Affaire Benalla : proposition pour une intervention du président de la République

Nombreux sont les citoyens, les élus, les journalistes, qui sollicitent et attendent avec impatience (sinon une certaine gourmandise) une intervention du président de la République à la suite de la déplorable affaire Benalla qui éclabousse l’Elysée. Pensant qu’Emmanuel Macron y songe peut-être, j’ose ici suggérer quelques thèmes pouvant en former les grandes lignes.

[Edit du 5 août. Ce texte a été publié le 23 juillet sur le site de L’Express « Le discours imaginaire de Macron à la nation«  je le propose à présent ci-dessous in extenso]

« Mes chers concitoyens,

« Après l’exploit de sa valeureuse équipe de football à la Coupe du monde 2018, voilà que notre pays, récemment et heureusement remis sur la voie du redressement et de la confiance, plonge à nouveau dans les passions tristes du dénigrement de soi, à la faveur d’un incident malheureux survenu au sein de l’équipe de sécurité affectée à l’Elysée. Cette simple mise en relation fournit déjà la mesure qui permet de revenir à la raison et de garder son sang-froid.

« Non qu’il faille minimiser cet incident : il faut au contraire en tirer toute la leçon. Car il serait resté dans ses justes proportions si nos lois, nos règlements, nos habitudes, nos postures hérités de l’ancien monde ne pesaient pas encore de toute leur rigidité et de toute leur désuétude sur nos pratiques et surtout sur nos jugements.

« D’aucuns ironisent et, avec une jubilation mauvaise, capable, on le voit, de réunir la carpe et le lapin, nous jettent à la figure le « monde nouveau », la « moralisation de la vie publique » et la « transparence » dont nous avons fait naguère quelques-uns de nos thèmes de campagne : ils ne voient pas que ces promesses sont en voie de réalisation et que nous les avons bel et bien mises en chantier. N’avons-nous pas déjà grandement fluidifié la vie publique en adoptant des dispositions plus en phase avec le monde moderne ? N’avons-nous pas assoupli et diversifié le droit du travail en élargissant le champ du contrat jusqu’alors bridé par une légalité uniformisante ? N’avons-nous pas adopté des mesures claires contre une mentalité traditionnellement attachée à la rente, en modifiant les prélèvements sur une grande partie des rentiers que sont les retraités aisés, en recentrant l’investissement non plus sur l’immobilisme foncier, mais sur une spéculation plus audacieuse ? Et s’agissant de la transparence, n’avons-nous pas fait sortir les associations cultuelles de la liste des « groupes d’intérêt », donnant à leurs interventions auprès de la représentation nationale une plus grande liberté ? 

« Oui, ce qui est devenu, avec l’enflure que lui ont complaisamment donnée les oppositions, « l’affaire Benalla », témoigne d’une forme de persistance du monde ancien. Je dois ici assumer ma part de responsabilité : je n’ai probablement pas osé en finir assez vite et assez nettement avec les habitudes et les procédés longuement pratiqués par une République qui ne demande qu’à faire peau neuve. Tout cela n’aurait sans doute pas pris la tournure d’une « affaire d’Etat » si, par exemple, la fonction publique, et en l’occurrence la police, n’était pas régie par des dispositions rigides qui la rendent trop étanche à des recrutements ponctuels et efficaces, assujettie qu’elle est à une hiérarchie désuète qui est loin d’en faciliter le fonctionnement.  

« À cellezéceux qui me reprochent de forcer l’allure, je réponds donc au contraire que, vigilant et actif sur tout le reste, considérant sans doute à tort qu’il s’agissait d’un domaine qui pouvait attendre, j’ai négligé le cercle qui m’est le plus proche, je l’ai laissé livré à sa routine, et j’ai différé la rénovation dont il a besoin. Je n’ai pas accéléré suffisamment la marche pour en assouplir les règles, en réformer les cadres traditionnels qui seuls permettent de parler de mélange des genres et d’opacité. Ce travail doit être entrepris lui aussi au plus vite et être mené selon les principes qui, depuis le début, animent notre projet et qui seront plus que jamais désormais à l’ordre du jour.

« Nous nous engagerons encore plus fermement, encore plus rapidement, en creusant le sillon déjà plus qu’amorcé : contractualiser davantage afin de réaliser de manière plus efficace la transformation de l’État et l’esprit des lois, assouplir l’indivisibilité paralysante de la République en créant, par la reconnaissance des droits locaux, par la réparation du lien mutilé entre les communautés religieuses et l’État, des laboratoires législatifs et réglementaires capables de sortir de bien des dispositions, en leur temps libératrices mais devenues aujourd’hui obsolètes, issues de la Révolution française, de la IIIe République et du Conseil national de la Résistance. C’est pourquoi la réforme constitutionnelle, malencontreusement entravée par un événement dont l’intérêt est de révéler l’urgence du travail de rénovation à poursuivre, doit reprendre au plus vite son cours. Il y va du démantèlement d’une République poussiéreuse et défiante, il y va de la mise en lumière d’une République résolument moderne et confiante pour laquelle nous travaillons et pour laquelle, en m’élisant, vous vous êtes prononcés. » 

Voir le texte sur le site de L’Express « Le discours imaginaire de Macron à la nation« 

5 thoughts on “Affaire Benalla : proposition pour une intervention du président de la République

  1. Mezetulle

    Voilà bientôt 15 jours que ce texte a été publié, et je trouve, franchement, qu’il a un peu plus de tenue que les déclarations éparses qu’a faites le Président de la République à ce sujet jusqu’à présent – « qu’ils viennent me chercher ! », on dirait du mauvais Sarko ! Quelle déception !
    Quant à la réforme, à présent annoncée, du service de sécu de l’Elysée, je n’étais pas bien loin !
    Toujours est-il qu’on attend une adresse à la nation digne de ce nom.

    Juste un regret : j’ai manqué une belle occasion d’écriture inclusive en écrivant « Mes chers concitoyens » – d’ailleurs on dirait du Chirac, tss, tss, le retour de l’ancien monde quelle faute de goût. Il eût fallu écrire : « Mes chères compatriotes, mes chers compatriotes », à l’oral ça sonne comme du Desproges.

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    1. Rogers

      Bonjour Madame,
      Merci pour ce texte. Je me demande cependant de qui ou de quoi il y a lieu d’ être déçu. Si la déception est à la mesure des attentes que l’on a placées en lui, n’est- ce pas en priorité de nous-mêmes que nous être légitimement déçus ?

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      1. Mezetulle

        Cher commentateur,
        Le commentaire que j’ai placé ci-dessus se veut un prolongement de l’article dont il n’a échappé à personne qu’il est plutôt ironique : à lire de la même manière…

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        1. rogers

          Chère madame,
          Le caractère ironique de votre texte est bien entendu évident. Je me demande à qui il aurait pu échapper. Vous faites cependant part d une certaine déception vis- à- vis du président de la République. Et il y a de quoi. Mais en dehors de cela, je m interroge, rétrospectivement, sur la mobilisation dite « républicaine » qui a contribué à porter cet homme au pouvoir. J y ai eu ma part, je m adresse donc en partie à moi- même. Si nous avons voté pour lui, ou plutôt cintre Marine Le pen, il me semble que c est pour des raisons qu’ il piétine allègrement. La stratégie d’ un front républicain me paraît de plus en plus « naïve » .
          Salutations.

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          1. Mezetulle

            Cher commentateur, la déception dont je fais état dans ce commentaire est à la fin d’un paragraphe sur la « tenue » des propos du président et s’inscrit dans l’ironie de ce paragraphe : Macron, qui se flatte de présenter une « image » jupitérienne très digne en particulier dans ses discours, tient des propos du niveau du plus mauvais Sarko.
            Mais bien sûr, je souscris à votre analyse : Macron a été porté au pouvoir en grande partie pour des raisons indirectes et non pas pour des raisons positives – et j’y ai eu ma part aussi. Mais peut-on parler à cet égard de regret ? je pense que nous n’avions pas vraiment le choix au moment où il a fallu prendre la décision.

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