Présidentielle : un résultat présenté de manière hétérogène

Comme cela se produit pour tous les scrutins, le résultat de l’élection présidentielle de 2022 est souvent présenté de manière biaisée à cause de l’hétérogénéité des pourcentages mis en comparaison, dont on fait semblant de croire qu’elle serait une homogénéité. Ce qui revient à exclure l’abstention du processus électoral et à réduire le poids électoral1, pourtant clairement signifié, des bulletins blancs et des bulletins nuls. Cela n’est certes pas nouveau… et cela n’empêche pas qu’on doive le souligner à chaque fois car les conséquences politiques de cet aveuglement volontaire peuvent être importantes.

Beaucoup d’organes de presse, en effet, présentent le résultat de manière raccourcie, en écrivant ou en disant : « Emmanuel Macron a obtenu 58,54 % des voix, Marine Le Pen 41,46 %, et on observe 28 % d’abstention ». Un peu moins malhonnête, mais jouant sur les mots, on dit que « le taux d’abstention est de 28 % » ou que « la participation est de 72% ». Pour être plus près de la vérité, certains, plus rares, disent « près d’un électeur sur trois s’est abstenu ». Et en tout état de cause, les bulletins blancs et les bulletins nuls sont évacués2.

L’énumération en continuité des pourcentages « voix obtenues – abstentions » peut faire croire qu’ils sont homogènes. Or le pourcentage des voix obtenues par les candidats est calculé sur le nombre de suffrages exprimés alors que le pourcentage des abstentions, par définition, ne peut être calculé que sur celui des inscrits : il n’y a pas d’homogénéité.

On devrait donc présenter ces pourcentages en les calculant sur la seule base qui peut les rendre comparables : le nombre d’inscrits. Dans le tableau suivant (repris de ceux du ministère de l’Intérieur3), seule la colonne B est pertinente pour parler de pourcentages homogènes, alors que les présentations les plus courantes – qui se gardent bien de montrer un tableau – mélangent un nombre issu de la colonne B et deux nombres issus de la colonne D :

A
Nombre

B
% Inscrits

C
% Votants

D
% Exprimés

Inscrits

48 752 500

Abstentions

13 656 109

28,01

Votants

35 096 391

71,99

Blancs

2 228 044

4,57

6,35

Nuls

790 946

1,62

2,25

Exprimés

32 077 401

65,80

91,40

E. Macron

18 779 641

38,52

58,54

M. Le Pen

13 297 760

27,28

41,46

Il résulte de cette présentation plus fidèle que le président de la République est réélu par 38,52 % des électeurs inscrits (il en avait réuni 43,61 % en 2017). L’abstention est de 28,01 %. Le total des abstentions, des bulletins blancs et des bulletins nuls se monte à 34,2 %. Autrement dit, plus du tiers des électeurs soit ne se déplacent pas, soit choisissent délibérément de signifier dans les urnes leur désaccord avec le choix proposé ou avec la règle électorale.

On comprend alors mieux l’inquiétude de bien des commentateurs politiques. On comprend aussi la tonalité modeste et lucide, même si elle a pu paraître étrange, du discours qu’Emmanuel Macron a prononcé au Champ de Mars le soir du scrutin. Puisse-t-il se traduire autrement que par un « en même temps » clientéliste sans concept – car ne comptons pas trop sur les législatives pour écarter la perspective d’un grand parti centriste-presque-unique-attrape-tout (et surtout les opportunistes). Puisse le président résister aux sirènes qui le poussent à accélérer les « réformes courageuses », à renforcer une politique mondialiste, et à supplanter le drapeau tricolore par celui de la bien mal nommée « notre Europe ».

Notes

1 – Sur la notion de « poids électoral », je renvoie à l’analyse de Jacques Saussard « Les modes de scrutin qui nuisent à la démocratie« .

2 – Voir l’article de Jacques Saussard référencé à la note précédente.

5 thoughts on “Présidentielle : un résultat présenté de manière hétérogène

  1. Camille Scalabre

    Ces remarques ne manquent pas de pertinence, cependant les abstentions ne sauraient être comptabilisées comme l’expression d’un vote. Les raisons pour lesquelles certains ne vont pas voter ne sont pas toutes de nature politique. Les comptabiliser en pourcentage des inscrits est logique puisqu’il importe de faire émerger le pourcentage des suffrages exprimés. Les votes (ni blancs, ni nuls) sont logiquement à comptabiliser en pourcentage par rapport aux mêmes suffrages exprimés. Il s’agit bien de départager des électeurs qui font un choix pour tel ou tel candidat. Enfin pour les votes blancs ou nuls, la question de savoir si ils expriment quelque chose de légitimement politique reste à clarifier. J’en doute pour ma part. Le résultat des élections présidentielles et bien celui que les médias ont donné. Marcron 58,54, Le Pen 41,46. Il n’y a pas d’hétérogénéité la dedans.

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Merci pour vos remarques ; elles me permettent à la fois de rappeler et de préciser l’objet de l’article.

      La loi distingue les bulletins blancs et les bulletins nuls en les comptant séparément : cela seul montre 1° que le geste de se rendre au bureau de vote pour déposer un bulletin dans l’urne, même blanc ou nul, est en lui-même politique 2° qu’on peut faire une différence entre les deux, et cette différence est ce que j’appelle « signification » politique.
      Voici comment je vois cette différence. Pour les bulletins blancs, il s’agit d’une expression politique qui récuse le choix proposé (c’est bien un vote mais ce n’est pas un suffrage car un suffrage se porterait sur l’un des candidats proposés). Les nuls peuvent exprimer soit la même chose qu’un blanc (refus du choix proposé) soit, peut-être plus souvent, le désaccord avec la règle électorale elle-même (ce qui est également une expression politique).
      Les abstentions mêlent les indifférents (pas d’expression politique), les opposants au principe même de l’élection (« élections, piège à c*** ») et ceux qui, devant le peu d’attention accordé aux blancs et nuls dans l’analyse des résultats, préfèrent ne pas voter : au moins on parlera d’eux… ce qui n’est pas faux. C’est notamment pour cette dernière raison qu’on ne peut pas complètement exclure l’abstention du processus électoral.

      Le résultat est évidemment celui qui a été proclamé. En rappelant les pourcentages d’EM et de MLP, vous alignez deux nombres homogènes, deux pourcentages calculés sur la même base (nombre d’exprimés). L’hétérogénéité consiste à aligner trois nombres comme s’ils étaient comparables : « EM 58,5% ; MLP 41,46% ; abstention 28% », alors que seuls deux d’entre eux le sont. C’est ce que je souligne dans mon article et je crois que le tableau est assez clair : dans cette série, l’un des pourcentages ne relève pas de la même base de calcul. Il serait donc plus correct de rappeler, lorsqu’on présente un pourcentage, la base de calcul.

      L’article ci-dessus ne prétend pas qu’il faut compter les abstentions comme expression d’un vote, ce serait absurde puisque s’abstenir c’est ne pas voter, mais il prétend qu’il y a quelque chose de biaisé dans le fait de présenter cette série de trois pourcentages comme si elle était homogène. En revanche je prétends que la présentation hétérogène que je critique réduit le poids électoral des bulletins blancs et des bulletins nuls, lesquels ont été délibérément déposés dans l’urne par des électeurs qui ont fait l’effort de se déplacer. J’ai renvoyé, pour éclairer ce concept de poids électoral, à un article plus détaillé de Jacques Saussard que je vous invite à lire. Mais il n’a jamais été question ici de contester le résultat d’une élection.

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  2. Camille Scalabre

    Oui, ce que vous expliquez est très clair. Il serait nécessaire pour les médias de toujours préciser que le résultat du suffrage en pourcentage est calculé sur la base des suffrages exprimés, et de faire la différence avec le pourcentage des abstentions calculé sur les électeurs inscrits, ce qui est rarement fait.

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  3. Ping : Paris, « votation » tarification véhicules lourds : ni scrutin, ni sondage - Mezetulle

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