Recension de « Valeurs d’islam » (sous la dir. de D. Reynié)

L’apologétique islamique pour les nuls

Valeurs d’islam (PUF, L’innovation politique, 2016), ouvrage collectif publié sous la direction de Dominique Reynié directeur de la Fondapol, « libérale, progressiste et européenne »1, regroupe des notes rédigées entre janvier et mars 2015, plus une étude sur « chiisme et sunnisme ». Il se propose, en présentant un « islam généreux » qu’il faut regarder comme « authentique » et distinguer du djihadisme, de combattre le rejet de l’islam en Europe.

La préface est du Cheikh Khaled Bentounès, guide spirituel soufi2 : de fait, le soufisme inspire la tonalité générale de l’ouvrage, qui privilégie cette forme de l’islam, estimable mais très minoritaire, voire rejetée dans le monde musulman. Le soufisme est un parcours initiatique et développe une spiritualité, fait rare en islam, dont il constitue une version « soft » et assez facilement admise en Occident (Abd-el-Kader, personnage controversé, était soufi…).

Le résultat sent fortement l’apologétique. Le titre lui-même l’indique. Dans notre société sécularisée, qui proposerait un ouvrage intitulé « Valeurs du christianisme » (Châteaubriand a déjà pris « Génie » !) passerait pour un bigot d’un autre âge. L’islam serait-il moins religieux, moins clérical, que les autres cultes, au point de se voir attribuer des « valeurs » – qui plus est par la science politique -, dans un monde qui n’attend, au mieux, rien des religions3 ?

Des informations utiles, dans un contexte contradictoire

Nous mettrons en tête, très subjectivement, deux contributions. Celle de Mathieu Terrier, « Chiites et sunnites, la paix impossible ? » est pleine d’informations –malgré une conclusion iréniste peu réaliste (« paix obligée »). Celle d’Asma Lamrabet, « Les femmes et l’islam : une vision réformiste » prône une lecture contextualisée, féministe et réformatrice du Coran, qui serait selon elle un appel à l’émancipation. « Porter le foulard n’est pas une obligation religieuse » : point de vue sympathique, mais très minoritaire, elle ne le cache pas !

La longue note de Bariza Khiari, sénatrice PS de Paris (« Le soufisme, spiritualité et citoyenneté ») ne manque pas d’intérêt, mais relève de la même naïveté qui présente le soufisme, marginal, comme remède à la radicalité –maladie des islams majoritaires. On pardonnera moins à cette élue de gauche de reprendre la chanson communautariste de « l’islamophobie », amalgamée au racisme et aux discriminations, et de présenter Edwy Plenel comme « non suspect de communautarisme » [sic] ! Il est vrai qu’elle a depuis été nommée présidente de l’Institut des Cultures d’Islam, qui a servi de couverture au financement public d’une mosquée dans le XVIIIe arrondissement de Paris…

Même dérive chez Saad Khiari (est-ce le même nom ?) dans « L’islam et les valeurs de la République » : on a envie de dire : « choc des valeurs ? », tant le terme nous fait retomber chez Huttington. La République a d’abord des principes, c’est suffisamment difficile de les faire respecter ! L’auteur est sans doute contre le voile, mais pour Edwy Plenel et pour une loi contre « l’islamophobie », qu’il assimile à l’antisémitisme. C’est bien ce à quoi sert le terme : obtenir l’équivalence avec « les Juifs » dans la victimisation, et faire taire ceux qui dénoncent l’antisémitisme, en leur reprochant de ne rien dire de l’islamophobie….

Enfin, Mohamed Beddy-Ebnou (« Islam et démocratie : face à la modernité. ») nous en apprend beaucoup sur la contribution des Frères musulmans (grâce au théoricien Sayyid Qutb, décédé) à l’islam radical, dont il décrit très précisément la logique politique. Voilà qui rappelle utilement la rationalité et la modernité foncière de ce courant mortifère, qui n’est pas un délire moyenâgeux. En revanche, ce directeur de « l’Institut des études épistémologiques Europe », basé à Bruxelles, dissimule mal sa propre proximité avec les Frères : dans une ahurissante conclusion, il évoque l’apparition d’un corpus favorable aux « libertés fondamentales » ou au « suffrage universel » chez… Rachid Ghanoushi (chef du parti islamiste tunisien Ennahda) et Hassan Al Turabi (mort le 5 mars 2016, dirigeant islamiste soudanais, considéré comme soutien d’Al-Qaida) ! On croit rêver…

L’apologétique islamique pour les nuls ?

Le parti pris de l’ouvrage nous vaut quand même plusieurs contributions que l’on dira « non-nécessaires ». Que répondre à ceux qui répètent que l’islam est une religion de paix et d’amour, d’émancipation de l’homme et de la femme, et que le soufisme manifeste l’intense spiritualité dont elle est porteuse ?

La première note du livre, due à Eric Geoffroy, islamologue à l’Université de Strasbourg, bien sûr spécialiste du soufisme, s’intitule « Le pluralisme religieux en islam ou la conscience de l’altérité ». Elle donne le ton. On peut y apprendre notamment que « l’islam classique » pratiquait la plus grande tolérance avec les autres cultes, que les éventuelles discriminations dont ils pouvaient faire l’objet doivent être relativisées, etc. Le problème est que cet islam-là, si tant est qu’il ait existé tel que décrit, n’existe plus depuis longtemps. L’enchantement cesse d’ailleurs quand l’auteur tente d’expliquer (aux nuls) et de justifier (ils avaient attaqué le Prophète) le massacre de 600 prisonniers juifs de la tribu des Banû Qurayza ou des polythéistes mecquois… Le relativisme fait froid dans le dos, et l’on doit se forcer pour dire « pas d’amalgame »…

Moins guerrier, Tareq Obrou, imam de la mosquée de Bordeaux considéré comme « progressiste », nous livre « Coran, clés de lecture ». On y découvre notamment qu’il n’y aurait pas eu de guerres de religion en islam, contrairement à l’Europe chrétienne : ahurissante affirmation, il suffit de lire l’article de Mathieu Terrier dans le même ouvrage. Quant à l’autorisation de battre sa femme, figurez-vous que c’est un remède à la violence conjugale incontrôlée qui sévissait avant le Prophète. Voilà qui se passe de commentaire.

Mustapha Cherif, dans « Education et islam », nous montre lui aussi un visage enchanteur de la religion, avec lequel on ne pourrait qu’être d’accord… à condition d’oublier que cet « Islam des lumières » a disparu corps et biens, et que dans les madrasas du monde entier, l’éducation musulmane consiste à faire ânonner le Coran dès l’enfance…

Le spiritualisme est au cœur de « L’humanisme et l’humanité en islam », d’Ahmed Bouyerdène, qui oppose le soufisme au matérialisme, à la laïcisation par l’humanisme européen, et dénonce l’islamophobie des apostats (on pense à Kamel Daoud), et l’humanisme athée. Trop, c’est trop, et le soufisme devient du coup bien moins sympathique.

Ne cherchez pas de considérations trop scientifiques dans l’article de Philippe Moulinet (magistrat et docteur en sciences politiques) « Islam et contrat social » : c’est d’un spiritualisme que nous avons trouvé étouffant.

Enfin, pour ne pas faire de discrimination, citons la note d’Ahmad Al-Raysuni, « professeur en études islamiques à l’Université Mohammed V » : « Islam et démocratie, les fondements ». Elle contient une idée : l’islam fonde la démocratie. Malheureusement, la démonstration confond « shura » (consultation, qui peut se limiter à une ou deux autres personnes) et démocratie (délibération du peuple) ! Le primat de la sharia est rappelé, rassurons-nous.

À l’issue de notre lecture, nous n’avons toujours pas rencontré l’islam généreux promis, mais, à côté de quelques pépites informatives, l’aveu involontaire des contradictions entre une revendication de spiritualité, et des textes et des pratiques qui nient celle-ci. Le soufisme est trop minoritaire pour permettre une approche heuristique de l’islam. Quant à la démarche apologétique, quelque irritante qu’elle soit, elle témoigne au moins d’une bonne volonté intégratrice. Mais ce n’est pas ainsi que l’on fera reculer le racisme et la xénophobie dont sont la cible nos contemporains que l’on assigne, à tort ou à raison, à la religion musulmane. Protégeons les croyants, comme les incroyants, mais, de grâce, arrêtons de tenter le sauvetage à tout prix des religions.

Notes

1 – Tête de liste « Les Républicains » aux élections régionales 2015 en Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées.

2 – On y lit avec étonnement que « les musulmans » auraient une « représentativité [sic] qui dépasse les 20% dans les grands corps d’Etat comme l’armée, la gendarmerie, la police, l’assistance publique, l’éducation nationale, etc. »

3 – L’étude de l’INED (fortement critiquable par ailleurs) Trajectoires et origines (2015) évalue les « sans religion » à 45% de la population en France métropolitaine, et ceux qui n’accordent aucune importance à la religion à 12% –soit près de 60% au total.

© Charles Arambourou et Mezetulle, 2016.

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