L’opinion française et la laïcité : deux études

Deux études viennent d’être publiées sur la laïcité, sa perception, sa compréhension par l’opinion en France et la place que la laïcité occupe dans l’«agenda» politique des Français. À les consulter toutes deux, il ne faut pas être un grand spécialiste de l’interprétation des sondages ni s’efforcer de lire entre les lignes pour comprendre les états d’âme de certains groupes politiques jadis et naguère partisans zélés et tapageurs d’une « laïcité inclusive » et « accommodante ».

La Fondation Jean Jaurès publie une étude commandée à l’Ifop datée du 22 mars 20191 « Les Français, l’électorat macroniste et la question de la laïcité », avec une analyse introductive de Jérémie Peltier intitulée « Les Français et la laïcité : état des lieux » qu’on peut lire en ligne ici et dont j’extrais ce passage :

« 87 % des Français disent être favorables à la loi de 1905, loi qui garantit le libre exercice des cultes, la liberté de conscience, et qui impose le principe selon lequel l’État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte.
Les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 sont 94 % à se dire favorables à cette loi ; 95 % pour ceux qui ont l’intention de voter LREM aux européennes de 2019 ; 
83 % des Français se disent favorables à la loi de 2004, qui interdit le port de signes religieux ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. 88 % chez les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de la dernière élection présidentielle, et 87 % chez ceux qui veulent voter LREM aux prochaines européennes. 
Petite parenthèse à ce stade : revient parfois l’argument selon lequel la défense de la laïcité se fait d’abord et avant tout contre les musulmans, que celles et ceux qui défendent la laïcité le font d’abord par une supposée « islamophobie ». En raison de la taille importante de son échantillon (2500 personnes), cette enquête permet pour la première fois d’avoir sur ce sujet un aperçu du point de vue des musulmans, généralement exclus de l’analyse en raison de leur trop faible nombre dans l’échantillon d’une enquête classique (autour de 1000 personnes). Ce que nous dévoile cette enquête, c’est qu’une grande majorité des personnes qui se disent musulmanes sont favorables à la loi de 1905. En somme, expliquer qu’il est nécessaire d’adapter la loi de 1905 pour répondre aux besoins et attentes d’une majorité des personnes de confession musulmane de ce pays semble être un argument quelque peu caduc. Parmi les personnes qui se disent musulmanes dans l’enquête, 75 % disent être favorables à la loi de 1905.
On trouve la même chose d’ailleurs quand on leur demande s’ils souhaitent ou non assouplir certains aspects de cette loi, ou la garder telle quelle : 
71 % des Français veulent garder cette loi telle qu’elle est, 24 % veulent « l’assouplir » ; 
79 % des électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de la dernière présidentielle (+8 par rapport à la moyenne des Français) veulent garder cette loi telle qu’elle est, et 20 % l’assouplir. 
Chez les personnes qui se déclarent de confession musulmane, 66 % déclarent vouloir la garder telle qu’elle est, et 24 % assouplir certains aspects de cette loi. »

L’intégralité de l’étude est téléchargeable ici en pdf.

 

De son côté, l’Observatoire de la laïcité publie une étude commandée à l’institut Viavoice, datée de janvier 20192, intitulée « Etat des lieux de la laïcité en France ». Elle s’intéresse à la perception et aussi à la connaissance de la laïcité par les sondés, à leur appréciation du principe de laïcité relativement à son application. La relative bonne connaissance que les personnes interrogées ont d’un principe politique et juridique plutôt difficile et leur fort attachement à ce principe sont soulignés d’emblée par la brève présentation en ligne :

« Il ressort des résultats un attachement à la laïcité très largement majoritaire dans notre pays (73% des répondants se déclarent attachés à la laïcité telle que définie par le droit, après rappel de cette définition), même si certains écarts peuvent être soulignés selon l’âge ou la catégorie sociale des répondants. À noter qu’une majorité des Français donne une définition exacte (en droit) de la laïcité (57%). »

On ne boudera pas son plaisir en lisant la conclusion de cette présentation commentant l’appréciation politique du principe de laïcité par les sondés :

« Concernant la définition actuelle de la laïcité dans le droit, elle convient à une majorité des répondants (48%, contre 29% qui souhaiterait un régime plus restrictif et 14% moins restrictif). De même, à propos de la séparation des Eglises et de l’Etat, les Français sont majoritaires à souhaiter le statu quo (46% ; 22% voudraient une législation plus stricte, et 11% plus souple). »

L’intégralité de l’étude est téléchargeable ici.

À noter les différences d’échantillonage entre les deux études, notamment en ce qui touche la nationalité – l’étude Ifop étant plus spécifiquement politique :

  •  L’étude Ifop pour la Fondation Jean Jaurès porte sur « un échantillon de 2505 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus ». Il est précisé que parmi ces électeurs 493 ont voté Macron au 1er tour 2017 et 373 ont l’intention de voter LREM aux européennes de 2019.
  •  L’étude Viavoice pour l’Observatoire de la laïcité porte sur « un échantillon de 2000 personnes, représentatif de la population habitant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus ».

Notes

1 – Questionnaire effectué entre le 12 et le 19 mars 2019.

2 – Questionnaire effectué du 9 au 18 novembre 2018.

4 thoughts on “L’opinion française et la laïcité : deux études

  1. Antonio C

    Bonjour Mezetulle
    Il me semble que définir la laïcité à partir de la loi de 1905, toute et rien que, comme le fait l’Observatoire est une manoeuvre dilatoire qui mène à exiger du seul Etat la neutralité. Les citoyens n’étant jamais tenus de l’être, cela ouvre la voie au cléricalisme via le communautarisme. Or, à cause de la Fraternité, il me semble que l’Etat n’est pas neutre entre le loup et l’agneau, entre la « communauté » et l’individu, entre le père fondamentaliste et sa fille, entre l’éthique personnelle et le principe universel. Les hommes sont aussi appelés à être citoyens, donc appelés à la neutralité pour certaines fonctions et dans certaines situations. Combien resterait-il de laïques si on précisait ces choses ?
    Par ailleurs, définir la laïcité comme la liberté de croire ou ne pas croire est également très réducteur. Nombre de société « accordent » ce droit sans être laïques pour autant (sauf pour Baubérot peut-être). Il me semble que la différence réside dans la responsabilité de l’Etat vis à vis de l’enfant qui doit être protégé de toutes les emprises, y compris celle de ses parents. Combien de laïques encore si l’on précisait les choses ?
    De même, si la liberté « laïque » – parce qu’elle est un anti-déterminisme social – c’est avoir les moyens financiers et intellectuels de ne pas dépendre de quelqu’un, ni d’un Soi mal dégrossi et obscurantiste ; donc de disposer d’un travail et d’une instruction de qualité, pour chacun et pour tous (instruction qui le dispute au privé et au confessionnel), combien de laïques encore ? Mais il ne faut pas rallumer la mèche de la guerre scolaire.
    Enfin, si un Etat de droit garantit la souveraineté d’un peuple Un et Indivisible, notre organisation du pouvoir politique est-elle vraiment laïque ? Et comment les européistes pensent-ils leur attachement à la laïcité autrement re-précisée ? Mais il ne faut pas faire le jeu de…
    Pour conclure, il me semble que s’en tenir à la place de la religion dans la société pour parler de la laïcité est un tour de passe-passe. Nous sommes focalisés sur une seule dimension, parce qu’elle est devenue mortelle peut-être, et nous négligeons les aspects politiques (au sens propre du politique et non pas de la politique) sociaux sociétaux et économiques.
    Je proteste : la Liberté de conscience religieuse ne contient pas toute la Liberté de conscience du laïque, elle n’en est qu’une des nombreuses déclinaisons. Parlons des autres puis faisons un sondage. On risque de se faire peur, mais au moins on verra le chemin qu’il reste à parcourir.
    Cordialement
    Antonio C

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    1. François Braize

      Bien d’accord avec vous !
      C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, selon notre Constitution, c’est notre République qui est laïque et pas seulement l’Etat, et les collectivités territoriales, qui sont séparés des cultes. La République est plus que son appareil politico-administratif.
      Mais ceux qui détricotent en permanence, sous couvert notamment d’observatoire au demeurant aveugle, doivent, dans un souci d’efficacité, s’attaquer à des dispositifs précis pour les « accommoder » et, de ce point de vue, la loi de séparation de 1905 ou les lois sur l’enseignement, resteront toujours pour eux des cibles privilégiées.
      Merci à Mezetulle de cette mise en perspective.

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  2. Crabere

    La laïcité à la française est un principe génial…. Enfin était un principe génial. Principe fondamental celui de donner la liberté à chaque individu de croire ou de ne pas croire, et de pratiquer la religion de son choix dans cette République qui n’en reconnaissait aucune. Mais n’y avait-il pas dans cette laïcité une condition ou une exigence celui du respect de l’ordre public. Comment juger les évènements de ces dernières années ? Au nombre de victimes et de morts de toutes confessions ne sommes-nous pas allés au-delà du trouble à l’ordre public ? Manquait-il quelque chose à ce beau principe? Chantal C

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    1. Caspard Annette

      « …était un principe génial ». Je récuse ici l’emploi de l’imparfait; car, me semble-t-il, ce principe est toujours en vigueur – à moins que l’on ait modifié la Constitution sans me prévenir ! (cela ne m’étonnerait pas, on ne me dit jamais rien, à moi !)
      Restons sur l’hypothèse que ce principe existe encore ! Constatant cela, vous vous basez sur le nombre de victimes tombées, hélas, parce que ce principe n’a pas été respecté. Ne sommes-nous pas allés bien au-delà du trouble à l’ordre public, vous demandez-vous. Mille fois hélas, très très très au-delà !!! Ce qui vous incite à vous demander s’il manquait quelque chose à ce principe, mais … pourquoi manquerait-il quelque chose ??? Rien du tout, pas la moindre virgule ! Ce qui nous manque, à nous humains, c’est la raison, la réflexion, l’humilité, l’empathie, l’absence de violence …

      Les lois françaises sont-elles toujours respectées ?

      Le Deutéronome nous dit : « Tu ne tueras point ». Celui qui a dicté (paraît-il …) les « Dix commandements », est-il
      coupable du nombre incalculable d’infractions à cette injonction ?

      Dans « Le capital », Karl Marx exprime, je crois (je ne l’ai pas lu …) un certain nombre d’idées, de principes, de théories … certainement pas entièrement stupides ! Est-il responsable de toutes les abominations enfantées par les détournements à ces principes ?

      Einstein est-il coupable du triste usage réservé à ses découvertes sur l’atome ?

      Je ne résiste pas au plaisir de citer un extrait de texte d’Henri Pena_Ruiz, dans son ouvrage « La laïcité »:
      « Le fait que depuis 1905 cette loi ait été bafouée ne saurait conduire à sa mise en cause, sauf à admettre que les infractions à la loi font jurisprudence, ce qui est une curieuse façon de concevoir l’état de droit. Autant griller les feux rouges pour demander ensuite leur abolition ».

      Quant à votre ouvrage, Catherine, « Penser la laïcité », il est si riche qu’il y aurait des dizaines et des dizaines de paragraphes à citer … !

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