Guerre et jeu dans la société du spectacle

La presse a largement relayé ces derniers jours le haut fait d’une émission de télé-réalité australienne : envoyer des candidats en Syrie sous le feu des djihadistes de l’État islamique. Rien que pour voir ce que ça fait et surtout pour montrer la scène à la télé – une audience record. On imagine que les participants, trop occupés sur-le-champ (de bataille) pour se prendre en selfie, récupéreront la vidéo de cette expérience inoubliable.

La plupart des articles en ligne que j’ai pu lire reproduisent, à quelques variantes près, la même version1  : relation des faits avec parfois un bout de vidéo, et traduction des « ordres » lancés par le guide en direction des participants (« baissez-vous, ce sont des tirs », etc.).

Puis on soulève une grave question morale : qu’en était-il de la sécurité des participants ? Rassurez-vous : ils étaient encadrés sur le terrain par des personnes armées compétentes. Mais, tout de même, certains analysent les détails et trouvent matière à indignation : certes, les participants portaient un gilet pare-balles, mais aucun d’entre eux n’avait de casque. Scandaleux, non ? Ce n’est vraiment pas prudent d’aller jouer sans s’équiper correctement !

Une suggestion me vient à l’idée. Essayer de s’introduire sur un court de tennis ou sur un terrain de foot (ou sur n’importe quel terrain de jeu où s’affrontent des adversaires) pendant une rencontre internationale diffusée mondialement à la télé. Là on n’aurait pas trop de problèmes de sécurité (quoique… une balle de tennis propulsée par le service de certains champions peut faire très mal).
Mais non ! c’est une mauvaise idée, vous n’y pensez pas. Non seulement c’est irréalisable car la police interviendrait aussitôt pour dégager le terrain manu militari. Mais en plus ce serait profondément immoral, parce que là c’est vraiment sérieux : on joue, ça ne s’instrumentalise pas, tandis que la guerre….

Paris-Match, entre autres, rapporte que ce programme télé prétend mettre en avant un concept charitable (se mettre à la place des gens qui souffrent dans les camps de réfugiés) et rappelle que en mai dernier, « la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés avait soutenu le programme, arguant que l’émission permettait de sensibiliser sur des situations mal connues par de nombreux citoyens ». À ce compte, le spectacle public d’un supplice devrait amplement contribuer à le condamner et à en réclamer l’abolition : or on sait, de mémoire d’humanité, que l’effet est plutôt contraire. Il y a tout à redouter d’une « morale » qui repose sur l’identification immédiate2, laquelle a pour corollaire la pire des séparations. Mais on peut douter que la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et quelques autres aient médité Guy Debord.

© Mezetulle, 2015

  1. Voir par exemple Huffington Post, Le Parisien, France TV Info, Metronews []
  2. Sur la distinction entre identification immédiate et reconnaissance théâtrale, voir l’article Bossuet, Nicole et Rousseau, la critique du théâtre []

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