Les « Nouveaux Entretiens avec Maryse Condé » de F. Pfaff, lus par Jean-Kely Paulhan

La vie sans phare ?

Dans ces Nouveaux Entretiens avec Maryse Condé, écrivain et témoin de son temps, (Paris : Karthala, 2016), Françoise Pfaff1 interroge la romancière Maryse Condé aussi bien sur ses grands thèmes littéraires que sur ses perceptions politiques. L’analyse qu’en propose Jean-Kely Paulhan2, où il médite et dialogue avec lui-même, montre comment un obstacle de lecture peut être travaillé pour devenir une clé : à la fois maintenu – parce que des objections justes, portant ici sur les « perceptions politiques », n’ont pas à être aplanies -, et levé – parce qu’il faut rendre justice à un écrivain capable de s’écarter des chemins battus, de penser contre et en dépit de soi-même, saisi avant toutes choses par la littérature.

Provocations détestables

Porte d’entrée dans l’œuvre ? Porte de sortie ou même issue de secours que l’on emprunte dans la panique ? Exercice un peu complaisant de retour sur le passé ? Illustration d’un fait ordinaire : le talent du créateur, de l’artiste, ne garantit pas la qualité de sa réflexion politique ? Faut-il d’ailleurs lire ces entretiens pour mieux comprendre une œuvre qui devrait se suffire à elle-même ? Autant de questions que je me suis posées à leur première lecture, agacé par une « Diva à sa manière, autoritaire, emmerdeuse, désagréable, chialeuse, caractérielle on ne peut plus » [p. 192] pour parler comme Rodney Saint-Éloi de la chaîne haïtienne Radio Télévision Caraïbe, ami et éditeur de Maryse Condé.

Je m’interrogeais aussi sur l’initiatrice de ce nouveau dialogue, après celui de 1993, Françoise Pfaff, professeur à l’université Howard de Washington, spécialiste du cinéma africain et des littératures francophones. J’admirais sa fidélité, sa connaissance précise de l’œuvre, son inlassable patience aussi, face aux rebuffades (que voulez-vous que ça me fasse ?), aux silences plus ou moins sincères (« Je n’en sais rien » [153]), au mépris affiché pour les analyses universitaires (Si vous le comprenez ainsi, grand bien vous fasse !), dont elle cherchait à éprouver la validité. J’ai été aussi sensible à un certain sens du risque, pensant au découragement qui a pu la saisir parfois dans cette sorte de corps-à-corps avec une rebelle, qui n’a pas refusé le cursus honorum des institutions universitaires, a terminé sa carrière à l’université de Columbia à New York, avant de devenir présidente en France du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.

Loin de nous « expliquer » l’œuvre de Condé, qui connaît le métier d’enseignant et sait sans doute qu’expliquer revient parfois à rétrécir, réduire, enfermer un écrivain dans une prison, proche du cimetière, ces Nouveaux Entretiens ont le mérite d’épaissir le mystère autour d’elle, d’inciter à la lire et à la relire. Sans parler du portrait en creux de son interlocutrice, cette chère Watson-Pfaff, parfois malmenée parce qu’elle est la mémoire toujours présente et presque infinie d’une vie d’écrivain, dont tous les mots engagent : que l’auteur le souhaite ou non, elle se trouve appelée à la barre par une sorte de juge-pénitente à l’égard de laquelle ses sentiments peuvent beaucoup varier, de l’affection (pour l’attention qu’elle lui porte) à l’irritation violente (quand elle se trouve confrontée à des paroles oubliées ou refoulées [191]). La franchise, principale qualité que Condé apprécie [192] chez les autres, m’oblige à dire que j’ai trouvé ses provocations politiques détestables – le but recherché est pleinement atteint – puis, dans un second temps, banales et surtout incohérentes. Affirmer que le terrorisme est une revanche sur les colonisateurs (« Il y a eu des années et des siècles de colonisation, et finalement les peuples en ont eu marre et se sont rebellés, mais ils se rebellent mal » [109]3, que le pamphlet d’Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? rend parfaitement compte de la grande manifestation « Je suis Charlie » (« Des militants, profondément décidés au changement, d’autres qui l’étaient moins, d’autres qui étaient des béni-oui-oui, d’autres qui étaient des petits bourgeois » [84]) ne fait pas avancer les débats et les connaissances dont nous avons besoin. Je reste dans l’attente de réflexions et d’arguments précis, percutants, à opposer aux propos tellement embrouillés, contestables, de François Fillon: « Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord. Non, la France n’a pas inventé l’esclavage. »4

Expier, dit-elle

Je n’ai guère envie de m’étendre sur des affirmations à l’emporte-pièce sur le comportement des soldats français en Centrafrique, où le vrai peut se mélanger allègrement au faux, ni sur l’affaire Omar Raddad, seulement consterné de la légèreté avec laquelle Condé affirme, interprète et juge. Encore moins envie d’évoquer le « traitement » que Condé réserve dans un projet d’écriture à Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge au moment de l’attentat contre Charlie : « la jeune Martiniquaise, née à Sainte-Marie, victime d’événements qui ne la concernaient pas du tout […], victime d’un terroriste d’origine malienne en lutte avec le pouvoir français » [22]5. D’abord parce qu’il m’est insupportable d’admettre une hiérarchie des victimes ; ensuite, Clarissa Jean-Philippe avait volontairement revêtu l’uniforme, s’était engagée : tout ce que Condé pourra écrire pour honorer sa mémoire, je le trouverai bon, mais affirmer que la jeune policière n’était en rien concernée par la défense de l’ordre est intolérable. Cet ordre, certes imparfait, qui couvre bien des injustices, permet aussi aux enfants de revenir de l’école sans angoisse, aux ambulances d’arriver à temps pour emporter les malades aux urgences ; il empêche des escrocs, des trafiquants ou des voyous, de saccager d’autres vies. Sur l’Australie ou le Japon, présentés après de courts séjours comme des paradis, je me fierai à d’autres guides que Condé. Enfin accuser Olivier Pétré-Grenouilleau6 d’avoir cherché à « dédouaner l’Europe [de la traite et de l’esclavage], alors qu’elle demeure la grande responsable et coupable de ce crime » me paraît un mauvais procès, et sur ce point je m’en remettrai plutôt au jugement d’Alain Mabanckou : « La part de responsabilité des Noirs dans la traite négrière reste un tabou parmi les Africains […]. Or la participation de ceux qu’on appelle « négriers noirs » n’est pas une invention pour consoler l’Europe et calmer « le sanglot de l’homme blanc » »7.

Condé a l’honnêteté de reconnaître qu’elle a quitté la Guadeloupe car on ne l’y comprenait pas et qu’elle a raté sa tentative de retour au pays [36, 44, 67] , qu’elle ne s’est pas fait d’amis afro-américains aux États-Unis à une seule exception [44]8, que la mère Afrique l’a déçue [41, 95], mais elle réserve ses flèches à la France, xénophobe et raciste hier comme aujourd’hui, semblable à ce qu’elle était dans les années 50-60 [45, 83, 108]9.

Je cherche à comprendre pourquoi l’univers de Mabanckou m’attire davantage. Est-ce parce qu’il est né « après les soleils des indépendances » et ne passe pas son temps à dresser un inventaire, qu’il n’est pas un habitué du « tribunal de la conscience » (unique et permanent accusé : le Blanc) ? Cela ne le rend pas complaisant : son regard sur la France est critique, mais chez lui je respire, rencontre beaucoup d’écrivains, intellectuels ou historiens, qu’il a lus avec attention, respect, ce qui n’empêche pas la prise de distance rafraîchissante. On le sent porté par une curiosité, une affection pour les autres, quels qu’ils soient, que je ne trouve pas chez Condé ; autant l’avouer, je suis blanc moi-même, âgé de 65 ans – « tu étais un gamin dans les années 60, tu ne peux pas la comprendre, en effet » me souffle une amie –. Sans doute. Mais Mabanckou, je le sens prêt au bonheur, pour lui et pour les autres…

Condé affirme aussi que la France manque « d’organisations et de lois suffisantes pour lutter contre le racisme au travail, dans la recherche d’un logement » [93]10 Prétendre que nous vivons dans une société dont la fière devise, « Liberté, Égalité, Fraternité », se traduirait à tout moment et partout dans la réalité, qui pourrait s’y risquer ? La devise républicaine est d’abord un idéal, qu’il faut rappeler sans cesse, un effort permanent, non un slogan commercial. La résistance à l’oppression est comprise dans l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Et elle justifie beaucoup de combats qui restent à mener. Que « le délit de sale gueule, les fouilles et arrestations abusives » contribuent, entre autres, aux mauvaises relations entre la police et certains jeunes des « quartiers »11, que les difficultés du système éducatif12 soient dues, en partie, à la relégation des plus pauvres dans des banlieues isolées, j’en conviens bien volontiers. Là où je ne peux pas suivre Condé, ni Pfaff, c’est lorsqu’elles évoquent à propos de la France actuelle « l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid » [99]. C’est injuste, outrancier : « Un Tunisien, professeur d’université, me disait récemment, note Jean-Louis Schlegel, que dans la classe moyenne aisée de son pays, on vivait moins bien que dans les banlieues « pauvres » de France. Il connaissait les deux. Malgré la limite de ces comparaisons, on aimerait que la classe politique ait le courage de tenir aussi ce langage, plutôt que de parler d’« apartheid ». »13 La classe politique et pas seulement elle…

Ne m’appelez plus jamais française…

Condé le proclame, plutôt deux fois qu’une : elle n’est pas française, ne s’est jamais considérée intégrée au pays dont elle parle et écrit la langue – elle « souffre » d’une assimilation bien involontaire puisqu’elle estime s’exprimer « en Maryse Condé », vivant à Paris comme à Gordes « en tant qu’étrangère » [93, 97]. Soit. Et pour s’excuser de cette résidence chez l’ennemi, elle précise ou fait préciser que sa maladie actuelle l’oblige à se rapprocher des médecins, des lieux de soin. Mais pour que le médecin, l’hôpital, soignent, que des médicaments efficaces, payés à un prix supportable, arrivent, ne faut-il pas qu’existe une machinerie très complexe, garantie par un certain ordre, sans lequel les plus fragiles sont menacés, à Paris comme à Gordes ? Et n’y-a-t-il aucune relation entre l’actualité mondiale, qui seule l’intéresserait, et cet ordre local que la vie politique française conditionne ? La solidarité accordée aux étrangers lointains et refusée aux prochains, trop proches, évoque pour moi cet internationalisme abstrait et commode qui a pu déconsidérer la gauche intellectuelle française : acculturation involontaire ? Le romancier noir américain James Baldwin, qui avait pris son parti de l’exil définitif en un temps plus dur que le nôtre et pour des raisons plus dures, que l’on ne peut pas soupçonner d’une quelconque complaisance à l’égard des États-Unis, s’oppose à ce séparatisme : « À mes yeux, c’est un naufrage spirituel que de clamer que l’on n’aime pas son pays. Vous pouvez ne pas l’approuver, vous pouvez être forcé de le quitter, il se peut que vous viviez toute votre existence comme une bataille ; il n’empêche, je ne pense pas que vous puissiez jouer les déserteurs. Il n’y a pas d’autre endroit où aller. »14

L’auteur est très critique vis-à-vis de l’Afrique et de sa bourgeoisie, de ses leaders politiques, et c’est tout à son honneur, d’autant plus que cela implique un retour sur « le passé d’une illusion », mais comment comprendre cette réponse :
« On t’octroie toujours des visas pour te rendre dans les pays africains ?
− Je n’ai pas besoin de visas. J’ai un passeport français et je rentre partout. » ?
Que la contradiction soit au cœur de toute expérience humaine, j’en suis bien conscient et le premier à le constater dans ma propre vie. Mais la revendiquer avec une telle arrogance spontanée me paraît inacceptable.

Peut-on pour autant rejeter, sans autre procès, le « discours politique » de Condé ? Il faut sans doute se libérer de quelques blessures intimes et se demander si, au-delà de la provocation, si facile, l’auteur ne jette pas négligemment quelques clés, dont on se saisira, au petit bonheur la chance.

Si le racisme consiste à attribuer à une population donnée des caractères identiques, niant toute singularité, tout parcours individuel, en dehors de toute expérience, ce que dit Condé de Paris et des Parisiens ne brille pas par une grande ouverture d’esprit ni par la générosité, réservée au cercle le plus proche15. Que cette détestation s’explique chez elle par l’expérience d’une ville « très raciste, très intolérante » dans les années cinquante et soixante [44-45, 94], lorsqu’elle y était étudiante, par le sentiment aussi de n’être qu’une « petite main » à Présence africaine, où de prestigieux visiteurs ne lui accordaient le plus souvent qu’une attention distraite, je le comprends. Les Bruhat, père et fille, dont elle rappelle l’hospitalité et l’ouverture intellectuelle, sinon la « conscientisation » qu’elle leur doit, n’habitaient-ils pas Paris [94-95] ? Et Isabelle Gallimard, directrice du Mercure de France, devenue une amie [142]? Les exceptions qui confirment la règle ? On connaît la chanson et elle n’inspire pas confiance.

Je regrette en même temps un ressassement, une façon de tourner en rond dont j’ai l’impression que les protagonistes du Joli Mai de Chris Marker, en 1962, arrivent à se libérer, en particulier l’étudiant noir partageant son expérience et ses attentes, puis le jeune ouvrier algérien interviewé à la fin du film. Leurs discours sur la France, dont ils ne connaissent que Paris, est à la fois critique, sans concession… et porteur d’espoirs. Je m’y retrouve davantage en tout cas, comme dans l’évocation de ses années françaises par la Sénégalaise Annette Mbaye d’Erneville dans le beau film d’Ousmane William Mbaye, Mère-Bi.

Se construire contre ou avec les siens ?

Heureusement, Condé a la force par moments de se livrer à une véritable anamnèse, qui nous ramène à cette vérité : les « idées », les positions, qui nous sont les plus chères, parce qu’elles correspondent dans notre esprit à des constructions originales, dont nous portons fièrement la responsabilité, viennent en partie de nos proches, auxquels nous restons liés, par notre fidélité ou par notre reniement, le plus souvent par un mélange confus et secret, en perpétuelle évolution, qu’il nous est difficile de confesser : « Je n’ai jamais aimé Paris, depuis l’adolescence. Mes parents l‘aimaient trop, vantaient la beauté des monuments, nous traînaient à l’Opéra, au restaurant et partout, et par réaction, dès le départ, je n’ai pas aimé Paris. » [44] Ce règlement de comptes avec des parents, « embryon de bourgeoisie noire », auxquels elle reproche leur admiration pour la France, leur silence sur l’esclavage [187], est aussi un hommage, une reconnaissance de la force qu’ils lui ont transmise [95-96] et qui l’habite encore : « Ils n’étaient pas aliénés, ils étaient très fiers d’eux, très contents d’eux-mêmes et je crois qu’ils nous ont inculqué un sentiment de fierté qui dure en moi jusqu’à aujourd’hui. J’ai toujours pensé que j’étais l’une des femmes les plus intelligentes du monde, une des femmes les plus belles du monde, je n’ai jamais eu ce complexe d’infériorité dont parlent beaucoup de gens. » [96]

Ce n’est pas dans ses déclarations, ses déclamations – il y a plusieurs versions des propos du café du Commerce et la « franchouillarde » n’est pas la seule – que je trouve l’éveilleuse, la semeuse d’inquiétude et de questions propres à empêcher la paresse intellectuelles ou morale. C’est plutôt l’aveu de ses erreurs, de ses désillusions, de ses changements de cap qui m’intéresse chez Condé… et me change. Elle reconnaît s’être trompée quand elle voyait en l’islam, paré de toutes les vertus, un contrepoids au catholicisme oppressif, avoir idéalisé l’Afrique, ignoré longtemps la participation des musulmans à la traite négrière [51]. Surtout, le retour sur l’obsession de la couleur, la prise de distance par rapport à un militantisme « un peu étriqué, manichéen », témoigne d’un vrai courage : « Un oppresseur peut être blanc, un opprimé peut être blanc et la couleur ne signifie pas grand-chose […]. Il y aura d’autres clivages entre les hommes […] mais la couleur va devenir un épiphénomène. » [24-25, 164-165]. Comment ne pas être attentif à la contestation de la démocratie comme le régime le mieux adapté à un pays « où l’analphabétisme prévaut et où la majorité de la population a été soumise au féodalisme colonial et à de nombreuses dictatures » [156] pour citer Pfaff à propos d’Haïti ?

Même dans le domaine proprement ou improprement politique, où elle se montre peu convaincante à mes yeux, Condé a le mérite d’attirer l’attention sur des questions que nous avons du mal à reconnaître et à trancher. Sans doute est-ce plus facile quand on n’exerce aucune responsabilité et que l’on se sent à l’étranger dans le pays où l’on vit. Peu importe non plus qu’elle n’ait pas la même générosité que Mabanckou, qui cite volontiers les « grands » l’ayant influencé, ébranlé ou atteint ; si je lui suis reconnaissant d’une réaction (trop brève) au film de Moussa Touré, La Pirogue (2012)16, et de son refus de la distinction entre migrants économiques et migrants fuyant la guerre : « Un peuple qui se bat contre la faim mérite autant de sympathie qu’un peuple qui est tué par des bombes et on doit lui montrer la même compassion. » [102, 109]17, je trouve insupportable la façon dont Condé exécute, dans le style du pire journalisme, les livres ou les films qui n’ont pas l’heur de lui plaire. Timbuktu, le film d’Abderrahmane Sissako18, est expédié en quelques mots : « Le film n’était pas terrible ! […] Le Mali est beau, les éléments étaient donc parfaits, mais le fond du film est un peu inachevé. » [89]. Pourquoi « inachevé » ? On ne le saura pas. Quelques explications, de grâce, Madame le bourreau !

Sur l’affaire de Charlie Hebdo et le débat sur la liberté d’expression en France, on peut ne pas partager l’avis de Condé, mais son point de vue mérite au moins notre attention : « Peut-on rire de tout ? Je crois que non ! […] Il faut respecter les croyances des autres, même si à l’intérieur de sa propre culture on fait preuve d’ironie. […] Se moquer et faire des caricatures de Mahomet n’est pas nécessaire. » [60]. J’ai juste envie de lui demander si, dans un monde en mouvement constant, elle perçoit très nettement ce qu’elle appelle « sa propre culture » et les frontières en deçà desquelles tout est permis, au-delà-desquelles rien n’est permis. Je brûle aussi de lui demander si les caricatures du Christ, l’ironie à propos des chrétiens et des juifs sont vraiment « nécessaires »…

Si les Nouveaux Entretiens se limitaient à ce propos, ils se résumeraient à une conversation, oscillant entre la confrontation et l’empathie, avec une femme d’expérience, cultivée, au crépuscule d’une vie bien remplie. Or cette vie a d’abord été remplie par la création d’une œuvre, d’un univers, qui, si elle suppose une certaine solitude, n’a pas eu lieu non plus dans un désert. C’est l’irruption des autres, du vaste monde, qui rend ces entretiens plus stimulants, moins convenus, et nous rappelle qu’ils se justifient par une œuvre, dont tel ou tel propos trop rapide – c’est aussi le risque de l’entretien à bâtons rompus – n’efface pas l’importance ni les sens.

Maîtres et amis d’une femme libre

Sur la négritude comme solution à tous les problèmes, la naïveté d’imaginer une Afrique où tous les Noirs, comme le voulait Aimé Césaire, seraient frères, Condé explique son rêve, sans le renier, par une réaction, compréhensible, au climat étouffant de la France des années soixante [41]. Surtout, elle consacre de très belles pages, lumineuses, à Aimé Césaire et à Léopold Senghor, à la différence qui les unit et les sépare en même temps : « Malgré le désastre colonial, quand on naît en Afrique [comme Senghor] il reste les valeurs et la beauté africaines […]. Il est donc relativement facile de se rappeler la grandeur qui a été détruite et annihilée. [Pour Césaire] né à des kilomètres de l’Afrique sur des îlots misérables dont le passé est un système de plantation […], il y a un effort d’imagination, un effort culturel plus grand que chez Senghor. Il est plus facile aux Africains qu’aux Antillais de croire en la Négritude. » [53].

L’évocation du poète Guy Tirolien, ami proche et interlocuteur respecté au-delà des désaccords, est non seulement intéressante mais aussi émouvante : il s’agit de l’une des rares personnes auxquelles Condé, avare de son estime, rend hommage sans la moindre restriction. Il veut la réconcilier avec cette Afrique, qui a déçu l’attente trop forte de l’écrivain : « Il faut l’aimer, c’est comme une mère qui a beaucoup souffert, qui est devenue un peu laide, un peu aigrie, un peu méchante. Mais à force d’amour, nous allons gagner, nous allons la rendre à nouveau belle et jeune. » [55]

Autre portrait frappant, celui d’Amadou Kourouma, un homme « à qui on pouvait tout dire sans avoir peur de passer pour un imbécile, [qui] écoutait, essayait de comprendre, se mettait à votre portée » [56].

L’obsession de l’oppression subie par le groupe auquel on appartient, ou se sent appartenir, a souvent pour corollaire une indifférence absolue au malheur des autres, dont Condé cherche à s’affranchir : « Parmi les migrants qui s’entassent à Calais ou qui meurent en traversant la Méditerranée […], il y a des Blancs, qui sont aussi malheureux, démunis, en fuite que les autres. Il faut une lecture du monde qui passe par autre chose que la couleur. » [24] Dans ses romans, les Indiens, souvent ignorés des études sur la Guadeloupe, sont très présents et elle leur rend un vibrant hommage : «  Ils sont arrivés comme engagés après l’abolition de l’esclavage entre 1850 et 1870, mais les engagés étaient aussi pauvres que les esclaves […]. Ils se sont installés, ont fait fructifier le pays et occupé des postes de richesse et d’importance. » [126-127]19

Ici se révèle une autre Condé, moins rigide que je ne le pensais, capable en tout cas de s’écarter des chemins battus, quitte à prendre des risques, à affronter ses « partisans » qui auraient bien aimé qu’elle se conformât à leurs préoccupations : « Les féministes, surtout en Amérique, m’ont toujours poursuivie. Par exemple, elles m’ont reproché dans Ségou (1984) de n’avoir nulle part dénoncé l’excision et d’avoir donné l’impression que le viol pouvait procurer du plaisir aux victimes. » [114-115, 141].

Autre sujet moral et politique que l’auteur aborde avec modestie et gravité, dans des termes quelque peu inhabituels (« Avoir été abandonnée par un homme n’est pas glorieux »), auxquels les femmes seront peut-être plus sensibles, celui du rapport entre vie privée et vie publique. C’est à l’occasion de sa dernière pièce de théâtre, la Faute à la vie (2009) qu’elle évoque Jean Dominique, le père haïtien de son premier enfant : « Un homme comme Jean Dominique, qui a eu une vie politique très chargée, mais dont le comportement avec les femmes n’était pas brillant, est-il un héros ? Peut-on dire qu’un homme dont la vie personnelle est irresponsable, est quand même digne d’être un homme politique adulé, suivi, admiré ? C’est la question que je pose, c’est tout. » [178]

Littérature d’abord

Condé devient convaincante, pas seulement émouvante, quand elle parle de son écriture, de ce « mentir vrai » qui est au fond sa raison d’exister. Tout artiste, elle le sait, n’a qu’une préoccupation, lui-même : « L’écrivain se met toujours en scène. » [178, 116] Contre les obsédés du vrai pur, elle revendique, jusque dans ses récits ou contes autobiographiques (Le Cœur à rire et à pleurer, 1999, La Vie sans fards, 2012), le droit au mensonge, un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout, selon les circonstances dont elle est seule juge, et elle accepte joyeusement d’avoir pris part à quelques manipulations : « C’est moi qui ai donné la liberté aux attachées de presse de bâtir un mythe sur ma vie, un mythe Maryse Condé, contre lequel, tardivement, je m’insurge. » [181, 184]

La Migration des cœurs (1995), hommage fasciné au roman d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent, transpose aux Antilles une histoire qui paraissait enracinée à jamais dans un coin perdu de l’Angleterre.

Ces Nouveaux Entretiens contiennent plusieurs belles pages sur la découverte, à quinze ans, de cette histoire de « passion unissant un homme et une femme dans un lieu austère et abandonné de tous » qui fait éclater cette vérité aux yeux de l’adolescente : « La littérature n’avait pas de frontières. » [123]

Stimulée par les questions de Pfaff, qui connaît en profondeur La Migration des cœurs et en respecte les mystères, se fait jour une critique moins universitaire et plus troublante. Condé explique en quel sens l’injonction d’Oswaldo de Andrade dans son Manifeste anthropophage l’a influencée : « On n’arrive jamais à se défaire des valeurs, des tendances, des goûts imposés par la colonisation, il faut donc les dévorer et en refaire quelque chose qui nous appartienne en propre. » [124] Dévorer, mais aussi goûter, se laisser envahir par la joie des saveurs. Condé, établissant un parallèle entre la créativité des cuisinières et celle des écrivains, s’en prend du même coup à une hiérarchie des dignités : « Nourrir son mari et ses enfants, nourrir ses lecteurs avec beaucoup d’images et de métaphores, ce sont deux propositions qui se ressemblent beaucoup. […]. Nourrir avec des mains et nourrir avec des mots, c’est le même effort. » [74]

Même s’il est vain de les dissocier, c’est l’écrivain plus que le « témoin de son temps » qui m’intéresse chez Condé. Ces Nouveaux Entretiens donnent envie de la mieux connaître et de dépasser l’agacement que peut susciter le témoin. J’appliquerai à ce texte la belle invitation qui lui paraît définir la littérature : « La littérature n’est pas un tract politique […]. C’est surtout une proposition qu’un individu fait aux autres. Il cherche, il se cherche et les autres cherchent avec lui. » [115]

J’ai eu parfois envie de jeter le livre et de ne plus chercher, de ne plus chercher en sa compagnie en tout cas. J’aurais fait une erreur.

 

Notes

1D’origine alsacienne et guadeloupéenne, Françoise Pfaff a publié entre autres À l’écoute du cinéma sénégalais, L’Harmattan, 2010. Elle a enseigné à l’université d’Howard (Washington, DC, États-Unis) le français, les cinémas et littératures des pays francophones d’Afrique et de la Caraïbe. Spécialiste de l’œuvre de Maryse Condé, elle a publié un premier livre d’entretiens avec l’auteur en 1993 (traduit et publié aux États-Unis par les presses universitaires du Nebraska).

2 – Jean-Kely Paulhan est président des Amis de Jean Guéhenno. Il a enseigné à Allegheny College (Pennsylvanie) puis à l’École navale. Dernier texte publié : « InSoumission », Europe, déc. 2016. Le présent texte est une version remaniée et plus précise d’un article publié dans La Révolution Prolétarienne de mars 2017 sous le titre « La vie sans phare ».

3Voir Rachid Kassim, artisan du « djihad de proximité », inspirateur du meurtre d’un couple de policiers le 13 juin 2016, du meurtre du père Jacques Hamel le 26 juillet 2016, entre autres ; mais j’imagine que les pages « France » du Monde n’existent pas aux yeux de Condé : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de revanche à deux francs six sous ?Des gens qui ont combattu pour instaurer la démocratie en Algérie […], ce sont des gens qui ont combattu pour établir d’autres lois que celles d’Allah […]. Le colonialisme ça nous est complètement égal. Notre problème, c’est la religion. » S. Seelow, « Le djihadiste Rachid Kassim ciblé par un drone », Le Monde, 17 février 2017, p. 13.

4 – Meeting de François Fillon à Sablé-sur-Sarthe, 28 août 2016, discours prononcé : https://www.youtube.com/watch?v=aq9g0I3K524, consulté le 19 avril 2017. Je n’ai pas rencontré l’inventeur de l’esclavage, mais sur la question du généreux partage de sa culture par la France avec les colonisés, je préfère m’en tenir à d’autres sources : « Le nombre d’enfants scolarisés en AOF [Afrique occidentale française] reste extrêmement faible, de l’ordre de 0,4% de la population totale en 1936, alors que la population est jeune. Cet enseignement reste essentiellement primaire et seule une très faible minorité accède à l’éducation secondaire. Les deux seuls lycées d’AOF, à Dakar et Saint-Louis, comptent 730 élèves en 1936, essentiellement des enfants de colons et de créoles. […] En Algérie, le taux de scolarisation des enfants pour la population totale est de 0,7% en 1921, de 5,7% en 1921 s’il est calculé par rapport à la population de six à treize ans. […] En Indochine, les taux de scolarisation, bien que plus élevés, restent inférieurs à 10% » (M.-A. de Suremain) in L’école aux colonies, les colonies à l’école, ENS éditions, 2013. L’article de Raoul Allier dans la revue de Péguy, « L’enseignement primaire des indigènes à Madagascar », Cahiers de la Quinzaine, 4e cahier, mardi 8 novembre 1904, malgré son ton très modéré, dit à peu près la même chose. On pourra aussi consulter le Rapport Brazza. Mission d’enquête du Congo : rapport et documents (1905-1907), exhumé en 2014, ou encore le livre de Victor Augagneur, ancien gouverneur de Madagascar, Erreurs et brutalités coloniales (1927) réédité en 2010. Jacques Attali, qui a suivi toute sa scolarité jusqu’en cinquième en Algérie, parti en avril 1956 pour ne plus revenir, reconnaît : « Je n’ai jamais eu d’Arabes dans ma classe. », in « Jacques Attali, ses vies parallèles », émission « À voix nue », diffusée du 02/05/16 au 06/05/16, rep. in France culture papiers, automne 2016, p. 162. À l’autre extrémité de l’échelle sociale et du territoire, Slimane Zeghidour, né dans une des régions les plus pauvres d’Algérie, rencontre l’école dans un camp de regroupement forcé, en 1957 : « La vie au camp n’est pas facile mais c’est là qu’il découvre, outre le pantalon et la radio, l’école. C’est étrange : dans cette partie du pays qui semble vouée aujourd’hui encore au délaissement, il a fallu la guerre d’indépendance pour que les Algériens rencontrent pour la première fois des Français. » France Inter, « La Marche de l’histoire », 17 mars 2017, https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-17-mars-2017

5 – Le pouvoir français, l’État français… Je vois entre la haine qu’exprime à son égard Condé et la « théorie » de Judith Butler, selon laquelle bien sûr les « assassinats sauvages » [de novembre 2015, à Paris] sont « choquants et horribles », mais ne sont qu’une réponse au racisme d’État français, des concordances troublantes. Voir la lettre de J. Butler dans Libération : http://www.liberation.fr/france/2015/11/19/une-liberte-attaquee-par-l-ennemi-et-restreinte-par-l-etat_1414769 et le commentaire de ce texte par Laurent Olivier, « Un travail de désaliénation de la pensée : le cas Judith Butler » [à propos du livre de Sabine Prokhoris, Au Bon Plaisir des « docteurs graves », PUF, 2017], La Nouvelle Quinzaine littéraire, 16-28 février 2017, pp. 18-19. [Ajout de l’éditeur : voir ici l’article de Jeanne Favret-Saada consacré au livre de Sabine Prokhoris].

6Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, 2004.

7Le Sanglot de l’homme noir, Fayard, 2011, 117-118. Parlant du livre de Pétré-Grenouilleau, Condé ne fait même pas allusion à la participation de Noirs à la traite, elle se contente de citer la responsabilité, largement exagérée selon elle, du Maghreb.

8 – Ce constat, sans la moindre tentative d’élucidation, m‘a rappelé une scène racontée par A. Mabanckou, l’accès de violence contre lui de Tim, un ami afro-américain, qui laisse soudain exploser sa haine à l’égard de cet Africain privilégié « sorti de sa brousse africaine pour travailler dans une université américaine » et l’accuse d’être le chef d’une tribu de trafiquants noirs d’esclaves (118-126). Je ne saurais affirmer qu’il y a un rapport, mais l’anecdote m’a laissé une forte impression et rappelé que l’enfer est pavé de malentendus, de soupçons, de colères rentrées, prêtes à exploser aussi entre « frères de race » (118).

9 – Un sondage effectué pendant la chasse à l’homme qui a suivi l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo (IFOP pour le site Atlantico) en janvier 2015 indique que, pour 66 % des Français, il ne faut pas confondre les musulmans avec la frange extrémiste de l’islam, http://www.atlantico.fr/decryptage/66-francais-considerent-que-musulmans-vivent-paisiblement-en-france-et-que-seuls-islamistes-radicaux-representent-menace-jerome-1947238.html, consulté le 19 avril 2017. France Inter, le dimanche 21 juin 2015, a fait état d’un sondage de l’institut Odoxa selon lequel « 1 – Près des deux-tiers des Français (63%) disent mal connaître la religion musulmane 2 – Les Français sont une majorité à juger que ‘‘ les musulmans mettent le plus en avant possible le fait qu’ils sont musulmans ’’ […] mais ni les sympathisants de gauche, ni les personnes qui connaissent bien des musulmans ne partagent cette opinion. 3 – Pour une large majorité de Français, l’islam ne porte pas en elle les germes de la violence mais est au contraire une religion aussi pacifiste que les autres 4 – Les attentats n’ont pas altéré l’image qu’ont les Français des musulmans de France 5 – Les Français sont convaincus que l’islamophobie progresse en France et ils estiment majoritairement qu’il est plus difficile d’être un musulman en France depuis ces dernières années ». http://www.leparisien.fr/societe/sondage-ce-que-pensent-les-francais-de-l-islam-20-06-2015-4879049.php, consulté le 19 avril 2017. Une fois cette relative bienveillance constatée, nous pouvons admettre qu’elle est méritoire compte tenu de l’actualité et qu’elle est sans doute fragile. Enfin, reconnaissons qu’un regard critique sur l’islam ne doit pas être rejeté immédiatement sous le prétexte d’islamophobie. Des esprits courageux dans notre pays continuent de réfléchir à cette question ; peut-être, sans le chercher d’ailleurs, sont-ils protégés des attaques parce qu’ils s’expriment dans des médias dits confidentiels s’adressant à une certaine élite peu portée aux simplifications. Je pense ici à la chronique de Michel Crépu, « Du Monstre » : « Ce qui frappe le plus dans l’islam actuel, dans sa dérive terrifiante, c’est son manque de tradition, en réalité son manque d’assurance. Où sont passés l’étude, la patience, la culture, les subtilités de la mystique ? […] Une enquête sur l’effacement de l’islam comme grande spiritualité pourrait avoir son utilité. En attendant, on peut visiter au Louvre le département d’art islamique : là on voit ce que transmet une tradition solide et profonde. », La Nouvelle Revue Française, avril 2015, pp. 7-15.

10 – Il semble que l’arsenal français de lois contre la discrimination soit très complet. Il est évident cependant que le faire respecter dans la pratique quotidienne est difficile. La discrimination touchant les « seniors » qui recherchent du travail serait encore plus importante que celle touchant la population maghrébine ou noire : « Depuis de nombreuses années, la discrimination la plus importante en France est celle liée à l’âge. » Sana Guerfel-Henda, Jean-Marie Peretti, « Le senior, objet de discrimination à l’embauche ? », Humanisme et Entreprise 5/2009 (n° 295), p. 73-88 URL : www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2009-5-page-73.htm (consulté en ligne le 30 septembre 2015). Même constat ici concernant les populations de cinquantenaires : CNRS le journal (mars 2011, p. 20), https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/numeros_papier/jdc254.pdf, consulté le 11 décembre 2016. Les sociologues Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, dans Le Destin des enfants d’immigrés. Un désenchaînement des générations. Coll. « Un ordre d’idées », Stock, 2009, étayent avec des arguments précis ce point de vue.
On ne saurait créditer l’actuel gouvernement socialiste d’avoir pris l’initiative de contenir cette discrimination et de la faire reculer, mais il est aussi injuste de l’accuser de n’avoir rien fait. Il a d’ailleurs soutenu plusieurs opérations de testing contournant l’interdiction républicaine de constituer des fichiers ethniques, sempiternellement reprochée à la France par les partisans d’une société à l’américaine ou à l’anglaise. Tout récemment encore, le ministère du Travail a financé une enquête en partenariat avec une association anti-discrimination, Corum. Voir Sarah Belouezanne, « Ces noms maghrébins qui passent mal dans les CV » [sur une enquête commandée par le ministère du Travail et réalisée par la Direction de l’animation et de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et l’association ISM Corum spécialisée dans la prévention des discriminations] ; campagne de testing portant sur 147 paires de candidatures différentes : 20% de réponses favorables aux candidatures faites avec un nom à consonance d’origine française, 9% de réponses favorables obtenues par des candidats fictifs portant un nom à consonance maghrébine (marge d’erreur : 1%). 33% : part de ceux, appartenant aux deux catégories, qui n’ont obtenu aucune réponse], Le Monde, 14 décembre 2016, p. 12.

1180% des jeunes immigrés ne vivent pas dans les « quartiers ». Pour ce qui est de la protection des citoyens contre l’exercice d’un contrôle discriminatoire, une fois de plus l’écart entre principes et réalités de terrain existe. Mais la Cour de cassation a rendu 14 décisions en novembre 2016 sur les contrôles d’identité « au faciès ». Voir http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualite-du-droit/decision-mds-2016-132-du-29-avril-2016-observations-devant-la-cour-de . Le livre du chercheur Sébastian Roché, De la police en démocratie, Grasset, 2017, dresse un état des lieux accablant de cette question et, plus généralement, des rapports entre les citoyens français et leur police, même si « les décès causés par des policiers en service sont treize voire quinze fois plus fréquents aux États-Unis qu’en France ». Voir Yaël Benayoun, « Quand la police oublie ses citoyens », La Quinzaine littéraire, 16-28 février 2017, pp. 12-13.

12 – Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff l’ont montré, mais leur étude a été relativement peu médiatisée, parce qu’elle ne correspond pas à ce qu’une partie de l’opinion veut entendre : « Si l’on compare ce qui est comparable, à savoir les enfants d’ouvriers immigrés aux enfants d’ouvriers français autochtones […], les enfants d’immigrés font relativement de plus longues études […]. À ressources comparables, il y a égalité des chances d’accès aux diplômes pour les enfants d’Africains, d’Européens ou de Maghrébins » Cependant, les inégalités d’accès à l’emploi, qui seul permet d’achever une réelle intégration, subsistent. La réalité de la discrimination dans ce domaine est moins liée à un rejet affirmé de l’autre qu’à un ensemble de facteurs moins visibles : inégalité des diplômes – tous les baccalauréats n’ont pas la même valeur –, éloignement du lieu du travail, façon de se présenter, délit de « sale adresse ». Op. cit.

13« Pourquoi le Front national ? », Esprit, février 2016, p. 38.

14The Paris Review Interviews, vol. II, Picador, 2007, p. 265.

15 – Pour moi, Condé risque en permanence de glisser dans le racisme (au moins vers deux de ses fondements, catégorisation et essentialisation), quand elle parle de ces Français qui, selon elle, seraient les seuls à ne jamais changer dans un monde en évolution et partageraient tous une hostilité « caractéristique » à l’autre, particulièrement au Noir. Voir, E. Heyer et C. Reynaud-Paligot, « Vous avez dit raciste ? » [à propos de la première grande exposition temporaire du Musée de l’homme : Nous et les autres : des préjugés au racisme]. The Conversation France, 30 mars 2017, consulté le 31 mars 2017.

17 – Saluons l’émission de la deuxième chaîne, que le service public a eu le mérite de programmer, à 23 heures ( !), le 10 janvier 2017 : « Clandestins, d’autres vies que les vôtres », qui illustre de façon magnifique le propos de Condé (et pourrait inspirer un peu de retenue à tous ceux qui pérorent sur l’immigration illégale en général).

19 – Signalons ici le beau récit d’enfance indienne en Guadeloupe de Lotus V. Engel, Petite Vie, Edilivre, 2014. Extrait disponible à cette adresse : https://www.edilivre.com/frontwidget/preview/viewer/id/599392/

© Jean-Kely Paulhan, Mezetulle pour cette version 2017.

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