La laïcité dans tous ses états

Commentaire de l’émission « Répliques » du 12 novembre 22

À peine terminais-je d’écouter le « podcast » de l’émission Répliques (La laïcité : état des lieux) du 12 novembre 2022, où Alain Finkielkraut avait invité Iannis Roder et Jean-Fabien Spitz1, à peine me disais-je que la pseudo-argumentation de Jean-Fabien Spitz méritait quelques commentaires bien sentis que, relevant mes messages, je trouve cet article envoyé par André Perrin ! Fidèle au style caustique et précis dont il nous a déjà régalés dans plusieurs livres2 – mentionnons le tout récent Postures médiatiques (L’Artilleur, 2022) – l’auteur y reprend, en les démontant, les sophismes et inexactitudes que Jean-Fabien Spitz a égrenés tout au long de l’émission.

Le samedi 12 novembre 2022, l’émission Répliques, sur France Culture, avait pour titre La laïcité : état des lieux. Alain Finkielkraut y avait invité Iannis Roder, professeur d’histoire en réseau d’éducation prioritaire, à Saint-Denis, depuis 23 ans, et Jean-Fabien Spitz, professeur émérite de philosophie politique. Des interventions de Iannis Roder, on ne dira rien ici, sinon qu’elles furent de part en part lumineuses, justes et vraies. De celles de son interlocuteur, la suite permettra de juger. Celui-ci dénonce « l’intégrisme républicain » de ceux qui prétendent interdire le port d’un vêtement : en France comme en Iran, on doit pouvoir être libre de porter le voile ou de ne le porter pas. Iannis Roder répond alors (7’13’’) que « L’interdiction du port du voile n’existe que dans le cadre de l’école et dans le cadre du fonctionnariat ». Spitz lui lance alors avec superbe : « Les élèves ne sont pas des fonctionnaires, Monsieur ! ». Ce à quoi Iannis Roder répond sobrement : « J’ai dit et ».

Ce qu’avait dit Iannis Roder était parfaitement exact. Le port du voile, en France, n’est proscrit que dans deux cas : aux élèves, dans les établissements de l’enseignement public, écoles, collèges et lycées, où ils sont presque tous mineurs et aux fonctionnaires, dans les espaces relevant de l’autorité de l’État. Cependant son interlocuteur, bien que philosophe de profession, préfère lui attribuer mensongèrement une sottise qu’il est évidemment plus facile de réfuter qu’une vérité de fait.

Un peu plus loin, (7’45’’) Iannis Roder fait valoir que la loi de 2004, dans la mesure où elle permettait de soustraire certaines jeunes filles aux pressions qu’elles subissaient, était une loi protectrice. Réponse de Jean-Fabien Spitz, qui se veut sarcastique : « J’apprends avec bonheur que le chemin de la liberté passe par la contrainte. J’apprends ça avec bonheur ».

Ainsi donc, M. Spitz découvre seulement aujourd’hui qu’entre le fort et le faible, c’est parfois la liberté qui opprime et la loi qui libère. Jusque-là, il croyait probablement que la vraie liberté était celle du renard libre dans le poulailler libre. Sur les rapports de la liberté et de la loi, il n’a, tout au long de sa carrière, rien appris ni de Spinoza, ni de Locke, ni de Rousseau, ni de Kant. Jusque-là il savait, et sans doute du haut de sa chaire enseignait, que toute loi est scélérate, qui exerce quelque contrainte sur la liberté des uns ou des autres, en interdisant par exemple le travail des enfants, en imposant aux employeurs de verser un salaire minimum aux salariés, ou en obligeant les citoyens à payer des impôts. Comme si le chemin de la liberté passait par la contrainte !

Alain Finkielkraut ayant alors évoqué La Boétie et la servitude volontaire (7’54’’), M. Spitz répond : « La servitude volontaire est omniprésente dans cette société. On pourrait la repérer à la façon dont les gens sont asservis à des marques commerciales, par exemple, y compris à l’intérieur de l’école […] Il y a de multiples formes d’emprise dans cette société, pas seulement celle que la loi dénonce ». M. Spitz ignore manifestement, ou il feint d’ignorer, qu’à l’intérieur de l’école, les chefs d’établissements sont amenés à interdire d’autres tenues que le voile, des tenues que justement les modes ou les codes de la société extérieure tendent à imposer aux élèves, les « crop-tops » par exemple, interdictions qui soulevaient l’indignation d’une autre grande philosophe libérale, Géraldine Mosna-Savoye, le 15 septembre 2020, sur les ondes de France Culture : « c’est précisément ce qui se joue aujourd’hui avec le corps des femmes, et tous les corps d’ailleurs : ce que l’on peut en montrer ou pas ne devrait, je crois, rien à voir (sic) avec la convenance à un ordre moral extérieur quel qu’il soit, dont le bienfondé restera toujours à démontrer ». Sur les rapports de la liberté et de la loi, Jean-Fabien Spitz est éloigné des conceptions de Spinoza, de Locke, de Kant et de Rousseau, mais il est proche de la pensée de Géraldine Mosna-Savoye. Les grands esprits se rencontrent.

Il est ensuite question de la circulaire que le ministre de l’Éducation nationale a adressée aux recteurs sur la multiplication dans les établissements scolaires des tenues manifestant une appartenance religieuse, comme les Abayas et les Qamis. La réplique de M. Spitz ne se fait pas attendre. Au moment du vote de la loi de 1905, dit-il, Aristide Briand s’est opposé à ce que, comme certains le proposaient, le port de la soutane fût interdit dans l’espace public. Notre philosophe se rend ici coupable du sophisme appelé ignoratio elenchi : la circulaire de Pap Ndiaye ne vise pas à interdire le port de l’Abaya dans l’espace public, mais dans la seule enceinte de l’école tandis que les anticléricaux de 1905 ne prétendaient pas proscrire le port de la soutane dans les lycées et collèges, ce à quoi peu d’élèves auraient pensé vraisemblablement, mais dans la totalité de l’espace public. Le même sophisme sera réitéré un peu plus tard, à 14’37’’, Jean-Fabien Spitz déclarera : « Dans les années cinquante, 25 à 30% des gens étaient communistes. On pouvait se promener dans la rue avec un insigne, la faucille et le marteau. Fallait-il l’interdire ? ». Signalons à notre philosophe qu’on a toujours le droit d’arborer cet insigne dans la rue, et même d’y manifester en portant un drapeau rouge et en chantant L’Internationale. Avec un peu de bon sens, on pourrait comprendre que ce qui est parfaitement légitime dans la rue ne l’est pas forcément dans une salle de classe. Cependant Spitz poursuit à 12’11’’ :

« Je voudrais ajouter quelque chose, c’est que maintenant la loi est interprétée. C’est-à-dire, c’étaient des signes religieux ostensibles, maintenant ce sont des signes religieux ostentatoires – ce n’est pas tout à fait la même chose – ensuite ce sont des signes religieux par destination. Qu’est-ce qu’un signe religieux par destination ? C’est un signe qu’on interprète comme religieux à partir d’autres comportements de l’élève. C’est une chasse à l’homme, ou plutôt, une chasse à la femme ».

Ici, M. Spitz étale son ignorance juridique. La notion de destination est courante en droit, non seulement en droit civil, comme en témoigne la notion d’« immeuble par destination », mais aussi en droit pénal, comme l’atteste la notion d’ « arme par destination ». Si vous revenez de la quincaillerie avec des fourchettes et des couteaux de cuisine dans votre sac à provisions, vous ne contrevenez à aucune loi ; mais si vous vous rendez à une manifestation avec, dans votre poche, les mêmes couteaux ou les mêmes fourchettes, vous êtes passible du tribunal correctionnel aux termes de l’article 132-75 du code pénal. C’est le contexte et le comportement du sujet qui guident l’interprétation. Rien de nouveau là-dedans, par conséquent, et pas plus de chasse à l’homme que de chasse à la femme de la part des magistrats qui interprètent la loi.

Oui, il est important d’interpréter, comme la suite va le montrer. Pour étayer l’affirmation selon laquelle « on a le droit de manifester ses opinions dans une République », Spitz invoque la loi fondamentale : « Et la Constitution même dit que la République respecte toutes les croyances ». Il est beau de citer l’article 1er de la Constitution, mais il est vain de le faire si on ne prend pas la peine d’expliquer en quel sens la République respecte toutes les croyances3. Dès lors que toutes les croyances sont mises à égalité sous le rapport du respect qui leur est dû, il est clair que ce n’est pas le contenu de ces croyances qui peut faire l’objet de ce respect. La République reconnaît à tous les individus le droit de croire ce qu’ils veulent, même des sottises, et de le dire, mais cela ne signifie pas qu’elle proclame un respect égal dû à la vérité et à l’erreur. C’est la raison pour laquelle le droit de dire des sottises, ou le devoir de respecter celles-ci, n’est pas le même dans la rue et dans l’école. Les élèves ont le droit de croire que la terre est creuse et que le capitaine Dreyfus était coupable, mais les professeurs de physique et d’histoire n’ont ni le devoir de respecter ces croyances dans leur contenu, ni le droit de les professer eux-mêmes. De surcroit, dire que la République respecte toutes les croyances ne nous dit rien de la traduction juridique de ce respect. De ce que certains croient que la femme doit être soumise à l’homme, ou que le voile protège sa pudeur des regards lubriques des mâles, et de ce que la République respecte ces croyances, on pourrait déduire que le voile peut être porté à l’école ? Soit. Mais de ce que certains croient à la théorie du « ruissellement », d’autres à la théorie du « grand remplacement », et de ce que la République respecte ces croyances, puisqu’elle les respecte toutes, quelles conséquences juridiques doit-elle alors en tirer ?

Alain Finkielkraut ayant cité une phrase de Péguy, Spitz en fait le commentaire suivant : « Lorsque Péguy écrit que l’instituteur doit être le représentant de l’humanité, je crois comprendre que l’humanité inclut […] des penseurs religieux. L’islam nous a transmis un certain nombre d’objets culturels très importants, on ne peut pas le nier. Pourquoi exclure ce qui fait partie de la culture humaine ? ». Où M. Spitz a-t-il vu que l’islam était exclu de l’école ? Le réduit-il au port du voile par les femmes ? Ignore-t-il que les programmes d’histoire font toute sa place à la civilisation musulmane ? Ignore-t-il qu’Avicenne et Averroès figurent dans la liste des auteurs au programme de philosophie et que la proscription du voile en classe n’interdit pas davantage leur étude que celle de la Kippa n’empêche l’étude de Maïmonide et de Levinas, ou que celle de la croix chrétienne ne s’oppose à ce que l’on y explique saint Augustin, Pascal et Ricœur ?

La discussion s’engage ensuite sur les causes de la montée en puissance de l’intégrisme islamique. À 27’54’’, Jean-Fabien Spitz intervient : « Le phénomène de la prégnance de ce que vous, vous appelez l’intégrisme islamiste, dont je ne nie absolument pas l’existence, parmi certains milieux musulmans en Europe, pas seulement en France, bien sûr, par exemple a son pendant dans un pays que je connais bien qui est le Brésil où les sectes évangéliques ont gagné une influence extrême parmi les populations des favelas. Ces idéologies extrémistes, parce que là il s’agit d’un intégrisme religieux, peuvent être encore plus dangereuses que l’islamisme, d’une certaine façon ». Spitz nous dit que l’intégrisme évangélique peut être encore plus dangereux que l’islamisme d’une certaine façon, mais il ne nous dit pas de quelle façon. Ces évangélistes ont-ils égorgé des prêtres catholiques en plein office, comme le Père Hamel à Saint-Etienne du Rouvray ? Ont-ils décimé la rédaction d’un hebdomadaire anticlérical ? Se sont-ils livrés à des tueries de masse dans une salle de concert de Copacabana ou au stade Maracanã ? Dans quel État du Brésil font-ils régner une terreur comparable à celle des Talibans en Afghanistan ? Ou à celle de Daech en Syrie ? Ou à celle de Boko Haram au Nigeria ? Quel État du Brésil a connu de leur fait ce que l’Algérie a vécu de 1991 à 2002 ? M. Spitz ne nous le dit pas. Il est regrettable qu’un professeur de philosophie se préoccupe si peu d’administrer la preuve de ce qu’il avance.

Alain Finkielkraut interroge ensuite Jean-Fabien Spitz sur les « lois scélérates » qu’il dénonce dans le livre qu’il vient de publier. Celui-ci lui répond (32’57’’) que ce sont des lois qui restreignent les libertés publiques et il en donne l’exemple suivant :

« On en a un exemple à Poitiers récemment où des associations qui ont à leur programme un enseignement sur la désobéissance civile ont été privées, ou sont menacées d’être privées, de leurs subventions parce qu’elles mettent ceci à leur programme alors que la désobéissance civile fait partie de la charte européenne des droits de l’homme. C’est quelque chose qui est reconnu comme un droit, la désobéissance civile, lorsque qu’on pense qu’une loi est une loi qui est une loi porteuse d’oppression ».

M. Spitz a-t-il pris la peine de lire le texte qu’il cite ? Aucun des 54 articles de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne ne consacre un droit à la désobéissance civile, ni n’en fait la moindre mention. Si M. Spitz interprète de cette manière l’article 10-2 de ladite charte, il étale, une fois encore, son incompétence juridique, et doublement. Cet article dispose en effet que « Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice ». D’une part, il y est question de l’objection de conscience et non de la désobéissance civile, ce qui n’est pas du tout la même chose. Comme en témoigne aussi bien la jurisprudence de la commission européenne des droits de l’homme que celle de la Cour européenne des droits de l’homme, l’objection de conscience concerne essentiellement le refus d’accomplir le service militaire dans les pays où il est obligatoire. Dans des débats récents, elle a également concerné le droit des médecins à refuser de pratiquer l’avortement, mais jamais elle n’a concerné la désobéissance civile au sens où celle-ci serait un droit de désobéir à une loi lorsqu’on pense qu’elle est « porteuse d’oppression ». D’autre part, l’article 10-2 subordonne ce droit au principe de subsidiarité : il n’est reconnu que dans les limites des « lois nationales qui en régissent l’exercice ». Quelle loi française reconnaît un tel droit de désobéir aux citoyens ? M. Spitz ignore également que même un auteur aussi favorable à la désobéissance civile qu’Albert Ogien reconnaît que sa légalisation est impossible, qu’elle ne peut pas « être un droit reconnu »4. Mais supposons un instant que M. Spitz ait raison. Supposons qu’une loi européenne, primant sur les lois françaises, fasse obligation à notre république de subventionner des associations qui préconisent la désobéissance aux lois de la République. Le propre d’une règle de droit, ce qui la distingue par exemple d’une règle morale, c’est d’être coercitive, c’est-à-dire assortie d’une contrainte. C’est donc contrainte et forcée par la loi européenne que la République française devrait assurer la liberté que M. Spitz revendique, celle de désobéir aux lois qui lui paraissent mauvaises. Ne s’exposerait-il pas alors aux sarcasmes d’un philosophe qui lui dirait : « Comment, comment ? J’apprends avec bonheur que le chemin de la liberté passe par la contrainte. J’apprends ça avec bonheur » ?

Jean-Fabien Spitz ayant, tout au long de l’émission, manifesté son hostilité à l’enseignement privé, on aurait pu penser que ce républicain libéral, puisque c’est ainsi qu’il se définit, avait une dent contre le « privé ». Il n’en est rien, comme une dernière séquence permettra de s’en assurer. Iannis Roder s’étonne de ce qu’il ait dit : « Je ne comprends pas que l’on pénalise des médecins qui feraient des certificats de virginité »5. Cela ne revient-il pas à faire de la femme une marchandise qui doit être pure pour être consommée ? Réponse de Spitz : « C’est une affaire privée ! C’est une affaire privée ! ». Et de prendre une comparaison : si une femme n’accepte de m’épouser que si je lui prouve, certificat de fertilité à l’appui, que je pourrai lui faire des enfants, c’est une affaire privée ! C’est une affaire privée !

La fin éclaire le début. C’est le même libéralisme qui fonde le droit des jeunes filles musulmanes d’arborer à l’école un signe de sujétion et celui des hommes de leur réclamer un certificat médical de virginité. On aura compris que pour ne pas être intégriste, le républicanisme ne doit pas seulement être libéral, mais ultralibéral.

Notes

1 – Enregistrement intégral à écouter sur le site de France-Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/repliques-du-samedi-12-novembre-2022-5866040 . Emission à l’occasion de la publication par Iannis Roder de La jeunesse française, l’école et la République (L’Observatoire) et par Jean-Fabien Spitz de La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique (Gallimard).

2Scènes de la vie intellectuelle en France. L’intimidation contre le débat (L’Artilleur, 2016) ; Journal d’un indigné. Magnitude 7 sur l’échelle de Hessel (L’Artilleur, 2019 ; recension sur Mezetulle) et, chez le même éditeur, Postures médiatiques. Chronique de l’imposture ordinaire, 2022. André Perrin a également publié de nombreux articles sur Mezetulle.

3 – Voir sur ce point Catherine Kintzler « Du respect érigé en principe » Mezetulle 16 septembre 2017.

4 – Albert Ogien « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? » Droit et société 2015/3 N°91 p.592

5 – Sur cette question, voir Catherine Kintzler « Cachez cette virginité que je ne saurais voir » Marianne 2 juin 2008 et Mezetulle 8 juin 2008.

19 thoughts on “La laïcité dans tous ses états

  1. Thierry Laisney

    Merci pour cette réaction à une émission que j’ai trouvée très intéressante. Lorsque M. Jean-Fabien Spitz dit que les élèves ne sont pas des fonctionnaires, il n’ignore ni la loi ni ce que vient de dire son interlocuteur ; il se demande seulement s’il est légitime que les élèves soient soumis au même régime que les fonctionnaires. Je ne sais pas si la réponse habituelle est satisfaisante : elle consiste à dire que l’école est un « sanctuaire ».

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    1. André Perrin Auteur de l’article

      Si c’était ce qu’il voulait dire, il l’aurait dit : le temps ne lui manquait pas pour soulever cette question et pour confronter les raisons, évidemment différentes, pour lesquelles les fonctionnaires d’une part, les élèves d’autre part, sont soumis à une même obligation. Mais du début à la fin de l’émission, il a refusé avec obstination de parler du voile à l’école.

      1 – Il commence par une comparaison avec l’Iran. Les femmes doivent être libres de porter le voile en France et de ne pas le porter en Iran. Quel rapport avec l’école ? Les femmes sont libres de porter le voile en France, et elles ne s’en privent pas. Et en Iran, ce n’est pas seulement dans les établissements d’enseignement secondaire que les femmes sont contraintes de porter le voile. D’où la distinction que fait Iannis Roder et la réponse, brutale et arrogante de Spitz, ponctuée d’un Môssieu ! qui témoigne de la volonté d’écrabouiller l’adversaire plutôt que de dialoguer avec lui.

      2 – On lui parle de la circulaire du ministre sur les tenues religieuses à l’école. Il répond qu’Aristide Briand était opposé à l’interdiction de la soutane dans la rue. Quel rapport avec les signes religieux ostentatoires dans l’espace scolaire ?

      3 – Alain Finkielkraut lui parle du Rapport Obin sur les signes religieux à l’école. Il lui répond que dans les années cinquante, on pouvait se promener dans les rues en arborant une faucille et un marteau à la boutonnière. Quel rapport avec les signes religieux ostentatoires dans l’espace scolaire ? Et que d’occasion manquées d’expliquer pourquoi les choses doivent se passer de la même manière, ou différemment, dans l’espace public de la société civile et dans celui de l’école.

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  2. Catherine Kintzler

    Admettons que Jean-Fabien Spitz ait voulu dire qu’il y a une différence entre les obligations stricto sensu d’un agent public et celles qui sont exigées d’un élève de l’école publique durant le temps scolaire. Iannis Roder a répondu sur ce point à un autre moment de l’émission. Il a en effet précisé que les élèves de l’école publique peuvent, à l’intérieur de l’établissement, faire état de leurs opinions (ce qui est interdit aux professeurs et aux autres agents publics pendant l’exercice de leurs fonctions), par exemple dans le cadre de débats. La loi de 2004 n’interdit pas non plus les signes discrets, elle intervient sur ce qui sépare par une assignation ostensible, sur ce qui fait reconnaître immédiatement une appartenance.
    Quant aux motifs qui inspirent et justifient ces obligations, outre les motifs juridiques, ils tiennent à la nature de ce qui se fait à l’école, sur la nature de l’autorité par laquelle on s’instruit et que, dans ce même mouvement, on découvre en soi-même. Cela a été abordé brièvement par I. Roder, mais c’est un sujet qui aurait demandé une émission à lui tout seul !

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  3. Frédéric FLEURY

    Bonjour et merci pour cette réaction.
    Dès les premières lignes de votre texte j’ai entendu une petite musique qui me rappelait quelque chose. Et en effet, après vérification je me suis rendu compte que ce M SPITZ était la même personne que j’avais entendu faire un plaidoyer contre notre République et en particulier contre le principe républicain de laïcité dans un podcast que j’avais écouté quelques jours auparavant « Avec philosophie » sur France Culture, émission du 8 novembre « Qui a inventé la République ? 2/4 ».
    Votre texte confirme donc la très désagréable impression de me faire biaiser que j’avais eue en en l’écoutant.
    Merci

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  4. Ari Sebag

    J’ai pensé pour ma part que l’usage abondant du sophisme par Jean-Fabien Spitz avait pour but de dissimuler son extrême mauvaise foi, celui-ci ramenant systématiquement à l’espace public sans tenir compte des spécificités du texte de loi.
    A vous lire, à cette mauvaise foi s’ajoute l’ignorance pure et simple du sujet (feinte?).
    Merci pour cette fine analyse.

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  5. Claustaire

    Merci à A. Perrin et à Mezetulle de pointer avec diligence et pertinence les grossiers sophismes que J-F Spitz aura déroulés lors de cette émission où l’avait invité A. Finkielkraut.

    Reste que la loi de 2004 doit maintenant affronter de nouvelles transgressions : aussi longtemps que seul le voile (islamique) était le drapeau de l’islamisme, il était facile d’en dénoncer à la fois le prosélytisme religieux et l’inégalité sexiste (quand seules des filles étaient les vecteurs et les victimes de la conquête islamiste). On en voit les limites maintenant que toutes sortes d’accessoires vestimentaires (chemises, robes, pantalons, etc.) voire pileux demain (barbe ?) permettent aux islamistes (et à leurs affidés de tout genre) d’afficher leur prosélytisme, leurs préférences identitaires, communautaires, cultuelles ou idéologiques.

    Peut-on laisser enseignants ou directeurs d’établissements scolaires se perdre dans des casuistiques les exposant à des dilemmes qui les condamnent soit au ridicule (faire raccourcir une robe, et demain une barbe ?) soit à l’autoritarisme “facho” ou “islamophobe” ?

    L’imposition d’un ‘uniforme’ serait-elle une piste ? Genre tablier unisexe en coton biologique ? Suffisamment long pour couvrir les robes les plus longues ? Et nos élèves, entrant à l’école, auraient le sentiment d’entrer au couvent ou dans une caserne ?

    N’est-ce pas plutôt le libéralisme vestimentaire le plus total, voire le plus anarchique qui pourrait nous ouvrir des perspectives, à la fois pittoresques ou libertaires des plus créatrices ? On sait qu’une mode, c’est ce qui se démode. Comment anticiper tous les signes d’identification ou de ralliements les plus divers que les influenceurs, des plus fantasques aux plus totalitaires, pourront proposer à une jeunesse toujours en quête de postures contestatrices ?

    Certes, on rappellera que ce qui nous interpelle ici n’est pas une question de mode juvénile diversement manipulée par des médias ou autres influenceurs en quête d’un marché à conquérir mais d’un prosélytisme idéologique en quête de pouvoir et d’esprits à coloniser. Ce prosélytisme qui cherche à manipuler ou à enrôler les plus faibles, les plus influençables devrait nous être particulièrement odieux et donc à combattre.

    Comment le combattre ? Du moins de quel côté organiser la meilleure résistance (à défaut de la meilleure attaque, puisque nous ne voulons pas être des va-t-en-guerre) ? La meilleure résistance, on le sait en physique, c’est celle qui ne laisse pas du tout passer le courant. En l’occurrence, ce serait l’interdiction totale de tout ce qui, de près ou de loin, du haut jusqu’en bas, à tort ou à raison, pourrait laisser penser à quiconque qu’on serait devant du prosélytisme vestimentaire religieux ou commercial (car il n’y a pas de raison qu’on ferme l’école à la religion et qu’on la laisse ouverte à l’idéologie prônant un consumérisme à la fois individuellement ruineux et écologiquement désastreux).

    Et donc, en milieu scolaire ou éducatif (de la maternelle jusqu’au lycée, des salles de classe aux cours de récréations, des gymnases jusqu’au sorties pédagogiques, bref en tous espaces ou situations où sont censés être éduqués des mineurs) rien de ce qui pourrait être interprété comme un vecteur de propagande idéologique, religieuse ou commerciale ne serait toléré.

    Sauf qu’on peut bien se douter que là où il y a mur, il y aura murmure, que là où l’on voudra endiguer, des infiltrations seront tentées et des tunnels creusés, et qu’à l’interdit le plus strict (dont il sera facile de dénoncer le ridicule ou le ‘fachisme’) la créativité libératrice la plus fantaisiste saura opposer ses provocations et transgressions.

    Le libéralisme idéologique, les “Lumières” au nom desquelles nous avons su postuler des ‘Droits humains’ universels, pourrait-il nous permettre, aujourd’hui, de poser des interdits à l’expression de nos enfants, qui ne seraient donc pas des ‘humains’ dignes du respect de leurs droits (comme on ne manquera pas de nous l’objecter) ?

    Oui. Ces interdits sont à oser, à poser, comme on pose des jalons, comme on propose un cadre. Justement parce que nous savons que nos enfants sont des humains en devenir et qu’au nom même de cet avenir, de ces droits universels dont ils doivent pouvoir jouir à vie, nous devons les protéger de ceux qui, au nom de droits particuliers (familiaux, communautaires ou coutumiers) voire des droits à la frivolité, les engageraient dans des parcours voire des ornières où leur développement ne pourrait qu’être entravé.

    Malgré cette légitime logique, reste néanmoins fort à craindre que si l’on voulait interdire tout ce qui, de près ou de loin, pourrait valoir affichage de convictions religieuses ou d’idéologies politiques quelconques, voire d’adhésion à des clans, tribus (via des exhibitions liées à des marques commerciales) ou gangs (via des tatouages), nous n’arriverions jamais à envisager tout ce qui pourrait être inventé pour provoquer le système, le ridiculiser ou le faire passer pour ‘facho’, totalitaire ou ‘diversophobe’.

    Et, tout en applaudissant à la dénonciation des sophismes que, sur ce sujet, certains osent nous jeter à la figure, je constate que je n’ai, pour ma part, toujours pas de réponse tout à fait satisfaisante aux questions qui me travaillent.

    Avec mes respects.

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    1. André Perrin Auteur de l’article

      En effet la philosophie des Lumières, toute libérale qu’elle est, n’a jamais considéré qu’il était interdit d’interdire, en particulier dans le domaine de l’éducation. Il n’est que de lire Kant : pour conduire l’enfant de la nature à la liberté, il faut passer par la « discipline » qui, si elle n’est que le moment négatif de l’éducation, n’en constitue pas moins une étape indispensable.

      C’est pour des raisons analogues qu’il convient de proscrire le port de signes religieux ou politiques. C’est pour d’autres raisons qu’il convient de proscrire les tenues indécentes ou qu’il conviendrait de proscrire les marques commerciales, voire les signes extérieurs de richesse. L’imposition d’un uniforme serait, à cet égard, une piste intéressante. Cela existe dans un certain nombre de pays, pas seulement dans des pays asiatiques, pas seulement dans des régimes autoritaires : en Grande Bretagne et en Irlande, par exemple.

      Bien évidemment, tout interdit suscite la transgression de l’interdit. Cela ne vaut pas que pour les signes religieux à l’école. Quand on promulgue des lois pour lutter contre la contrebande ou la fraude fiscale, on stimule inévitablement l’imagination et la créativité des fraudeurs et des contrebandiers qui s’ingénieront à inventer mille manières de contourner la loi. Si c’était une raison suffisante pour renoncer à légiférer, nos députés pourraient partir pour de très longues vacances.

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      1. Claustaire

        Merci de convenir que tout interdit risque de susciter la transgression de l’interdit, ce qui ne doit pas empêcher d’en poser. Et donc de rappeler que toute évolution (et éventuellement transgression) sociale doit pouvoir susciter légifération supplémentaire.

        Encore faut-il être capable de dire, nommer, décrire précisément ce qui est interdit. Or, vu la créativité transgressive des uns et la casuistique à imaginer pour y répondre, on imagine la ‘course à l’échalote’ à laquelle le législateur pourrait être contraint.

        Sur la même (complexe) problématique, un article (donnant aussi à réfléchir) paru sur le site Telos :

        https://www.telos-eu.com/fr/le-ministre-lecole-et-les-abayas.html

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        1. André Perrin Auteur de l’article

          Oui, la difficulté est grande pour le législateur. Cependant les pistes suggérées par Olivier Galland (que l’école reste fidèle à sa mission traditionnelle tout en s’ouvrant aux multiples sollicitations de la société extérieure, qu’elle devienne plus locale tout en restant nationale) ne sont sans doute pas moins acrobatiques.

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          1. Claustaire

            Sans doute faudrait-il que le législateur soit alors assez cohérent (dans son souci de libérer l’école laïque du prosélytisme religieux) et audacieux pour affirmer que sera formellement interdit « tout ce qui, formellement ou par allusion, pourrait manifester quelque soumission à de l’endoctrinement religieux ou à sa promotion ».

            Evidemment, la même cohérence supposerait que ce même législateur interdise les écoles privées confessionnelles où ces mêmes enfants et futurs citoyens d’une commune république seraient livrés aux endoctrinements financés éventuellement de l’étranger.

  6. Binh

    Excellente analyse. Ce philosophe Spitz est à la pointe (!) du sommet d’un 2ème monde totalement abstrait où les réalités du 1er monde sont volontairement ignorées. Il me fait penser à cet universitaire (un homme…) qui considérait, dans une émission de Bernard Pivot (années 90) que le débat sur le voile était un débat purement esthétique (sous entendu : inutile. Comme si le choix du Beau ne méritait pas le respect ). Depuis, on a vu ce qu’il y avait derrière cette « simple » considération esthétique: Twin Towers de New York, Charlie Hebdo, Bataclan, Etat Islamique, Samuel Paty, etc. De ce 2ème monde, il ne voit pas ce qu’il s’y joue, à l’école par exemple. Peut-être comprendra t-il un jour, s’il en est victime, qu’en faisant la promotion de la « Désobéissance Civile », il encourage les fanatiques de tout poil (dont les religieux. Mais pas seulement) à faire ce qu’ils veulent de la démocratie (et de ses lois votées à la majorité des élus) et à sortir finalement du 2ème pour aller escalader la pointe du 1er.

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  7. Braize

    Merci à tous pour ces réflexions qui nous montrent malgré les hésitations possibles que le bon (curé) Lacordaire avait raison : « c’est la loi qui libère et c’est la liberté qui asservit ! « .
    Alors plus d’hésitation, notre loi sur les signes religieux à l’école est belle et bonne. Défendons là et au besoin, renforçons la !
    Les affidés de ce nouveau totalitarisme et leurs alliés objectifs, niais ou pervers, doivent être combattus résolument avec nos armes celles de la démocratie qui est d’abord faite de la loi commune. Et si cette dernière ne convient pas à quelques uns ou quelques unes eh bien je dirai « on ne retient personne ! ». On n’entre pas en république comme dans un supermarché pour picorer dans ses rayons…

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  8. Binh

    Exemples divers et variés de la promotion de la désobéissance civile, que l’on ne souhaite pas voir appliqués au philosophe Spitz:

    1) La pédopsychiatre Caroline Eliacheff censurée par des activistes à Lille.
    https://www.marianne.net/societe/sciences-et-bioethique/transidentite-la-pedopsychiatre-caroline-eliacheff-accueillie-dans-un-festival-sous-surveillance-policiere

    2) Guide du parfait squatteur (version 2019), encore disponible en PDF (je l’ai récupéré….), sur internet. Commentaire de:
    https://www.midilibre.fr/2022/11/19/squatteurs-cet-etrange-guide-disponible-qui-donne-des-conseils-pour-occuper-illegalement-un-logement-10813644.php

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  9. florence costa chopineau

    Je viens enfin d’écouter l’émission sur la laïcité et ne pensais pas publier mes commentaires, ce que je fais finalement et je dois ajouter que je n’ai pas lu tout ce qui précède avant d’écrire ce qui suit.
    Je rajoute que je désirais vivement écouter l’émission que je n’ai pu écouter le jour même car enseignant en lycée, de centre-ville, donc normalement pas trop impacté par des problèmes de voile et de tenue islamique, j’ai été confrontée en classe de terminale dominante scientifique l’an dernier à ce problème. :
    Ce qui me frappe, c’est le ton de M. Spitz, véhément et on dirait qu’il a des préjugés sur ce que pensent ses interlocuteurs. On dirait aussi qu’il fait semblant de ne pas comprendre puisqu’il ramène tout à l’espace public en ne prenant pas en compte la spécificité de l’école.
    Mais j’ai été bien aise de savoir que Mme Duru bellat avait changé son fusil d’épaule !! en effet, après un article dans le « nouvel observateur » de cette dame qui prônait les classes hétérogènes, je lui avais écrit ‘ en 1999 ou 2000. . Je voulais savoir d’où elle tirait ses affirmations sur leur rôle positif, donc les articles de recherche sur lesquelles elle s’appuyait. Elle m’avait répondu en ne me citant qu’une seule étude, la sienne (revue française de sociologie p 759 vol XXXVIII1997 p 759-789) , sur les classes de collèges . L’étude portait sur des classes où les élèves faisant allemand étaient mélangés aux autres : c’était à l’époque où les élèves faisant allemand étaient dans des classes homogènes et où le choix de l’allemand première langue était un critère pour être dans de « bonnes » classes Lorsque je l’ai lue, j’ai vu que le niveau des élèves était meilleur en classe homogène, donc qu’ils y perdaient un peu en étant mélangés ! alors que son article du « nouvel observateur », ne le mentionnait pas….. Je constate donc qu’elle reconnait les faits, d’après ce qui est dit dans l’émission !!

    Pour terminer, je voudrais préciser que mon élève se présentait avec un voile et une tenue avec manches longues, robe longue, sur un pantalon, et ce dans l’enceinte du lycée. Elle a aussi refusé de se plier un travail pratique en S.V.T pour lequel il fallait coller des électrodes sur le mollet, donc pour lequel il fallait relever un peu son pantalon. La C.P.E et moi avions fait remonter cela au proviseur qui ne se s’est vraiment pas saisi du problème.
    Ayant lu en juin le dernier livre de J.P Obin, j’ai appris l’existence du site permettant de déclarer les atteintes à la laïcité. Je n’ai pu envoyer ma demande car visiblement après plusieurs essais infructueux, le site a des problèmes de fonctionnement. J’ai donc écrit et envoyé un courriel à M. J.P Obin pour lui faire part du dysfonctionnement du site en demandant si ce dysfonctionnement n’était pas intentionnel… Il a répondu à mon courriel et m’a dit transmettre mon résumé sur ce qui s’était passé à M. Alain seksig.
    Bref, il me semble que l’on n’arrivera pas à régler le problème si les attentes à la laïcité ne sont pas comptabilisées…

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  10. Binh

    Merci à florence costa chopineau pour son témoignage. Sa conclusion est juste et claire:
    « l’on n’arrivera pas à régler le problème si les attentes à la laïcité ne sont pas comptabilisées… » et déclarées publiquement à l’opinion. Trop de gens croient que ces histoires sont exceptionnelles et minoritaires: ce qui est un argument irresponsable. D’abord parce que les minorités savent imposer leur avis et leurs lois (les SA de Hitler, les Khmers Rouges de Pol Pot, les Zadistes de Notre Dame des Landes, etc), mais SURTOUT par ce que ce phénomène s’étend et sait trouver ses bons avocats.

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  11. Binh

    1) Dernière illustration des propos de « florence costa chopineau »: le Coran obligatoire dans un bus ! Comme dans l’Algérie terrorisée des années 90….
    https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/si-tes-pas-content-tu-descends-un-chauffeur-de-bus-force-ses-passagers-a-ecouter-des-versets-du-coran

    2) Quant à la désobéissance civique, elle est prônée par des intellectuels comme ce scientifique qui s’en vante sur l’Obs du 20 novembre:
    https://www.nouvelobs.com/ecologie/20221120.OBS66146/scientifiques-en-rebellion-la-desobeissance-civile-c-est-la-continuite-des-cours-que-je-donne.html
    Si les élites françaises valident l’irrespect les lois de la République au nom de toute dite « noble cause », il est logique que tous les fous de n’importe quel Dieu s’autorisent la même chose.

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  12. Renaud DOGAT

    Bonjour,
    Je suis un peu étonné par ce procès à sens unique fait à Jean-Fabien Spitz à partir d’une émission où il devait donner la « réplique » à 2 interlocuteurs à la fois, avec donc 2 à peu près fois moins de temps de parole pour exposer son point de vue (comment souvent chez Finkielkraut, qui est loin d’être neutre). Il est normal de discuter son argumentation, de la contester (bien qu’elle me soit apparue de bien meilleure qualité dans l’ensemble que celle de ses deux contradicteurs), voire de lui reprocher son « ton » si on veut, mais cette critique unilatérale et uniquement à charge, ne lui attribuant que sophismes et mauvaise foi, me semble elle-même malhonnête et de mauvaise foi.

    Il est parfaitement légitime, pour résumer le sujet de la controverse, d’estimer que l’interdiction du voile au nom de la laïcité à l’école est contre-productive, et qu’il est hypocrite de la part de la République d’interdire le voile (ou d’autres signes religieux) aux écoliers-collègiens-lycéens de l’enseignement public, mais de ne pas l’interdire dans les établissement confessionnels ou à l’université : ce point n’a pas été réellement discuté il me semble dans l’émission, or c’est le l’argument essentiel de JF Spitz. Qu’on le veuille ou non, il y a bel et bien au minimum une tension entre les droits individuels et des interdits de ce genre, surtout s’ils ne s’appliquent pas partout et à tous de la même façon : ne pas le reconnaître en faisant comme si aucun débat ne méritait d’avoir lieu, et comme si ceux qui trouvent excessive et incohérente cette interprétation de la laïcité à l’école déraisonnaient complètement relève de l’aveuglement ou de la mauvaise foi à mon avis.

    M. Perrin doit connaître la distinction philosophique élémentaire entre obligation et contrainte, or, selon les grands auteurs qu’il cite lui-même, la liberté n’est pas essentiellement le produit de la contrainte (qui en est bien la négation, comme le dit très justement M. Spitz) mais de l’obligation : on ne libère pas en exerçant une contrainte en soi (qui n’est qu’un rapport de force) mais en définissant des obligations fondées et acceptables, la contrainte ne pouvant être libératrice que si elle fait respecter une obligation légitime. Tant que les règles ne sont pas légitimes, elles ne sont que des contraintes, et il est illusoire (et contre-productif) de croire libérer les individus par ce moyen : ceux que l’on croit libérer se sentent à juste titre contraints, on se les aliène et on les pousse encore davantage vers l’aliénation au lieu de les libérer.

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    1. André Perrin Auteur de l’article

      Si un « procès à sens unique », si une « critique unilatérale et uniquement à charge » sont choses blâmables, pourquoi Jean-Fabien Spitz n’a-t-il pas encouru ce blâme sous votre plume ? Aurait-il, lui, instruit à charge et à décharge le procès intenté à l’« intégrisme républicain » et à la République « hypocrite », procès que vous reprenez à votre compte dans un commentaire dont le « multilatéralisme » m’a échappé ? Il est curieux que vous exigiez de moi ce que vous n’exigez ni de vous-même, ni de ceux dont vous partagez les opinions.

      L’argument essentiel de J-F. Spitz serait qu’ « il est hypocrite d’interdire le voile (ou d’autres signes religieux) aux écoliers-collégiens-lycéens de l’enseignement public, mais de ne pas l’interdire dans les établissements confessionnels ou à l’université ». Dans quel passage de l’émission, à quel moment, a-t-il formulé cet argument ? Je me suis pour ma part astreint à citer précisément les propos de M. Spitz et à indiquer à quel moment précis de l’émission (minutes et secondes) il les avait tenus, ceci afin que les lecteurs puissent vérifier par eux-mêmes qu’il les avait bien tenus et que je ne les avais pas déformés. Vous n’avez pas eu le même scrupule, ce qui m’a contraint à réécouter intégralement l’émission pour y retrouver ce passage qui m’avait échappé. Il m’échappe toujours. Les lecteurs de Mezetulle qui auront la patience de se livrer à ce travail de ré-écoute pourront constater, comme moi, qu’à aucun moment Spitz n’a parlé du port du voile dans les établissements confessionnels ou à l’université. À aucun moment il n’a utilisé l’argument dont vous prétendez que c’était son « argument essentiel ».

      S’il l’avait utilisé, on lui aurait probablement répondu que si l’on interdit dans l’enseignement primaire et secondaire ce qui est autorisé dans l’enseignement supérieur, c’est parce que les étudiants ne sont pas des élèves : ceux-là sont presque tous majeurs, adultes et citoyens. Leur esprit critique est supposé déjà formé et leur liberté constituée. La liberté de ceux-ci, presque tous mineurs et par ailleurs soumis à l’obligation scolaire, est en voie de constitution. Il est important que cette liberté puisse s’instituer dans un espace où ils soient soustraits aux pressions et aux passions de la société extérieure. S’agissant des établissements confessionnels, ceux qui sont sous contrat d’association avec l’État, les seuls concernés évidemment, ne relèvent de l’autorité de celui-ci que partiellement. L’État assure la rémunération des professeurs contractuels, qui ne sont pas des fonctionnaires, mais qui, en contrepartie, sont évalués et contrôlés par les mêmes inspecteurs que leurs collègues du public et soumis aux mêmes règles dans le traitement des programmes. Le reste des activités de l’enseignement privé, éducatives et confessionnelles, ne sont pas financés par l’État et ne relèvent donc pas de son autorité.

      La distinction de l’obligation et de la contrainte relève de la morale et non du droit. J’ai l’obligation de respecter la loi morale et nul ne peut m’y contraindre. Si je viole la loi morale, la seule sanction que j’encours, immanente, est le remords. J’ai aussi l’obligation de respecter la loi juridique, du moins si je suis un bon citoyen, mais si je la viole, je m’expose à de tout autres sanctions et la puissance publique dispose des moyens de me faire respecter la loi. C’est que le propre de la règle de droit, comme je l’ai rappelé dans mon article, est d’être assortie de contrainte. L’« obligation scolaire », en dépit du mot obligation, n’est pas une obligation morale : les parents qui refusent de faire instruire leur enfant s’exposent à des mesures coercitives. De même la loi m’oblige à payer mes impôts ou à verser une pension alimentaire. Si je m’y refuse, une saisie-arrêt sur salaire m’y contraindra.

      Or dans la discussion qui nous occupe, il ne s’agit évidemment pas de la loi morale ni de l’obligation morale. Seul un État totalitaire pourrait prétendre faire à qui que ce soit un devoir moral de ne pas porter un voile ou une kippa. Il s’agit ici de la loi juridique et de ses rapports avec la liberté. C’est pourquoi j’avais pris l’exemple des lois interdisant le travail des enfants. Un chef d’entreprise n’a pas seulement l’obligation de ne pas faire travailler les enfants : s’il avait la velléité de le faire, l’État le contraindrait à y renoncer. Et grâce à cette contrainte, les enfants jouissent de la liberté de s’instruire et de se libérer par l’instruction. Oui, le chemin de la liberté passe bien par la contrainte.

      Aucun des grands auteurs que j’ai cités ne confond la morale et le droit. Aucun d’entre eux n’ignore que la contrainte de la loi est la condition de la liberté. Tous les lecteurs de Rousseau, en tout cas tous ceux qui ont lu Du contrat social au moins jusqu’au chapitre 7 du livre I savent que, selon cet auteur, « quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre ». Oui, pour Rousseau, le chemin de la liberté passe par la contrainte.

      Un mot pour terminer. Vous m’accusez de me livrer à une critique « malhonnête et de mauvaise foi ». J’ai choisi d’ignorer ces épithètes malsonnantes et de n’y répondre qu’en opposant à vos propos des faits et des raisons. Il est possible que cela ne vous satisfasse pas et que vous ne conceviez la discussion que sous la forme d’un échange d’invectives. En ce cas, je vous invite à trouver à l’avenir des interlocuteurs avec lesquels vous pourrez débattre à ce niveau.

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  13. Binh

    Juste une petite réaction au commentaire de notre camarade Renaud DOGAT.
    1) Sur la forme de l’émission Répliques. Je ne suis pas du tout convaincu que le calcul méticuleux (méticuleux = strictement égalitaire) du temps de parole accordé aux uns et aux autres (dans un débat) soit la preuve absolue du bien fondé des arguments développés par chacun des intervenants. il suffit de voir ce qui se passe lors des débats télévisés pour certaines élections: une personne peut la dire mille fois la même chose, chaque fois qu’elle intervient. Une fois aurait suffi. Je caricature un peu, mais ce n’est pas la puissance de feu (nombre des locuteurs, hauteur de la voix, temps de parole calculé à la seconde) qui va être déterminant dans la crédibilité d’un débatteur. Heureusement …
    2) Sur le fond: libertés et interdits. Il n’est pas nécessaire de convoquer les philosophes pour comprendre certaines relations entre la liberté et la contrainte. Sans contrainte sur la route (Code, radars, lignes, etc), nous n’aurions aucune liberté de circuler : la route appartiendrait aux plus forts. Sans l’obligation de porter le masque, nous n’aurions pas eu la liberté de sortir du confinement. Sans l’interdiction du viol, les femmes n’oseraient plus sortir dans certains quartiers et certaines heures. Sans les contraintes sur le marché économique, il n’y aurait que des monopoles. Sans contrainte sur les entreprises, il n’y aurait pas de liberté syndicale. Et sans contrainte sur le droit de manifester, les milices aboliraient notre liberté de circulation. Bref. Pour cette histoire de voile « islamiste » (« islamiste », car toutes les musulmanes ne portent pas le voile), il suffit de vivre dans certains quartiers pour bien comprendre l’articulation entre liberté et contrainte, sur ce vêtement religieux: quand un enfant (et une fille, plus spécialement) circule dans un quartier où toutes les femmes portent le voile, les enfants (et les adultes aussi, d’ailleurs) qui voient ça, comprennent tout de suite ce qu’il faut faire pour être tranquille.(pour les petites filles: le porter. Pour les garçons: le faire porter aux filles). La prétendue « liberté » du voile, dans un contexte donné certes, c’est aussi la contrainte de le porter. Et comme on ne peut pas faire de loi nationale selon les quartiers, on fait des lois nationales qui seront minimales pour protéger les citoyens, et les citoyennes plus particulièrement. Autre exemple: le non respect de la contrainte pesant sur les bistrotiers d’accepter tous les clients quelle que soit leur genre débouche sur une atteinte à la liberté des femmes d’entrer dans un bistrot pour consommer. Le racisme ou le sexisme se combat avec de la contrainte pour que les citoyens soient libres de vivre libérés de leur détermination sexuelle ou épidermique.

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