Apprendre à croire sans fanatisme

Il faut toujours revenir au principe. Voilà qu’on doit instituer une police spéciale pour assurer la sécurité des établissements scolaires. Des fanatiques veulent détruire l’école. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris ce qu’est l’école : que l’instruction libère les hommes de leurs croyances. Ont-ils compris qu’elle n’a pas pour but de rendre incroyants les enfants d’une famille de croyants ? Elle leur apprend à croire sans fanatisme, ce qui à leur yeux est pire.

Comment devrait-elle apprendre à croire sans fanatisme ? Non pas à coups de leçons de morale, mais « par la méditation des Sciences. Car dès que l’on veut comprendre, et non plus seulement réciter pour les sots, il faut regarder droit », comme dit Alain dans un propos du 25 février 19091. Il n’y a pas d’autre remède au fanatisme.

Or cet enseignement a disparu : je n’ai pas trouvé le mot démonstration dans le livre de mathématiques de ma petite fille qui est en classe de quatrième. Je connais une jeune élève de première qui en cours de français apprend par cœur des termes de rhétorique et des « dissertations » toutes faites qu’elle n’a qu’à réciter, les parents d’élèves ayant exigé que tout soit mâché pour qu’il n’y ait pas de surprise le jour de l’examen. Et tout est si bien mâché que les élèves ne peuvent rien digérer et à la fin ne savent rien.

On peut donc comprendre que l’école ne guérisse pas du fanatisme. L’hypothèse darwinienne n’y est plus qu’une croyance : comment les élèves pourraient-ils comprendre qu’elle est d’un autre ordre qu’une croyance si elle leur est assénée comme un dogme, personne ne leur faisant parcourir le chemin qui y mène ? J’ai lu dans un journal que tous mettent sur le même plan le mythe d’Adam et Eve et l’affirmation que l’homme descend du singe. Mais si dire que l’homme descend du singe est ce à quoi on réduit l’hypothèse darwinienne, comment voulez-vous que quiconque y comprenne quelque chose ? Si vous n’avez jamais compris une démonstration de mathématiques et par là distingué ce qui est connaissance par ouï-dire et connaissance rationnelle, comment voulez-vous prémunir contre le fanatisme ?

Je me souviens que, professeur débutant, j’avais commencé mon cours de philosophie par la distinction de l’opinion et de la science, donnant comme exemple de science 2+2=4. La perplexité d’une partie de la classe se voyait dans les yeux. J’ai découvert que beaucoup considéraient que s’ils croyaient que 2+2=4, c’est qu’on le leur avait dit.

Déjà il y a un demi-siècle, nous avions tiré le signal d’alarme2. Il semble qu’on prenne aujourd’hui conscience de la catastrophe. Une nouvelle police n’y remédiera pas, même s’il faut rétablir la discipline dans les écoles3. Une messe laïque n’y remédiera pas, même s’il faut enseigner l’histoire et le droit.

J’ai peut-être déjà dit qu’au début d’un livre de SVT (sciences de la vie et de la terre) il était écrit – pour les élèves du premier cycle de collège – que le monde commençait par le Big-bang, puis il était question de l’ADN. Pourquoi un élève distinguerait-il ces assertions de celles de son curé, de son rabbin ou de son imam ?

Notes

1 – n° 1080 de l’édition complète des Amis d’Alain.

2 – [NdE] Voir par exemple et entre autres ces quelques repères bibliographiques (volontairement limités à des publications antérieures à 2000) à la fin d’un article publié en 2012 sur le site d’archives Mezetulle.net www.mezetulle.net/article-l-ecole-de-la-republique-refondation-ou-reforme-109609448.html  :

  • Jean-Claude Milner, De l’école, Paris, Seuil, 1984 (rééd. Lagrasse : Verdier, 2009).
  • Catherine Kintzler, Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen, Paris : Le Sycomore, 1984 (rééd. Paris, Minerve, 2015).
  • Jacqueline de Romilly, L’Enseignement en détresse, Paris, Julliard, 1984.
  • Les Préaux de la République, (dir. Anne Baudart et Henri Pena-Ruiz), Paris, Minerve, 1990.
  • Marie-Claude Bartholy et Jean-Pierre Despin, La Gestion de l’ignorance, Paris, PUF, 1993.
  • Jacques Muglioni, L’école ou le loisir de penser, Paris, CNDP, 1993 (rééd. augmentée Paris, Minerve, 2017).
  • Danièle Sallenave, Lettres mortes, Paris, Michalon, 1995.
  • Charles Coutel, A l’école de Condorcet, Paris, Ellipses, 1996.
  • Henri Pena-Ruiz, L’école, Paris, Flammarion, 1999.

3 – [NdE] Voir l’article « Que signifie enseigner sous protection policière ? » https://www.mezetulle.fr/que-signifie-enseigner-sous-protection-policiere/

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