Tribune « Voile des accompagnatrices scolaires : sortir de la confusion et de l’émotivité »

Tribune sous forme de Lettre ouverte au président de la République publiée dans Le Figaro du 7 novembre et en ligne le 6 novembre sur le site Figarovox.

En voici les premières lignes :

Monsieur le Président, «Le port du voile dans les services publics, à l’école, quand on éduque nos enfants, c’est mon affaire», avez-vous déclaré.

C’est bien le cœur de la question. Mais l’école de la République est-elle circonscrite aux murs d’un bâtiment?

Le débat sur le port de signes religieux par des accompagnateurs de sorties scolaires n’est pas nouveau. À la suite de l’affiche de la FCPE présentant une accompagnatrice voilée, assortie du slogan: «Oui, je vais en sortie scolaire, et alors?», et de la légende suivante: «La laïcité, c’est accueillir tous les parents sans exception», puis du déplorable incident impliquant un élu du Rassemblement national, le sujet flambe, souvent dans la plus grande confusion. Il faut donc y revenir.

La réglementation actuelle ne fait pas du port de signes d’appartenance religieuse ou politique un droit absolu pour les accompagnateurs bénévoles. Cette liberté qui leur est actuellement accordée a pour conditions le bon fonctionnement du service et l’absence de trouble à l’ordre public, lesquels sont appréciés par le directeur d’école ou le chef d’établissement – de sorte qu’un éventuel refus puisse être précisément motivé. Mais, en l’absence de règle générale claire, tout est renvoyé (comme lors de l’affaire de Creil en 1989) aux enseignants sur le terrain et reste très sensible aux fluctuations de l’opinion.

Il nous paraît nécessaire d’interdire l’affichage religieux ou politique par les personnes accompagnant occasionnellement les élèves lors de sorties scolaires

[suite sur Figarovox, repris en texte intégral sur le site de l’UFAL]

Signataires :
Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante, essayiste, féministe universaliste pour la laïcité.
Charles Arambourou, magistrat honoraire, militant laïque (UFAL).
Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, professeur de science politique .
Martine Cerf, secrétaire générale d’Égalité Laïcité Europe (EGALE).
Elisabeth de Fontenay, philosophe.
Marieme Hélie-Lucas, sociologue, directrice du réseau «Secularism Is a Women’s Issue».
Liliane Kandel, sociologue.
Eddy Khaldi, président de la Fédération nationale des délégués départementaux de l’Éducation nationale (DDEN).
Catherine Kintzler, philosophe.
Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste.
François Rastier, linguiste, directeur de recherches au CNRS.
Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République.

5 thoughts on “Tribune « Voile des accompagnatrices scolaires : sortir de la confusion et de l’émotivité »

  1. François Braize

    Remarquable Tribune que l’on ne peut que saluer ! En effet il faut sortir de la confusion et de l’émotion, deux des mamelles de la bêtise…
    J’y ajouterai volontiers que le code de l’éducation (partie législative) range les parents qui participent au fonctionnement du SP de l’éducation (SP soumis au principe de laïcité par notre constitution elle-même) dans ce qu’il dénomme la « Communauté éducative ». Dès lors, on peut donc considérer que les pouvoirs publics auraient pu, sans prendre de nouvelle loi, décider (pour donner un fondement légal à une interdiction par une simple circulaire), qu’en application de ces dispositions du code de l’éducation tous ceux qui collaborent au SP de l’éducation sont astreint aux mêmes principes, dont celui de non affichage ostensible, face aux enfants et, ce, dans l’école ou en sorties scolaires, des convictions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales.
    De la sorte, on se serait évité bien des tracas actuels et passés face à l’offensive protéiforme et tous azimuts des islamistes. Mais l’ignorance crasse de notre propre droit, l’absence de courage voire la démagogie ont fait le travail.

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  2. MICHEL NICETTE

    Très bonne analyse mais je ne comprends pas que vous n’étendiez pas votre excellente conception de la respiration laïque aux membres élus des instances représentatives comme les Conseils d’écoles. En tant que DDEN à Reims je suis confronté au port du voile du type hidjab- voile de l’islamisme politique des frères musulmans- par une représentante d’une fédération de parents d’élèves, soutenue par la directrice de l’école. J’ai demandé à cette élue de respecter le principe de neutralité en voulant bien retirer le voile islamique des frères musulmans qu’elle portait, sa réponse fut « j’en ai le droit » et je ne le retirerai pas. Alors j’ai demandé à cette directrice de bien vouloir inscrire au pv de la séance- ce qu’elle n’a pas fait…- que je ne siégerai pas à ce conseil dans ces conditions Le lendemain je recevais une lettre de la directrice d’école me précisant que l’inspectrice départementale a présenté ses excuses à cette représentante.
    Le vademecum de la laïcité conçu par le Conseil des Sages dont vous êtes membres va même jusqu’a autoriser le port de signes d’appartenance religieuse dans les conseils d’écoles…Fiche 22 alors que la fiche 17, selon moi ,
    apporte une restriction précise lorsqu’il s’agit du port du voile couvrant le visage tout ou partie Le Conseil d’Ecole est une institution de l’EN et de ce fait est soumis au respect de la neutralité. L’Ecole doit rester un sanctuaire laïque inviolable.
    Alors pourquoi cette application accommodante du principe de neutralité alors que la fiche 17 précise:
    Aucune restriction vestimentaire ne s’impose hormis celles de la sécurité (le visage doit être découvert, loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public) et de la décence. Il en est de
    même pour les parents d’élèves élus par leurs pairs dans les différentes instances.
    Auriez-vous la gentillesse de m’éclairer sur cette question et je vous en remercie vivement.

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      La notion de « respiration laïque » désigne l’alternance, la dualité, entre les moments, lieux, situations, fonctions, propos, etc., qui sont soumis au principe de laïcité et ceux qui ne le sont pas. Demander aux membres élus des conseils d’école de s’abstenir d’affichage religieux ne serait pas une extension de la respiration laïque, mais le déplacement du curseur par une extension de l’application du principe de laïcité lui-même à ces membres. Or c’est ce que ne permet pas la législation en l’état actuel des choses. Il se trouve que les parents élus le sont en tant que parents, représentants d’associations de parents, et c’est à ce titre qu’ils siègent. L’article ci-dessus s’appuie au contraire sur le fait que les accompagnateurs scolaires n’exercent pas cette fonction auxiliaire en tant que parents et que, ayant autorité sur les enfants, ils devraient être soumis, pour le temps de la sortie, au principe de laïcité en tant qu’auxiliaires effectifs des enseignants : la sortie scolaire est une activité scolaire au même titre qu’un enseignement, c’est une activité pédagogique.

      La fiche 17 du Vademecum rappelle que la participation directe de parents, ou d’intervenants quelconques à des activités scolaires des élèves dans l’école leur impose la neutralité : c’est ce que l’article ci-dessus argumente, en transposant la situation hors de l’école, en l’appliquant aux encadrants de la sortie scolaire. En outre, il est clair que le port d’un masque intégral est forcément interdit, puisqu’il est interdit partout. Enfin, le passage que vous citez de cette fiche 17 (comme l’ensemble de la fiche) est relatif à l’école maternelle.

      Vous écrivez que « le Vademecum […] va même jusqu’à autoriser le port de signes d’appartenance religieuse dans les conseils d’écoles ». Vous semblez considérer que le Vademecum est un texte à valeur réglementaire. Ce n’est pas le cas. Le Vademecum a pour objet de réunir et de classer logiquement les situations susceptibles de poser une question relative à la laïcité dans le cadre scolaire, et de proposer une analyse et des pistes d’action en référence à la législation et à la réglementation en cours, ainsi qu’à l’éventuelle jurisprudence. Son objet est l’éclaircissement dans le cadre législatif et réglementaire en vigueur.

      En ce qui touche les représentants élus siégeant dans les conseils d’école, le Vademecum écrit effectivement dans la fiche 22 : « Il ne peut être interdit aux parents d’élèves représentants d’associations, élus par leurs pairs, de porter des signes d’appartenance religieuse lors de réunions du conseil d’école ou du conseil d’administration ». C’est ce que dit la loi, c’est ce que dit la réglementation : le Vademecum ne fait que le rappeler ! Libre aux militants laïques d’argumenter contre ces dispositions.

      En ce qui touche les accompagnateurs scolaires, je suis en désaccord avec le cadre législatif et réglementaire qui ne fournit pas de fondement solide pour sortir de la situation, et je le dis en écrivant et en signant la tribune « Lettre ouverte » dont il est question dans l’article ci-dessus. Le texte de cette Lettre ouverte est donc un texte militant. Mais le Vademecum n’a aucune autorité pour « interdire » ou pour « autoriser » ce qui n’est pas expressément dit par la loi et par les règlements qui l’appliquent. En matière d’accompagnement scolaire, il rappelle notamment l’état de la jurisprudence dont vous pourrez voir qu’elle est contradictoire. Si vous relisez attentivement la fiche 22, vous pourrez constater qu’on peut en faire une lecture nuancée ; en effet, selon moi, le texte va aussi loin que possible : le commentaire indique aux personnels des pistes qui permettent une certaine rigueur en la matière sans s’exposer à un désaveu judiciaire – je vous invite à relire sous cet angle la fin de la fiche 22 (p. 93 de l’édition imprimée, p. 84 de l’édition électronique).

      Télécharger le Vademecum : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/MDE/59/4/Laicite-Vademecum_1194594.pdf

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      1. Braize

        Catherine Kintzler a tout à fait raison en droit strict, en l’état de celui-ci et de sa lecture par nos plus hautes institutions chargées de l’interpréter (le Conseil d’Etat notamment).
        Mais l’histoire aurait pu être toute autre et nous n’en serions pas là si le Conseil d’Etat au moment de l’affaire du voile à Creil en 1989 avait eu une autre lecture des dispositions constitutionnelles et législatives existantes. Ce qui lui eût été possible.
        S’il avait moins privilégié la « liberté religieuse » (à laquelle on met des guillemets car elle n’existe pas dans notre droit dans lequel seules existent la liberté de croire et celle de culte) et son corrolaire supposé le « droit » d’afficher ses croyances, il aurait pu, comme l’y autorisait (invitait ?) la Constitution et son Préambule, considérer que la « Communauté éducative » qui comprend élèves, enseignants, parents, etc. définie au code de l’éducation par un article de niveau législatif était toute entière soumise au principe de laïcité dans un service public définit constitutionnellement comme laïque.
        Cela lui aurait évité de devoir se lancer, ainsi que nous et le législateur derrière lui depuis trente ans, dans un tri ingérable entre les diverses composantes de cette Communauté pour voir ou devoir, in fine et à chaque fois, par ajouts législatifs successifs (2004 pour les élèves, aujourd’hui pour les accompagnateurs de sortie, demain pour les parents siégeant en conseil de classe, après demain pour qui sais je encore…) étendre par des lois ponctuelles l’obligation de neutralité laïque à de nouveaux ensembles au sein de ce service public au fur et à mesure que les avancées prosélytes s’étendent elles aussi, au gré des ambitions des uns et des autres qui rentrent à loisir dans nos valeurs, jusqu’à y compris leur sanctuaire (l’école), comme dans un ventre mou rendu sans défense…
        Mais il ne le fit pas et nous en sommes bien à ce que dit Mezetulle… Je dirai pour ma part hélas.
        Pour plus de détail voir notre article dans le magazine SLATE :
        http://www.slate.fr/story/95391/laicite-ecole-parents-signes-religieux

        En profitant de l’occasion pour souhaiter à tous et, à notre hôte en particulier, un très Joyeux Noël et mes meilleurs voeux pour 2020 !

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  3. Ping : La tête du poisson… | DECODA(NA)GES . . . . . . . . . . prénom CHARLIE !

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