Si l’on apprenait le français ?

La réforme du collège et de ses programmes

Jean-Michel Muglioni soutient ici une fois de plus que la nouvelle réforme du collège et de ses programmes ne peut qu’accroître le mal qu’elle est censée guérir. Mais ses arguments ne sont pas ceux des politiciens qui la critiquent et qui, lorsqu’ils étaient au pouvoir, détruisaient eux aussi l’école.

La réforme du collège et de ses programmes

La volonté de mettre fin à l’échec scolaire ou du moins de le réduire est le principe revendiqué de la nouvelle réforme du collège et des programmes. Rien en effet n’est plus légitime, ni plus urgent. Mais, pour trouver les moyens adéquats d’y remédier, il faudrait ne pas se méprendre sur les causes de cet échec. Or est essentiellement invoquée une cause socio-pédagogique : les élèves tels qu’ils sont, en raison de leur milieu social, ne peuvent plus suivre les cours dits traditionnels, et la pédagogie correspondant à ces cours ne peut les y intéresser, de sorte qu’un grand nombre d’entre eux « décroche » ou « s’ennuie ». L’interdisciplinarité et l’étude de thèmes sont présentées comme une nouvelle manière d’enseigner qui devrait éveiller leur intérêt. Que le projet de programme mette en valeur l’islam ou la traite négrière doit être interprété dans cette optique : le public qu’on croit rebelle à l’actuel enseignement trouverait là ce qui lui convient.

On se trompe sur l’intérêt des élèves

Il est juste de ne rien cacher de la traite négrière – à condition d’y inclure l’esclavage en Afrique avant l’arrivée des Européens, ce qui relève aussi de l’histoire de l’Islam, part essentielle de l’histoire médiévale. Il y a longtemps que les professeurs d’histoire traitent ces questions. Mais que le projet de programme propose (ou seulement ait proposé avant une levée de boucliers) de rendre l’étude de la civilisation islamique obligatoire et les Lumières facultatives, voilà encore non pas, comme le disent les politiciens, une mise en cause de l’identité française, mais toujours la même illusion pédagogiste fondée sur l’idée que l’élève a des intérêts qui viennent de son milieu social et qui doivent servir de point de départ pour l’ouvrir sur autre chose. Si tout simplement, dans cette affaire, la peur était mauvaise conseillère ?

Il est vrai qu’il serait absurde, quand un élève manifeste un intérêt pour quelque chose, de ne pas en tirer parti. Encore faut-il que ce soit un véritable intérêt et non pas une vague opinion, encore faut-il surtout que l’idée que s’en font psychologues et pédagogues ne soit pas fausse. Ainsi les enfants dont les grands-parents sont nés en Afrique du nord ont-ils un véritable intérêt pour la religion et la civilisation islamiques ? Sont-ils plus « concernés » par l’histoire de l’Islam que par celle de la Grèce antique ou du XVIIIe siècle européen ? On sait que dans les pays musulmans elle est assez communément ignorée… L’enseigner est donc nécessaire, non pas parce que cela intéresserait particulièrement tel groupe social, mais parce que c’est ignoré. Instruire, c’est faire naître un intérêt pour la vérité et non pas enfermer dans ce qui paraît intéressant avant qu’on se soit instruit.

Les causes de l’échec scolaire : l’ignorance du français

Quelle est la véritable raison du décrochage de trop d’élèves et de l’ennui de beaucoup d’autres ? D’abord l’incompréhension : tout simplement le fait qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur dit parce qu’ils ne parlent pas le français, comme me le disent mes amis qui enseignent dans certaines campagnes où il n’y a ni émigrés, ni étrangers. Donc apprenons le français dès l’école primaire et décidons de redonner à cet enseignement une place royale au collège. Au début des années soixante, dans des lycées alors bourgeois, les élèves avaient 8 h de cours de français (10 h pour le professeur qui avait deux heures en demi-classe). Aujourd’hui, dans le collège unique, on se contente de 4 h 30 (dont 30 min en groupes à effectifs allégés), ou 5 h. Le statut même du professeur de français a changé avec celui de sa discipline, noyée au milieu de trop d’autres disciplines, lesquelles n’ont pourtant aucun intérêt tant qu’on ne maîtrise pas la langue qui permet de les comprendre. Je ne sache pas que les réformateurs aient vu le problème. Dans ces conditions, ajouter dès la cinquième une seconde langue vivante est une plaisanterie. Prétendre qu’on offre à tous ce qui était jusqu’ici réservé à quelques favorisés procède d’une très basse rhétorique qui en dit long sur le pouvoir en place. Mais il a la chance d’être très bien soutenu par les cris outrés d’une opposition qui, lorsqu’elle était aux affaires, ne faisait pas mieux.

Les élèves qui perdent leur temps au collège

Il y a une autre raison du décrochage de certains élèves : ce n’est plus seulement qu’ils ignorent la langue, ils ne voient pas l’intérêt de s’instruire. On n’ose pas l’avouer, et pourtant chacun connaît parmi ses amis ou dans sa propre famille (quel qu’en soit le milieu social) un enfant manifestement intelligent dont la scolarité est catastrophique, et qui, une fois sorti de l’école, si la chance ou sa famille lui permettent d’exercer un métier, s’éveille d’un seul coup et devient même capable d’apprendre. Un assez grand nombre d’élèves sont dans ce cas, qui perdent donc leur temps au collège ou même au lycée : il convient de leur proposer autre chose, et par exemple d’organiser l’apprentissage assez tôt…

La nécessité de diversifier les enseignements

Mon diagnostic n’est recevable que si l’on reconnaît que tous les élèves ne peuvent pas, au moins à partir du collège, suivre les mêmes études. En rester au principe du collège unique voue toute réforme à l’échec. À chaque nouveau ministre, nous aurons un nouveau constat d’échec et une nouvelle réforme. Les principes qui jusqu’ici faisaient, selon certains sociologues et certains pédagogues, monter le niveau, ont amené l’échec de l’école ; on avoue aujourd’hui l’échec, mais on invoque les mêmes principes pour l’en sortir ! Tant qu’on refusera, au nom de l’égalité, de diversifier les enseignements, rien n’améliorera le sort des plus démunis, et les plus favorisés socialement iront s’instruire en dehors de l’école publique ou même de l’enseignement privé sous contrat. Aujourd’hui déjà le préceptorat familial est la règle, qui assure une reproduction sociale infiniment plus efficace que le lycée d’autrefois. Les privilégiés que le gouvernement fustige n’ont pas de souci à se faire : il ne sortira personne de la nouvelle école pour venir prendre leurs places.

Une défense en apparence sérieuse de la réforme

J’ai entendu un commentateur respectable rappeler qu’il avait appris le latin et le grec jusqu’à la terminale, il y a un demi-siècle déjà, et qu’il en avait tiré le plus grand profit. Il a ajouté que les temps ayant changé, les langues anciennes ne peuvent plus avoir la place qu’elles avaient alors : de nouvelles matières sont apparues, il faut apprendre l’informatique, et l’interdisciplinarité est devenue la règle en particulier dans l’entreprise. J’ai entendu une directrice du ministère reprendre l’argument de Jospin selon lequel le progrès des sciences est si rapide qu’il faut souvent changer les programmes. L’un et l’autre avaient oublié que leur intérêt pour ces nouveautés reposait sur le savoir élémentaire qu’ils avaient pu acquérir et dont ils privent les générations suivantes. Ils ne savent pas que l’invention de l’avion puis des fusées n’a pas entraîné la disparition de la course à pied.

Le refus de l’élémentaire

Les élèves les plus en difficulté (je répète : d’abord parce qu’ils ne parlent pas le français) seront perdus. Par exemple les thèmes du programme d’histoire sont passionnants, mais ils n’ont rien d’élémentaire1. Et les changements permanents de programme font qu’un élève qui décroche ne peut être aidé par un aîné qui n’aura pas eu le même programme. Bref, on le voit, le pédagogisme est la renonciation à l’enseignement élémentaire : au lieu que la progression soit définie en fonction de la nature du savoir enseigné, de telle sorte que le maître apporte dans l’ordre les éléments qui permettent d’avancer, comme on monte un escalier marche après marche, au lieu donc de s’en tenir au b-a, ba, on obéit à des considérations psychologiques et sociologiques. L’oubli de l’élémentaire et l’ouverture sur le monde extérieur font inévitablement de l’école l’écho des débats médiatiques. Et c’est la vraie raison des changements de programmes : on s’imagine que les élèves s’intéresseront à ce qui est dans l’air du temps, tandis que les bases du savoir ne peuvent pas les concerner. Il paraît ainsi plus aisé de parler du développement durable que d’enseigner les éléments de géographie (apprendre par exemple à lire une carte) et de science naturelle (je garde délibérément cette dénomination) qui permettraient de voir clair dans la confusion des débats sur ces questions. Voilà pourquoi aujourd’hui déjà des retraités reprennent en main des enfants abandonnés par l’école et, puisqu’ils sont bénévoles et libres de ne pas suivre les directives ministérielles, leur apportent un enseignement réellement élémentaire…

P.S. – Je sais que par bonheur un assez grand nombre de professeurs continuent d’exercer réellement leur métier « d’instituteur », c’est-à-dire instruisent leurs élèves malgré les pressions ministérielles. Mais leur tâche est de plus en plus difficile. Et je n’ai rien dit ici de l’intérêt d’apprendre une langue morte, irremplaçable apprentissage réflexif d’une langue qu’on ne parle pas, et que ne pallie nullement l’étude de l’histoire et des mythes de l’Antiquité. Mais le français lui-même est-il autre chose pour nos réformateurs qu’une langue de communication ?

Notes

1 –  Comme me le rappelle un ami, la directrice dont je viens de parler prétendait que la chronologie n’était pas absente des nouveaux programmes d’histoire parce qu’on étudiait l’Antiquité et le Moyen Âge en 6e, la suite du Moyen Âge en 5e, etc., confondant donc la périodisation et la chronologie. Or seules des dates et la détermination d’une succession permettent de se repérer dans le temps. Sans « avant » et « après » il n’y a pas d’histoire. [Voir aussi l’article « Après les attentats du Bardo, enseigner la chronologie« ]

29 thoughts on “Si l’on apprenait le français ?

  1. Abel

    Le rêve des parents -y compris enseignants- c’est de voir leurs enfants réussir leur scolarité pour intégrer les plus hauts niveaux universitaires et, du même coup, aller grossir les rangs des PDG, chefs de cabinet, préfets, politiques, trésorier payeur général ou autres ambassadeurs. En un mot, les piliers du système capitaliste profondément inégalitaire.
    En quelques 70 ans, cette école qui nous a fait sortir du milieu ouvrier pour rejoindre une petite bourgeoisie intellectuelle a été totalement démantelée. Et ce, sans grosse protestation des syndicats (dans les manifs nous étions loin d’être les plus nombreux!).
    Inclinons nous bien bas devant le modèle des vieux hussards noirs de la République qui, sans théories brillantes sur l’apprentissage ou les rythmes scolaires, ont sorti de la gangue des milliers d’enfants d’ouvriers. Alors, le discours sur la lutte contre l’échec scolaire apparaît comme le plus bas niveau des revendications puisque c’était déjà l’affaire dès la fin du XIXéme siècle ! Rien de bien novateur . A ce sujet, notamment, le discours didacticien occulte l’apport précurseur, longtemps tenu sous silence, d’un ouvrage paru au début du XVII éme siècle « La Grande Didactique » d’un certain Coménius cité, à ma connaissance, par le seul Yves Chevallard.
    Les discours sur l’égalité des chances, l’élitisme républicain, la réussite pour tous ou les oppositions entre pédagogues et élitistes ne font que jeter un voile de fumée sur un système scolaire de reproduction et d’aggravation des inégalités (voir Bourdieu et Passeron).
    « Il est toujours tentant, comme le soulignait Umberto Eco, pour l’intégrisme, sous prétexte de construire un système nouveau, d’opérer à la surveillance conservatrice d’un système jugé intouchable. »
    La motivation gouvernementale de cette réforme n’a qu’un seul but ECONOMISER en rognant le budget de l’Education Nationale. Et pour faire passer cet infâme breuvage on l’aromatise avec un beau discours pédagogiste. Mais les socialistes ont dit adieu à ce qui fut la racine de leur idéologie, je veux parler des Lumières et de l’Encyclopédisme. « Aucune valeur ne peut s’enraciner sur un socle d’ignorance ».
    Ce qui frappe, curieusement, c’est l’absence presque totale de dénonciation de ces ignominies.
    Mais, ne nous inquiétons pas, les riches savent très bien où il faut placer leurs enfants !

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Le rêve des parents est de voir leurs enfants faire carrière, certes, mais il n’est pas d’en faire des hommes…
      La troisième République a permis à de nombreux enfants des classes les plus défavorisées de s’instruire et elle leur a donné ainsi les moyens d’une ascension sociale. Mais cela par l’école primaire (pas par le lycée sauf pour les boursiers). Cette réussite n’est pas prise en compte par la thèse de Bourdieu.
      Il se trouve que depuis que tout le monde ou presque va au collège, l’école primaire ne remplit plus sa fonction. Ainsi on a remis les principaux apprentissages à plus tard. Sait-on par exemple que jusqu’aux années 1960 on considérait que la lecture doit être acquise en Cours Préparatoire à Noël et pour les plus faibles en fin de Cours Préparatoire, alors qu’aujourd’hui on se donne jusqu’à la fin du Cours Elémentaire 1° année ? De même l’apprentissage des quatre opérations est étalé dans le temps et rendu ainsi plus difficile, etc.
      Le gouvernement en effet veut faire des économies, mais son mobile est idéologique : même idéologie qu’avec Savary, même rapport de force entre syndicats (CFDT contre SNES) ou entre les différents courants de la gauche : j’imagine que la réforme plaira aux écologistes, par exemple. C’est vraisemblablement assez habile pour recoller les morceaux de la majorité… Mais il y a longtemps que la gauche a renoncé à l’école. Et les choses ne vont pas mieux dans les pays étrangers qu’on nous propose comme modèle.

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      1. Abel

        Nous sommes bien d’accord. Il serait temps que les enseignants reprennent leur pleine autorité sur les choses de l’enseignement. Ce sont eux les professionnels que diable !

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      2. Martine Hello

        La lecture courante au C.P. pour l’ensemble de la classe c’était Pâques et non Noël .

        Comme l’alibi de la massification avancée pour le collège est irrecevable pour le primaire , celui du déterminisme social a été trop souvent brandi afin de masquer les facteurs proprement scolaires de l’échec , imputables, eux , aux choix d’une politique scolaire de la table rase , effectuée , sans aucun discernement , car touchant même , et surtout, ce qui fonctionnait très bien comme l’atteste d’ailleurs la réforme du collège . La démarche est bien rôdée : fallacieuses allégations , dénigrement de celui qui , en désaccord, est alors accusé de vouloir creuser les inégalités , communication incessante diffusant un discours empreint d’une tartufferie révoltante sous couvert de bons sentiments inspirés par une charité qui étouffe la dignité.

        Parents , professeurs de collèges et études convergent : après 5 années de primaire, non seulement les élèves ne maîtrisent plus les fondamentaux qu’ils devraient avoir acquis mais 20% ont des difficultés au collège.
        Tous s’accordaient donc pour dire , à raison, qu’il fallait ,en urgence, porter les efforts sur le primaire .
        Le pauvre collège est toujours accusé . Mais combler de gigantesques trous contraint professeurs et élèves à beaucoup ramer avec , au mieux, un résultat inférieur à celui qui aurait été obtenu si les apprentissages avaient été rigoureusement dispensés progressivement selon une programmation cohérente et au moment opportun à l’école primaire.

        Dès 1998 , dans son ouvrage  » Destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs  » , Liliane Lurçat dénonçait les causes du désastre :

        – l’absence de rigueur dans la transmission des automatismes de base,
        – la rééducation d’enfants intelligents que l’école casse par des méthodes aberrantes ,
        – l’échec des enfants mal enseignés ,
        – la dilution de l’exigence scolaire dans la diversité des activités ,
        – l’entrée du divertissement dans l’école,
        – la prévalence des méthodes actives dans toutes les circonstances où la transmission est indispensable à l’instruction … rendant les connaissances incertaines , lacunaires, mal installées , confuses,
        – l’ initiation des futurs maîtres à l’idée étrange que l’enfant pourrait construire seul ses propres savoirs .  »

        et rappelait :

        – que  » l’immobilité apparente de l’élève qui écoute , et qui recueille parfois avidement ce que le maître explique , ne peut pas être assimilée à la passivité , dès lors qu’il est attentif ,
        – que l’automatisation est favorisée par la répétition des exercices et dépend de l’entraînement ,
        – que dans l’apprentissage par l’activité l’enfant apprend les choses en les faisant ; mais tout ne peut pas s’apprendre de cette façon et
        la transmission n’exclut pas l’activité ,
        – que les habiletés et les connaissances ne dépendent pas uniquement de ceux qui les acquièrent , mais aussi, et pour une part importante, des conditions de leur acquisition . »

        Le naufrage de l’école primaire a débuté avec l’injonction d’abandonner la méthode syllabique qui , pourtant , livrant le code , permettait ainsi à tous d’accéder à la lecture qui passait par la phase de déchiffrage. Une méthode par imprégnation et mémorisation , préférant la découverte voire la devinette, a été imposée , retardant la lecture de tous et condamnant certains à l’échec scolaire sans une aide familiale .
        Des inspecteurs se sont acharnés sur ses consciencieux instituteurs expérimentés : démolissant leurs pratiques et méthodes , ils les ont déstabilisés et leur ont imposé de nouvelles pratiques expérimentales qui , non seulement n’avaient pas fait leur preuve, mais s’avéraient déboussolantes pour maîtres , élèves et parents.

        Moins l’école a instruit, plus elle a creusé les inégalités en se défaussant de sa tâche sur les parents. L

        La réforme du collège comme celle des rythmes scolaires est d’une grossière malhonnêteté intellectuelle car elle prétend combattre ce qu’elle va accroître.
        Tout ce qu’elle propose: interdisciplinarité, accompagnement personnalisé, l’autonomie pour une partie du programme , cycles … ont contribué au naufrage du primaire .

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        1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

          Nous avons le même diagnostic… « la massification avancée pour le collège est irrecevable pour le primaire », et l’argument sociologique du déterminisme social a fait du socialisme un sociologisme qui en anéantit tout ce qu’il a de positif. Mais comment expliquer cet acharnement contre l’école ?

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          1. Martine Hello

            Confirmant  » la distance qui sépare ceux qui arrivent par leur talent de ceux qui n’ont que le talent d’arriver « ( Peilleron) , les postes de pouvoir sont d’autant plus livrés aux seconds que le ministre , lui-même, valide le Principe de Peter.
            En ont découlé le long règne de Meirieu et consorts , l’éviction du mathématicien Lafforgue du H.C.E. et la détestation de Chevènement qui a voulu soustraire l’école à l’emprise du pédagogisme car , au pouvoir depuis 30 ans , les seconds veillent à s’entourer de gens qui ne leur feront pas d’ombre afin de le conserver d’où le naufrage scolaire.
            Dissimulateurs ne cessant de jouer sur les bons sentiments de leurs démagogiques slogans racoleurs , grotesques et mensongers :  » réussite pour tous  » ,  » l’excellence pour tous « … leur fatuité néanmoins trahit leur imposture . Pensant ainsi masquer leur totale inaptitude à redresser et à assurer le minimum exigible c’est à dire l’acquisition des fondamentaux : lire, écrire , compter à la fin de l’école primaire qu’ils ont détruite, ils se révèlent certes de piètres citoyens mais surtout de dangereux irresponsables ne voyant pas plus loin que leur carrière.

          2. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

            Oui, le poids du carriérisme n’est pas négligeable. Oui, les commissions des ministères dites indépendantes sont généralement cooptées entre amis. Et consulter consiste généralement à demander l’avis de ceux avec qui on est d’avance d’accord. Mais cela ne tient que par l’idéologie : la gauche politique et syndicale est dominée par l’idéologie pédagogiste pour ce qui concerne l’éducation, et par l’obsession de l’économie pour le reste. Les deux vont bien ensemble, et cela s’accorde parfaitement avec les exigences de l’OCDE, des politiques européennes, et de tout ce qui est contraire à l’idée républicaine. Et peut-être la destruction de l’école tient-elle plus profondément à un contresens sur l’idée même de savoir qui caractérise la recherche contemporaine… Mais il faudrait pour s’en expliquer plus que ces quelques mots.

  2. Claustaire

    Ayant enseigné avant 1975 (date de la réforme Haby, dite du « collège unique ») je peux témoigner qu’un professeur de français enseignant en 6ème et 5ème disposait de 9 h de cours par classe (3 h. en classe complète, et 2 x 3 = 6 h. en demi-classe). Ainsi avec deux sixièmes, j’avais un emploi du temps complet (18 h.). [Précisons que c’étaient des classes de niveau de type I (élèves prévus pour le lycée général) alors que les élèves des classes de type II étaient censés aller vers le technique après le Brevet, et les types III vers l’apprentissage.]

    Après la réforme Haby, on a supprimé les dédoublements (les 3 h. avec deux groupes de demi-classe) , et toujours avec 6 h. de français par classe, on m’a confié trois sixièmes, ce qui me faisait arriver à mes 18 h. de cours. Mais comme on prépare toujours ses cours en fonction de ses classes, où cela se passe toujours un peu différemment selon la classe et les élèves, cela faisait trois programmes de préparation et trois séries de travaux à corriger. Donc, en gros, d’une année sur l’autre, cela m’a fait un tiers de travail en plus.

    Ensuite, on a peu à peu diminué l’horaire de français en collège… Et j’ai fini par avoir certaines années (années 80-90) quatre classes de 4ème et 3ème, toujours pour arriver à mes 18 h. de cours hebdo. Classes qui n’étaient plus dédoublées, où se multipliaient les élèves en échecs. Où je devais assurer des corrections de plus en plus personnalisées des travaux que je rendais, car seule sa feuille intéressait encore parfois l’élève.

    La charge de travail était telle que vers la fin de ma carrière, avec l’âge et la fatigue je n’ai plus travaillé qu’à temps partiel (pour n’avoir que trois classes au maximum). Je suis arrivé épuisé à la retraite, et ne conseillerai jamais à personne de penser à devenir enseignant dans les collèges actuels.

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Ce qui peut apparaître seulement comme une revendication sur les conditions de travail porte en réalité porte en réalité sur la nature même du métier, qui peu a peu a été complètement transformée au détriment de l’enseignement lui-même et donc des élèves. Et les élèves eux-mêmes ne peuvent plus considérer qu’apprendre le français est essentiel.

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    2. Schmitt Arlette

      J’ai moi aussi enseigné avant la réforme Haby, et j’ai eu pour ma première année comme certifiée deux classes de sixième (18 heures) , dont 12 heures en demi-groupes ! en 5e, c’étaient 8 heures/prof ( 4h en classe entière, 4 en demi-groupes) Je tiens à signaler en outre que les frontières n’étaient pas étanches entre filière 1, vouée au lycée, et filière 2, destinées aux études plus courtes. Un bon élève de 2 réintégrait la filière 1, et inversement pour les 1 passant en 2. J’ai même vu des types 3 (transition) réintégrer une filière 2 et poursuivre au lycée.

      De plus, après le BEP, on pouvait rejoindre le lycée, via les classes d’adaptation.

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  3. Il Rève

    Encore une prise de position qui marquera par sa pertinence et à laquelle il convient d’ajouter, en toute modestie, quelques éléments.
    D’abord celui de la transformation de la « transmission des connaissances » en « acquisition de compétences » qu’un nombre très important d’enseignants ont compris, faute d’une véritable formation à ce nouveau paradigme. Beaucoup ont compris qu’il s’agissait d’ignorer dorénavant les connaissances alors qu’il est aisé d’entendre parler des compétences d’un médecin qui a acquis pendant de nombreuses années des connaissances sur le corps (son anatomie et sa physiologie) sur les maladies et la manière de les prévenir et de les combattre. Pour certains enseignants le recours aux compétences a été marqué par une réflexion sur l’utilisation des connaissances après avoir défini ce qui valait la peine d’être appris et enseigner. Une sorte de « plus value » apportée aux savoirs. Il fallait désormais posséder des connaissances, donc être instruits, mais en plus il s’agissait de savoir les « mobiliser » dans diverses situations.
    Ensuite celui de la transformation du « programme d’enseignement » (ce qui est en train d’être en discussion) auquel l’élève doit être confronté pour satisfaire aux exigences d’un passage en classe suivante en un « curriculum » individualisé qui porte un regard prioritaire sur des acquisitions de compétences selon un parcours de l’élève qui se construit au gré des « dispositions » de chacun (héritage du monde anglo saxon) et dont les conséquences peuvent aller jusqu’à l’éclatement des classes (diversification pédagogique poussée à l’extrême), et à un émiettement d’un cadre de référence soutenu par un programme.
    Enfin la mise en place de l’interdisciplinarité telle qu’elle est prévue dans la refondation du collège social libéral qui est conjointe d’un abaissement des heures d’enseignement disciplinaires et qui sera encore un peu plus éloignée d’une logique de programme d’enseignement national et un peu plus proche d’une adaptation aux moyens locaux de l’établissement. Alors que la finalité énoncée réside dans la lutte contre les inégalités scolaires c’est dans cette disposition phare de la refondation du collège, (10 % du temps scolaire de l’élève pour les projets interdisciplinaires d’établissement) que nous allons voir de mettre en place les plus grandes disparités, quantitative et qualitative, des propositions
    Malgré les multiples tentatives de dévoiement de l’enseignement disciplinaire (cessons de nommer « réformes  » des mesures politiques qui visent à diminuer le potentiel « enseignement » de l’école. Cette forme de restauration d’un état antérieur à l’école des hussards de la République) les enseignants résistent et certains syndicats sont farouchement des défenseurs des disciplines d’enseignement.

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  4. olivier chauzu

    Bonjour Jean-Michel.
    Comme je t’ai déjà dit, je suis d’accord à 90% avec ce que tu dis. Oui, il faut refaire une place royal à l’apprentissage du français, 4h par semaine étant une plaisanterie. Oui, il faut accorder la priorité aux savoirs élémentaires, la course à pied ne pâtissant pas de l’invention de l’avion à réaction… à condition de ne pas retourner dans l’école de grand-papa et les mythes inutiles que nous avions appris concernant Charles Martel, Vercingétorix, aujourd’hui remis en question par les historiens, et Jeanne d’Arc, mythe créé de toutes pièces par la droite du 19e siècle pour réconcilier royalistes et républicains.
    Oui, les langues anciennes (stp pas les langues mortes!) ne doivent pas être marginalisées, et l’étude de leur morphologie, de leur syntaxe, et surtout, de leur littérature (chose qui n’a jamais été suffisamment présente même jusque dans les années 80) est un savoir élémentaire.
    Là où je mettrais un petit bémol, c’est sur ta critique de l’instauration d’une deuxième langue en 5e. Le fait d’apprendre une autre langue vivante ne les embrouillera pas, il est connu que le bilinguisme n’est pas un facteur d’échec, bien au contraire. Et dans l’Europe que nous sommes en train de construire, le plurilinguisme est une nécessité. Et si possible, pas forcément l’anglais. Mais l’espagnol, l’italien, l’allemand, et pourquoi pas une langue rare, le croate, le grec moderne, le hongrois?
    Merci pour ton article.

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Merci de ce commentaire qui me permet de mieux m’expliquer.
      On nous assomme en effet avec l’idée qu’il faudrait imposer à l’école un roman national, c’est-à-dire une histoire idéologique. Mais dans le primaire et même au collège, il faut une chronologie qui permette de se repérer, il faut donc des événements marquants : s’il y a là des images d’Epinal et des dates dont l’importance est discutable, tant pis ! On corrigera plus tard dans un enseignement plus complet.
      Oui, le latin et le grec sans leur littérature ne sont rien : mais ce qui compte, c’est l’apprentissage d’une langue qu’on ne parle pas ! Je tiens à ce paradoxe.

      Oui, le bilinguisme n’est pas du tout un facteur d’échec ! Oui, il faut enseigner aussi les langues dites « rares ». Mais qui dit bilinguisme suppose que la première langue soit acquise, ce qui justement n’est pas le cas. Donc une troisième langue en 5° pour ceux des enfants qui peinent sur la seconde langue (l’anglais qu’on leur imposera) parce qu’ils n’ont pas maîtrisé le français ou leur langue maternelle qui ce n’est pas le français, voilà ce que je considère comme une aberration.

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      1. olivier chauzu

        On a vu des cas où justement, le fait d’emmagasiner une deuxième, voire troisième langue, a résolu des problèmes concernant la première langue (la langue maternelle). Cas isolés? Je ne saurais pas dire, n’étant pas du métier. Mais c’est là que nous ne sommes pas d’accord. Je suis peut-être forcené des langues, en maîtrisant moi-même 7 (français, espagnol et basque parfaitement, ainsi que grec moderne, anglais, très bien, et allemand et italien bien). Mais je continue à penser que c’est une bonne chose, avec Claude Hagège en particulier. Mais suis prêt à repenser ma position.

        Pour le reste, oui, effectivement, il faut une chronologie et c’est le talon d’Achille de cette réforme.

        Merci en tout cas d’avoir bien différencié le combat des identitaires, qui y voient une attaque à une identité française fantasmée, et notre combat à nous, qui porte sur des points tout différents.

        Le prochain point qui s’ouvre est le statut de l’anglais langue internationale… Peut-être trouverons-nous un jour un article sur cette chose? (J’ai, sur ce point, des idées tranchées… trop?).

        Amicalement

        Olivier

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        1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

          Nous sommes d’accord… Mais mon propos vise surtout le cas des élèves en difficultés pour lesquels la réforme est faite, nous dit le ministère: leur 3° langue aura un horaire réduit, et d’une manière générale le saupoudrage de matières (et l’interdiciplinarité par dessus le marché) empêcheront tout travail suivi et continu…

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      2. pablo

        En quoi l’idée inverse qu’il conviendrait de « déconstruire le roman national » serait-elle moins idéologique qu’une histoire d’abord centrée sur ce que Chevenement appelle le récit national ?

        De même, pourquoi mettre l’accent sur l’enseignement des traites négrières serait-il juste, comme vous l’indiquez dans votre texte ?
        Voici par exemple deux liens qui présentent l’enseignement de ces traites dans le manuel Malet-Isaac (1956), et un texte qui présente l’évolution de cette présentation au cours du temps.

        http://abolitions.free.fr/spip.php?article37
        « A partir de 1650, ces îles s’adonnèrent à la culture de la canne à sucre : à la mort de Colbert, deux cents navires français partaient chaque année de Rouen, Nantes, La Rochelle et Bordeaux pour aller « aux Iles ». Comme à la Jamaïque ou en Virginie, les riches planteurs blancs faisaient travailler des esclaves, amenés du Sénégal ou du golfe de Guinée. »

        http://pups.paris-sorbonne.fr/sites/default/files/public/files/Histoire-minorites_2009-12-03_HISTORIENS_ET_GEOGRAPHES.pdf

        En réalité, l’accent plus important mis sur ces traites vient de revendications de différentes organisations communautaristes, au tournant des années 2000.
        Ces organisations sont constituées de personnes qui n’ont pas personnellement souffert de l’esclavage (vu les situations économiques de l’Afrique et des DOM, ce serait même plutôt l’inverse). Mais elles entendent s’appuyer sur cet épisode de l’histoire pour appuyer leurs revendications politiques.
        En quoi est-il « juste » de leur céder, et injuste pour des responsables politiques de droite (ou de gauche, cf Chevenement) de s’inquiéter de ces évolutions ?

        http://www.chevenement.fr/Les-nouveaux-programmes-d-Histoire%C2%A0-le-rejet-de-la-Nation_a1713.html
        « M. Lussault confond volontairement « roman national » et « récit national ». Le roman c’est de la fiction. On ne peut qu’être contre une histoire-fiction. Mais le récit national, lui, peut être objectif. L’Histoire aspire à être, autant que possible, scientifique. C’est pourquoi le gouvernement qui, en République, est responsable des programmes, peut demander que le « récit national » ne valorise pas systématiquement des ombres de notre Histoire que cite M. Lussault, les traites négrières, les lois antisémites de Vichy, mais nous parle de ses lumières et nous rappelle qu’en particulier la Révolution française, la première en Europe, a fait des juifs des citoyens français comme les autres, et qu’elle a aboli une première fois l’esclavage en 1794. « 

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        1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

          Il est tout-à-fait vrai que l’inverse d’un roman national serait un autre roman idéologique et non de l’histoire. De même parler de la traite négrière n’aurait aucun sens si ce n’était pas aussi pour montrer quel combat a permis d’y mettre fin (par exemple faire lire Montesquieu, etc.). Il y a une « guerre des mémoires », comme on dit, qui a manifestement des effets sur les fabricants de programme, et j’ai écrit que je les croyais mal conseillés par la peur (c’est-à-dire la peur des banlieues). Reste qu’il y a lieu de ne pas cacher les aspects les plus noirs de notre histoire et de toute histoire – j’ai donné l’exemple de l’esclavage en pays musulman. C’est pourquoi mettre en valeur les Lumières et les combats pour la liberté est essentiel en effet – et visiblement cela ne préoccupe pas le ministère, je vous l’accorde. C’est sans doute moins une question de programme que d’accent, et il est vrai que le libellé du projet de programme est mal accentué. Que l’histoire soit une tragédie, il me paraît essentiel de le montrer et je ne me souviens pas qu’on me l’ait vraiment montré lorsque j’étais élève avant les classes préparatoires.
          Une remarque pour finir. Oui, l’horreur de la traite négrière est invoquée par des organisations de toutes sortes qui sont parfois communautaristes. Mais cette horreur – pire que l’horreur de l’esclavage antique – a été telle qu’elle a laissé des traces considérables. Il y a encore des cicatrices qui font mal, même à ceux de nos compatriotes des Îles qui n’en ont pas souffert personnellement.

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          1. Abel

            Sur la traite négrière, je me permets de conseiller la lecture du récit d’Albert Londres « Terre d’ébène » aux éditions du serpent à plume.

          2. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

            Sur cette question et la manière dont on l’instrumentalise dans les Iles, notre collègue Jacky Dahomay a donné une remarquable interview dans Libération des samedi 23 et dimanche 24 mai 2015 p.22-23. Il commence par distinguer la mémoire qui libère et celle qui emprisonne, et pour finir ose dire que les plus nationalistes des antillais appartiennent à une classe moyenne qui s’enrichit et passe son temps à Dubaï… Lisez cet article !

        2. olivier chauzu

          Chevènement se trompe en opposant « récit » et « roman ». Le roman n’est pas la fiction à proprement parler, mais le récit d’une fiction; c’est du moins ainsi que le définit la « narratologie ». Or, le « récit national » tel que cet homme politique le prône, est tout de même un récit pas mal fantasmé (ce que je disais hier). De Vercingetorix, que sait-on? Fort peu de choses. De la mythique bataille de Poitiers, au terme de laquelle les musulmans auraient été boutés de France, que sait-on? Aujourd’hui, les historiens en rient. Disons que cette Histoire que nous avons apprise au cours des années 60, 70, constituait un peu le manuel du futur citoyen français, un peu à la manière du citoyen romain se nourrissant aux tergiversations de César racontant la conquête de la Gaule.

          Donc ce « récit national » ressemble bel et bien au récit d’une fiction. C’est pourquoi on ne peut être d’accord avec Chevènement.

          Je crois (n’étant pas historien) que l’Histoire est davantage l’acquisition d’un esprit (questionner la véracité des sources) que le savoir encyclopédique. Ceci dit, il faut bien entendu une chronologie.

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          1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

            Sans doute les formulations des politiques sont-elles généralement inexactes au strict point de vue académique. Et il est certain que l’histoire racontée par la troisième République est souvent du roman – au sens vulgaire de cette expression. Mais Chevènement a raison de mettre l’accent sur la nécessité d’une histoire téléologique qui montre comment la république a été conquise et comment elle a été menacée et défendue. En ce sens, un récit national n’est pas une fiction, même s’il n’est pas seulement de l’histoire pour historiens et s’adresse d’abord aux citoyens. D’autant que cela non seulement n’empêche pas mais impose de ne pas cacher les parts d’ombres de la conquête de la république : un vrai citoyen en effet ne se contente pas d’un roman, il veut la vérité.

          2. pablo

            « De la mythique bataille de Poitiers, au terme de laquelle les musulmans auraient été boutés de France, que sait-on? Aujourd’hui, les historiens en rient. Disons que cette Histoire que nous avons apprise au cours des années 60, 70, constituait un peu le manuel du futur citoyen français, un peu à la manière du citoyen romain se nourrissant aux tergiversations de César racontant la conquête de la Gaule.  »

            Dans son livre Regards sur le moyen-âge, Sylvain Gouguenheim fait (sur quelques pages, et parmi beaucoup d’autres sujets) la liste des sources historiques disponibles sur la bataille de Poitiers. On en connait effectivement peu de choses.

            Mais justement, compte-tenu de cette relative ignorance, si d’autres historiens rient de la bataille de Poitiers, de quoi rient-ils au juste et pourquoi ?

            Il est exact que l’Etat, préalable à la République, s’est progressivement constitué sur un territoire, et que les limites de ce territoire ont été fixés au cours de l’histoire par des traités et des mariages, mais également par des batailles. Ce qui serait risible serait de prétendre le contraire.
            Il est également exact que l’Espagne a été en partie musulmane pendant plusieurs siècles, à la différence de la France.

            Par conséquent, même si la bataille de Poitiers n’a concerné sur le moment qu’une expédition ponctuelle et si elle s’est par ailleurs accompagnée de pillages de monastères par Charles Martel, sa signification ne semble pas être aussi décalée qu’une interprétation prétendument plus scientifique le voudrait.

            Je me demande donc si les historiens qui rient rient en tant qu’historiens, ou en tant que partisans de telle ou telle orientation politique. Et, si tel était le cas, on aurait sans doute tort de vouloir rire avec eux.
            Car cela constituerait au fond un écart plus important avec le véritable esprit scientifique que le résumé donné par les images d’Epinal des manuels des années 50 et 60. Et il est bien possible qu’en effet, un tel écart plus important puisse parfois prévaloir actuellement dans les sciences sociales, histoire ou sociologie par exemple.

            Je suis donc bien content que mes parents m’aient plutôt orienté vers les sciences exactes…

  5. subirats

    les enseignants dans leur classe n’ont plus qu’à faire de la résistance…mais ont-ils les compétences pour ça ,eux qui ont eu des diplômes au rabais ou pour qui enseigner n’est qu’un salaire d’appoint !..rares sont ceux qui transgressent les directives ministérielles mais il en existe encore …pauvres d’eux !

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    1. Jean-Michel Muglioni Auteur de l’article

      Ceux des professeurs qui travaillent parviennent à pallier l’insuffisance de leurs études… Enseigner instruit beaucoup! Voilà une petite note d’optimisme. Mais cela suppose en effet qu’on se moque des directives ministérielles… ou du moins de beaucoup d’entre elles.

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  6. Schmitt Arlette

    Claustaire, nous avons vécu les mêmes dégradations ! J’ai passé l’agrégation interne pour avoir moins d’heures, donc moins de classes, et je me suis mise à temps partiel en fin de carrière. Ainsi, je gagnais autant comme agrégée à 80% que comme certifiée à temps plein. Le corollaire, c’est que ma retraite est amputée, mais cela me suffit !

    Je signale que, entrée en 6e dans un lycée de province, je n’ai pas fréquenté un lycée bourgeois. Certes, il y avait des enfants de cadres supérieurs et de professions libérales, mais aussi des enfants d’enseignants, d’ouvriers, et beaucoup d’enfants de paysans, nettement plus nombreux.

    Et nous étions plus de la moitié de ma classe de CM2 à aller en 6e, soit au lycée, soit au cours complémentaire.

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  7. Inés Garate

    Bonjour, et merci pour cet article auquel je me permets d’ajouter un témoignage.

    Après avoir rêvé depuis la 6ème de devenir enseignante de français, puis dès la 5ème de devenir enseignante de français et de latin, j’ai pu exercer ce métier de vocation en 2011.
    Sortant du concours on m’a fait rentrer directement dans 18 heures de métier sans formation aucune (souvenir terrible de ce premier jour de rentrée!). J’avais 18 heures en lycée dont des heures de latin en 1ère, mais ma tutrice étant enseignante de lettres modernes en collège j’ai du me débrouiller pour faire mes cours de latin (et de français…). À ma demande de conseils, l’inspecteur de lettres classiques a répondu « suivez le manuel et cela ira »…
    Après plusieurs années en collèges REP et sensibles, aucun élève même des plus difficiles n’avait atteint mes convictions ou ma vocation, simplement renforcé mes certitudes que le collège qu’ils avaient ne pouvait pas beaucoup pour eux.
    Mes rancœurs vont aux représentants politiques qui ne représentent que leurs ambitions et qui malmènent l’institution à laquelle je rêvais d’appartenir. Aujourd’hui les outrages à ce métier se multiplient: j’entends partout que les enseignants sont ennuyeux, que le latin et le grec ne doivent plus exister sous leur forme actuelle (entendre composés de langue et de grammaire — mais comment qui que ce soit ayant décidé de réellement réfléchir pourrait-il affirmer qu’on peut découvrir profondément une culture sans aborder sa langue?), que le problème des élèves réside principalement en leurs enseignants qui refusent d’innover etc.
    Bien sûr nous combattons la réforme, pour certains d’entre nous. Bien sûr je résiste dans mes classes et je maintiens la rigueur que je juge nécessaire à la formation des esprits et à la naissance de citoyens curieux et critiques. J’explique à qui veut l’entendre que l’ennui est parfois important, qu’il est aussi l’apprentissage de la contrainte qui permet la pensée sérieuse.
    Mais je vois mes collègues qui acceptent les changements sans réfléchir, je les vois avoir, pour la majorité d’entre eux, abandonné leurs convictions (si un jour elles existèrent), je vois les salles des profs vides de débats, de réflexions ou d’échanges culturels ou pédagogiques (mais ne sommes-nous pas censés avoir voulu devenir enseignants? Être passionnés par ce qui touche à nos disciplines, mais avec elles à la pensée, à la culture?). Entendons-nous bien je ne jette pas la pierre à ces enseignants qui sont partie d’un tout, qui ont vécu des changements catastrophiques de leurs conditions de travail et sont parfois simplement fatigués de se battre.
    Cependant, déception après déception, j’envisage après seulement 5 ans de quitter ce métier que j’aime, tant les conditions de son exercice deviennent insoutenables.

    Après ce préambule personnel dont vous pardonnerez je l’espère la longueur, pour continuer la réflexion sur l’instruction et la réforme je voulais ajouter une nécessité aux possibilités de cette refondation (revenir à l’instruction en primaire et au collège). Je suis d’accord avec toutes les positions défendues dans cet article et dans celui de 2013 (« Instruire d’abord ») que j’ai lu avec plaisir hier. Néanmoins je n’y ai pas vu mentionner un changement progressif qui me semble de taille et qui concerne le nombre d’élèves par classe. Certains commentaires parlent de demi-groupes et je crois qu’aucun enseignant ne pourrait dénigrer l’importance d’un petit effectif pour personnaliser l’instruction des élèves. J’entends par cela non pas adapter le niveau du travail demandé à chacun, car il me semble essentiel de maintenir l’ambition d’acquisition des fondamentaux pour tous les élèves présents, mais adapter la vitesse d’apprentissage, permettre les questions, les tâtonnements, le tutorat entre élèves ou tout autre méthode permettant l’avancée de tous. Bref, il me semble impensable d’organiser une quelconque refondation de l’école, qu’elle aille dans le courant de l’instruction ou du pédagogisme, sans limiter le nombre d’élèves par classe avant tout.

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