La fausse représentativité de la Convention sur le climat

Tirage au sort, sondage et suffrage, clientélisme

Jean-Michel Muglioni soutient que le recrutement de la Convention citoyenne sur le climat repose sur une aberration à la fois statistique et politique. Cette assemblée, tirée au sort d’une manière critiquable, n’a aucune valeur représentative et ne changera rien à une « république » qui depuis 1958 s’efforce de réduire le pouvoir législatif – alors, certes, fort discrédité. S’agit-il de faire passer la pilule de mesures écologiques que le pays n’est pas prêt à accepter aujourd’hui, puisqu’il sait qui en paiera le coût ? Car faire payer les pollueurs ruinerait l’industrie et l’agriculture françaises si toute l’Europe n’en faisait pas autant.

Une « Convention citoyenne sur le climat » a été réunie, qui doit délibérer sur les mesures à prendre pour lutter contre le réchauffement climatique. Elle est composée de citoyens français tirés au sort1. Que signifie ce nouveau mode de consultation du peuple ?

Les limites de toute représentation

On s’accorde à dire que la démocratie représentative est malade et que le plus grand nombre considère qu’il n’est pas représenté. Il y a de plus en plus d’abstention aux élections françaises. Seuls les élus locaux semblent parfois respectés. Le discrédit de la représentation est-il dû à sa nature de représentation ? Le représentant, en effet, n’est pas ce qu’il représente. Le papier monnaie n’est pas la richesse qu’il représente. Il peut s’accumuler sans correspondre à un travail et ainsi enrichir, du moins virtuellement, car il faut l’échanger contre des réalités : il peut du jour au lendemain ne plus rien valoir. Ainsi un représentant du peuple n’est pas le peuple. Or, dès lors qu’il est impossible de réunir tout un peuple pour le consulter, inévitablement la démocratie est représentative, et inévitablement les représentants, quand même ils n’en auraient pas l’intention, trahissent les représentés : nul ne peut vouloir à la place d’un autre, encore moins de dix mille autres. Toute représentation est par nature boiteuse. La crise de la représentation n’est donc pas un accident, et quelque mécanisme qu’on invente pour que les décisions des représentants soient représentatives, elles ne le sont jamais assez. Le scrutin majoritaire a ses inconvénients, le scrutin proportionnel a les siens, et le mélange des deux ne les supprime pas. Les institutions et, pour parler comme Montesquieu, la vertu (le civisme) seuls peuvent assurer le bon fonctionnement d’une démocratie représentative.

Que ces limites inhérentes à la nature de la représentation ne suffisent pas à expliquer son discrédit actuel

Devant l’échec de notre démocratie représentative, on revient à une ancienne forme d’élection, le tirage au sort. C’est peut-être une manière de ne pas chercher les causes de cet échec, qui sont diverses : la constitution de la Ve République, qui limite considérablement le pouvoir législatif au profit de l’exécutif, en est une – mais ailleurs en Europe, là où le législatif garde son pouvoir, tout va-t-il mieux ?

Autre cause possible : le fait que les élus n’ont aucun pouvoir réel, soit qu’ils manquent de courage et cèdent aux moindres pressions, soit que dans son rapport à l’Europe et au monde un pays seul n’ait plus de marge de manœuvre. S’agissant de l’écologie, objet de la « Convention citoyenne », il est manifeste qu’un seul pays ne peut presque rien : si par exemple nous faisions payer comme il convient les industriels français pollueurs sans que le reste de l’Europe en fasse autant, ce serait la faillite de leurs entreprises. Même chose si nos agriculteurs étaient les seuls à prendre les mesures qui conviennent pour éviter la pollution chimique, etc. Le discrédit de la représentation est aussi inséparable de celui des partis politiques et des syndicats : les syndicats de l’enseignement, qui ont contribué à la faillite de l’école, ont perdu beaucoup d’adhérents. Les autres valent-ils mieux ? Voit-on chez eux un véritable débat, de vraies propositions ? Et que devient la politique lorsque seules comptent l’économie et la croissance ?

Le discrédit actuel des représentants du peuple et des gouvernants, quelle que soit leur option politique, ne tient donc pas à l’insuffisance de toute représentation. C’est pourquoi il est permis de penser que la création d’une convention tirée au sort relève de la propagande (on dit aujourd’hui communication) et qu’au lieu de remédier au mal présent, elle l’aggravera.

Un tirage au sort fondé sur un préjugé sociologiste

Ce tirage au sort n’en est pas un à proprement parler2. Déjà les Athéniens modéraient le hasard de diverses façons, quoique chez eux il ait signifié la volonté des dieux. Surtout, le sort leur permettait de recruter certains magistrats, mais non de remplacer l’assemblée du peuple. Le peuple était réuni tout entier sur la Pnyx. Aujourd’hui, on ne tire pas au sort des magistrats, mais des citoyens censés représenter le peuple, et la sociologie remplace la religion pour justifier le hasard : il est entendu que pour garantir la représentativité des individus tirés au sort l’assemblée doit avoir la même composition sociale que le pays. Or la classification qui définit cette composition est-elle sensée ? Il faut pour le croire admettre la vérité de la sociologie qui la définit. Et serait-elle admissible, considérer que les suffrages sont conformes à une classification sociale ne relève-t-il pas d’une idéologie sociologiste qui réduit chacun à ce que son existence sociale fait de lui ? Dire, comme Thierry Pech de Terra nova, que le panel3 qu’est la Convention pour le climat est « la France en petit » n’a pas de sens. Peut-on en effet remplacer la représentation politique par une représentation statistique qui dépend d’une idée sociologiste de la société ? Faut-il, pour déterminer la volonté du peuple, que ses représentants soient une « image réduite » de la société ?

Une aberration statistique

Mais est-il même possible de réaliser une telle réduction ? Car enfin, si les représentants ne sont que cent cinquante, nécessairement des catégories ne seront pas représentées. Âge, couleur, genre, religion, association, profession, région, type d’habitation, niveau et type d’études, richesse ou pauvreté, célibataire, marié, marié avec ou sans enfants, divorcé, famille recomposée, orientation sexuelle, etc. : si l’on tenait compte de leur diversité réelle, il n’y aurait pas même un représentant par catégorie. On le voit, tout repose sur un nombre limité de catégories nécessairement arbitraire. Et par-dessus le marché, comment savoir la religion ou l’origine des tirés au sort ? Est-ce même légal ? Plus simplement, il suffit de rappeler que du strict point de vue des probabilités et du calcul statistique, il n’est pas vrai qu’on puisse par tirage au sort représenter une population de près de cinquante millions d’électeurs par un panel de cent cinquante individus, à quelque trucage qu’on ait recours.

Sociologisme et communautarisme

La citoyenneté requiert que chacun vote dans la solitude de son jugement et non selon son appartenance sociale : si les votes étaient de fait déterminés sociologiquement, ils n’auraient aucun sens. Et la statistique (elle-même inséparable des catégories sociologiques) ne peut faire que les élus du sort une fois rassemblés jugent comme auraient jugé d’autres « élus », si du moins on suppose que chacun exerce librement son jugement : oserais-je prétendre, si je suis tiré au sort, que mon avis « représente » celui des professeurs retraités ? Peut-être certaines communautés fonctionnent-elles de telle façon qu’un des leurs pense toujours et en tout comme les autres, mais ce sont alors des sectes. L’alliance d’une certaine sociologie et du communautarisme est conforme à la nature des choses. Bref, un tirage au sort organisé en fonction d’une répartition sociologique des ressortissants d’un pays est contraire à l’idée républicaine selon laquelle chacun peut être citoyen et par son suffrage décider de l’intérêt général au lieu de faire valoir son intérêt particulier de professeur, médecin, paysan, artisan, etc. La nouvelle convention prend acte du fait qu’il n’est question que de confronter des intérêts particuliers.

Sondage n’est pas suffrage. Le clientélisme

Mais peut-être y a-t-il pire. Les « élus » sont choisis selon une proportion sociologique : la rectification du sort se fait selon les mêmes principes que les sondages d’opinion. Ils constituent un panel statistique comme les « sondés ». Un tel rassemblement de citoyens tirés au sort n’est pas l’équivalent en plus gros d’un jury populaire. Un tel système risque de déposséder le peuple de son pouvoir législatif. Certes, les résultats de ces délibérations ne seront pas des lois : les députés auront à légiférer selon la voie normale. On peut supposer que les « élus » seront aussi sérieux et bons juges que les jurés d’une cour d’assises et qu’ils ne seront pas grisés à l’idée d’avoir gagné au loto de la représentation. Mais le principe même de cette « représentativité », sur lequel reposent les sondages d’opinion4, est emprunté au marketing : je peux savoir par là quel public voudra ou non le produit que je mets sur le marché. Je demande donc si cette pratique n’entraîne pas ou n’entérine pas une métamorphose de la délibération publique et ne s’inscrit pas dans la marchandisation générale de la société. Je n’accuse ici personne d’avoir une telle visée, mais je constate que les mœurs et les techniques du marché s’étendent à toute la vie humaine. Le sondage d’opinion peut-il ne pas transformer l’électorat en clientèle ? Et une convention constituée comme le panel d’un sondage d’opinion n’a-t-elle pas le même sens ?

On m’objectera que le clientélisme n’avait pas besoin de cela, aussi bien chez nous que dans la Rome antique. Cette tendance de la politique à s’adresser au peuple comme à une clientèle précède en effet l’invention des sondages d’opinion tels qu’on les pratique depuis longtemps, mais elle trouve dans cette pratique le moyen de se développer et pervertit inévitablement la vie politique. De même qu’avant de prononcer un mot, chaque politique interroge les sondeurs pour savoir son effet sur l’opinion, de la même façon, on réunit une convention composée d’hommes tirés au sort pour savoir ce qui plaît au pays. N’y a-t-il pas contradiction entre la méthode des sondages et le débat public, entre une politique fondée sur des sondages et l’idée même de campagne et de débat électoraux ? Un homme politique a-t-il à proposer le programme dont il sent qu’il plaira à sa clientèle, afin de se faire élire, ou bien à soumettre au peuple la politique qu’il juge la meilleure et à l’en persuader ? Il est vrai que soumis lui-même chaque semaine à un sondage, il ne peut plus rien faire.

Notes

1 – On trouve sur https://www.gouvernement.fr/convention-citoyenne-pour-le-climat-les-150-citoyens-tires-au-sort-debutent-leurs-travaux ceci:
« Un panel représentatif pour trouver des solutions concrètes
La Convention citoyenne pour le climat répond à une double demande exprimée par les Français dans le cadre du grand débat national : plus de démocratie participative, plus d’écologie. Elle a vocation à impliquer toute la société dans la transition écologique à travers un échantillon représentatif de citoyens. Sexe, âge, niveau de diplôme, type de territoire, situation socio-professionnelle et région ont été les 6 critères socio-démographiques à la base de la construction de ce panel.
Toutes les catégories de la population française y sont représentées : femmes et hommes, toutes les tranches d’âge, toutes les CSP, tous les niveaux de diplôme, toutes les régions, tous les types d’aires urbaines, etc. 40 suppléants complètent cette liste pour intervenir en cas de désistement ou d’empêchement. »

2 – [NdE] Sur la question générale des modes de scrutin, voir aussi l’article de Jacques Saussard http://www.mezetulle.fr/les-modes-de-scrutin-qui-nuisent-a-la-democratie-par-jacques-saussard/

3 – On peut lire sur : https://www.franceinter.fr/environnement/tirage-au-sort-methodologie-garants-comment-va-fonctionner-la-convention-citoyenne-sur-le-climat :
« Les 150 citoyennes et citoyens sont tirés au sort, « un peu comme pour un sondage », expliquait le 8 août sur France Inter le réalisateur et militant écologiste Cyril Dion, garant de la convention. « On va prendre des gens qui sont à la fois jeunes et vieux, riches et pauvres, issus de l’immigration pour [=ou] pas, écolos ou non ». L’idée étant de récréer une « France en petit », résumait Thierry Pech, co-président du Comité de gouvernance.
Pour être représentatif de la société française, ce panel devra donc comprendre :
52% de femmes et 48% d’hommes
6 tranches d’âge conformes à la pyramide des âges. Des jeunes de 16 ou 17 ans pourraient également participer. 
28% des participants seront sans diplômes. 
Le poids des régions sera évidemment pris en compte, avec quatre représentants pour les Outre-Mer.
Afin de sélectionner les participants, 300 000 personnes seront appelées : 85% sur leur téléphone portable, 15% sur leur ligne fixe, précise le site internet du Conseil économique, social et environnemental. « À la différence des listes électorales, les listes téléphoniques permettent à ceux qui ne peuvent pas voter d’être tirés au sort », justifie Cyril Dion, qui précise que les personnes appelées auront le droit de refuser.
Calendrier et méthodologie
Les participants travailleront six week-ends de trois jours, espacés à chaque fois de trois semaines, jusqu’à début 2020. « On va les former à la question climatique, leur faire rencontrer un certain nombre d’experts qui vont leur expliquer la trajectoire actuelle, les enjeux, les solutions existantes et les difficultés qu’on n’arrive pas à surmonter. Ils vont délibérer pendant cinq mois. Comme un jury d’assises. Sauf que la question est : comment réduire d’au moins 40% d’ici 2030″, détaille Cyril Dion. »

13 thoughts on “La fausse représentativité de la Convention sur le climat

  1. Jacques Variengien

    Merci pour cette invitation au débat.
    Le pouvoir sa légitimité et son organisation – LE politique – devrait rester le coeur de nos préoccupations et de nos débats politiques. Ce qui (étrangement ?) n’est pas le cas occupés que nous sommes par LA politique c’est-à-dire la conquête du pouvoir.
    Je peux vous suivre sur l’analyse de cette convention, j’y reviendrai à la fin pour dire deux mots sur « l’apparition » de ce dispositif, mais le plus important pour moi est sans aucun doute ce que vous avancez rapidement sur la démocratie représentative. Un des arguments pour justifier la démocratie représentative est la supposée dimension chaotique de la démocratie directe, l’impossibilité technique de rassembler valablement le peuple. Ce vrai qu’il serait ridicule de penser que tout le monde ait 5 mn pour parler de chaque sujet. On pourrait avancer aussi d’autres arguments : la complexité des sujets, la lenteur face à l’urgence des situations, le manque de temps de tout un chacun, l’émotivité de la masse au contraire des élites raisonnables et raisonnantes (qui donc ne nous représentent pas car elles seraient ce qui nous manque !), sa soif de vengeance (le petit peuple est une foule)…
    Or, on ne peut pas se résoudre à l’évidence d’une impossible souveraineté populaire directe, si l’on considère que l’Egalité devant la loi est le réel même et non pas un idéal. C’est mon cas. Si l’on me suit, on doit reposer autrement la question pour trouver une issue « laïque », non plus à partir du plus pratique, entrée qui permet toutes les manipulations, mais à partir de la souveraineté populaire.
    Si je pose qu’il y a des responsabilités qui par définition ne peuvent se déléguer, qui ne nécessite pas de compétences autres que la légitimité reconnue (n’était-ce pas le cas du Roi ou des généraux en 14 ?), que je dois distinguer des actions à mener pour atteindre l’objectif qui elles nécessitent des compétences qui n’ont rien à voir avec la responsabilité vis-à-vis de l’objectif ( n’est-ce pas le quotidien en entreprise ?), alors je peux résoudre mon problème de souveraineté populaire.
    Il y a 1 des responsabilités que je ne peux pas déléguer en tant que citoyen, je pourrais dire tout ce qui concerne le vivant, donc ma vie et celle de mes enfants et petits enfants. Ici je peux exercer enfin ma souveraineté. Il y a 2 des tâches que je peux déléguer à des représentants. Il y a 3 des tâches que je dois déléguer à des experts.
    Par exemple, l’utilisation des pesticides, qui doit décider de leur utilisation ? Est-ce une responsabilité ou une décision technique, une simple tâche ? Donner des protéines animales à des ruminants, et transgresser ainsi la barrière des espèces (la vache folle), est-ce un choix politique ou technique ? Les OGM au risque de la modification des espèces sauvages, les manipulations génétiques, le choix des énergies etc.. mais aussi les façons de vivre, la PMA la GPA. Pire : la Liberté individuelle d’entreprendre donc de polluer est-elle sujette à limite, à contrôle ? Il y a des gens qui préfèrent ma mort que d’y renoncer. Pire encore si c’était possible : la propriété privée est-elle susceptible de limitation ? Voir l’accueil fait à Thomas Piketty. Débat en cours : qui a la légitimité pour décider des frontières ? De l’immigration ? De la privatisation des autoroutes et maintenant de la FdJ ? Ces questions sont-elles du ressort de la souveraineté populaire ou de ses représentants ?
    Et là l’organisation d’une information avant vote populaire et souverain est techniquement possible car il ne s’agit plus de campagnes d’opinion ou tout le monde à quelque chose à dire, pour ou contre, mais de poser les arguments en présence sans exclusive avant de faire un choix. Bien sûr nous sommes dans un préalable à LA politique, dans LE politique donc.
    Il faudrait me dire dans quelle légitimité on peut se draper pour me refuser d’exercer mes responsabilités d’homme de père et de citoyen. On ne m’oppose généralement que le mur du silence. Si c’est un tabou c’est que nous avons tous un intérêt inavouable, mais c’est un autre débat que nous aurons peut-être.
    Car qui décide de ce qui est de la responsabilité directe du peuple si ce n’est le peuple lui-même ? Le peuple est-il supposé donner des preuves à ses représentants pour qu’ils lui accordent d’exercer sa responsabilité ? L’impossibilité d’organiser des référendums sur des thèmes plutôt que des élections pour des programmes (en fait pour l’appartenance à une famille politique) n’est pas une contrainte technique, un réel, mais seulement un choix politique. Même pas un oubli ou une négligence.
    A l’heure où l’on parle de réchauffement climatique et d’effondrement, rien de moins que la menace de la survie de notre espèce en même temps que nombre d’autres, ne pas se reposer la question du pouvoir politique et de sa légitimité me parait tout simplement suicidaire. Je prétends que la crise écologique est le symptôme d’une crise politique car quel peuple aurait voté pour la situation dans laquelle les élites éclairées et raisonnables nous ont mis ?
    Il me semble qu’une Assemblée Constituante chargée de nous faire des propositions est la moindre des exigences, et que nous devrions en faire un préalable à tout débat politique. J’avoue que je ne comprends que les laïques-sans adjectif n’en fasse pas leur premier combat. J’avoue ma surprise, et ma déception, quand j’entends un Président d’une belle association laïque-sans adjectif concéder face aux gilets jaunes « pourquoi pas une dose supplémentaire de proportionnelle ».
    Pour finir sur la convention citoyenne ; ou quand on veut tuer son chien.. On sait que la question du RIC via les gilets jaunes est une épine dans le pied d’un président très mal élu, mais aussi pour tous les politiques. Heureusement pour lui, il y a sur sa gauche des mouvements écologistes dans des logiques lobbyistes et élitistes qui ont proposé ce type d’organisation, une troisième chambre pour le futur. On passe du leader charismatique, le guide qui a une vision qu’un peuple aveugle doit suivre (la figure patriarcale) aux éclaireurs (la figure du groupe de frères ainés), nouvelle figure de la pointe avancée de la civilisation ; le peuple étant toujours considéré comme aveugle donc irresponsable, toujours réduit au statut d’adepte jamais de citoyen souverain. Aussi la meilleure façon de flinguer l’idée de référendum pour ce pouvoir est.. de l’organiser. La preuve par celui concernant l’aéroport de Paris.
    Nous n’avons pas avancé d’un poil vers l’Egalité en droit donc en politique, vers un système à plat. Nous restons toujours avec la même conception pyramidale du pouvoir issue des conceptions féodales, cléricales, et des situations d’urgence où cette structure a fait ses preuves. Il suffit donc de déclarer l’urgence la difficulté la complexité le danger le chaos pour que le peuple lui-même réclame « spontanément » cette structure et qu’il en appelle à un prophète ou des éclaireurs. Je pourrais conclure à son incompétence en terme de démocratie qui nécessite de sursoir à sa souveraineté, je ne le ferai pas. Je trouve logique sur le plan psychologique de s’économiser et se fondre dans la masse silencieuse quand on se sent impuissant à résoudre un problème, ce qui est la réalité dans laquelle on le tient.
    Je conclue plutôt qu’il nous manque la parole pour nous penser (notre responsabilité), et des philosophes, de la philosophie politique, pour nous soutenir dans ce travail d’émancipation (votre compétence). Il y a trop de représentants et pas assez de philosophes.

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Oui, sur des questions qui supposent une compétence technique et même scientifique, le peuple peut sembler incapable de décider : mais un véritable débat doit pouvoir lui permettre de trancher, non pas sur les modalités techniques particulières d’exécution, mais sur les principes. La loi dans sa généralité relève de sa décision. Je retiens de votre intervention ceci : la souveraineté populaire n’est rien si l’on est incapable d’organiser un vrai débat qui permette à nous tous d’être éclairés. La responsabilité de la presse sur la pauvreté du débat public est grande. Mais peut-être un peuple a-t-il la presse qu’il mérite. Il est vrai qu’il faudrait que l’école instruise.
      Pour ce qui est de l’écologie, je ne suis pas aussi optimiste que vous : vous écrivez : « quel peuple aurait voté pour la situation dans laquelle les élites éclairées et raisonnables nous ont mis ? ». Il est vrai que le développement industriel a jusqu’aux années 60 du siècle dernier été voulu par presque tous ceux que vous appelez les élites, sans que les problèmes qu’il pose pour l’environnement aient été vus. Mais le plus grand nombre était fort heureux des progrès considérables qui chez nous ont résulté de ce développement fou et il n’est pas prêt de le remettre en cause. Le représentation de l’avenir n’a généralement pas sur la volonté humaine la même force que l’impression produite par un avantage présent.
      Il est vrai que la subordination du législatif à l’exécutif, accrue depuis le quinquennat, n’a rien de républicain. Mais qu’une nouvelle Constituante puisse régler le problème de la souveraineté populaire, j’avoue ne pas le croire, d’autant que la France a changé de constitution assez souvent… Faut-il changer les lois, en promulguer sans cesse de nouvelles ou ne suffirait-il pas d’abord d’appliquer celles qui ont déjà été votées ?
      Vous concluez : « Il y a trop de représentants et pas assez de philosophes ». Je ne sais pas s’il y a trop de représentants et je ne voudrais pas que les philosophes de profession se prennent pour des représentants ou les remplacent. Et je ne cesse de regretter qu’en matière de politique les plus célèbres de nos philosophes aient de-puis longtemps fait l’éloge des pires régimes. Et par exemple, il arrive aujourd’hui que le principe élémentaire, fondateur de la république : l’obéissance à la loi, il arrive que cette obéissance soit considérée comme un esclavage. Il est vrai que cela ne touche qu’un petit nombre de « penseurs »… (cf. https://www.mezetulle.fr/sur-un-pretendu-droit-de-desobeir/) Mais souvent quelques « pensées » de ce genre finissent par se répandre et par l’emporter.
      Cela dit, mon propos portait sur l’aberration du prétendu tirage au sort de la convention sur le climat… C’est pourquoi je ne réponds pas à tout votre exposé.

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  2. François Braize

    Comme toujours le texte de M. Muglioni est un vrai stimulant pour l’esprit car il débusque sans concession tous les travers. Et là c’est un festival.
    Mais, de suite, la frustration pointe son nez.
    Que fait-on si l’on ne fait pas un exercice de ce type alors que nos concitoyens ont réclamé une démocratie plus participative ?
    On continue comme avant ? Comme si de rien n’était avec notre merveilleuse démocratie représentative pour 50% des électeurs en fonctionnement courant ?
    Pour ma part, je ne crois pas que cela soit la voie à suivre sauf à ne pas craindre de nouvelles vagues jaunes, voire carrément brunes.
    Il nous faut donc enrichir notre démocratie représentative d’une dose de démocratie directe comme De Gaulle avait su le faire dans la Constitution du 4 octobre 1958 en rétablissant le référendum qui avait pourtant très mauvaise réputation, les trompettes de sa renommée étant déjà pour lui aussi bien mal embouchées.
    N’oublions pas que c’est contre une représentation nationale incapable de faire la paix en Algérie que le référendum populaire a permis l’autodétermination et la fin d’une guerre civile et que c’est aussi, dans les mêmes années , que le Peuple en direct par référendum a décidé que son Président ne devait plus seulement inaugurer les chrysanthèmes et, ce, tout autant contre l’inertie et l‘incapacité à la réforme institutionnelle de la représentation nationale.
    Alors soyons de nouveau gaulliens ! Modernisons notre démocratie en la rendant un peu plus directe sans toutefois renoncer à son caractère représentatif (Voir à ce sujet mon article ici même « RIC ta mère ? » https://www.mezetulle.fr/ric-ta-mere-par-f-b/). Et pourquoi pas commencer par l’expérience proposée de la convention sur le climat ? On tirera les enseignements après l’expérience, compte tenu des enjeux ça me paraît plus satisfaisant.

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    1. Jacques Variengien

      Bonjour,
      N’étant pas historien je ne voudrais pas avancer des contre-vérités, je prends le risque cependant sous le contrôle des spécialistes.
      Associer de Gaulle et la pratique démocratique du référendum comme vous le faites me parait être une réécriture de l’histoire. Le renforcement de la « monarchie républicaine » issue d’une guerre en Algérie et menaçante pour la France – l’homme fort qui fait ce que les députés ne savent pas faire – est le contraire de la démocratie participative. Il a utilisé la menace fasciste pour prendre le pouvoir et n’a pas été porté au pouvoir par le peuple comme le dit la légende. La République acclamative que Debré lui a organisée par la suite n’a rien de référendaire authentiquement. Et l’article 3 de la constitution de 58 :  » La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » me parait être un marché de dupes qu’on ne peut décemment prendre comme exemple de modernisation démocratique. Cet article 3 est en rupture avec les précédents traitant de la souveraineté populaire.
      Ce que vous dites ici me semble en contradiction avec votre article « RIC ta mère » qui faisait justice à la souveraineté populaire et en montrant la condition : le respect des droits de l’homme (des êtres humains) auquel nous devons rester accrochés dés/espérément. Je ne vois pas comment « l’introduction d’une dose de démocratie directe comme de Gaulle avait su le faire.. » répond à notre volonté laïque du pouvoir sur le peuple pour le peuple par le peuple, ainsi qu’aux défis écologiques qui nous attendent. Elle répondrait seulement à la question qui n’est pas posée au peuple par la représentation nationale : comment « toutefois » sauver la démocratie représentative malgré ses résultats et ses perspectives ?
      La réponse par « une dose.. » me parait être une facilité qui nous leurre et nous détourne de ce qui fait problème : le peuple lui-même – perçu par analogie à la foule – et la peur qu’il inspire.
       » Pour ma part, je ne crois pas que cela soit la voie à suivre sauf à ne pas craindre de nouvelles vagues jaunes, voire carrément brunes », écrivez-vous, mais où dois-je manifester mon exigence de souveraineté que je juge légitime (une République laïque et sociale) pour ne pas être considéré comme une menace et lié à l’une ou l’autre vague ?

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      1. François Braize

        Bonjour cher Monsieur
        Noter divergence d’appréciation est un fait et je me limiterai à répondre à vos questions :
        1° pour ne pas vous rattacher à une quelconque vague séditieuse il vous suffit d’exercer votre exigence de souveraineté, outre par la liberté d’expression que nos principes fondamentaux vous reconnaissent, par les urnes et au besoin en manifestant dans la rue, sans violence ;
        2° Vous m’avez bien mal lu ou bien mal compris : il n’y a aucune contradiction entre mon soutien à l’article 3 de la Constitution actuelle et mon article « RIC ta mère », le second n’en est qu’ue degré supplémentaire, par rapport à la construction gaullienne, de mise en oeuvre du principe posé à l’article 3.
        Pour le reste, inutile d’accuser vos contradicteurs de réécrire l’histoire quand ils se bornent à la regarder avec leurs yeux d’aujourd’hui ayant quitté, pour ce qui les concerne, la petite lorgnette idéologique qui a pu leur faire adhérer à l’idée de « coup d’Etat permanent ».
        Cordialement

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  3. Janot

    Personne ne semble avoir remarqué que la seule compétence certifiée de Monsieur Cyril Dion, garant de cette convention dite citoyenne. est un « diplôme » de réflexologie plantaire… Cela ne me dérangerait pas outre mesure si la République ne comptait pas sur lui pour arbitrer une des réflexions scientifique et sociétale parmi les plus complexes qui se puisse imaginer : quelle est la part de l’homme dans l’évolution du climat et quelles sont les mesures à prendre à l’échelle de notre pays pour éviter une dérive catastrophique de celui-ci. Ajoutez à cela un autre point de détail : les participants dont 28% n’ont aucun diplôme, vont être « formés » à ces problématiques en 3 week end… A l’heure où chacun comprend que la démocratie nécessite le débat ou au moins la discussion entre des points de vue différents et connaissant la grande ouverture d’esprit des militants écologistes, je ne doute pas que ces « formations » (dont on je connais pas le contenu ni les professeurs) se feront de façon équilibrée !!!

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Cyril Dion est en effet un militant écologiste. J’ai vu son film Demain qui est fort instructif, même s’il est partisan. Cyril Dion sert donc de caution à l’écologie dans cette affaire de Convention, ce qui est de bonne guerre. Il n’y a pas de politique sans « communication ».
      Mais que viennent faire ici les diplômes ? Car il s’agit de l’intérêt général qui est politique et non technique. Toute l’organisation de notre économie est en jeu, avec par exemple le rapport du libéralisme économique à la loi. C’est pourquoi de mon côté je me refuse à faire de l’écologie un problème technique et relevant d’un savoir spécial.
      Je crains moi aussi ce qu’on appelle la « formation » des tirés au sort, d’autant plus que comme je viens de le dire, ce que chacun d’entre nous a à décider ne relève pas d’un savoir spécialisé. Mais la confusion des débats est à craindre moins du fait du défaut de connaissance des tirés au sort que des manipulations plus ou moins volontaires qui caractérisent toujours un débat politique.

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      1. Janot

        Je vous rejoins complètement sur la dimension éminemment politique du sujet, il n’en demeure pas moins que la problématique est sous-tendue par la science et qu’en l’occurrence ce sont toujours les éléments les plus catastrophiques qui sont retenus par les médias, donc par les politiques. La théorie du « management par la peur », façon Hans Jonas, conduit les idéologues de l’écologie à propager des énormités prétendument basées sur la science. Dans ces conditions faire piloter ces débats par un militant aux « bases scientifiques » limitées est un risque supplémentaire dans un milieu où communication rime avec manipulation et formation avec endoctrinement.

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  4. Baltazar

    Rien sur ce site sur la destruction absolue de l’école publique qui est en cours, sur la suppression des concours républicains au profit de recrutements par contrat, sur la suppression de la philosophie au profit de la communication et de l’oral, de l’instruction au profit du pédagogisme des tablettes, sur le dégoût et la honte qui s’emparent des générations d’élèves que vous avez formés. Trahison des clercs. Vos discours républicains sur la laïcité trahissent le conservatisme le plus réactionnaire.

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Je mets en ligne cet envoi comme exemple de commentaire qui n’a rien à voir avec la question traitée dans ce propos.
      Sur la question de l’école, il n’y a qu’à lire Mezetulle pour voir que la plupart des réformes en cours correspondent à la destruction de l’école telle que nombre d’entre nous l’ont décrite et à laquelle nous nous sommes opposés. Ce qui arrive aujourd’hui n’est que la conséquence naturelle de cinquante ans de renonciation de la part de tous les partis politiques, des syndicats, des associations de parents d’élèves, etc. Il faut être naïf ou de mauvaise foi pour s’en étonner et faire comme s’il y avait là quelque chose de nouveau.
      Il y a plus de quarante ans que je sais que l’avenir est à l’école privée (sans contrat).
      On comprendra que j’en aie assez dit là-dessus pour ne pas vouloir me répéter.
      Je signale en passant que j’ai signé avec la Société Française de Philosophie un texte qui s’oppose aux réformes de CAPES.

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    2. Mezetulle

      Depuis bientôt 15 ans Mezetulle publie des textes d’auteurs qui ont analysé et dénoncé la casse de l’école républicaine dès le début des années 80, non seulement dans de très nombreux articles, mais – excusez du peu – dans des livres. De nombreux autres auteurs, dont l’activité est plus récente, ont heureusement par la suite apporté leurs lumières et analysé la remarquable continuité de cette entreprise de destruction ; les publications critiques se poursuivent, il n’a jamais été question d’y mettre fin. Il suffit de consulter les sommaires, tant de l’ancien site (2005-2014) que du site actuel (depuis 2015), pour le constater.

      Quelques-uns des textes récents :
      School business (Vincent Lemaître)
      Libéralismes et éducation (Sébastien Duffort)
      Quel lycée pour le XXIe siècle ? (Valérie Soria)
      Dossier sur le programme « Humanités, littérature et philosophie » 2019
      Conservatoires : en marche vers le déclassement (Dania Tchalik)
      L’école « disciplinaire » (Catherine Kintzler)
      « Entre les murs », ou l’antre de la folie. L’école et la « vraie vie » (Marie Perret)
      Comment juger une réforme de l’école ? (Jean-Michel Muglioni)
      Les pédagogies innovantes : heurts et malheurs (Sébastien Duffort)
      La réforme des lycées et le méli-mélo interdisciplinaire (Jean-Michel Muglioni)
      La conscience, du labo à l’école ? (Jean-Michel Muglioni)
      L’école des illettrés, ou L’école malade d’elle-même (Tristan Béal)
      Jean-Michel Blanquer ou l’impossible dialectique (Marie Perret)

      Tous ceux qui, parmi ces auteurs, sont aussi professeurs, s’honorent d’avoir non pas « formé », mais instruit et éclairé leurs élèves. Ceux qui sont en activité continuent à le faire malgré la casse : c’est aussi une manière de résister, et non des moindres.
      Enfin la théorie de la laïcité que j’ai développée ici et dans deux ouvrages est essentiellement jointe à celle de l’école.

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  5. Gaspard

    Je remercie Jean-Michel Muglioni d’avoir bien voulu publier le billet de Baltazar sur la casse de l’école publique, bien qu’il ne soit pas en lien évident avec le sujet de l’article. Sans vouloir témoigner d’un esprit de système je pense pourtant qu’il y a un lien entre les deux. Il est certain que la convention sur le climat, avec son tirage au sort, est une parodie de démocratie directe, un coup de com’ destiné à donner des gages à une opinion publique qui conteste la représentation démocratique. Il ne coûte rien de le faire car on sait qu’on ne fera rien ou presque pour sauver le climat, mais tout, en revanche, pour sauver l’image d’un gouvernement de plus en plus honni. Sur ce point, la crise de la représentation ne vient pas de la représentation même mais bien de son mépris de plus en plus croissant par les gouvernements successifs. Le parlement godillot actuel en est la forme paroxystique, à plus d’un titre.
    C’est alors dans l’indifférence ou l’ignorance générale que s’effectue la politique véritable, et notamment la casse totale de l’éducation nationale apportée par la réforme Blanquer. On peut comprendre Jean-Michel Muglioni lorsqu’il témoigne de sa lassitude devant l’ampleur des combats à mener ; il semblerait à le lire que lutter contre ce mouvement général soit comme vouloir vider la mer avec un verre d’eau. Cependant de nombreux collègues luttent en ce moment pour empêcher l’inéluctable. Quelle publicité, quel éclairage reçoivent-ils de votre part? Ne songez-vous pas qu’en voyant l’avenir de l’éducation nationale dans l’école privée, hors contrat qui plus est, vous ne jetiez le bébé avec l’eau du bain? Cet aveu que vous nous faites, puisqu’il s’agit d’une conviction qui vous est ancienne à vous entendre, est terrible, inimaginable, et, j’allais dire, sans craindre de verser dans l’hyperbole, quasi inaudible! L’école privée sous contrat est donc notre avenir? Je n’aurais jamais cru possible de lire cela sur Mezetulle, site pour qui la laïcité est le principal cheval de bataille. Faut-il pour sauver l’instruction la livrer aux entreprises privées, ou aux religieux? On voit déjà dans les salles de conférences de la rue d’Ulm des publicités géantes pour Academia et autres sites de professeurs ubérisés! On apprend qu’Axa envoie ses représentants dans les lycées pour préparer les jeunes professeurs à souscrire des retraites complémentaires! Est-ce là l’avenir auquel nous devrions nous résoudre, nous qui fûmes pour beaucoup vos étudiants et même pour certains vos disciples?
    Devrions-nous accepter la mainmise de l’idéologie libérale sur l’école sous prétexte qu’elle donne l’apparence (fallacieuse pourtant) de lutter contre le pédagogique niveleur?

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Cher ami,
      Je crois que vous n’avez pas bien compris en quel sens je pense que l’avenir de l’enseignement est l’enseignement privé et même le préceptorat. Je ne donnais pas un avis sur la politique d’un gouvernement, mais je cherchais à faire une analyse et à comprendre. Je n’envisage pas, je n’ai jamais envisagé que l’école publique soit remplacée par des établissements privés sous contrat, et je ne le souhaite toujours pas. Si ceux-ci garantissent généralement la discipline, ce qui est déjà fondamental, je ne sache pas que l’exigence intellectuelle y soit plus vive qu’ailleurs. Je constate depuis longtemps que l’enseignement ayant trop souvent disparu des écoles, chacun se débrouille chez lui pour apprendre à ses enfants ou à ses amis ce qu’elles ont refusé de leur apprendre. Ce que con-firme le fait statistique que l’école ne réussit qu’aux plus « favorisés », comme on dit. Le miracle de quelques professeurs qui contre vents et marées continuent d’enseigner ne peut sauver le navire en perdition. Voilà ce que sur Mezetulle je n’ai pas cessé de soutenir, avec d’autres, et je m’étonne que vous-même et beaucoup d’autres fassiez comme si le désastre venait de la politique du jour.
      Il fallait donc y penser plus tôt, ce que j’ai fait ; ce que je n’ai pas vu faire par les syndicats qui au contraire ont contribué à la ruine générale ; ce que l’ensemble des instituteurs et professeurs n’a pas cherché à combattre, à part quelques collègues de philosophie. Je ne parle pas des associations de parents d’élèves ; et je ne parle pas non plus de l’ensemble de la population qui ne m’a jamais paru consciente de la situation de l’enseignement en général. Nous passions pour fous lorsque nous faisions le constat de cette catastrophe il y a cinquante ans. Vous comprendrez donc que je regarde de loin la situation actuelle (sans compter que retraité, je laisse les « actifs » faire ce qu’ils jugent bon). Oserai-je dire que le pays et l’ensemble du monde universitaire a ce qu’il mérite ? Et par exemple, si un jour il n’y a plus d’étudiants en philosophie et que les professeurs d’universités se trouvent au chômage, faudra-t-il s’en étonner ? A-t-on depuis plus d’un demi-siècle vu qu’un quelconque parti politique ou qu’un quelconque homme politique ait proposé la moindre réforme sensée ? Que le ministre actuel veuille rétablir la discipline et faire que le baccalauréat ne soit pas l’aberration qu’il est devenu, je m’en réjouis plutôt. Vous pensez que son but n’est pas pas l’instruction publique mais la bonne marche de l’entreprise ? C’est un mobile sur lequel je ne me prononce pas. Mais je dirai seulement que cela vaut mieux que la destruction systématique de toute instruction telle qu’elle a été organisée jusqu’ici sous prétexte d’égalité.
      Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, je vois bien l’insuffisance ou l’incurie du gouvernement actuel, mais cela ne me rend pas fou. Et je ne sache pas qu’aucun autre ait mieux résolu le problème du changement climatique. Vous avez sans doute lu sur Mezetulle mon propos sur la réduction de l’homme au marché qui ne laisse pas plus d’espoir dans ce domaine que dans celui de l’éducation nationale. Est-ce lassitude ou lucidité ? Si vous voulez comprendre pourquoi je suis heureusement délivré de toute espérance, lisez le retour de Télémaque à Salente chez Fénelon. Et si vous voulez un avis sur la situation présente, voici. Je ne devrais pas dans un site où prime l’analyse entrer dans la polémique. Mais enfin savez-vous qu’un de nos révolutionnaires, dont les analyses critiques ont parfois une force réelle, est allé agiter le Lumpenproletariat de notre temps à l’opéra de Paris ? Il est vrai que c’était sur la demande de quelques danseurs. Quels que soient les problèmes réels de la réforme des retraites, cela témoigne de l’état de la gauche.

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