger. L’habitude de mettre sur le même plan l’injustice sociale et les violences urbaines revient finalement à justifier le pillage ou la casse. Et quand les revendications sociales légitimes finiront par être confondues avec le brigandage, il faudra craindre que les plus défavorisés n’en tirent pas profit. Comme toujours, les spectateurs « tolérants » font le jeu des pouvoirs : il faut s’attendre à des retours de bâton.

Qu’en effet nos institutions ne sont pas républicaines : le problème de la représentativité

Voici peut-être le plus étrange. Il semble en effet qu’on puisse expliquer – et même justifier – la tolérance envers les violences qui accompagnent le mouvement des gilets jaunes, ou qu’il provoque lui-même, par la prise de conscience générale de l’insuffisance radicale du système électoral : les révoltés représenteraient en ce sens mieux le peuple que les élus. Or en France le plus grand nombre approuve l’institution présidentielle, c’est-à-dire l’élection au suffrage universel direct d’un président de la République qui a plus de pouvoir que celui des États-Unis d’Amérique. Comme si, selon un mot que j’ai entendu récemment, les mêmes étaient et royalistes et régicides. On élit un homme, et dès le lendemain de son élection, il est l’objet de toutes les contestations, le pays est informé régulièrement de la courbe descendante des sondages de sa popularité, et pour le dernier, dix-huit mois après son élection, on veut le renverser : le prochain tiendra-t-il un an, et son successeur six mois ? Cette élection est nécessairement au scrutin majoritaire puisqu’elle ne peut donner qu’un seul élu, et l’on ne voit pas pourquoi il devrait renoncer à mener la politique définie par son programme électoral et faire celle des candidats battus – même si cette élection revient depuis longtemps à élire par défaut un candidat qui paraît moins désastreux que son adversaire du second tour. L’élection législative n’étant plus qu’une manière de donner une majorité au président élu, le rôle du parlement se trouve réduit sinon supprimé. Pourquoi dès lors s’étonner que les représentants du peuple ne soient plus considérés comme ses représentants ? Ou encore, un référendum dit « non » et un peu plus tard les députés font passer ce qu’il refusait. Il n’y a pas démocratie, ou plutôt il n’y a pas république quand le pouvoir exécutif l’emporte sur le pouvoir législatif qui devrait être l’expression de la souveraineté du peuple. La constitution de la Cinquième République l’a voulu. L’élection du chef de l’exécutif au suffrage direct est en un sens démocratique, mais elle est contraire à l’idée républicaine. Une démocratie en apparence directe reposant sur des pétitions signées sur internet serait-elle un remède ou risquerait-elle de remplacer l’omnipotence de l’exécutif et la « mainmise de quelques énarques sur le pouvoir » par celle de groupes de pression bien organisés ? Car rien n’est plus facile que de fabriquer un groupe sur internet7.

Les corps intermédiaires

De leur côté les syndicats n’ont que très peu d’adhérents et ne peuvent pas davantage passer pour représentatifs. Il y a une relation nécessaire entre d’un côté la baisse du taux de syndicalisation et la quasi-disparition de partis politiques où l’on pouvait s’opposer par la parole, et de l’autre la violence. Quand entre le monarque et le moindre citoyen il n’y a plus d’intermédiaires, c’est tout ou rien, l’adulation ou la haine. Jupiter ne risquait pas grand-chose à régner sans mesure sur les dieux. Si ce n’est pas un despote dont le bras peut s’abattre à chaque instant sur son vizir et celui du vizir sur ses hommes, le plus puissant des hommes ne peut rien sans de multiples médiations sur lesquelles son pouvoir s’appuie dans tout le pays. Mais les intermédiaires8 eux-mêmes ont perdu toute crédibilité : ont-ils rempli leur rôle ou bien ont-ils été trop souvent plus attentifs à leur clientèle ? Ce qui ne date pas d’aujourd’hui9.

La colère contre un prétendu mépris

Voici peut-être – et il s’agit toujours du refus de la loi – une source de la violence et de l’approbation qui la rend possible : le discours, complaisamment repris par de nombreux journalistes et de nombreux politiques, qui accuse les élus, les gouvernants, les « élites », les Parisiens, de mépriser le peuple, manière là encore de justifier une colère qui dégénère en violence. J’ai bien vu que le sentiment d’être méprisé est vif. Il me paraît essentiellement fondé sur l’incapacité des politiques de s’adresser au peuple, entendu cette fois au sens républicain du terme, c’est-à-dire sur l’incapacité de parler au citoyen en tant que tel – la société civile ayant en effet la priorité sur l’État. On en est arrivé au point où personne ne peut rien dire sans passer pour arrogant ou prétentieux. C’est aussi bien pourquoi l’autorité d’un professeur, en tant qu’elle repose sur le savoir, n’est plus reconnue. Quand circule un mensonge caractérisé il est arrogant de le dénoncer. Dominique Schnapper analyse cet esprit démocratique antirépublicain et on lira avec intérêt ses réflexions10 sur la haine et le ressentiment qui naît d’un certain égalitarisme démocratique. Il est contraire à l’égalité démocratique ainsi entendue qu’un homme soit plus savant qu’un autre et à ce titre chargé d’instruire des ignorants, d’autant qu’il n’y a plus d’ignorants puisque tout le monde a internet. Qualifier un discours de professoral est une injure.

Je sais qu’un gouvernant ou un élu n’a pas à parler en professeur, comme si le peuple était composé de ses élèves, ni à abandonner le pouvoir à des experts, même les plus compétents. Je soutiens même que la politique n’est pas affaire de compétence. La souveraineté du peuple ne consiste pas à juger des compétences : l’élection n’est pas un concours de recrutement. Mais lorsque n’importe quelle « opinion » reproduite ou non à des milliers ou des centaines de milliers d’exemplaires prévaut sur une information véritable, la démocratie est bien le contraire de la république. Comme me le dit un ami, qu’on puisse, en matière de politique, critiquer une opinion lorsqu’elle repose sur une erreur factuelle paraît illégitime à ses élèves pourtant intelligents et studieux : « on a le droit de penser ce qu’on veut ». Opposer une vérité à une opinion manifestement absurde, voilà donc le comble de l’arrogance. Chacun fait valoir son opinion comme un droit absolu, et se dit blessé si vous la considérez comme fausse. Oserai-je opposer l’idée républicaine à la démocratie de l’opinion, à la démocratie d’opinions circulant sur les réseaux sociaux11 ? Si le peuple se réduit aux groupes formés lors de rencontres virtuelles, même transformées en rencontres réelles, comment les diverses décisions qui en résulteront pourront-elles avoir force de loi ? Quelle autorité pourra dès lors être reconnue ? Car la tolérance à la violence signifie bien le refus de reconnaître toute autorité, quelle qu’elle soit, le refus de reconnaître qu’il y a une autorité légitime du professeur, du médecin ou de la loi.

Ainsi d’un côté, sur les réseaux sociaux chacun peut lire – ou écrire – les pires obscénités, les plus violentes injures, des menaces de mort et de torture, de l’autre un homme public ne peut plus rien dire sans qu’immédiatement son propos « fasse polémique », comme on dit et qu’il soit accusé de mépriser le peuple. Était-ce « extrêmement blessant » de dire, comme alors le ministre Macron, que l’illettrisme de femmes mises au chômage les empêchant de passer leur permis de conduire, elles ne pouvaient aller travailler à 60 km comme on le leur proposait, de sorte qu’elles étaient prisonnières de leur situation, ou était-ce montrer à quel point elles étaient victimes ? Mais il a fallu qu’il s’excuse. Dire qu’il y a parmi les manifestants des factieux et des foules haineuses, est-ce s’en prendre à tous les manifestants ? Mais le moindre manifestant se dit stigmatisé ou méprisé par ces mots. Peut-être un politicien plus habile ou plus retors aurait-il évité de parler ainsi pour ne pas produire ce genre de réactions, mais que peut-on dire sans irriter ? Chacun a pu remarquer que tout propos critique ou seulement maladroit, quel qu’en soit l’objet, et en dehors même de la politique, provoque les hauts cris de telle ou telle association, ou de tel groupe qui se dit ulcéré, et son auteur doit s’excuser, quand il n’est pas poursuivi en justice et que la justice parfois prend la défense de l’accusation12. Ainsi nous sommes revenus au temps où le blasphème était un crime : la critique d’une opinion est un blasphème, ou, inversement, au lieu de faire la critique d’une opinion, on attaque son auteur en justice. Un débat est impossible dans ces conditions, car un débat suppose qu’on puisse s’opposer par la parole sans qu’un désaccord implique la remise en cause de celui qui parle et sans que chacun se dise blessé au moindre mot qui ne lui plaît pas. Abstraction faite de tout jugement sur les politiques menées depuis longtemps et les revendications des manifestants, je suis perplexe devant ce que j’entends, ce que je peux lire sur les réseaux sociaux et ce que prétendent éprouver les acteurs de cette crise. Que telle parole soit considérée comme fausse, telle politique comme mauvaise, il est permis de le penser, de le dire, de manifester pour s’y opposer, que ces revendications soient fondées ou non. Mais sans que la haine prenne le pas sur ces revendications, et le ressentiment sur l’exigence de justice. Comme dit Speranta Dumitru, l’opinion publique se soucie plus de prendre aux riches que d’améliorer la vie des pauvres13, et l’affaire de l’ISF le montre à l’envi, et c’est bien cela, le ressentiment sur lequel il y a chez Nietzsche une réflexion qui mérite qu’on s’y arrête et par laquelle il caractérisait justement l’esprit démocratique dont je parle ici14. La tolérance à la violence, comme la violence, procède de ce ressentiment.

La violence remplace le nombre

La violence aujourd’hui remplace le nombre. Une manifestation de plusieurs centaines de milliers ou de millions de personnes n’a pas besoin pour se faire remarquer de tout casser, contrairement à un défilé de quelques milliers ou de quelques centaines de personnes. La colère (peu importe qu’elle soit ou non justifiée, là n’est pas la question) de quelques-uns seulement passe pour mieux représenter le peuple que le suffrage universel. Et ces insurgés vous menacent au carrefour si vous ne leur donnez pas raison et vous contraignent à mettre un gilet jaune sous votre pare-brise si vous voulez passer. Ce terrorisme – car c’est de cela qu’il s’agit – est-il un simple accident ? L’intervention de factieux et de casseurs quasi professionnels, qu’ils tiennent un discours révolutionnaire ou non, n’explique pas la violence des discours et des actes des manifestants ordinaires. La casse est-elle l’ultime forme de représentation dans une démocratie représentative mal en point ? Les injures racistes15, sexistes etc., en sont la conséquence inévitable.

Représentation et réalité

Pour qui veut comprendre, je ne dis pas agir, car je n’y suis pas habilité, la difficulté, comme toujours en matière de politique, est de distinguer la représentation que les hommes se font d’une situation et la réalité, dont ces représentations font aussi partie. Je ne m’étonne pas que des hommes dont la vie est à bien des égards moins dure que celle de leurs ancêtres ou que celle de la plupart des pays du monde ne supportent pas de ne pas pouvoir s’offrir ce qu’à longueur de journée le harcèlement publicitaire leur fait miroiter. Les plus jeunes veulent des « marques » et leurs parents finissent par céder et se ruiner. Il est maintenant obligatoire d’acheter des ordinateurs. On se précipite sur les portables dernier cri, sur les grands écrans, et ces achats sont nécessaires à la bonne marche de ce qu’on appelle l’économie. Je ne m’étonne donc pas de l’endettement de ceux qui n’y résistent pas, puisque ce harcèlement est fait pour les séduire. Je ne m’étonne pas de ce que des ménages dont les salaires ne sont pas indignes ne puissent alors boucler leurs fins de mois. Jamais sans doute il n’a été aussi difficile non pas de s’acheter de quoi vivre, mais de savoir comment s’organiser pour ne pas être noyé dans la profusion de marchandises qui nous submergent. Peut-on, si l’on y réfléchit, se promener sans malaise dans les rayons d’un supermarché ? On sait aussi que les plus aisés savent mieux faire le tri. Je ne m’étonne pas dans ces conditions du ressentiment d’une part de la population à l’égard de ceux qu’on appelle « les riches », dont je suis, ma femme et moi étant retraités de l’Éducation nationale : riche et pauvre sont des termes relatifs16. De même que la crainte de l’immigration n’est pas proportionnelle au nombre de migrants mais est nourrie par des discours racistes et xénophobes, de même le ressentiment n’est pas proportionnel au niveau de pauvreté. L’extrême droite a toujours opposé le peuple à ses élites. Et que la démocratie, ce soit aussi la rue, un candidat malheureux aux élections présidentielles l’a proclamé. Dans les deux cas, les institutions sont remises en cause. Ce qu’on appelle le populisme et les violences qu’il génère vient-il du peuple et de la misère réelle d’une partie du peuple, ou de ce que le peuple subit sans cesse des discours démagogiques qui cultivent le ressentiment ? Là où règne l’opinion, il n’en peut être autrement. Ces discours trouvent dans le dénuement réel de certaines populations un terreau fertile et il aurait fallu s’en préoccuper, mais il n’est pas sûr que ces violences et ces haines viennent des plus démunis auxquels ces violences n’apporteront aucun remède, et ils le savent.

Conséquences

Toujours est-il que, étant tolérées, tant d’expressions violentes de tant de haine ne peuvent pas rester sans conséquences. La violence verbale des réseaux sociaux devait se transporter dans la rue : on ne s’injurie pas sans conséquences. Aujourd’hui, n’importe qui risque à tout moment de passer à l’acte et il ne faudra pas s’étonner alors des pires exactions et même des crimes. Tous ceux qui ne sont pas choqués par la violence des discours et par les violences non pas des casseurs « professionnels » mais de braves gens qui manifestaient souvent pour la première fois de leur vie – s’étonne-ton du comportement de ces novices ? – tous ces « tolérants » approuveront-ils alors ? Ai-je tort de m’alarmer devant cette crise de la cohésion sociale ? Il est vrai que cette crainte repose sur l’idée que les conflits qui déchirent cette société n’ont pas pour fondement le problème réel du pouvoir d’achat (ni, il semble pourtant qu’on n’en parle pas assez, celui plus grave du logement, qui est une raison essentielle du premier et qui a une longue histoire en France), mais qu’il a des causes plus profondes : par exemple la difficulté de parler de la France de 1940-45, de la guerre d’Algérie, de la décolonisation et même de la laïcité me semblent en être le symptôme.

[NdE. Lire aussi, du même auteur, « La misonomie, ou haine des institutions« 
et « Sur un prétendu droit de désobéir » par André Perrin]

Notes

1 – [NdE] Il me semble important de préciser ici que Jean-Michel Muglioni a rédigé ce texte bien avant le 16 février 2019 (date à laquelle Alain Finkielkraut a reçu publiquement des injures antisémites).

3 – J’ai entendu le journaliste Claude Weill en faire judicieusement la remarque à l’émission C dans l’air du lundi 7 janvier sur la 5. https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/849415-gilets-jaunes-l-executif-durcit-le-ton.html

5 – ISF, impôt sur la fortune créé en 1981, supprimé en 1987, sans déclencher de haine contre les gouvernants, repris en 1989 et remplacé en 2018 par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).

8 – L’appellation « corps intermédiaires », il faut le rappeler, date de l’Ancien Régime, comme l’usage fait aujourd’hui du terme de territoire au pluriel, comme s’il n’y avait pas qu’un territoire national.

9 – Une remarque hors-sujet. Il est vrai aussi qu’aucun homme ni aucun parti n’a été capable de proposer un programme qui reçoive l’approbation de plus d’un quart des suffrages exprimés, de sorte qu’une assemblée élue au suffrage proportionnel et en un sens vraiment représentative serait ingouvernable, à moins que différents partis n’admettent de s’allier, comme en Allemagne (il leur a fallu six mois pour cela, alors que ce genre de négociation leur est familier), où pourtant les choses ne vont pas aussi bien qu’on le dit. Ce qu’un citoyen assez mal informé comme moi peut comprendre ne permet pas de voir quelle issue trouver à la crise actuelle qui vient de loin. Je dis « la proportionnelle en un sens représentative » parce qu’en un autre sens elle laisse les partis décider des listes de candidats et de l’ordre dans lequel ils sont présentés, de sorte que les partis choisissent eux-mêmes les députés. Le scrutin majoritaire par circonscriptions permet au contraire à l’électeur de choisir son député. Tout système de représentation a donc ses défauts.

11 – Il ne suffit donc pas de rappeler les conséquences nocives des réseaux sociaux. L’usage qui en est fait est second relativement à l’esprit démocratique qui sanctifie l’opinion de chacun : ce nouvel instrument de la démocratie d’opinion n’en est pas le principe.

12 – La manière dont s’est déroulé le procès intenté à Georges Bensoussan est à cet égard significative.

14 – Il est vrai aussi que Nietzsche en vient à voir le ressentiment dans les plus hauts idéaux, y compris l’idée républicaine. Mais sa généalogie des passions humaines nées du ressentiment éclaire bien notre époque. Où l’on remarquera qu’il est aussi facile de faire passer pour du ressentiment une véritable exigence de justice que de prendre pour une revendication de justice son propre ressentiment.

15 – J’ajoute – ce que j’ai honte d’ajouter après la lecture du cri d’alarme de Joann Sfar, le 10 février 2019, car j’aurais dû le dire plus tôt – qu’il est remarquable que les slogans, graffitis et déprédations antisémites, qui auraient à coup sûr été condamnés avec force par tout le monde, journalistes, associations, partis politiques et pouvoirs publics, soient tolérés, et que sous prétexte que ce mouvement serait populaire, il est inconvenant de dire que les gilets jaunes en sont pour le moins complices. Parlant de cette dérive, Joann Sfar écrit, ce qui résume mon propos : « il faut encore subir les durs d’oreille qui m’expliquent que ce n’est pas représentatif. Pas représentatif? C’est une constante depuis les origines de ce mouvement. Ce qui est représentatif, c’est la lâcheté de ceux qui regardent ailleurs… ». Cette lâcheté a pour conséquence que les revendications justifiées exprimées par ce mouvement seront discréditées.

16 – Près de 7 milliards d’êtres humains sont aujourd’hui plus pauvres que moi.

© Jean-Michel Muglioni, Mezetulle, 2019.

24 thoughts on “Démocratie et tolérance à la violence

  1. François BRAIZE

    Merci !
    Cela fait du bien de vous lire sur ce qu’il faut bien appeler un ensauvagement généralisé.
    Je n’ai que deux « petits » désaccords avec vous.

    1° Lorsque vous considérer que le libéralisme économique est antinomique de la République. Cela me paraît hautement contestable, car nous sommes en régime républicain avec un haut degré de protection sociale (à hauteur de 58% de dépenses publiques en rapport de notre PIB) et en même temps en régime de libéralisme économique. C’est en fait une question de dosage de la régulation par la loi dudit libéralisme et pas l’opposition binaire que vous semblez retenir.

    2° Autre désaccord, il est dommage de véhiculer l’idée que le Traité de Lisbonne soit venu faire dans le dos du peuple ce que celui-ci avait refusé par le « Non » au référendum de 2005.

    Cette idée inexacte est portée depuis le Traité de Lisbonne par les opposants à l’Europe et reprise par beaucoup et trop souvent sans vérification. C‘est une quasi « fake news » qui a la vie dure. En réalité, le Traité de Lisbonne, pas plus que celui de Nice d’ailleurs, ne nous a imposé une Constitution européenne que nous aurions refusée en 2005. Sinon, cela se saurait.

    En réalité, le Traité de Lisbonne a fait effectuer des progrès décisifs à la démocratie en Europe en accroissant les pouvoirs du Parlement européen et des parlements nationaux, en mettant la Commission sous contrôle démocratique et en améliorant l’efficacité du fonctionnement des institutions (sans même parler de l’introduction de la clause de sortie de l’UE pour un Etat qui n’existait pas avant ce Traité !!! Voir à ce sujet les fiches extrêmement claires de la Fondation Robert Schumann, par exemple https://www.robert-schuman.eu/fr/dossiers-pedagogiques/traite-lisbonne/annexe2.pdf).

    Fallait-il ne pas prévoir ces améliorations au motif que la Constitution avait été refusée et bloquer le fonctionnement européen ou ne plus améliorer son fonctionnement démocratique ? Le considérer serait proche du pathétique de la politique du pire que l’on affectionne sur certains ronds points… Et puis, la démocratie représentative a fonctionné et les parlements nationaux ont ratifié ce Traité. Comment le négliger? Même si ces points étaient aussi dans le projet de Constitution refusée, ils ne paraissent pas discutables tant ils étaient nécessaires. S’il est assez bête pour un peuple qui n’en a pas de refuser une constitution même imparfaite il devient stupide après coup d’en refuser même les bienfaits incontestables si ceux-ci sont possibles même sans la Constitution qu’il refuse…

    Que demande le peuple ? Une Europe moins « ultra libérale » économiquement ? On sera avec lui sur ce coup mais alors qu’il ne vote pas aux élections européennes pour les partis qui prônent et mettent en œuvre une telle politique ! Et s’il perd les élections, en démocratie, il faut savoir s’incliner. L’Europe, comme une Nation, peut connaître diverses sorties des urnes. Elles doivent être acceptées dès lors que le vainqueur respecte le Pacte démocratique et nos droits fondamentaux. Bref, on ne peut pas dire « l’Europe on la change ou on la quitte », car la politique qu’elle mène, et même ce qu’elle est, est une sortie des urnes. Le dire revient à refuser le verdict de celles-ci….

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Merci!
      1/ Je suis d’accord avec vous sur le premier point en ceci qu’en effet la France est sans doute le pays d’Europe où la protection sociale est la plus considérable : donc il y a effectivement libéralisme économique et protection sociale et république. Mais, vous le dites, à condition que la loi règle l’économie et que la fiscalité soit organisée en conséquence. Par exemple vouloir aujourd’hui baisser les impôts serait, me semble-t-il, une aberration. Reste donc à savoir si les politiques qui seront mises en œuvre à l’avenir détruiront ou amélioreront la situation.
      2/ Sur le second point je suis comme beaucoup mal informé et je veux bien vous donner raison. Mais alors c’est une maladresse et même une faute politique de ne pas être passé par référendum pour voter le traité de Lisbonne. Non que je préfère la démocratie plus directe du référendum à un vote de l’Assemblée Nationale ! Mais il est inévitable qu’on ait cru qu’on ne voulait pas prendre le risque du référendum en raison du non qui avait précédé.

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  2. LHUILLERY

    Merci Monsieur,
    Je forcerai le trait en particulier, avec les propos de Joan Sfar sur l’instruction, la laïcité, les droits et les devoirs ..
    ( produits n’existant pas dans les rayons de marques des grandes surfaces)
    Et , ne me remémorant pas l’auteur, rappeler:
     » Quand une République se retire sur la pointe des pieds, ce n’est pas l’individu libre et triomphant qui occupe le terrain. Généralement les clergés, les charlatans ou les mafias lui brûlent la politesse »
    Alain. Chevreuse

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  3. Jacques Variengien

    Bonjour,
    J’avoue que je suis très surpris par votre analyse. Si vous avez quelques minutes je peux vous surprendre également. Je réagis sur un seul point. Je peux affirmer le contraire de votre proposition : l’indulgence voir le soutien pour les débordements des gilets jaunes témoignent de l’attachement du peuple à la loi et aux institutions. Je ne suis pas philosophe mais psychologue, cela change peut-être l’angle. Je ne justifierai pas la violence car étant incapable de la mettre en oeuvre moi-même je ne dois pas encourager les autres à le faire. Je cherche simplement du sens.
    Si vous considérez que tout le monde est intelligent et cohérent, logique,, cela ouvre d’autres perspectives.
    Quand on manifeste pour l’équité ou le RIC, ce n’est pas une défiance vis-à-vis de la loi ni des institutions mais tout à fait le contraire : l’appel à la morale en politique. Il est tout à fait cohérent voire légitime de renverser un système a-morale par la violence s’il est sourd et aveugle. C’était écrit dans la constitution comme un devoir pour le peuple, art 33 de la constitution de 1793  » La résistance à l’oppression est la conséquence des droits de l’homme ». Ce qui est une manifestation de défiance vis à vis de la loi et des institutions c’est d’accepter la règle du chacun pour soi, des privilèges quelque soit sa contribution au bien commun. Ce qui est l’acceptation de la violence c’est l’annulation du plus faible, le transfert de souveraineté vers l’Europe, la marche en avant vers l’a-moralité en politique quelque soit le prix que paient les plus faibles.
    La cohérence du système capitaliste dans sa version ultra-libérale, puisqu’il est a-moral et le soutient, est d’intégrer la disparition d’une partie des populations quand elles sont devenues superflues. Quand on a des actions dans tous les pays on n’a plus besoin des pauvres pour défendre son patrimoine national. De ce point de vue les politiques économiques n’ont pas échouées – les riches s’enrichissent – elles peinent simplement dans la gestion des effets secondaires, humains et écologiques. Toute la politique réformiste est là. Si la violence actuelle fait symptôme c’est peut-être de révéler que des citoyens ont perçu le no-limit du capitalisme libérale. Quand vous tombez en arrière de votre chaise lors d’un repas de famille, vous vous attrapez violemment à votre voisin. Vous accuser de votre violence à ce moment là ?! Pour autant ils ne réclament pas tous un autre système économique, beaucoup j’en suis sûr réclament simplement que l’eau ne monte pas plus haut que leurs chevilles. En cela le mouvement des gilets jaunes ne serait pas révolutionnaire et on aura beau jeu de les juger dans l’air du temps libéral cupide avide et irresponsable. Je n’ai pas les moyens de le vérifier pour l’affirmer.
    Qu’il y ait parmi les casseurs des anarchistes et des libertariens qui nous veulent sans institution c’est probable, qu’il y ait des salafistes appelés à agiter le pays pour déstabiliser les institutions, c’est révélé parait-il mais je ne l’ai pas vérifié, mais eux ne sont pas contre la loi et les institutions par principe, ils sont pour les remplacer par leur morale. Qu »il y ait des gilets jaunes qui se soient rigidifiés, c’est probable mais là encore c’est sur une posture morale qui appelle à la loi et à l’institutionnalisation de la morale en politique et pas au chaos. Que les sondages révèlent un soutien ne révèle pas la nature du soutien et ses ambiguïtés. Dire : les autres c’est le chaos et moi l’ordre, c’est le B.A BA de la politique, et non du politique, et il est difficile de ne pas y succomber.
    Il faudrait parler de la haine du peuple et de la peur qu’il inspire. Ce n’est pas la violence qui a permis d’obtenir (quoi au juste qui ne soit pas une réponse libérale qui fait partie du problème ?), c’est la peur que le peuple a suscité, d’où l’appel aux corps intermédiaires réformistes pour le faire rentrer dans le rang. Parlons aussi de la seule liberté qu’on lui laisse, celle de se comporter en foule pour faire entendre sa limite. Vous savez que la charge la plus lourde pour un groupe c’est de s’organiser, quand on voit la vie des parties politiques qui ont les moyens de le faire on devrait être un peu plus indulgent avec le petit peuple à qui on ne laisse pas les moyens et que l’on combat par tous les moyens (% des médias propriétaires de milliardaires ? % de journalistes libéraux dans les rédactions ? % de philosophes européistes dans nos journaux ?).
    La politique économique libérale ne fixe pas de limite basse au statut et à la souffrance des citoyens. Sa seule limite est celle de notre patience et notre indulgence. Si les pauvres se comportaient comme les riches pour défendre leurs intérêts particuliers, ce serait la guerre civile. Or ça ne l’est pas et cela démontre que nous ne sommes pas tolérant à la violence comme les plus riches le sont. On pourrait tout aussi bien féliciter le petit peuple pour son comportement exemplaire, quoique qu’ambigüe ! Mais qui a décidé que la délinquance et la violence c’était le casseur et le voleur de mobylette, à rééduquer donc, et pas UBS Monsanto Total Cahuzac Tapie Arnault etc…
    Je rappelle que Nicolas Hulot a quitté le gouvernement en lançant une alerté, enterrée en 2 jours par les médias meanstream : la démocratie est en danger car les lobbies sont dans la place. Mais Europe Europe Europe, sauvons les cabris !
    Cordialement

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Votre propos est une défense des gilets jaunes. Je le publie pour qu’on ne s’imagine pas que je refuserais d’entendre ce son de cloche. Je vous sais gré de ne pas suivre comme beaucoup de journalistes les sondages d’opinion : la plupart ont été favorables au mouvement tant que ces sondages disaient que le mouvement était soutenu par les français, ils ont changé dès que la tendance s’est inversée. Vous soutenez en outre que la violence est justifiée quand elle répond à une injustice.
      Sur ce dernier point, j’ai répondu dans mon article. Non pas seulement que c’est injustifiable moralement, mais politiquement, d’autant qu’il arrive que la violence se retourne contre les plus faibles. Pour le premier point, mon propos ne porte pas sur la question de savoir si les revendications des gilets jaunes sont ou non fondées, mais sur la tolérance à la violence des spectateurs, celle des politiques eux-mêmes, et sur le fait qu’elle ne date pas de ces derniers mois : je l’avais clairement dit sur Mezetulle en 2008 – cf. renvoi en fin d’article. Et dans les notes, renvoi aux articles où je signale la permanence de la violence en France, et particulièrement à l’école et là, l’injustice ne saurait en être le prétexte.
      Que psychologiquement on puisse comprendre qu’une colère s’exprime par la violence, je n’en doute pas. Mais il se pourrait que l’indignation, même lorsqu’elle est fondée, soit mauvaise conseillère et ne favorise pas la lucidité.

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  4. André Perrin

    Merci à Jean-Michel Muglioni pour ce texte remarquable, juste et vrai sur tous les points qu’il aborde, et auquel je souscris entièrement. Les seules réserves que j’aurais pu formuler l’ont été par François Braize et Jean-Michel Muglioni y a répondu de façon parfaitement convaincante.

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  5. Incognitototo

    Bonjour,

    Parmi toutes les raisons des violences que vous avez évoquées, vous en avez, à mon sens, oublié une de taille : c’est que rien (absolument rien) n’a jamais changé en France de façon fondamentale sans violence et/ou sans un soutien populaire de masse (comme en 36).

    Tous les acquis républicains (suffrage universel, liberté de s’associer, acquis sociaux, et cetera) ont toujours été arrachés par des mouvements violents et souvent au prix du sang.

    C’est si vrai que l’article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 (non repris dans notre actuelle Constitution) indiquait : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. ». De sorte que notre droit à l’époque permettait et justifiait la « légitime violence ».

    Je pense que cela provenait juste du constat, qu’il est impossible depuis toujours que les élites françaises puissent être à la base de réformes qui remettraient en cause leurs propres pouvoirs et décisions. C’est comme si intrinsèquement notre système politique était incapable de générer par lui-même les réformes qui s’imposent au niveau des fondamentaux.

    Alors oui, la violence et le dégagisme sont bien des vraies réponses à la passivité et surdité de nos politiques. On peut le déplorer, et ce d’autant plus que tous les dérapages et abus deviennent possibles quand on en est là, mais ça n’est qu’une conséquence des blocages politiques. Si vous soumettez un enfant à de la maltraitance, il ne faut pas s’étonner que sa violence s’exprime sur toutes sortes d’objets, sans parfois aucun rapport direct avec sa maltraitance. On en est là.

    Bien cordialement.

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Mon article du 20 février sur la tolérance du pays envers la violence portait sur un phénomène général dont j’avais plusieurs fois rendu compte sur Mezetulle. L’occasion m’en ayant été donnée par la tolérance envers les violences qui accompagnent le mouvement des gilets jaunes, je ne m’étonne pas que les commentaires portent plutôt sur eux que sur mon propos et même qu’ils adoptent parfois un style plus ad hominem qu’analytique contre tel autre commentateur ou contre moi : le mouvement des gilets jaunes divise. Ce blog ne saurait admettre le moindre dérapage de cet ordre, même involontaire. Cf. http://www.mezetulle.fr/des-consequences-politiques-des-reseaux-sociaux/ où je montre que la violence sur internet est une des causes essentielles des violences présentes.

      J’envisageais les violences présentes comme un nouvel exemple de violence tolérée, sans me prononcer sur le sens d’un mouvement difficile à analyser, craignant d’imiter les plus célèbres des philosophes du siècle dernier qui se sont généralement trompés sur les évènements de leur temps. Or les objections que je reçois soutiennent qu’il y a là une violence révolutionnaire comme telle justifiée, et 1789 n’est pas loin. C’est soutenir que la violence est consubstantielle à ce mouvement, quand j’entends au contraire les médias, les politiques et les acteurs eux-mêmes dire qu’elle vient de casseurs ou de débordements, ou encore de la police. Admettons cette interprétation révolutionnaire. Les violences tolérées depuis longtemps et que j’ai énumérées sont-elles révolutionnaires ? Par exemple la violence dont sont victimes instituteurs et professeurs et le fait qu’elle soit tolérée, est-ce révolutionnaire ?

      Je veux bien admettre avec Incognotototo que l’incapacité des gouvernants finisse par provoquer exaspération, colère, désespoir même, et donc la révolte avec ses violences. Que par conséquent il n’y a pas lieu de s’étonner des conséquences désastreuses de blocages politiques. Mais qu’y a-t-il dans le discours des révoltés qui soit comparable à ceux des révolutionnaires de 89 ? Il est vrai qu’ils ne sont pas responsables de ce qui se dit et s’écrit en matière de politique depuis déjà longtemps : leur siècle n’a pas donné l’équivalent d’un Montesquieu, d’un Voltaire, d’un Diderot, d’un Rousseau ou d’un Condorcet. Et qu’on ne prétende pas, comme je l’ai entendu dire par quelques médias, qu’il s’agit d’une révolte fiscale comparable à celle qu’expriment les cahiers de doléances de 1789. Y avait-il alors la moindre redistribution ? Quels impôts Noblesse et Clergé payaient-ils ? Quelque injuste que soit aujourd’hui notre fiscalité, cette injustice n’a rien de commun avec celle de l’Ancien Régime.

      Un commentaire que je ne publie pas parce que son ton est contestable (sans doute est-il écrit un peu vite !) trouve curieuse la « répulsion face à la violence de la part de personnes (donc Mezetulle aussi est visée) qui se revendiquent de 1789 », et ce serait « un peu romanesque » (sic) de penser que seule la révolution de 89 est le produit des Lumières. Mais les gilets jaunes ont-ils invoqué les Lumières ? Et quel philosophe des Lumières a-t-il appelé à la révolution et justifié la violence ? Rousseau, parfois tenu pour avoir inspiré les acteurs de 93 s’est explicitement opposé à l’idée de faire en France une révolution (par exemple, Pléiade, Écrits politiques, 1964, p. 637-638).

      Des violences révolutionnaires de 89 à nos jours (1830, 1848, la Commune, moins violente que la répression qui y a mis fin) ont contribué à la mise en place de la République. Mais cette réussite justifie-t-elle la violence ? Si l’on juge les violences révolutionnaires à leurs conséquences historiques, il faut les considérer toutes : 1917, la révolution culturelle en Chine ou les khmers rouges, etc. A ce compte, on conclura qu’il est sage de réprouver la violence et même de l’avoir en horreur.

      Passons du fait au droit. La question du droit de résistance est débattue. Elle est d’une grande difficulté. A l’intérieur d’un état de droit, il est aisé de comprendre que soit prévue la désobéissance à un ordre qui contredit les droits de l’homme ou la Constitution : la Justice peut arbitrer le conflit. Mais quelle tierce instance tiendra lieu d’arbitre si les institutions elles-mêmes sont détruites ? Seule la force et non le droit décidera alors qui l’emporte. Et qu’il soit arrivé un jour que le camp de la justice soit le plus fort ne change rien au problème. C’est pourquoi je ne suis pas prêt à justifier la violence. Je n’ignore pas que presque tous les régimes en place, et les meilleurs, ont été installés par la violence, ni surtout que les révolutions des siècles précédents n’étaient pas des promenades et des casses de week-end. Qu’on ne compte donc pas sur moi pour oublier jusqu’où peut aller la violence et de mon bureau pousser les hommes à faire couler le sang. Je cherche seulement à comprendre ce que je tiens pour l’instant pour un simulacre de révolution, quel que soit le bien fondé de certaines revendications et de la critique du pouvoir en place.

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      1. Incognitototo

        Pensez-vous vraiment que les sans-culottes (et bien d’autres) quand ils sont descendus dans la rue portaient et promouvaient les valeurs des lumières ? Non, ils demandaient du pain et se foutaient probablement pas mal de l’égalité, de la fraternité et de la liberté…. et je pense même que certains étaient dans la rue uniquement pour piller et donner libre cour à leur haine.

        Après que certains intellectuels y aient donné un sens, en réalité aient récupéré ces mouvements populaires pour renverser ou faire plier les pouvoirs en place est une autre affaire. Les « révolutions » ont toujours été en réalité des « luttes de place ». Dans tous les systèmes politiques bloqués, quand ceux qui ont une influence notamment économique, ne peuvent décider de leur avenir, alors « on » décide qu’il faut changer de pouvoir, en réalité le récupérer pour le compte de sa propre caste ; comme toutes les révolutions l’ont démontré.

        Les particularismes de ce mouvement des gilets jaunes sont nombreux ; entre leurs contradictions revendicatives, l’absence de parole commune, et autres, c’est surtout leur refus d’être « représenté » par quiconque, qui personnellement m’interroge. Où comment (après tant de trahisons) l’idée même de vouloir porter au pouvoir quelqu’un d’autre est devenue inadmissible.
        Outre « vouloir plus de sous » (qui remplace ; « on veut du pain ») la proposition du RIC est bien une des rares revendications qui semblent obtenir l’assentiment de tous. Et celle-ci est bien la conséquence d’un système politique bloqué, illégitime et abusif.
        Ils ne se battent pas pour quelqu’un ou une idée, ils se battent pour modifier le système qui les trahit jour après jour et depuis tant d’années, et ça c’est vraiment nouveau. Après que cela parte dans tous les sens est un autre problème… vraiment pas spécifique aux gilets jaunes quand on voit avec quelles difficultés les partis politiques sont incapables d’avoir eux-mêmes une parole commune.

        Depuis quarante ans combien de réformes – fiscales, sociales, du droit des affaires, écologiques, et cetera – auraient pu se faire si on avait demandé leur avis aux électeurs ? Si une majorité avait pu s’exprimer dessus ? D’après moi vraiment pas beaucoup et à l’évidence aucune de Macron.
        Celui-ci a été élu par 18,19 % des inscrits et il exerce le pouvoir en modifiant des fondamentaux (comme entre biens d’autres le droit du travail ou encore en bradant les participations de l’État) comme s’il avait une légitimité démocratique.
        Le grand public ne parle que des réformes présentées devant le Parlement ; mais dans sa grande majorité, il ignore tout des décrets qui ont été et continuent d’être pris qui limitent drastiquement leurs droits et par touches successives instaurent la société du droit des puissants et des riches à faire ce qu’ils veulent.
        Quelqu’un s’inquiète-t-il de la fin des juridictions de proximité, de la diminution des droits d’agir en justice, du raccourcissement des délais de prescription, des nouveaux pouvoirs donner aux entreprises pour recouvrir leurs créances sans recours possible des administrés, … pour ne citer que les derniers décrets pris depuis quelques jours… et j’arrêterai là la liste, tant elle pourrait s’étendre et touche à tous les secteurs de notre société. Elle démontre clairement que le « président des riches » ça n’est pas une image, c’est une réalité ; alors, où est la violence ?
        Celle des gilets jaunes qui aussi informe que puissent être leurs expressions et leurs revendications sentent bien qu’on est en train de la leur faire à l’envers, ou celle de cette « élite » de politiques et de possédants dont l’arrogance et le mépris n’a d’égal que le gouffre schizophrénique qu’ils ont créé entre la parole et les actes.

        Aussi informes et condamnables soient-elles, on ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est ce gouffre qui est à l’origine des violences, de toutes les violences.
        Nous avons plus qu’atteint les limites de cette 5ième République qui donne tant de pouvoirs aux coquins et aux copains, et dans mes rêves le mouvement des gilets jaunes la fait tomber…

        À mon sens, vous vous attachez trop à condamner la violence sans objet et/ou infamante et/ou non digne d’intérêt, et autres manifestations… alors que je considère que toute violence (aussi ignoble soit-elle) est un symptôme à prendre en compte, même si je ne suis pas d’accord ou même si j’exècre et condamne son objet.
        Autrement dit, alors même que ce sont nos lois qui fixent les limites et condamnent la violence, vous semblez déterminé à définir ce qui serait légitime ou pas, alors que ce n’est pas du tout le débat pour moi qui pense que toute manifestation de violence nous dit quelque chose d’important sur nos « maladies » sociétales et institutionnelles… et la violence de certains gilets jaunes est vraiment particulière. Qu’elle soit révolutionnaire ou pas n’a pas d’importance ; elle hurle à la face de nos politiques qu’elle n’a plus confiance en eux, c’est déjà énorme. S’ils ne savent pas l’entendre et y répondre, il est à prévoir qu’alors toutes les dérives seront possibles, y inclus qu’elle débouche sur une vraie révolution conceptuelle.

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        1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

          Fidèle lecteur Incognitototo,
          Votre propos contient malheureusement beaucoup de choses qui sont vraies, même si vous prêtez beaucoup à Macron. Mais je n’ai pas l’intention de disserter sur la politique du gouvernement actuel ni sur les gilets jaunes. Je ne vois pas assez clair et ce qui est présenté comme des évidences par les partisans ou les adversaires des uns et des autres ne m’éclaire pas. Et sur le sens de la Révolution française, nous pourrions refaire tous les débats qui ont commencé dès 1789. En outre il ne faudrait pas que mon analyse de la tolérance de la violence en France se transforme en duel entre les commentateurs.
          Que les difficultés réelles et graves d’une partie de la population ainsi qu’un blocage de la démocratie représentative entrainent des violences, je ne l’ai pas nié. Mais j’ai parlé d’autre chose, à savoir de la tolérance à des violences qui n’ont pas de rapport direct avec cette situation politique et sociale : le refus de l’autorité en général et particulièrement, ce à quoi je suis peut-être trop sensible par déformation professionnelle, celle que subissent instituteurs et professeurs. J’ai moi-même par chance échappé pendant toute ma carrière à la violence des élèves et de leurs parents, mais depuis le début, en 1969, j’ai vu cette violence et la complicité de l’administration qui ne fait pas que la cacher : je connais le cas de professeurs que cette violence dans leur classe détruisait et à qui leur chefs d’établissement ont conseillé de suivre une psychothérapie. Car leur échec en classe ne peut venir que d’eux. Je soutiens donc que cette violence a pour principe la tolérance envers elle et que cela n’a rien à voir avec une violence sociale liée à la pauvreté. Il y a là un état d’esprit qu’aucune misère n’explique : les plus pauvres s’en prenaient-ils autrefois aux professeurs, aux médecins?

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          1. Incognitototo

            Bien sûr, vous faites des constats qu’on ne peut que partager… déplorer et condamner.

            Cependant si la question qui est posée au final est : pourquoi n’y a-t-il plus de respect de l’autorité y inclus celle des professeurs, des médecins, des pompiers et autres ? Ainsi qu’une plus grande « tolérance » à la violence. Alors, il faut aussi se demander en quoi, pourquoi et comment ces autorités sont devenues des figures qu’on ne peut plus dissocier des pouvoirs en place, pire, qui peuvent être perçues comme des acteurs et complices de la perpétuation d’un ordre social vécu comme profondément injuste.

            Quand j’ai aidé des ados à faire leurs devoirs, j’ai été frappé par l’incohérence des programmes, la bouillie conceptuelle qu’on leur servait, sans oublier que même un énoncé d’exercice de math était écrit dans un français tellement charabia que c’était incompréhensible sans effort même pour moi qui ai manipulé des chiffres toute ma vie.
            Si j’avais été un de ces ados, j’aurais eu soit le sentiment d’être un imbécile, soit que ce monde n’est pas fait pour moi, soit que c’est fait exprès pour que je n’y arrive pas…. dans tous les cas, ce ne sont pas des sentiments très positifs.
            J’ai d’ailleurs moi-même fini par avoir des réactions de rejet envers cette autorité incompétente, maltraitante et même malfaisante, tant je trouvais que ces cours et ces exercices étaient mauvais ; alors que j’ai à la base foncièrement une reconnaissance sans fond pour les enseignants (d’il y a 50 ans) qui ont fait ce que je suis par les savoirs qu’ils m’ont transmis.
            Alors, plus grande tolérance à la violence ou réaction « saine » des humains que l’on met dans des situations de disjonction cognitive où le réel n’est jamais ce qu’il paraît être ?

            Pouvez-vous affirmer qu’encore aujourd’hui l’éducation nationale serait un sanctuaire où on laisserait à la porte ses différences culturelles, sociales, religieuses, … pour s’ouvrir et acquérir les savoirs, tous les savoirs ? Je ne pense pas, puisque la seule chose qui intéresse nos politiques depuis 40 ans est de valoriser des « compétences » qui serviront la société. Nos toubibs d’il y a 50 ans pouvaient sans crainte de rougir se présenter à des concours d’orthographe, beaucoup de ceux d’aujourd’hui font 3 fautes par ligne (je garde précieusement quelques courriers échangés avec différents chefs de service d’hôpitaux comme preuve) et tout le monde s’en fout.

            Alors au fond, je ne pense pas qu’il y a une plus grande « tolérance », parce que la violence fait peur à tout le monde, même à ceux qui l’exercent. Par contre, les figures d’autorité ont perdu tant de crédibilité et d’exemplarité que s’opposer à elles est bien devenu un « sport national », apte à susciter la « compréhension » de n’importe qui. Que ce « sport » dégénère en violence (parfois même sans objet) ne m’étonne personnellement nullement ; c’est toujours ainsi quand les « pères » (ou toute figure d’autorité assimilée) sont eux-mêmes devenus des transgresseurs de la loi.
            Et sur ce sujet-là, nos politiques, par leurs trahisons successives, leurs mensonges, et leur corruption, portent une énorme et totale responsabilité.

          2. Catherine Kintzler

            Cher Incognitototo,

            Sur l’analyse et la critique de la politique scolaire dont vous décrivez bien les effets (et qui dure depuis une bonne trentaine d’années), Jean-Michel Muglioni n’est pas en reste. Ce serait trop long de récapituler en détail les articles publiés sur le sujet, je vous renvoie pour cela aux sommaires de l’ancien Mezetulle (rubrique Ecole) et du présent site (rubrique École, enseignement) ; vous pouvez aussi consulter, sur l’un et l’autre site, les tables par auteur (http://www.mezetulle.fr/tables-auteurs/ ainsi que http://www.mezetulle.net/article-16750257.html#Muglioni) . On peut même dire que, avec Jean-Michel Muglioni (et bien d’autres parmi lesquels je m’honore de figurer), Mezetulle a fait de la politique scolaire un de ses thèmes récurrents.

            Je me contenterai, parce que ce texte aborde très précisément le sujet qui nous occupe, de citer son bref article « Que signifie enseigner sous protection policière ? »

            Ce que vous dites de la perte d’autorité des professeurs est juste et le texte que je viens de citer l’atteste. Cette perte d’autorité émane de l’abandon de la mission fondamentale de l’école de manière délibérée (comme vous le soulignez) et de mesures officielles à caractère idéologique qui accompagnent cet abandon. Ce n’est pas caricaturer ces mesures de dire que les enseignants sont formés à ne jamais faire acte d’autorité vis-à-vis des élèves : comment le pourraient-ils puisque le fondement même de leur autorité – la référence aux savoirs – est mis de côté, noyé dans un brouillard « pédagogique », quand ce n’est pas ouvertement dénigré ? En revanche on ne peut pas en dire autant des pompiers qui, jusqu’à nouvel ordre, ne sont pas détournés de leurs missions par l’autorité qui les gouverne et qui pourtant sont régulièrement pris à partie et caillassés lors d’interventions de secours.

          3. Incognitototo

            Chère Catherine,

            C’est bien grâce à ce blog que j’ai compris et pu articuler le malaise que je ressens chaque fois que je parle avec des jeunes, mais aussi des adultes dépourvus du moindre « bon sens », ainsi que des bases qui leur permettraient de penser par eux-mêmes. Avant de vous suivre, je mettais cela sur le compte exclusif de la « démission des pères ». Puis, vous m’avez fait comprendre comment tout cela procédait et était tout également la conséquence d’un système éducatif qui a renoncé (pour résumer) à faire preuve d’autorité, comme vous le répéter très justement… en prêchant malheureusement dans le désert.

            Dans mes jeunes années, quand la cellule familiale était défaillante au niveau éducatif, les maîtres et les professeurs (appuyés par l’institution) étaient une chance pour les enfants de s’extraire de leur condition et d’apprendre pour grandir malgré tout.
            Avec les directives institutionnelles actuelles et depuis plus de 30 ans – à l’exception de quelques enseignants qui continuent « à avoir la foi » envers et contre tout et à faire ce qu’ils peuvent – c’est bien fini aujourd’hui. Rien ne viendra modifier les travers familiaux qui conduisent certains mômes à rester bêtes ; en totale cohérence avec les politiques néo-libérales visant à perpétuer un ordre et une hiérarchie sociale figés dans le marbre. Bourdieu et son habitus ne nous ont rien appris…

            Certaines familles ne font plus leur boulot et pas plus l’éducation nationale, alors à quel endroit les mômes peuvent-ils aujourd’hui se structurer ? Il ne faut pas s’étonner en conséquence que ce double abandon des fonctions éducatives de base aboutisse à ce que des mômes et plus tard des adultes assimilent toute figure d’autorité, y inclus les pompiers, à des ennemis à abattre. Selon une étude du Collège de France et certains psys, les structures limites et psychotiques représenteraient aujourd’hui deux tiers de la population ; et une de leur caractéristique est bien le déni de toute autorité (qu’ils provoquent parce qu’ils en ont un besoin vital pour ne pas s’effondrer).

            Bernard Charbonneau (dès 1949 dans « L’État « ) démontrait comment tout libéralisme aboutit au totalitarisme. On voit bien que son analyse et sa prédiction sont en train de prendre corps à peu près partout dans le monde et que nous en avons pris également le chemin en France.

            On n’est pas sorti de l’auberge…

            Bien cordialement.

  6. François Braize

    On ne peut que vous suivre (et avec enthousiasme) tant les choses simples et fondamentales que vous dites sont oubliées, certains s’égarant de leurs propres passions dans des formes d’ensauvagement du langage puis des comportements et des actes.
    Les soutiens de tous les régimes totalitaires se sont toujours égarés de la sorte, mystifiés par leur idéologie ou la recherche de leur plaisir d’atteindre leur fin… qu’ils transmutent d’ailleurs au besoin rapidement en celle de leurs contradicteurs. Les placards de l’histoire sont plein des cadavres de leurs victimes et par millions.
    Le droit à la rébellion, y compris par la force et la violence, n’existe pas contre un régime démocratique. Il n’est concevable et n’existe d’ailleurs que contre un régime non démocratique (tyrannie ou dictature), contre donc les régimes qui ne constituent pas des Etats de droit mais des régimes barbares non respectueux des droits individuels et collectifs consacrés par les principes fondamentaux et valeurs démocratiques (tels que rappelés pour ce qui nous concerne par le Préambule de notre Constitution).
    Il serait d’ailleurs souhaitable face aux évènements et prises de position que nous connaissons depuis quelques mois (constitutifs de cet ensauvagement) de compléter notre droit pour dire encore plus clairement les choses en modernisant les textes de 1936 sur les mouvements susceptibles d’être dissous.
    Il serait en effet utile de mieux lutter par le droit contre les intégrismes politiques, ou religieux, qui ne s’inscrivent pas dans le Pacte Républicain et prétendent, en régime démocratique, que la violence est une arme de l’action politique. A cet égard, rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme a refusé à un parti islamiste radical turc qui avait été dissous en Turquie la protection de la Convention européenne des droits de l’Homme au motif que ce parti, qui professait l’instauration d’un islam radical au besoin par la violence, récusait ainsi nos valeurs démocratiques et principes fondamentaux ce qui le privait, pour la Cour, du droit d’être placé sous leur protection.
    En effet, on ne peut demander la protection des valeurs que l’on récuse. Voir à ce sujet notre article publié par Marianne : http://www.marianne.net/agora-les-4-principales-questions-que-pose-islam-radical-notre-etat-droit-100249137.html.
    Un tel précepte (on ne peut demander la protection des valeurs que l’on récuse) me paraît devoir être inscrit dans le Préambule de notre Constitution pour fonder l’interdiction par la loi des mouvements civils, politiques ou religieux qui prôneraient la violence comme moyen de leur action politique dans notre société. Ce qui n’est pas admissible en démocratie.
    Comme on l’a dit, dans un régime tyrannique, despotique ou totalitaire, le droit à la rébellion est un droit fondamental. Il est déjà consacré par le droit d’ailleurs. Prévoyons donc son inverse, l’interdiction de la rébellion violente en démocratie. Nous assurerions ainsi la réciprocité des droits et des devoirs sur ce plan.
    En quelque sorte un pied de nez, par nos principes fondamentaux démocratiques, à l’ensauvagement des esprits et des actes.

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Je ne répondrai pas sur la question des partis islamiques, fascistes, ou partisans d’un totalitarisme, qui n’était pas mon propos.
      J’avoue ne pas bien comprendre ce qu’il faut entendre par droit à la rébellion.
      Premier cas. C’est un droit inscrit dans la Constitution d’un pays, et il y a là une contradiction : du moins je ne comprends pas ce que c’est qu’un droit de ne pas respecter le droit. Si l’on veut dire qu’en cas de situation contraire aux droits de l’homme et au droit institué, j’ai le droit de me rebeller, le mot droit a un autre sens, qui n’est plus juridique. A coup sûr celui qui alors se rebelle sera considéré par le pouvoir en place comme un criminel (je suppose sa révolte justifiée), puisque précisément ce pouvoir ne respecte pas le droit. Qu’on ait dans certaines situations raison de se révolter, et qu’on en ait le courage, je le veux bien et c’était le cas par exemple des résistants qui savaient dans les années 40 que le droit était de leur côté mais que les institutions juridiques du pays – le droit alors en vigueur – les condamneraient.
      Second cas. Je comprends qu’il faille s’opposer aux régimes totalitaires et despotiques : encore faut-il en avoir le courage et même tout simplement la possibilité, puisque précisément ces Etats qui ne sont pas des Etats mais des systèmes policiers, ou même des organisations criminelles, oppriment assez le peuple pour qu’il soit contraint de subir. Qu’un tel Etat inscrive dans sa constitution le droit de se rebeller serait une plaisanterie.
      Si l’on veut dire que les institutions internationales doivent prévoir un tel droit, qui est du coup un droit d’ingérence, je comprends alors à moitié le mot droit : car qu’est-ce qu’un droit dont aucune force publique ne peut assurer l’application ? L’ONU n’a qu’un pouvoir très faible et on ne voit pas quelle force armée pourrait se constituer aujourd’hui qui soit capable d’intervenir pour renverser le totalitarisme ou le despotisme. Il n’y a même pas une conscience universelle qui par l’expression des exigences et de l’indignation de l’humanité, limiterait déjà nombre d’abus. Mais les pressions internationales ont tout de même concouru à mettre fin à l’apartheid en Afrique du sud. Malgré le travail de quelques institutions internationales, c’est toujours entre les Etats l’état de nature, c’est-à-dire l’état de guerre : ces institutions permettent des négociations et elles font que la guerre n’éclate pas, mais on ne saurait parler d’un état de paix entre des Etats qui n’ont d’autre souci que leur intérêt particulier et qui usent de toute leur puissance pour le faire prévaloir. On pourrait même dire qu’il y a en Europe un armistice, mais pas une paix véritable, puisque chaque Etat cherche à l’emporter sur les autres par ses lois fiscales et tous les moyens possibles. Mais il est vrai que cela vaut mieux que des armées en guerre. Du moins tant que les nationalismes (car nous avons aujourd’hui une Europe des nations) ne rallument pas la guerre. En Europe, ou plutôt dans une partie de l’Europe il y a eu 74 ans sans guerre, ce qui est extraordinaire au sens strict du terme. Je ne parle pas ici des guerres coloniales ou menées hors d’Europe !

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      1. François Braize

        Merci de votre réponse argumentée, mais il n’y a pas en fait de difficulté sinon de ma part une imprécision de vocabulaire.
        Quand j’ai parlé de « droit à la rébellion » c’était en fait un raccourci auquel je ne donnais pas de de portée juridique particulière propre aux mots que j’ai employés. J’ai eu le tort de ne pas être exact et précis et cela a déclenché vos interrogations légitimes.
        En fait et en droit, ce « droit de rébellion » comme je l’ai dénommé à tort, figure à l’article 2 de la DDHC de 1789 comme un des quatre droits les plus fondamentaux sous la dénomination de droit de « résistance à l’oppression ». Comme la DDHC fait partie de notre positif par son incorporation au Préambule de la Constitution de 1958, ce « droit » en fait partie aussi.
        En outre, l’alinéa 3 du préambule de la Déclaration universelle le mentionne aussi, ainsi que de nombreux droits nationaux (voir par exemple à cet égard : https://fr.wikipedia.org/wiki/Résistance_à_l%27oppression).
        J’ai donc considéré (avec beaucoup) que ce droit n’avait de sens qu’en cas de despotisme, de tyrannie ou de régime totalitaire bafouant les droits fondamentaux mais pas en régime démocratique et, que, donc dans un régime démocratique on ne pouvait pas user des armes que ce droit de résistance à l’oppression autorise et, notamment, celle de la violence.
        Comme cela n’a pas l’air évident pour tout le monde par les temps d’ensauvagement (de la pensée et des actes) qui courent je proposais en prolongement de vos propres propos de compléter le Préambule de notre Constitution pour le préciser de manière à ce que cela soit bien clair pour tout le monde et chacun, affublé d’un gilet jaune ou pas… C’est une des propositions que j’ai d’ailleurs faites dans mes contributions en ligne au Grand débat national.
        Bien cordialement et encore merci pour votre article !

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    2. Catherine Kintzler

      Sur la question d’un « droit de rébellion », je me permets d’attirer votre attention sur l’article d’André Perrin « Sur un prétendu droit de désobéir » publié ici même http://www.mezetulle.fr/sur-un-pretendu-droit-de-desobeir/ .

      Et aussi soumettre à votre réflexion cette distinction faite par Condorcet entre tyrannie et despotisme – car François Braize les met pour ainsi dire dans le même sac en leur opposant uniformément le droit à la rébellion comme fondamental :

      « Il ne faut pas confondre le despotisme avec la tyrannie. On doit entendre par ce mot toute violation du droit des hommes faite par la loi au nom de la puissance publique. Elle peut exister même indépendamment du despotisme. Le despotisme est l’usage ou l’abus d’un pouvoir illégitime, d’un pouvoir qui n’émane pas de la nation ou des représentants de la nation ; la tyrannie est la violation d’un droit naturel, exercé par un pouvoir légitime ou illégitime. » (Idées sur le despotisme à l’usage de ceux qui prononcent ce mot sans l’entendre (1789), § XVII).

      Ainsi, résister à la tyrannie lorsqu’elle survient indépendamment du despotisme (par exemple dans un régime républicain) ne consiste pas à se rebeller contre les lois, mais au contraire à appeler à leur respect et à leur application, et on ne pourrait parler de rébellion au sens strict que dans le cas du despotisme.
      Condorcet considère que la parade à la tyrannie est une Déclaration des droits à laquelle chacun peut se reporter, il poursuit en effet (ibid. § XVIII) :

      « Le seul moyen de prévenir la tyrannie, c’est-à-dire la violation des droits des hommes, est de réunir tous ces droits dans une déclaration, de les y exposer avec clarté et dans un grand détail, de publier cette déclaration avec solennité, en y établissant que la puissance législative ne pourra, sous quelque forme qu’elle soit instituée, rien ordonner de contraire à aucun de ces articles.
      Il faut en même temps établir une forme légale, d’après laquelle on puisse ajouter à cette déclaration de nouveaux articles, parce que plus les lumières feront de progrès, plus les hommes connaîtront l’étendue de leurs droits, plus ils en sauront distinguer de conséquences évidentes. Or, plus une déclaration des droits sera étendue, plus non seulement la jouissance de ceux qu’elle renferme sera certaine, mais plus aussi on verra diminuer le nombre et la complication des lois, et plus on en verra disparaître ces dispositions arbitraires qui les défigurent chez toutes les nations ; mais il faut de plus qu’il existe une forme légale pour retrancher des articles de cette déclaration, parce que l’erreur, même en faveur des droits des hommes, peut être nuisible. La forme pour ajouter un article doit être telle, qu’on soit sûr de l’ajouter, pour peu qu’il soit vraisemblable que ce droit soit réel ; mais pour en retrancher un, la forme doit être telle, que l’évidence seule et la nécessité puissent obtenir un vœu en faveur de cette suppression. Sans une telle précaution, quelque forme que l’on donne à la constitution, les citoyens ne seront point à l’abri de la tyrannie ; elle sera établie par un pouvoir légitime, mais elle n’en sera pas moins une tyrannie, comme un jugement injuste n’en est pas moins injuste, quoique rendu suivant les formes légales. »

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  7. delaby pascal

    Comment ne pas adhérer au propos empreint de bon sens de François Braize ? Oui,il faut renforcer notre législation face aux graves atteintes que la classe ouvrière porte aux institutions démocratiques ,oui il faut réaffirmer haut et fort que le monopole de la violence est détenu par l’Etat . Il en va de la liberté d’entreprendre ;comment admettre ces démonstrations de violence qui accompagnent certaines (trop nombreuses !) occupations d’usines où l’on voit des hordes déchaînées détruire des photocopieurs ,brûler des palettes au mépris du droit à la propriété .privée . Ne comprennent-ils pas ces ouvriers que les « licenciements »d’aujourd’hui sont les emplois de demain ? Apparemment non ,heureusement la Justice sait le leur rappeler avec l’impartialité qui caractérise nos institutions démocratiques . Il en va de la Liberté plus générale qui autorise une critique sans concession de ce que nous, élites, pensons devoir être critiqué ! Malheureusement ,oui, les masses laborieuses sont aussi des classes rendues dangereuses par l’absence de cette Culture que nous devons défendre bec et ongles avec ,encore une fois , discernement mais également fermeté . Sachons faire ce « pied de nez « que François Braize appelle de ses vœux ! Osons !

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Le commentaire de Pascal Delaby, comme celui d’Incognitototo ci-dessus, ne porte pas sur mon propre propos, mais sur les commentaires que j’ai reçus. Je les publie seulement pour avoir l’occasion de m’expliquer davantage dans ma réponse, mais il n’est pas question de laisser se développer une polémique entre commentateurs, d’autant qu’ils ne parlent pas de ce que j’ai voulu dire.
      Le commentaire de Pascal Delaby peut être lu de deux façons.
      J’y vois d’abord une remise en question ironique de ce qui est dit sur le droit de rébellion dans les commentaires précédents. Ils auraient surestimé le désordre actuel et sous-estimé la réponse du pouvoir en place. Ils exprimeraient le mépris d’une élite envers les opprimés qui se rebellent parce qu’on les licencie et ne sont pas capables de voir que c’est pour leur bien. S’alarmer de ce qui se passe dans les rues le samedi serait une réaction disproportionnée et cet aveuglement viendrait d’un réflexe de défense de la classe dirigeante à laquelle les commentateurs appartiennent.
      Ensuite, au premier degré, ce commentaire appelle une autre réponse. Que signifie le fait que le droit de grève permette à des ouvriers de bloquer des usines par ceci seulement qu’ils arrêtent le travail ? Il y a là une difficulté en effet, mais au moins pouvons-nous comprendre qu’un tel droit permet de régler les conflits entre patrons et salariés et d’éviter que ce soit la guerre civile. Mais la casse est d’une autre nature que la grève. Si personnellement je ne suis pas certain de ce qu’ils représentent, il me semble que les quelques milliers de manifestants du samedi ne sont pas la classe ouvrière ou la masse laborieuse. Le mouvement présent me paraît lié au contraire à l’extinction de cette classe et à la dispersion de salariés abandonnés à eux-mêmes parce qu’ils ne sont plus rassemblés dans des lieux de travail et ne sont plus représentés par des syndicats ou des partis politiques. C’est une explication possible de leur présence sur des ronds-points et de leurs rassemblements le samedi : en dehors des lieux et des heures de travail. Et en un sens cette situation est plus grave qu’une vraie grève.

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      1. François Braize

        Je réponds bien volontiers aux remarques amicales de Catherine Kintzler et de Jean-Michel Muglioni qui conduisent à expliciter davantage.

        Merci d’abord Chère Catherine de vos précisions fort utiles dans un débat sur un sujet difficile.
        Certes, comme vous le relevez, le « droit » à la rébellion semble plus à l’aise, si je puis dire, face à un régime despotique, que tyrannique. Ce dernier semblant plutôt appeler au respect de la loi (par le tyran) que la rébellion contre elle.
        Mais le droit positif ne fait pas ce distinguo qu’il s’agisse du Préambule de la déclaration universelle ou de celui de la Constitution de 1958 en ce qu’elle renvoie et reprend la DDHC de 1789, et notamment son article 2. Ce droit positif semble viser tout régime totalitaire par nature ou par accident. En réalité seul le juge du respect de ces textes fondamentaux pourrait nous éclairer confronté à un cas particulier… On ne peut que souhaiter que cela n’advienne pas car alors cela signifierait le pire.

        Par les temps d’ensauvagement du verbe et des actes (tous irresponsables dans une société civilisée, quelles que soient les excuses sociales ou économiques trouvées par leurs adeptes ou leurs sympathisants), je préfère donc m’en tenir à ma proposition de borner par un complément à nos principes constitutionnels fondamentaux la place de la violence dans l’action politique et, ce, sans faire de distinguo selon que le régime présente telle ou telles caractéristique.
        Cela concernerait les mouvements et partis politiques auxquels on opposerait, pour pouvoir concourir au jeu démocratique républicain sous la protection de nos principes fondamentaux, un Pacte républicain impliquant adhésion à nos principes fondamentaux et excluant la violence dans l’action politique. Nous l’avons esquissé en nous interrogeant avec un ami avocat sur cette question difficile (Voir à ce sujet : http://www.slate.fr/story/89331/fn-dissolution).
        S’agissant en revanche des comportement individuels violents et répréhensibles au regard de la loi (jusqu’à ceux le cas échéant de grévistes), ils relèvent de la responsabilité pénale de chacun et, à ma connaissance, sous nos cieux républicains, aucune excuse au titre d’un « droit » à la rébellion n’a jamais été retenu par les juges même si certains avocats, adeptes de ce que l’on a appelé la « défense rupture », ont pu tenter de politiser des actions individuelles ne relevant que du droit commun. La « théorie de l’état de nécessité » qui peut permettre l’excuse du vol dans notre droit pénal n’a pas ainsi vu naître son homologue pour la violence dans l’action politique. Pour ma part, je m’en félicite.

        Au fond et pour que chacun ne se méprenne pas, par ma proposition d’enrichissement du Préambule de notre Constitution je ne visais que les mouvements ou partis politiques appelant à la violence à l’appui de l’action politique. Il s’agit manifestement à coup sur (pour moi) des violences physiques contre les personnes et sûrement pas d’un moyen de paralyser le rapport de force qui s’exerce par le droit de grève et l’occupation des biens. Donc je vais décevoir Pascal Delaby qui semble t-il lui donne une telle portée à moins que son commentaire fut ironique .
        Mon objectif est d’amener les mouvements et partis politiques à devoir, pour pouvoir concourir au jeu démocratique, manifester leur adhésion au Pacte Républicain que l’on formaliserai dans la Constitution. A défaut d’acceptation de nos principes fondamentaux et valeurs démocratiques, ainsi que de l’exclusion de toute violence, pas de jeu.
        C’est tout le sens du rapprochement que j’effectuais avec la décision de la CEDH sur le parti islamiste dissous. On ne peut être protégé par ce que l’on récuse : parti islamiste ou parti d’ultra droite ou d’ultra gauche, ou de nulle part, appelant à la violence, même punition.

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  8. Ping : iPhilo » Démocratie et tolérance à la violence

  9. Tarnacois sans caténaire

    Comme dit Speranta Dumitru, l’opinion publique se soucie plus de prendre aux riches que d’améliorer la vie des pauvres13
    Entièrement d’accord avec cette citation
    En 36 ,45,68 des citoyens sont descendus dans la rue , ont occupé des usines , ont fait grève, se sont battus contre l’occupant pour améliorer leur sort et celui de leurs compagnons d’infortune, pour un monde qu’il voulait meilleur.
    Aujourd’hui fleurit la mentalité  » Rien ne me sert d’être dans la mouise , l’important est que mon voisin le soit »
    Que soit le rétablissement de l’ISF ou la limitation des salaires des cadres du public comme du privé, ces mesures sont exigées dans l’unique but de réduire des têtes.Et les demandeurs ne se méfient pas du fait que qui que nous soyons, nous sommes toujours les nantis de quelqu’un.Si encore ces décisions comportaient des prévisions sur l’argent ainsi économisé : comité d’entreprise, caisse d’assurance pour d’éventuels licenciements , projet de formation etc…mais non : classé sans suite
    Pire encore ; parmi les revendications de certains gilets jaunes: la réduction du nombre de parlementaires, la réduction de leur indemnité , la suppression de leur retraite.
    Il n’ont pas compris que leur seule chance, d’être élu , de pouvoir porter leurs revendications à Paris ou Strasbourg est justement l’existence de ces compensations;
    Il n’existe pas de contrat de réintégration comme pour le service national. Et serait il seulement possible? Au bout de quatre ou cinq ans l’entreprise existerait elle toujours? Qui aurait le courage de licencier au bout de la même, période le remplaçant qui parfois ferait mieux l’affaire?
    Quant au nombre de députés , il est le même depuis que j’ai le droit de vote( plus de quarante ans) alors que le corps électoral a passablement augmenté . Dons je ne vois pas la pertinence d’une baisse des effectifs
    Le renvoi 13 à la fin de la citation me laisse plus circonspect; Comment peut on manifester alors que nous ne sommes pas à plaindre quand nous savons qu’à l’autre bout de la planète , on vit avec moins de deux dollars par jour?
    Le sentiment d’injustice, la souffrance ne peuvent toujours se relativiser.J’ai beau savoir qu’il existe des cancéreux en train d’agoniser, ça ne me fera pas passer ma rage de dent. Et puis si cela avait un quelconque effet, je me serait en quelque sorte , peut être pas réjoui du mal d’autrui mais cette idée immorale va dans ce sens. Et le fait de toujours se comparer face à plus défavorisé, quand chaque année la casse sociale se poursuit et nous précipite lentement et sûrement dans l »abîme de la précarité, me fait penser à quelqu’un , qui jeté du haut de la tour Eiffel , lancerait à chaque étage au visiteurs accoudés  » Pour l’instant ça va! »
    .

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Votre remarque sur l’article auquel renvoie la note 13 ne manque pas de vérité. Elle m’a donné l’occasion de revenir sur un aspect de l’économie qui me paraît trop souvent négligé : quelles passions ou même quelle passion prédominante caractérise ce qu’on appelle le libéralisme ? Des émeutes s’en prennent régulièrement depuis quelques mois aux magasins et particulièrement aux magasins de luxe ou qui passent pour tels : faut-il fermer ces magasins pour rétablir chez nous plus d’égalité ?

      Qu’est-ce que le luxe ?
      « Le luxe est toujours en proportion avec l’inégalité des fortunes. Si, dans un état, les richesses sont également partagées, il n’y aura point de luxe ; car il n’est fondé que sur les commodités qu’on se donne par le travail des autres ». Quelques lignes suffisent à Montesquieu (De l’esprit des lois, VII 1) pour tout dire. Il est donc vrai que les magasins de luxe sont le signe de l’inégalité dans le partage des richesses, c’est-à-dire que le plus grand nombre travaille pour quelques-uns. On le savait avant que Marx démonte le fonctionnement du capitalisme (Simone Weil disait : « À vrai dire, Marx rend admirablement compte du mécanisme de l’oppression capitaliste ; mais il en rend si bien compte qu’on a peine à se représenter comment ce mécanisme pourrait cesser de fonctionner. »). La grande question pour qui veut s’enrichir est donc de savoir comment baisser le coût du travail, puisque l’esclavage est interdit. Si la législation ne protégeait nos femmes de ménage, la plupart seraient exploitées sans vergogne, et les employeurs les plus modestes ne seraient pas nécessairement les plus honnêtes.

      La passion du luxe.
      La loi ne semble pas véritablement limiter la démesure du luxe : Paris regorge de magasins qui ne sont pas faits pour les plus nombreux d’entre nous, et pourtant les magazines remplis de photographies de ce luxe ont plus de lecteurs qu’il n’y a de « riches ». Ce qui permet de comprendre d’où vient cette richesse de quelques-uns volée sur le travail des autres : non de la paresse, mais du désir de l’emporter et de paraître, et de l’adulation dont est l’objet le luxe de la part de ceux-là même qui en sont privés. La vitrine qui le montre et en sépare à la fois est plus qu’un symbole, et tout le monde le sait. Cette forme de domination est différente de la tyrannie à laquelle aspiraient par exemple les princes assoiffés de pouvoir, du pouvoir sur les autres, dont les palais sont les vitrines. La domination aujourd’hui est d’abord économique. Elle n’a pas besoin de la même architecture, mais elle a les mêmes ressorts : non pas seulement la volonté des riches mais la servitude des dominés, celle des moins riches et des pauvres qui rêvent de richesse. Car si le plus grand nombre n’admirait pas les produits de luxe et les montrait du doigt comme honteux, qui en voudrait ?

      Une économie fondée sur l’envie
      Vouloir l’égalité implique-t-il qu’on mettre le feu aux vitrines du luxe et aux lieux de rendez-vous des plus riches ? Indépendamment du fait que la balance commerciale de la France est fort tributaire des industries du luxe, peut-on concevoir une abolition du luxe dans une société industrielle aussi sophistiquée que la nôtre ? Un système économique fondé sur la concurrence impose qu’on renouvelle sans cesse la production. On lance sur le marché de nouveaux produits, qu’on fait désirer à coup de publicité. L’envie en est le ressort. L’envie, entendue au sens propre du terme, c’est-à-dire le désir de ce que désire autrui et le désir d’être désiré. Je veux montrer que je suis à la mode et que j’ai des vêtements de marque. Les plus démunis qui les achètent savent-ils que c’est un luxe ? Ils sont eux-mêmes pris dans la folie générale et leur envie fait la fortune des marchands de contrefaçons qui présentent à bas prix les imitations. Personne ne peut se contenter de ce qu’il a et tous sont malheureux s’ils ne s’offrent pas les nouveautés qu’on leur fait miroiter. Il faut une certaine vertu pour ne pas se laisser entraîner, et le plus souvent, les plus aisés seuls savent mesurer leurs dépenses, pendant que les plus pauvres se laissent dépouiller. Il n’est donc pas étonnant qu’ils dilapident le peu dont ils disposent et que le ressentiment finisse par les dévorer. Le mobile de la révolte est le même qui pousse les « riches » à opprimer le peuple. La réussite de ce qu’on appelle le libéralisme ou le néolibéralisme, peu importe, tient à ce qu’elle anime de la même passion oppresseurs et opprimés.
      Un système économique fondé sur la croissance de la production qui permet l’enrichissement des plus riches doit ranimer sans cesse le désir de consommer de l’ensemble de la population, et cela bientôt sur toute la planète : société de production et non de consommation d’abord. La consommation de masse est un moyen et non une fin. Nous ne nierons pas qu’il en a résulté un enrichissement général, et en ce sens la théorie dite du ruissellement est vraie (en un sens seulement, car les luttes syndicales ont beaucoup contribué au ruissellement!). Seulement qu’on ne nous dise pas que ce ruissellement est le but de la politique économique et qu’il a pour principe un souci de justice. Il est déterminé par la nécessité d’accroître la production, de la renouveler sans cesse et d’exciter sans cesse le désir de consommer. Non seulement cette croissance ne peut aller sans crises financières, dont elle se remet, mais il est inévitable qu’elle nourrisse l’envie de tous et que cette envie se retourne contre eux. C’est un des éléments que je vois dans la crise qui a éclaté en France en novembre 2018 et dont l’importance me paraît considérable.

      Riche et pauvre : le sens des mots
      Le terme de riche pris en son sens économique est relatif : on est riche par rapport au moins riche et donc riche veut dire plus riche que… Pauvre pris absolument désigne celui « qui n’a pas le nécessaire », dit Littré, donnant ensuite le second sens, relatif, et un exemple remarquable : « Par extension, qui n’a pas de quoi vivre selon sa condition. Il est venu dans le monde une certaine bienséance imaginaire…. qui nous fait de nouvelles nécessités…. de là, messieurs, il est arrivé, le croirez-vous, si je vous le dis ? de là, dis-je, il est arrivé, qu’on peut être pauvre sans manquer de rien. [Bossuet, Sermons]. Pauvre alors veut dire moins riche que tel autre, ou moins riche que je ne le rêve. Celui qui aujourd’hui ne peut s’offrir le dernier téléphone à la mode se sent pauvre même s’il ne manque pas de ce qui permet de vivre et le harcèlement publicitaire fait tout pour qu’il en soi ainsi. Il n’est pas toujours facile de distinguer le pauvre absolu et le pauvre relatif. Et celui-ci sera ulcéré qu’on ne reconnaisse pas qu’il est pauvre.

      Quand ce qui était du luxe devient ordinaire.
      Reste toutefois à déterminer ce qui est luxueux et ce qui ne l’est pas. Je me souviens d’un temps où les instrument de musique étaient taxés comme des produits de luxe : c’était considérer que la musique est réservée à une élite financière. On voit par ce seul exemple que la notion de luxe peut donner lieu à des débats sans fin. S’il y avait d’un côté le nécessaire et de l’autre le superflu, si donc les hommes pouvaient s’accorder sur leurs vrais besoins, il serait aisé de le déterminer. Mais le luxe est relatif : ce qui parait luxueux au plus pauvre chez le moyennement riche, n’est que pacotille pour le plus fortuné. Ce qui aujourd’hui est considéré comme un bien ordinaire était naguère un luxe : avant la guerre de 1940, qui disposait d’une salle de bains ou même seulement d’une douche dans un coin ? Or aujourd’hui personne ne considère que sa salle de bain est un luxe. Qui parmi nous sait que relativement au sort matériel de la plupart des hommes d’avant 1914, il vit dans le luxe ? Mais aucun yacht ne l’attend dans le port de Monaco…

      Le loisir d’être homme
      La difficulté vient de ce que vivre humainement n’est pas seulement pouvoir subvenir à ses besoins, mais disposer de conditions de travail et de vie telles qu’on puisse faire autre chose que travailler pour vivre. Non pas seulement avoir du temps pour se reposer, mais un véritable temps libre, c’est-à-dire tel qu’on y peut s’adonner à ce qu’on veut. L’égalité ne signifie pas que tous doivent disposer d’une même somme d’argent, mais du loisir jusque-là réservé aux maîtres que leurs esclaves entretenaient. Peu importe alors les inégalités de richesse, pourvu que la loi règle l’économie, car abandonnée à elle-même l’économie concurrentielle ne peut qu’accroître toujours plus les inégalités. Mais des mesures législatives ou réglementaires ne servent à rien si nous ne savons pas freiner la passion qui anime le goût du luxe et si ce qu’on appelle nos loisirs n’est plus qu’un moyen de faire tourner une économie du tourisme et des voyages de masse : telle est la force du libéralisme économique que nous y sommes tous pris, et contents.

      Saura-t-on maîtriser la croissance ?
      Faut-il au moins promulguer des lois somptuaires qui limitent industries et commerce du luxe ? Ou seulement taxer les industries et les produits de luxe plus que les autres ? Mais quels produits faudrait-il tenir pour des produits de luxe ? Quelle automobile considérer comme un luxe ? Le 4×4 en ville mais pas à la campagne ? Peut-être la nécessité nous mettra-t-elle bientôt tous d’accord, si en effet l’humanité se rend vraiment compte qu’elle doit maîtriser sa croissance économique sous peine de disparaître. Je ne crois pas que nous puissions compter sur autre chose que la nécessité : aucune décision ne sera prise par les gouvernants ni admise par les peuples avant les pires catastrophes. Et les vrais détenteurs des capitaux savent qu’en attendant ils ne paieront pas les pots récemment cassés.

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