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Les bons sentiments et les saintes-nitouches armées d’un coutelas

Intervention à la soirée du 16 octobre « Réparer la République »

Le 16 octobre 2023, j’ai participé à Paris à une soirée organisée par le Collectif laïque national à l’invitation du Grand Orient de France1. Intitulée « Réparer la République », elle était un hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, deux professeurs tombés sous les coups d’un terroriste islamiste. On trouvera ci-dessous le texte de mon intervention, à laquelle j’ai ajouté, pour la version écrite, les intertitres et les notes.

La dictature du « ressenti »

Début octobre 2020, en classe de 4e, Samuel Paty fait cours sur la liberté d’expression. Il utilise un dessin de Coco paru dans Charlie Hebdo en septembre 2012, dessin relatif à un film et qui fait l’objet d’une fiche pédagogique référencée sur le réseau Canopé du MEN2.

Samuel Paty est alors accusé d’avoir traité les élèves musulmans de manière discriminatoire en les excluant d’une classe sur critère religieux, parce que musulmans. C’est faux, ce qui est confirmé par des élèves présents. Mais une élève qui était absente a choisi, elle, de rester dans la classe où elle n’était pas pour entendre le professeur dire « les musulmans vous pouvez sortir ». Et d’ajouter « On a tous été choqués »3.

Dès lors la machine accusatoire est enclenchée, maniée par des virtuoses de l’art d’être choqué. Le père de l’élève et son « accompagnateur »4 s’emparent de cette parole mensongère et la développent : il faut « virer ce professeur ». L’administration de son côté – on le sait notamment par le rapport de l’IGESR5 du 3 décembre – adopte la thèse de la menteuse sur un point non négligeable (S. Paty « a froissé les élèves »), ce qui revient, en l’occurrence et de la part de la parole publique, à restaurer le délit de blasphème. Elle s’étonne de la résistance du professeur à « reconnaître une erreur ». Peu importe que cela soit démenti par le témoignage des élèves présents, ce qui compte est l’offense ressentie.

Le 16 octobre, Samuel Paty est décapité par le fils d’un Tchétchène réfugié dans l’« État français islamophobe ». Abdullah Anzorov a été renseigné par quelques élèves.

Les professeurs n’ont qu’à bien se tenir. Cibles idéales offertes au « ressenti » des élèves et des parents érigés en censeurs par un dispositif mis en place depuis des décennies, il n’est déjà pas très bon qu’ils veuillent instruire sans négocier, sans s’agenouiller devant ce qu’on appelle « le bruit pédagogique ». L’exercice se révèle extrêmement dangereux quand l’objet de cette instruction est, comme le prescrit pourtant le programme d’EMC (Enseignement moral et civique), la liberté d’expression, notamment de la presse. Ce que notait, non sans un humour qui nous navre a posteriori, un mél de S. Paty : « Je travaillerai l’année prochaine sur la liberté de circulation ou, peut-être, sur la censure d’Internet en Chine ».

Les croyances ont-elles des droits ?

Et puis ces petits profs ont besoin de conseils, de leçons prodiguées cette fois par un professeur du Collège de France, François Héran, qui dans plusieurs interventions publiques prit la peine de leur expliquer que la liberté d’expression est abusive quand elle empiète sur « la liberté de croyance », et qu’il convient de la modérer pour n’offenser aucune sensibilité6.

Il faudrait donc se donner pour règle le respect de ce que les uns et les autres croient ? Et ainsi non seulement on frappera d’interdit tout ce qui contrarie ou même blesse une croyance quelconque, mais on finira par considérer comme comme admissible que « la simple projection d’un dessin puisse entraîner une décapitation »7. D’où ces déclarations odieuses « Je condamne, mais… ».

Or, comme le montre Gwénaële Calvès, il n’existe pas, en France, de droit au respect des croyances religieuses opposable, par exemple, à des dessins de presse ou à d’autres formes d’expression8. Seules les personnes ont droit au respect. Tel pourrait être l’objet d’une séquence d’enseignement sur la liberté d’expression, illustrée notamment par un dessin de presse et son contexte.

Il faut rappeler que la liberté d’expression, encadrée par un droit qu’il faut justement appeler commun, vaut pour tous, en tous sens. Sa pratique n’a pas la gentillesse pour norme, mais la loi. Oui, on peut afficher une opinion politico-religieuse ultra-réactionnaire dans la société civile, on a le droit de dire que l’incroyance est une abomination. Mais cela vaut réciproquement : c’est en vertu du même droit qu’on peut exprimer la mauvaise opinion et même la détestation qu’on a de tout cela ; c’est en vertu du même droit qu’on peut caricaturer irrévérencieusement telle ou telle religion. Oui c’est difficile à supporter, mais la civilité républicaine, en tolérant qu’on s’en prenne aux doctrines et jamais aux personnes, a ici une leçon de bonnes manières à donner aux saintes-nitouches armées d’un coutelas. « Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévots ? »9

La voie de l’ignominie toujours ouverte

Ce n’est pas fini. Dans un lycée d’Arras, ce 13 octobre 2023, un terroriste islamiste dont la famille, elle aussi, avait trouvé refuge dans « l’État français islamophobe », a massacré un professeur, Dominique Bernard, et blessé trois autres membres du personnel, dont l’un grièvement. La date, la similitude des faits laissent penser qu’il s’agit d’une réplique délibérée de l’assassinat de Samuel Paty. Du reste, un détestable néologisme circulant chez certains élèves – « je vais lui faire une Samuel Paty » -, a érigé cet assassinat en modèle. Ajoutons que l’ancien chef du Hamas Khaled Meshaal a appelé les musulmans du monde à un « jour de djihad » ce vendredi 13 octobre10. Mais l’État islamique n’avait-il pas, déjà en 2015, appelé à tuer des professeurs en France ?11

Les tombereaux de fleurs et autres minutes de silence qui recouvrent ces massacres ne parviennent plus à dissimuler le poids du contexte institutionnel, ni à masquer l’impuissance publique et les années de déni. Il est vrai que les ouvriers de la onzième heure qui s’empressent de verser des larmes de crocodile donnent des signes de fébrilité : la culpabilité semble changer de sens.

Mais Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel, a raison de dire que « nous ne sommes pas dans l’après Samuel Paty, mais dans le pendant »12. Certains encouragements officiels à persévérer dans la voie de l’ignominie n’ont pas pour autant disparu – ce que je vais tenter d’illustrer à présent par un tout petit détail.

Un gros « trou dans la raquette » dans le programme d’enseignement moral et civique

Je remonterai pour cela à l’émission Répliques (France Culture) du 24 avril 2021. Elle a opposé François Héran à Souâd Ayada (alors présidente du Conseil supérieur des programmes) au sujet de l’enseignement de la liberté d’expression. À un moment, F. Héran a avancé que, le « respect des convictions religieuses d’autrui » figurant dans le programme d’enseignement moral et civique (EMC), on pouvait récuser légitimement le fait de recourir en classe à certaines caricatures.

Je suis allée voir. En effet, dans le programme d’Enseignement moral et civique de l’école et du collège, le respect des convictions est présenté au début du texte comme constitutif du respect d’autrui – première finalité de l’EMC :

« Respecter autrui, c’est respecter sa liberté, le considérer comme égal à soi en dignité, développer avec lui des relations de fraternité. C’est aussi respecter ses convictions philosophiques et religieuses, ce que permet la laïcité. »13

Il y a là un gros « trou dans la raquette ».

1° Campée sur cette déclaration réglementaire, toute « conviction » peut exiger le « respect » au seul motif qu’elle existe. Toute démarche critique à l’égard d’une conviction est d’emblée disqualifiée, ce qui est à la fois contraire au droit et à un enseignement émancipateur.

2° Soumis à une telle directive, comment un professeur peut-il éclairer la notion de blasphème et sa non-pertinence en droit républicain ? Comment peut-il éclairer le concept de liberté d’expression ? Comment un Samuel Paty, comment un Dominique Bernard peuvent-ils enseigner ? Ou alors il faut s’en tenir à des notions bisounours erronées et vagues, en berçant les élèves avec ce qu’ils croient savoir (« il faut être gentil avec toutes les convictions »). Et on s’étonne que les élèves s’ennuient et que le niveau baisse ; on s’étonne aussi que les professeurs pratiquent l’évitement et l’autocensure. Mais cette phrase du programme officiel est elle-même une injonction à l’autocensure !

3° Le professeur est confronté à des injonctions contradictoires. Lui faut-il enseigner le respect des convictions (notamment religieuses) ou bien d’autres points du programme et les autres programmes d’enseignement qui lui demandent d’expliquer et de transmettre un savoir, y compris lorsque celui-ci va à l’encontre de convictions présentes chez des élèves ? Les savoirs libres et substantiels doivent-ils s’effacer devant la revendication abstraite et nombriliste de « la liberté de ne pas être froissé »?

4° Cette phrase pleine de bons sentiments est contraire à l’idée même d’instruction en ce qu’elle place la croyance au-dessus du savoir. De plus elle introduit le présupposé de l’indissociabilité de la conviction et de la personne qui s’en prévaut. Ce qui est une absurdité philosophique et juridique. Se défaire d’une conviction ou en changer, ce n’est pas pour autant se dissoudre ou devenir une autre personne.

Cette si gentille phrase ne peut pas être lue de manière anodine. Incompatible avec le droit républicain, elle repose sur une absurdité contraire aux concepts de liberté et d’émancipation, elle est un obstacle à l’acte même d’enseigner et à celui de s’instruire. Elle n’a pas sa place dans un programme d’enseignement établi par une république laïque. L’y maintenir c’est excuser d’avance les saintes-nitouches armées d’un coutelas qui s’érigent en défenseurs d’une foi. Il faut la supprimer.

Oui, c’est un détail. Mais il est significatif de l’esprit de bien des textes officiels. Plus largement il révèle une mentalité, un défaitisme décervelant répandu par le « bisounoursisme » ambiant, il révèle un acquiescement anticipé aux propos culpabilisateurs tenus par des dévots sanguinaires, par leurs soutiens clientélistes et par leurs idiots utiles. Il faut combattre cette mentalité ; il est grand temps de consentir à voir que « contre nous de la tyrannie l’étendard sanglant est levé ».

[Vidéo sur la chaîne Youtube du GODF  https://www.youtube.com/watch?v=gXkmQ-9rZOE à 6’07 minutes du début de la vidéo.]

Notes

1 – Intervenants : Alain Seksig, Eddy Khaldi, Benoît Kermoal, Damien Boussard, Sophia Aram, Yaël Goosz, Hadrien Brachet. En présence de Guillaume Trichard Grand Maître du GODF. Voir l’affiche https://www.mezetulle.fr/wp-content/uploads/2023/10/Affiche-GODF-16-10-2023-Reparer-la-Republique.jpg

3 – Je m’inspire ici du livre de David di Nota J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty, Paris, Cherche-Midi, 2021.

4 – Abdelhakim Sefrioui le leader en France du collectif Cheikh Yassine fondateur du Hamas.

5 – Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, « Enquête sur les événements survenus au collègue du Bois d’Aulne (Conflans Sainte-Honorine) », octobre 2020, publié le 3 décembre 2020.

6 – Voir par exemple sur le site La vie des idées sa « Lettre aux professeurs d’histoire-géographie » du 30 octobre 2020 https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geo-Heran , où sont habilement confondus les opinions (croyances, incroyances, etc.) et les personnes, et qui érige en principes, sans aucun critère, les notions d’offenseur et de « minorité offensée ». Sur le caractère prétendument tardif en droit français du concept de « liberté d’expression » et sur la référence non-pertinente à un passage de la Constitution de 1958, voir la critique détaillée de Gwénaële Calvès, professeur de droit public : https://www.mezetulle.fr/vous-enseignez-la-liberte-dexpression%e2%80%89-necoutez-pas-francois-heran%e2%80%89-par-gwenaele-calves/ . On lira aussi l’analyse de Véronique Taquin « Liberté de croyance et liberté d’expression selon François Héran ».

7 – Henri Pena-Ruiz « Lettre ouverte à mon ami Régis Debray », Marianne, 21 décembre 2020 https://www.marianne.net/agora/henri-pena-ruiz-lettre-ouverte-a-mon-ami-regis-debray

8 – Voir référence à la note 6.

9 – Boileau, Le Lutrin , I .

13 – Souligné par moi. Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 26 juillet 2018, 2e alinéa du premier item https://cache.media.education.gouv.fr/file/30/73/4/ensel170_annexe_985734.pdf . Repris dans le BO du 30 juillet 2020. Les réflexions qui suivent reprennent en partie un article que j’ai publié sur ce site en janvier 2022 « Doit-on enseigner le ‘respect des convictions d’autrui ?' » https://www.mezetulle.fr/doit-on-enseigner-le-respect-des-convictions-philosophiques-et-religieuses-dautrui/

« Le terrorisme islamiste a de nouveau frappé l’école de la République » (communiqué de l’APPEP)

Je reproduis ci-dessous le communiqué publié le 14 octobre par l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public à la suite de l’attentat terroriste dans un lycée d’Arras. J’y souscris entièrement.

« L’attentat terroriste d’Arras.

« Alors que les professeurs s’apprêtent à commémorer le 16 octobre le troisième anniversaire de la mort de leur collègue Samuel Paty, le terrorisme islamiste a de nouveau frappé l’École de la République.

« Un professeur de lettres, Dominique Bernard, a été tué à l’arme blanche sur le perron de la cité scolaire Gambetta-Carnot à Arras par un ancien élève de l’établissement qui a également blessé trois autres membres du personnel éducatif, dont un grièvement [1].

« L’Appep tient à exprimer sa solidarité à la famille et aux proches de Dominique Bernard, à ses trois collègues blessés, à l’ensemble des personnels ainsi qu’aux élèves de l’établissement.

« Elle partage la sidération et l’inquiétude légitimes des professeurs. Ce nouvel attentat confirme en effet que l’École publique est une des principales cibles du fanatisme islamiste.

« L’Appep redoute le climat de peur qui risque de s’installer dans les établissements. Comment les élèves peuvent-ils s’instruire lorsque la menace de nouvelles violences plane ? Comment les professeurs peuvent-ils exercer sereinement leur métier quand ils savent qu’ils peuvent être des cibles ?

« L’Appep encourage les professeurs à ne céder ni à la terreur ni à l’auto-censure, et à ne pas s’isoler de leurs collègues. Elle les appelle à poursuivre leur travail de transmission des savoirs et de construction du jugement critique. Elle rappelle à quel point celui-ci est décisif pour lutter contre l’obscurantisme et le fanatisme.

« L’Appep attend du ministère qu’il protège et soutienne les professeurs dans l’exercice de ces missions.

[1] En l’état actuel de nos informations. »

Lire le communiqué sur le site de l’APPEP.

Abaya : le fonctionnement de la laïcité scolaire

L’interdiction du port de l’abaya à l’école publique par le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal rappelle l' »affaire de Creil » (1989) et le débat au moment du vote de la loi du 15 mars 2004. Apparente similitude qui s’inscrit dans un dispositif politique totalement inverse de ceux qu’on a connus antérieurement. On saisit ici l’occasion de rappeler le fonctionnement de la laïcité scolaire1.

Un dispositif politique inversé : dévitalisation et ringardisation des discours victimaires

L’interdiction du port de l’abaya à l’école publique par le ministre Gabriel Attal2 a réveillé des discussions qui ont surgi en 1989 au sujet du port du voile (affaire de Creil). Déjà à l’époque, on parlait d’un « bout de tissu », il fallait être anti-musulman ou même « un peu raciste » pour y voir un test politico-religieux, l’école laïque « stigmatisait » des petites filles musulmanes traversant une crise d’adolescence, l’important était de « dialoguer » en faisant savoir que le dialogue déboucherait sur une acceptation, une interdiction était « liberticide », etc. C’est dans ce contexte qu’à l’époque j’ai participé, avec Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut et Elisabeth de Fontenay, à la « Lettre ouverte à Lionel Jospin », dite « Profs ne capitulons pas !», parue dans Le Nouvel Obs du 2 novembre 19893. Quinze ans passèrent, avec l’extension des manifestations d’appartenance religieuse à l’école encouragées par la pusillanimité et l’aveuglement de la puissance publique, avant que le législateur vote la loi du 15 mars 20044.

On avait même pensé en 89 à consulter une autorité religieuse (en l’occurrence et si j’ai bonne mémoire le roi du Maroc) pour déterminer si le voile est ou non un signe religieux. Un comble pour une république laïque qui « ne reconnaît aucun culte » que ce geste théocratique de transfert de souveraineté vers les religions – c’est pourtant ce qu’a réitéré la France Insoumise le 3 septembre dernier par la voix de son représentant Manuel Bompard5.

Sans doute les ingrédients du vieux film repassent, mais le film n’a plus rien de capitulard. La similitude des thèmes auxquels recourent aujourd’hui les opposants à l’interdiction des manifestations d’appartenance religieuse à l’école avec ceux de 1989 et de 2004 ne doit pas nous tromper. Car le dispositif général est extrêmement différent. La reprise des lamentations bienpensantes s’inscrit cette fois dans un fait politique totalement inverse de celui de 1989 qui les dévitalise en les ringardisant. Les contorsions et tergiversations analogues à celles de 89 (qui avaient inauguré plusieurs décennies de discours culpabilisateurs) sont ultra-minoritaires et le ministre s’appuie à juste titre sur un fait patent permettant de renvoyer sans état d’âme à l’application de la loi. Il est clair que nous avons affaire à une manifestation d’appartenance politico-religieuse – le port de l’abaya est, entre autres, soutenu par la nébuleuse islamiste6. Le fait est aveuglant, même Lionel Jospin l’a récemment reconnu et dit avoir « bougé » depuis 19897. Nos concitoyens ne se laissent plus intimider par les discours de victimisation et de culpabilisation qui ont si longtemps et jusqu’à présent fonctionné : cela ne marche plus !

Les Français le disent de manière nette, et cela est un fait politique important qui oppose la séquence actuelle à celles qui l’ont précédée. Selon un récent sondage IFOP8,

« L’interdiction de l’abaya et des qamis […] fait l’objet dans l’opinion publique d’un consensus encore plus fort que celui observé en 2004 pour la loi interdisant les signes religieux : 81% des Français approuvent cette interdiction à l’école publique ». Le caractère religieux de ces tenues « est indéniable pour une large majorité de Français (70%) mais aussi pour ceux qui en vendent en France sur Internet » et « le nombre de musulmans estimant que ces tenues ont un aspect religieux est presque aussi élevé (41%) que le nombre de ceux qui pensent qu’il n’en a pas (48%) »

La laïcité scolaire et l’instruction : quelques rappels

Lorsque le ministre de l’Éducation nationale dit que, dans l’école laïque, on ne doit pas pouvoir identifier l’appartenance religieuse des élèves « rien qu’en les regardant », il a raison ! L’école publique n’est pas le lieu d’une partition formant, à grand renfort de « tags », des clans identitaires exclusifs, on n’y introduit pas de frontières inspirées par une extériorité qui viendrait imposer des exigences particulières et qui, en l’occurrence, normaliserait une orthopraxie religieuse à finalité politique.

C’est ici l’occasion de rappeler le fonctionnement de la laïcité scolaire. Le principe de laïcité s’applique bien évidemment à l’école en tant qu’elle est une institution publique : elle n’a pas à propager des influences doctrinales et ses agents sont soumis à l’application stricte du principe dans l’exercice de leurs fonctions. Mais ce principe, par définition limité à ce qui participe de l’autorité publique, ne vaut pas dans l’espace ordinaire : dans la société civile, c’est la libre expression et le libre affichage qui prévalent. Pour autant, l’espace scolaire n’est pas pour les élèves un espace civil de jouissance ordinaire du droit. À l’école, les élèves sont tenus d’observer une réserve qu’ils n’ont pas à observer dans l’espace civil ordinaire. C’est notamment l’objet de la loi du 15 mars 2004, qui dispose :

« Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève.
»

Il suffit de lire le texte pour voir que la loi sanctionne non pas des intentions ni des signes isolables dont on pourrait établir la liste mais des manifestations ostensibles. Le dialogue avec l’élève a pour objet d’expliquer la loi, non d’en négocier l’application. La loi est la même pour tous : aucune manifestation d’appartenance religieuse n’est particulièrement visée – prétendre le contraire serait du même ordre que de dire que les sanctions pour excès de vitesse sur la route « stigmatisent » les amateurs de vitesse…

Cette loi est bien écrite. On y trouve notamment un minimalisme qui s’appuie sur l’extériorité. Du point de vue philosophique, on peut faire remarquer que cela vaut aussi bien pour l’observance que pour le non-respect d’une loi : on peut brûler un feu rouge pour de prétendues « bonnes » raisons, on peut s’y arrêter par habitude, par peur du gendarme ou par civisme, l’important est ce qu’on fait. La loi ne sonde pas les reins et les cœurs, elle ne distribue pas des bons et des mauvais points de moralité ; ce qui compte est ce qu’on observe : ici la manifestation.

La réserve exigée des élèves par la loi de 2004 porte sur les manifestations ostensibles et ne vise pas les signes religieux discrets – c’est une différence avec le principe strict de laïcité exigible des agents. Notons aussi que les élèves sont pour la plupart mineurs et que l’école publique doit les protéger les uns des autres durant le temps scolaire en matière d’influence idéologique et de pressions – ce qui n’est évidemment pas le cas pour les étudiants. Notons enfin que leur liberté d’expression s’exerce dans les établissements9 : en revanche les agents publics – notamment les professeurs – ne jouissent pas de cette liberté aussi largement dans l’exercice de leurs fonctions et en tout cas pas en présence des élèves.

Néanmoins l’aspect formel, que je viens d’évoquer, de la laïcité scolaire ne l’épuise pas et elle appelle des explications d’un autre ordre.

La respiration laïque : le contraire d’un intégrisme

L’école n’a pas à accepter, et encore moins à prolonger, l’assignation sociale ou communautaire des élèves : elle doit leur offrir une double vie – l’école à l’abri de l’environnement social et domestique, la maison à l’abri du maître. Les exigences scolaires ne sont pas permanentes, elles alternent avec la vie au dehors de l’école, vie sociale qui n’a pas non plus à imposer partout et tout le temps ses propres injonctions, à régenter l’intégralité de la vie. L’élève qui ôte ses atours religieux à l’entrée de l’école publique est libre de les remettre à la sortie ; il jouit de l’alternance, il échappe aussi bien à l’uniformisation d’État qu’à celle que lui dicte sa propre « communauté ». C’est la respiration laïque que j’ai maintes fois évoquée10, diamétralement opposée à l’intégrisme puisque tout intégrisme exige l’uniformisation constante, partout et de tous les instants, à ses dogmes.

Dans la Lettre « Profs ne capitulons pas ! » nous écrivions déjà : « Au lieu d’offrir à cette jeune fille un espace de liberté, vous lui signifiez qu’il n’y a pas de différence entre l’école et la maison de son père. »  – c’était caractériser l’uniformisation de l’espace induite par l’intégrisme. Accepter le port de signes religieux à l’école ce n’est pas introduire une liberté, c’est donner raison à ceux qui veulent imposer ce port partout et tout le temps, c’est leur signifier qu’aucun domaine réservé n’est en mesure de borner leurs exigences, c’est interdire tout point de fuite à ceux qui leur sont soumis. Ainsi la loi de 2004, en installant concrètement cette respiration, ménage toujours un point de fuite ; elle fait faire aux élèves une expérience de liberté et leur permet de comprendre en quoi la laïcité est le contraire d’un intégrisme.

Laïcité et savoirs

Venons-en à l’aspect philosophique fondamental de la question. Les élèves présents à l’école ne sont pas des libertés constituées, mais des libertés en voie de constitution. On ne vient pas à l’école simplement pour jouir de son droit, mais pour s’autoconstituer comme sujet autonome. En ce sens, l’école n’est pas seulement une institution de droit, ni un service, c’est une institution philosophique et les élèves ne sont pas des usagers. La laïcité de l’école publique tient au contenu de l’enseignement lui-même. On s’y instruit des éléments selon la raison et l’expérience, afin d’acquérir force et puissance, celles qui font qu’on devient l’auteur de ses pensées. Cette saisie critique du pouvoir que chacun détient s’effectue par un détour demandant une distance, un pas de côté par rapport aux forces immédiates et de proximité : la demande d’adaptation, les données sociales, les idées répandues. Le détour est celui des savoirs formant l’humaine encyclopédie – laquelle comprend les religions, mais en tant que pensées, œuvres et faits, et non en tant que croyances et ciments sociaux. Dire que les religions sont exclues de l’école révèle une profonde méconnaissance des programmes.

Les savoirs11 sont au cœur de l’école, et c’est cela qui, d’abord, est libérateur et laïque. Pourquoi ? Parce que par nature ils échappent à toute instance extérieure – c’est ce que découvre comiquement M. Jourdain dans une célèbre scène du Bourgeois gentilhomme, à propos de la phonétique du français : cette dernière a ses propriétés, ses lois. Aucune autorité ne peut ordonner de croire une ineptie ou de se dispenser de l’examen raisonné. Mais la réciproque est plus intéressante : aucune autorité ne peut ordonner de croire ce qui est vrai, car si vous croyez une proposition vraie sur la foi d’une parole extérieure, vous ne jouissez d’aucune autonomie. L’autorité des savoirs est immanente à ceux-ci, elle s’effectue dans leur construction et dans leur appropriation et non par génuflexion devant une autorité extérieure. Voilà ce qui est en question à l’école, voilà pourquoi l’instruction demande une démarche essentiellement laïque.

Avec cette immanence et cette autosuffisance – ce qui est une forme de minimalisme -, on retrouve le fondement philosophique du concept politique de laïcité : une association politique laïque n’a besoin, pour être et pour être pensée, que d’elle-même. La Nation dont parle la Constitution12 s’autorise d’elle-même, autoconstitution ne devant rien à une instance transcendante (ethnique, religieuse, sociale…) qui la légitimerait d’un geste extérieur. On rappellera que la République des lettres13 que l’Europe éclairée développa dès le XVe siècle associait la liberté au savoir, ne reconnaissant d’autre autorité que celles de la vérité et de la raison ; elle mettait en présence des esprits par définition égaux. Tel est l’esprit de l’école républicaine laïque : c’est quand elle reste fidèle à cet esprit des humanités14 qu’elle institue vraiment les citoyens.

Notes

1– Le présent texte reprend certains éléments du texte publié par Philosophie magazine le 11 septembre 2023 https://www.philomag.com/articles/linterdiction-de-labaya-lecole-est-elle-justifiee dans le cadre d’un « Pour / contre », en confrontation avec un texte de Jean-Fabien Spitz. Outre des développements plus amples de ces éléments, on trouvera ici d’autres considérations.

2 – Lire la note de service du 31 août 2023 https://www.education.gouv.fr/bo/2023/Hebdo32/MENG2323654N et la Lettre de Gabriel Attal aux chefs d’établissement, IEN et directeurs d’école https://www.education.gouv.fr/principe-de-laicite-l-ecole-respect-des-valeurs-de-la-republique-lettre-de-gabriel-attal-aux-chefs-d-379143

5 – Europe1, 3 septembre 2023 https://www.youtube.com/watch?v=fbGsE-c2gFM

6 – Notamment l’Organisation internationale de soutien au prophète de l’islam. Voir Le Point 6 sept. 2023 https://www.lepoint.fr/societe/abaya-la-france-visee-par-une-campagne-de-diffamation-venant-de-turquie-06-09-2023-2534396_23.php . On ajoutera qu’une une association communautaire a brûlé la politesse à la FI pour demander au Conseil d’État la suspension de l’interdiction – demande introduite par l’Association droits des musulmans, rejetée par le Conseil d’État le 7 sept. 2023. Voir le communiqué de presse du CE https://www.conseil-etat.fr/actualites/laicite-le-conseil-d-etat-rejette-le-refere-contre-l-interdiction-du-port-de-l-abaya-a-l-ecole

8 – Étude publiée dans Le Droit de Vivre https://www.leddv.fr/enquete/enquete-les-francais-et-linterdiction-de-labaya-20230905 5 sept. 2023.

9 – Code de l’éducation art. L511-2. « Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. » Ils peuvent, par exemple, disposer de panneaux d’affichage.

10 – Notion exposée dans l’article « Contre l’intégrisme, choisissons la respiration laïque », Le Monde, 30 janvier 2015 https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/30/contre-l-integrisme-choississons-la-respiration-laique_4566781_3232.html , reprise dans plusieurs articles publiés et en ligne – voir notamment sur ce site « Laïcité et intégrisme » https://www.mezetulle.fr/laicite-et-integrisme/.

11 – Savoirs constitués s’agissant de l’école élémentaire et secondaire, savoirs en constitution au niveau universitaire. Dans les deux cas, les champs du savoir n’ont pas à être définis ni légitimés de l’extérieur, ils émanent de la production des savoirs elle-même.

12 – Déclaration des droits, article 3 « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

13 – Voir « La République des Lettres : liberté, égalité, singularité et loisir », https://www.mezetulle.fr/la-republique-des-lettres-liberte-egalite-singularite-et-loisir

14 – Les humanités sont ici prises dans leur sens moderne, développé notamment par les Lumières : il s’agit l’ensemble des savoirs, y compris bien sûr les sciences et les techniques. Je me permets de renvoyer au chapitre VI (p. 176 et suiv.) de mon Penser la laïcité (Paris, Minerve, 2015).

Comme une idée de pluriel

Je viens d’acheter deux pare-soleil pour la voiture. Ornés de dessins, ils sont accompagnés de jeux proposés aux enfants. Sur l’emballage figure l’explication des jeux, précédée d’une présentation de trois lignes où l’on repère deux grosses fautes d’orthographe.

Heureusement que, comme on l’apprend par la pastille bleue située à gauche, ces jeux ont été « développés avec des professeurs des écoles ». Je ne peux pas m’empêcher de reconnaître ici la mansuétude de la pédagogie moderne. Si, dans la phrase en question, un élève écrit « présentent » au lieu de « présentes », n’en profitez pas, pédant capitaliste du savoir que vous êtes, pour lui faire observer que « présentent » ne peut être qu’une forme conjuguée du verbe « présenter », et que pourtant on ne trouve pas dans la suite l’objet de ce verbe transitif, et que d’ailleurs le verbe de la proposition est « permettent ». Donc cela ne peut pas être un verbe, alors quoi d’autre qui puisse être en rapport avec « les illustrations »  ? un adjectif qualifiant « les illustrations » !
Non non, que de raisonnements, c’est trop compliqué et surtout c’est traumatisant pour un «gamin » qu’il faut plutôt féliciter et laisser s’épanouir en évitant la contrainte : n’a-t-il pas senti qu’il y a là comme « une idée de pluriel » ? Et pour la faute précédente, s’embarquer dans la déclinaison des adjectifs possessifs, ce serait carrément de la torture, où on va là ?

Mais j’ai mauvais esprit et une hypothèse plus généreuse est possible : ce petit texte n’a peut-être même pas été présenté aux professeurs des écoles en question pour « validation » ?

Réforme du baccalauréat : il faut reconquérir le mois… d’avril !

Sébastien Duffort, dans ce texte initialement écrit pour le Mouvement républicain et citoyen (dont il est secrétaire national à l’éducation), analyse les effets délétères de la réforme du baccalauréat sur le calendrier scolaire. Réduire ainsi la durée et l’importance de l’enseignement, c’est rendre insignifiant et inefficace le processus d’instruction – comme s’il n’était pas déjà assez endommagé depuis des décennies par une politique de prétendue « innovation » et de réelle marchandisation. Un déplorable « en même temps » fait le grand écart entre les exigences initiales affichées par J.-M. Blanquer et ce nouveau mauvais coup dirigé contre la mission centrale de l’école. Cette situation est inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à l’exigence républicaine.

Depuis le passage de Xavier Darcos rue de Grenelle, chaque nouveau ministre de l’Éducation nationale entonne à son arrivée le refrain habituel : « la reconquête du mois de juin ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que la nomination de Jean-Michel Blanquer a définitivement rendu caduc ce slogan. La réforme du baccalauréat, promesse de campagne du candidat Macron, introduit en effet une part significative de contrôle continu (40% de l’examen), à laquelle il faut ajouter quatre épreuves finales (60% de l’examen) dont les deux épreuves de spécialités. Ces dernières revêtent une importance capitale pour les élèves à la fois en raison de leur fort coefficient (16 et 16 soit un tiers du bac) et du rôle qu’elles jouent dans leur orientation (les deux notes sont intégrées dans leur dossier Parcoursup). Or ces épreuves ont désormais lieu au mois de mars. Dit autrement, les élèves ont passé les trois quarts de l’examen au moment d’aborder le dernier trimestre. On dispose aujourd’hui d’un certain recul s’agissant des conséquences de cette réforme, et le constat est sans appel : cette situation ubuesque, qui voit les élèves passer les deux épreuves les plus importantes au deuxième tiers de l’année de terminale, pose de réelles difficultés, pour eux mais aussi pour le corps enseignant.

Premièrement, la réforme a pour effet de mettre élèves et enseignants sous pression durant les deux premiers trimestres, puisque le programme de chaque spécialité doit dorénavant être traité en six mois. Cette urgence ne permet pas de transmettre les concepts et mécanismes essentiels de façon convenable durant cette étape décisive que constitue pourtant l’année de terminale. Même si les programmes ont été récemment allégés, les retours dont on dispose dans les différentes disciplines ne laissent pas de place au doute : la grande majorité des professeurs ont la sensation de survoler les contenus programmatiques. C’est notamment le cas en sciences économiques et sociales où une enquête menée par l’APSES (association des professeurs de SES) en décembre 2022 a montré que seulement 7% des professeurs de SES de terminale déclaraient parvenir à tenir le rythme permettant de traiter convenablement les sept chapitres pour les épreuves prévues mi-mars. Constat terrible quand on sait que des problématiques telles que les sources et défis de la croissance économique ou l’analyse de la structure sociale française, essentielles à la formation du citoyen, sont abordées dans cette discipline.

D’autre part en termes de motivation : la réforme démobilise dramatiquement les élèves. Comment ne pas comprendre le relâchement bien compréhensible d’élèves qui connaissent parfaitement les enjeux de l’année de terminale et qui savent pertinemment, une fois ces deux épreuves passées, que les dés sont jetés ? Les deux épreuves du mois de juin (philosophie et grand oral), ne comptant que pour à peine 20% de l’examen, ne peuvent entretenir l’illusion d’un troisième trimestre intellectuellement exigeant1.

Troisièmement, cette nouvelle configuration dégrade considérablement les conditions de travail d’une partie du corps enseignant, en particulier ceux qui enseignent dans des établissements difficiles essentiellement constitués d’élèves issus de milieux populaires, moins prédisposés à la culture scolaire et donc plus facilement vulnérables à la démotivation à ce stade de l’année. Les enseignants qui eux exercent dans les établissements qui scolarisent les enfants issus de CSP+ fortement dotés en capital culturel (lycées de centre-ville et / ou enseignement privé sous contrat) sont quant à eux relativement épargnés et peuvent continuer d’enseigner dans des conditions décentes. La réforme du bac aggrave la fracture déjà existante entre les enseignants selon leur lieu d’affectation.

Cette réforme incarne à merveille le double discours macroniste du « en même temps ». On se souvient des priorités de Jean-Michel Blanquer lors de son intronisation rue de Grenelle : exigence intellectuelle, importance des fondamentaux (lecture, écriture et calcul mental), retour de la méthode syllabique, discours résolument républicain etc. Intentions louables dont certaines ont été concrétisées en actes : dédoublement de certaines classes de CP-CE1 pour lutter contre l’échec scolaire, défense d’une conception exigeante de la laïcité, lutte idéologique bienvenue contre le wokisme et l’islamogauchisme qui gangrènent nos universités. Malheureusement, ces exigences initiales se fracassent sur le mur du réel : celui d’une année de terminale qui se termine bel et bien au mois de mars.

Cette situation est inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à l’exigence républicaine : comment tolérer que des élèves, notamment les plus défavorisés d’entre eux, engagés dans des processus essentiels d’apprentissages, perdent deux voire trois mois de cours ? Cette situation est inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à l’idéal de justice sociale et d’égalité des chances : cette réforme creuse les inégalités d’accès au savoir entre les élèves fortement dotés en capitaux (économique, culturel, social) disposant de ressources extérieures à l’école et ceux qui, n’ayant que l’école pour apprendre, sont confrontés à une déscolarisation qui ne dit pas son nom.

Sur la question centrale des politiques éducatives, il apparaît plus que jamais nécessaire de lutter contre tous les discours qui entrent en contradiction avec la promesse républicaine d’émancipation intellectuelle pour tous : discours conservateur venant de la droite, discours libéral prônant la marchandisation du système éducatif et l’innovation pédagogique à tout va, discours démagogique du « y a qu’à, faut qu’on » émanant de la gauche radicale. Cela vaut pour la réforme du bac qui exige une position nuancée, raisonnée et raisonnable. Une position de gouvernement. Dans ces conditions, il est tout à fait possible d’envisager une refonte du calendrier de l’année de terminale en décalant a minima les épreuves de spécialités au mois de mai, voire revenir à des épreuves finales au mois de juin, configuration plus conforme au rituel républicain national que constituait le baccalauréat. La plateforme Parcoursup, mais aussi et surtout les filières de l’enseignement supérieur sont parfaitement capables de s’y adapter, dans l’intérêt des élèves. C’est possible à condition d’imposer un réel volontarisme politique.

Néanmoins, s’agissant des inégalités d’accès au savoir, il faut rester vigilant. Cette question du calendrier scolaire (tout comme celle des rythmes scolaires), importante, ne doit pas en occulter une autre dont on sait qu’elle est absolument décisive pour améliorer la réussite des élèves en difficultés : celle de l’efficacité des dispositifs pédagogiques mis en œuvre dans les classes. Or depuis 2017, la majorité présidentielle ne l’a jamais abordée, si ce n’est sous l’angle, conformément au discours libéral, de l’innovation pédagogique2 censée régler la question des apprentissages scolaires. Dès lors, une refonte du calendrier et éventuellement des rythmes scolaires est nécessaire mais elle ne résoudra en rien la question des inégalités scolaires si, dans le même temps, celle des pratiques pédagogiques n’est pas posée dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignant(e)s.

Le ministre a admis que la situation actuelle ne « convient pas », et n’exclut pas un report des épreuves l’an prochain. Une autre piste évoquée consisterait à conditionner l’admission dans un établissement supérieur à l’assiduité au troisième trimestre. Ces deux mesures de bon sens ne doivent en définitive pas faire oublier l’essentiel : la qualité des contenus disciplinaires et l’exigence intellectuelle transmises aux élèves, en particulier ceux qui n’ont que l’école pour apprendre.

Notes

« Lettre ouverte aux antisionistes… » de Liliane Messika, lue par Yana Grinshpun

L’auberge espagnole nommée antisionisme

Yana Grinshpun1 a lu le livre de Liliane Messika Lettre ouverte aux antisionistes de droite, de gauche et des autres galaxies (éditions de l’Histoire). Ce dernier montre que l’antisionisme, opinion volontiers adoptée par des gens de bonne foi (les BIMI = Bien Intentionnés Mal Informés) qui croient ainsi faire profession d’humanisme et de justice, a principalement pour fonction d’abriter l’antisémitisme tout en le déniant. À ceci près que « si l’antisémitisme du passé visait les Juifs en tant qu’individus, l’antisionisme d’aujourd’hui cible « le Juif collectif », nommé Israël ».

L’antisionisme, une « opinion éclairée » ?

Il y a des haines qui sont toujours d’actualité, dont la vivacité millénaire et l’efficacité ne cessent d’étonner. Par exemple, la haine des origines, curieux phénomène psycho-social observé dans le monde occidental depuis la naissance du judaïsme. Pour la société polythéiste, les Juifs étaient des êtres à part avec leur Dieu-Être Un, invisible et abstrait. De la part des chrétiens et plus tard des musulmans, ils subissent la haine de l’origine. Et « pour le haineux, l’origine de l’autre lui rappelle toujours qu’il en veut à la sienne » (Daniel Sibony). Ce fut et c’est le cas de l’antisémitisme chrétien et musulman. Depuis l’existence de l’État d’Israël, l’on ne parle plus de la haine des origines, dont les manifestations sont punies par la loi, en tant que circonstances aggravantes de racisme, mais d’antisionisme, une « opinion éclairée », critique anodine de la politique israélienne.

Quelle est donc cette opinion éclairée des gens qu’Israël obsède ? Sont-ils antisémites, comme on l’entend souvent dire, et sinon, par quoi sont-ils éclairés ?

Dans son essai Lettre ouverte aux antisionistes de droite, de gauche et des autres galaxies, paru aux Éditions de l’Histoire, Liliane Messika propose une réponse très complète, documentée, argumentée et dépassionnée, à cette question qui suscite des passions. Son livre s’adresse à un public qu’elle a très justement défini comme « les BIMI » (Bien Intentionnés Mal informés). On ne pourrait mieux décrire tous les gens de bonne foi, qui n’ont ni le temps ni l’envie de rechercher des informations, de les vérifier et de les analyser :

« Beaucoup de gens croient sincèrement faire preuve d’humanisme et de justice en se déclarant « antisionistes ». Il est contre-productif de les traiter d’antisémites, car ceux qui le sont vraiment le nient grâce à cette nouvelle dénomination, et ceux qui ne le sont pas se sentent injustement accusés, alors qu’ils sont des BIMI : Bien Intentionnés, Mal Informés ».

Il existe en effet, dans notre pays, des gens sans préjugé ni certitude sur les Juifs et les Israéliens. Ils ne se lèvent pas le matin pour écrire un message de soutien aux Palestiniens, ils ne pensent pas que si deux sœurs « colons » sont tuées par des terroristes, c’est parce qu’elles l’ont bien cherché, ils ne manifestent pas contre Israël et n’ont pas d’idées préconçues sur les Juifs ou sur leur pays. Ils perçoivent certainement le matraquage médiatique qui conditionne un grand nombre d’esprits, mais ils sont prêts à entendre des informations pas toujours accessibles par la voie officielle. Ils sont également réceptifs à un discours factuel, historique et dépassionné. Liliane Messika s’adresse à des gens capables de réfléchir, de faire une addition et une soustraction (opérations parfois importantes pour comprendre l’inflexion idéologique d’un discours), de penser logiquement et de se former un jugement sans être influencés par les discours moralisateurs ou indignés de Tiktok ou autres Twitter.

Cet ouvrage salutaire est fondé sur des faits aux sources vérifiables, sur des analyses historiques, des citations verbatim de textes officiels européens et… arabes, des témoignages insoupçonnables de favoritisme « pro-Juifs ». Le lecteur y trouvera une mine d’informations historiques que peu de non-spécialistes connaissent.

Par exemple sur la composition et le fonctionnement de l’ONU, ils constateront que le nombre de résolutions édictées contre Israël dépasse chaque année mathématiquement la somme de toutes celles qui condamnent les pays totalitaires pratiquant la peine de la mort, la torture et le gazage des populations. Un échantillon de ces décisions onusiennes pour 2021 montre une résolution unique contre la dictature la plus cruelle de la planète, la Corée du Nord, une seule aussi contre la Syrie, où la guerre civile dure depuis dix ans et où le bombardement à l’arme chimique, les tortures, les arrestations arbitraires, la destruction des infrastructures, la terreur contre la population sont endémiques. Par contre, Israël a été condamné quatorze fois, sans que les attaques du Hamas, du Fatah et autres contre lui soient mentionnées. Est-ce par amour inconditionnel des Palestiniens  ou par haine inconditionnelle d’Israël ? La question est légitime.

Messika sait compter : le « droit international », dont se réclament les chancelleries et la plupart des ONG, est élaboré par 93 régimes plus ou moins tyranniques et 74 régimes plus ou moins démocratiques. Elle rappelle également qu’en mars 2018, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a accueilli le ministre iranien de la justice, un tortionnaire responsable de massacres de masse. Le reste est à l’avenant. En 2021, Le Qatar, l’Érythrée, le Kazakhstan et la Somalie ont été élus, avec… l’Iran, à la Commission de la condition des femmes de l’ONU (CSW). « En 2023, 70 % des membres du Conseil onusien des Droits de l’homme étaient des dictateurs. Et la France avait voté pour l’élection de l’Iran ».

Endoctrinement ou enseignement ?

Liliane Messika dénonce dans les écoles ce que l’auteur de ces lignes a constaté à de nombreuses reprises à l’université : nombre d’enseignants d’histoire, en France, expliquent que les «  Israéliens ont conquis le pays de Palestine, l’ont occupé et colonisé ». Mais l’État de Palestine n’a jamais existé, ni comme royaume, ni comme pays. Messika cite des historiens et des personnalités du monde arabe qui l’attestent dans un chapitre important : « Témoignages désintéressés et des intéressés ». Ces professeurs d’histoire devraient le lire pour ne plus raconter n’importe quoi. Par exemple, Hafez el Assad, le dictateur syrien, dit clairement qu’il n’existe pas de peuple palestinien, que ces gens sont syriens et qu’ils font partie du peuple arabe. Zuher Mohsen, haut gradé de l’OLP, explique que l’invention du peuple palestinien permet de « poursuivre une lutte contre l’État d’Israël ».

Avant 1967, ceux qu’on appelle aujourd’hui « les Palestiniens » ne constituaient pas une entité géopolitique et n’aspiraient pas à un État. Lorsqu’ils s’en sont vus proposer un, par le partage de la Palestine mandataire, la Ligue arabe l’a refusé en leur nom. Ce refus n’est pas un complot juif, mais un fait historique.

Messika propose un bref recensement des colonisations successives de ce territoire, où des Juifs ont toujours habité. Accessible à ceux qui sont rebutés par les traités spécialisés, ce rappel permet de constater combien le terme « colonisation » est inapproprié car, d’une part, on ne colonise pas des entités mythiques et, d’autre part, les Juifs ne disposant pas d’une métropole, ils n’auraient pas pu en expédier des « colons » pour s’accaparer une terre qui leur était étrangère. Il s’agit du retour d’un peuple à sa patrie originelle, un retour attendu depuis deux millénaires. Il en va de même pour le terme « apartheid », lié à la juridiction raciste d’Afrique du Sud et souvent allégué contre Israël. Les preuves de cette diffamation sont factuelles. Parmi les plus saillantes : la condamnation pour corruption d’un ancien président juif de l’État par un juge arabe, l’existence d’un parti islamiste proche des Frères Musulmans au sein du Parlement, 50% de médecins arabes dans les hôpitaux, etc.

Une paix véritable, à laquelle disent œuvrer les Européens, peut-elle être fondée sur un mensonge ? Non, évidemment. On peut dire sans hésiter que le plus gros mensonge historique colporté par le discours scolaire européen est celui-ci, trop largement enseigné dans nos écoles, à nos enfants.

Pour combattre le racisme rien de tel que l’antisémitisme

L’auteur montre non seulement comment les faits sont manipulés, mais aussi comment est construit le discours légitimant la violence contre les Juifs, identifiés aux Israéliens. Elle cite la phrase de Mohammed Merah, devenue célèbre, parce qu’honnête et directe : « Je tue des juifs en France, parce que ces mêmes juifs-là tuent des innocents en Palestine ». Merah dit ce que cachent (ou ne cachent même pas) de nombreux intellectuels qui justifient les meurtres des Juifs en France et en Israël. Quand j’ai analysé en détail son discours, dans le cadre universitaire, en montrant les processus de légitimation de sa violence, des confrères m’ont dit qu’il avait raison et qu’il s’agissait de venger « des actes racistes » et mes articles n’ont jamais été publiés. Liliane Messika n’a donc rien inventé. Se référant à Robert Wistrich, grand historien de l’antisémitisme, elle montre que si l’antisémitisme du passé visait les Juifs en tant qu’individus, l’antisionisme d’aujourd’hui cible « le Juif collectif », nommé Israël.

Au bout de 304 pages de faits et d’analyses fort limpides et souvent drôles, car l’auteur a du style et de l’humour, le chapitre final donne la réponse à la question posée en préambule, sur la nature de l’antisionisme :

« Accuser l’état juif d’apartheid avec un parti arabe au gouvernement, de génocide quand sa population arabe a un taux de croissance supérieur à tous les pays arabes avoisinants, cela génère des pogromes, comme d’accuser les Juifs de manger des petits chrétiens ou d’empoisonner les puits. Eh oui, l’antisémitisme est bien l’antisionisme et si ce n’est lui c’est donc son fils ».

Liliane Messika, Lettre ouverte aux antisionistes de droite, de gauche et des autres galaxies. L’antisionisme, « faux-nez » de l’antisémitisme, Les éditions de l’Histoire, 2023.

1 – Yana Grinshpun est linguiste et analyste du discours. Elle est co-directrice de l’axe « Nouvelles radicalités » au sein du Réseau de Recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme, co-fondatrice du blog Perditions idéologiques. Parmi ses derniers travaux Le genre grammatical et l’écriture inclusive en français ; Crises langagières: discours et dérives des idéologies contemporaines (co-dirigés avec J. Szlamowicz) et La fabrique des discours propagandistes contemporains. Comment et pourquoi ça marche (L’Harmattan, 2023).

« Après la déconstruction » : parution des actes du colloque

Après la déconstruction. L’université au défi des idéologies (Odile Jacob, 2023), sous la direction d’Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador et Pierre-Henri Tavoillot, réunit les actes du colloque tenu à la Sorbonne les 7 et 8 janvier 2022. Organisé par l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie, ce colloque, auquel j’ai participé, s’est attiré avant même sa tenue « un déluge d’insultes et de calomnies »1.

Chacun peut aisément et sereinement prendre connaissance de ce qui s’est dit2, et savourer aussi les dessins de Xavier Gorce qui ponctuent ce volume de 520 pages. On peut en feuilleter les 23 premières pages sur le site de l’éditeur.

Quatrième de couverture :

« La déconstruction est devenue folle. Entreprise jadis salutaire pour dénicher les préjugés et démasquer les illusions, elle a engendré une mode délétère, prétexte d’un nouvel ordre moral, suppôt d’une idéologie qui envahit les savoirs, tétanise la culture et terrorise le débat.
Ce livre réunit les contributions du colloque organisé à la Sorbonne les 7 et 8 janvier 2022 par le Collège de Philosophie et l’Observatoire du décolonialisme, avec le soutien du Comité laïcité République. Soixante universitaires et intellectuels de toutes disciplines se mobilisent pour dénoncer les dérives de ce courant et travailler à la reconstruction d’une frontière claire, qui devrait être inviolable, entre la recherche du savant et l’action du militant. »

Liste des contributeurs :

Gilbert Abergel, Florence Bergeaud-Blackler, Sami Biasoni, Andreas Bikfalvi, Jean-Michel Blanquer, Jean-François Braunstein, Pascal Bruckner, Bruno Chaouat, Joseph Ciccolini, Charles Coutel, Jérôme Delaplanche, Éric Deschavanne, Raphaël Doan, Albert Doja, Luc Ferry, Samuel Fitoussi, Alexandre Gady, Xavier Gorce, Yana Grinshpun, Gilles J. Guglielmi, Claude Habib, Hubert Heckmann, Nathalie Heinich, Emmanuelle Hénin, Philippe d’Iribarne, Pierre Jourde, Jacques Julliard, Catherine Kintzler, Sergiu Klainerman, Claire Koç, Marcel Kuntz, Arnaud Lacheret, Claire Laux, Anne-Marie Le Pourhiet, Bérénice Levet, Pierre Manent, Nicolas Meeùs, Bruno Moysan, Rémi Pellet, Pascal Perrineau, Helen Pluckrose, François Rastier, Olivier Rey, Bernard Rougier, Xavier-Laurent Salvador, Dominique Schnapper, Alain Seksig, Jean Szlamowicz, Pierre-André Taguieff, Carole Talon-Hugon, Véronique Taquin, Pierre-Henri Tavoillot, Dania Tchalik, Thibault Tellier, Robert Tombs, Vincent Tournier, Pierre Valentin, Pierre Vermeren, Christophe de Voogd, Tarik Yildiz.

Notes

1 – Avant-propos, p. 1. Voir aussi sur Mezetulle l’article d’André Perrin du 28 janvier 2022 « Le maccarthysme est-il la chose du monde la mieux partagée ? » et celui que j’ai publié le 6 février 2022 « À la suite du colloque ‘Après la déconstruction’ ».

2 – Les enregistrements des interventions sont toujours accessibles sur le site de l’Observatoire du décolonialisme.

École : les projets alarmants du Conseil supérieur des programmes

Le Conseil supérieur des programmes de l’Éducation nationale s’appuyant sur la loi de programmation et d’orientation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013, a rendu public le 3 mars 2023 un avis alarmant, avec des propositions qui concernent le recrutement et la formation des professeurs des premier et second degrés. Cet avis engage la nature et le contenu des épreuves de recrutement ainsi que les objectifs de ce que doit être la formation initiale et continue des professeurs en 2023. À travers la question du recrutement, c’est la conception de l’école qui continue à être mise à mal, soumise qu’elle est à des considérations à court terme qui laissent entrevoir une déconstruction décomplexée de tout ce qui est l’honneur de la République.

[Mezetulle remercie le site Unité laïque, où l’article de Valérie Soria a été publié le 20 mars 2023, pour son aimable autorisation de reprise.]

Ce qui apparaît saillant dans ces avis et propositions est l’articulation des parcours de formation et des concours. La conclusion de ce rapport est éloquente : « Le Conseil supérieur des programmes a souhaité insister sur la priorité à donner à la logique des parcours de formation sur celle des modalités de recrutement : les concours, ou autres modalités de recrutement, ne sont sans doute plus des finalités en soi ». S’appuyant sur le manque d’attractivité du métier et sur la lecture des rapports de jurys de concours qui relèvent que le niveau des candidats n’est pas aussi élevé qu’attendu, s’appuyant également sur la nécessité de renouveler 31% de l’effectif du corps enseignant, soit 328 000 postes, entre 2019 et 2030, il s’agit de réfléchir sur la formation des professeurs et sur les concours. L’agrégation est laissée de côté pour le moment, son « évolution mérite une réflexion spécifique », ce qui assurément a de quoi inquiéter.

Les rédacteurs abordent le modèle français de l’École républicaine au prisme d’autres modèles à l’International et en Europe.  Ce tour d’horizon met l’accent sur la question de l’équilibre entre la formation disciplinaire et la dimension professionnelle du métier. La formation et les concours sont en ligne de mire ; sont pointés l’acquisition des savoirs disciplinaires en France par rapport à d’autres pays qui intègrent dans les parcours de formation des éléments relevant des sciences humaines (psychologie, anthropologie) et aussi des items plus didactiques. Il s’agit de professionnaliser  et de mettre en avant des compétences, parmi lesquelles « l’emploi raisonné du numérique », «  s’imposer comme référent intellectuel et social », être «  un révélateur de talents », la liste n’étant pas exhaustive.

Plusieurs scénarios sont proposés : huit pour le premier degré, sept pour le second degré. Ces scénarios peuvent être augmentés et transformés par les « briques constitutives » de chacun d’entre eux. En quelque sorte, une école conçue comme un Lego. Il s’agit, dit la conclusion,  de « mettre l’accent sur des parcours de formation de cinq ans validés par un master, aussi bien pour le premier que pour le second degré, et autant que possible financièrement sécurisés […] au moins à partir du M1 et quelquefois dès la licence. »

Que faut-il retenir de ce jeu de construction prospectif ?

  • L’inversion du rapport qui articule les concours et les parcours de formation. Ce sont ces parcours qui priment.

  •  Si les contenus disciplinaires sont bien pris en compte dans ce rapport, une responsabilité écrasante est donnée, dans les scénarios les plus radicaux, aux formateurs et aux recruteurs : universités, Inspé, chefs d’établissement, inspecteurs généraux et territoriaux, enseignants référents. Certains scénarios font disparaître purement et simplement les épreuves écrites des concours de recrutement pour les remplacer par une liste d’aptitude. C’est encore la logique du primat de la formation qui vaut ; elle enterre les concours qui n’attirent plus suffisamment de candidats et qui traduisent « la baisse avérée du niveau disciplinaire des candidats », selon les rédacteurs.

  • Un recrutement local, dans les scénarios les plus radicaux, qui se base sur les besoins particuliers de chaque bassin de formation. Cela revient à aligner le second degré sur le premier degré et risquer de développer des inégalités territoriales et sociologiques.

  • La mise en cause, à terme, du statut de fonctionnaire de l’État. Si les rédacteurs insistent pour dire que ce statut est pérenne, comment l’articuler à la « multiplicité des modalités de recrutement » que lesdits rédacteurs présentent en allant crescendo dans la radicalité et la déconstruction de ce statut ?

Il faut appeler avec la plus grande gravité au respect de l’École républicaine et de ses professeurs, dans l’intérêt des élèves qui seront les citoyens de demain et auxquels nous devons un enseignement de qualité, un enseignement qui garantit l’égalité de tous, dans tous les territoires de la République, un enseignement de l’excellence et non pas un enseignement  au rabais soumis à des contraintes de souplesse budgétaire pour pallier la misère de notre École qui n’attire plus les meilleurs de ses serviteurs et qui peine à assurer sa mission de service public.

Rappelons que les seuls leviers pour relever l’École sont la revalorisation des rémunérations des enseignants qui favoriseront l’attractivité du métier, le renforcement des contenus disciplinaires dans la formation des maîtres et la pérennité des concours de recrutement pour tous les degrés. L’École mérite mieux qu’un jeu de Mécano au service de considérations à court terme qui laissent entrevoir une déconstruction décomplexée de tout ce qui est l’honneur de la République et nous oblige.

[L’avis du CSP est téléchargeable sur le site du Ministère de l’Éducation nationale : https://www.education.gouv.fr/le-conseil-superieur-des-programmes-41570  et sur le site d’Unité laïque Télécharger le rapport .

On lira aussi avec profit l’analyse de Vincent Lemaître sur le site Ufal-Infos https://www.ufal.org/ecole/rapport-du-csp-propositions-pour-en-finir-definitivement-avec-lecole-publique/.]

McKinsey et « les évolutions du métier d’enseignant »

Il y a un an, le Sénat interrogeait le directeur associé senior de McKinsey France, « responsable du pôle Secteur public », au sujet d’un contrat commandé par le gouvernement sur « les évolutions du métier d’enseignant » (coût du contrat : 496 800 euros, quand même). Un tweet de Publi Sénat diffusait le 22 janvier 2022 une vidéo où ce responsable, dans sa réponse quelque peu balbutiante à la sénatrice Eliane Assassi, considère comme interchangeables les termes « secteur de l’enseignement » et « marché de l’enseignement »1.
Grâce à la persévérance d’un citoyen, on peut à présent lire trois des documents constituant le « rapport ». C’est édifiant, mais pas vraiment étonnant.

En effet, une demande de communication de documents a été faite à ce sujet par David Libeau il y a un an auprès du Ministère de l’Éducation nationale dans le cadre du droit d’accès à l’information. Le service de presse du Ministère a répondu le 11 janvier 232.

David Libeau a récemment (15 janvier 2023) publié sur son blog un billet retraçant la chronologie de ces textes et (« cerise sur le gâteau ») faisant état du soupçon de plagiat qui pèse sur eux3. L’auteur donne dans son article un lien de téléchargement permanent des fameux rapports.

Le texte principal, intitulé  « Document de référence. Éclairer les évolutions du métier d’enseignant », est chapeauté par une note de synthèse qui montre sur quelle conception adaptative de l’école tout cela est appuyé. Il s’agit de conformer en fonction d’attentes renvoyant à des propositions politiques considérées comme évidentes et qui sont toujours dépendantes d’une définition élaborée en haut lieu (produire du « bien-être » et du « développement humain », des « compétences » sources de croissance, en installant tout cela, bien sûr, dans la « diversité » et l’« inclusion », etc.). Les notions de liberté et d’émancipation d’une part, d’autonomie des savoirs de l’autre, sont étrangères à ce texte – qui s’en étonnera ?

Quant aux deux autres documents « Modèle de gestion » et « Valorisation du mérite », c’est l’application mécanique (toujours les mêmes grilles) de recettes de management apprêtées pour un ministre de l’Éducation en demande de gestion discriminante du personnel selon le « mérite » – l’astuce, à grand renfort d’ « équipes » et de « projets d’établissement » étant de produire l’illusion d’une autogestion consentie. Le tout baigné dans le jargon techno dont on nous rebat les oreilles depuis des décennies.

Pour badigeonner des projets pédagogistes (apparus dès les années 1970-80) d’un vernis managérial, c’est un peu cher. D’autant plus que la traduction du moment proprement politique de cette « évolution » en novlangue technocratique est affichée depuis belle lurette4.

Notes

4 – Voir, entre autres, sur Mezetulle, « Les risques calculés du néo-libéralisme » (C. Kintzler), « Comment ruiner l’école publique ? » (M. Perret), « Les pédagogies innovantes : heurts et malheurs » (S. Duffort), « Libéralismes et éducation » (S. Duffort), « OCDE et Terra Nova : une offensive contre l’école républicaine » (F. Boudjahlat), « Le School Business » (V. Lemaître). On écoutera et on lira aussi avec profit les conférences et articles de Nico Hirtt sur « l’approche par compétences », la « classe inversée », etc.

Les professeurs de mathématiques sont-ils fatalistes ? (par Mathieu Gibier)

À la suite de l’annonce par le ministre de l’Éducation nationale du rétablissement de l’enseignement des mathématiques pour tous les élèves de première, Mathieu Gibier1 s’interroge sur le commentaire de la présidente de l’Association des professeurs de mathématiques au sujet d’un « module de réconciliation » avec les mathématiques pour les élèves de seconde en difficulté dans cette discipline2. Il serait, selon elle, « discriminant » de proposer à des élèves quelque chose qu’ils n’aiment pas… Au fond, c’est l’instruction elle-même qui, à ce compte, serait « discriminante » et il faudrait renoncer à instruire au nom de l’égalité.

Le ministre Pap Ndiaye a annoncé le 13 novembre le rétablissement d’une heure et demie de cours de mathématiques pour tous les élèves de première dès la rentrée prochaine : l’enseignement, optionnel cette année, redevient donc obligatoire. Saluons ce retour en arrière par rapport à la réforme Blanquer ! Pourquoi en effet est-il essentiel que tous les élèves reçoivent un enseignement mathématique au lycée ? Non pour qu’ils deviennent ingénieurs, mais pour que tous fassent l’expérience du vrai savoir, celui qu’on ne peut pas confondre avec la croyance. Il y a certes des disparités considérables entre les élèves face à cette discipline : certains comprennent sans aucun effort ce qui arrête les autres. Mais considérer que les plus en difficulté sont par nature inaptes à comprendre les mathématiques et donc les en dispenser, c’est au fond les mépriser et les juger incapables d’accéder à une pensée vraiment libre sur quelque sujet que ce soit. Il est donc bon que le ministère prévoie d’accompagner les élèves qui ont le plus de mal en leur proposant des cours de « consolidation » au collège et de « réconciliation » en seconde. En seconde, il s’agirait d’un « module » hebdomadaire d’une heure ou une heure et demie, dont il ne semble pas encore décidé s’il sera obligatoire ou optionnel pour les élèves concernés.

On aurait pu s’attendre à ce que les professeurs de mathématiques soient satisfaits de ces annonces, même si elles ne règlent certes pas tous les problèmes de l’enseignement de cette discipline en France. Or, interrogée par France Inter (journal de 8h du 14/11), la présidente de l’association des professeurs de mathématiques (APMEP), Claire Piolti-Lamorthe, se montre pour le moins réservée. Elle critique en particulier le module de « réconciliation » qui pourrait être obligatoire pour les élèves de seconde en difficulté. Je la cite : « On peut penser que si ce sont des élèves qui ont eu des difficultés en maths et pas un goût prononcé pour les maths ils n’auront pas forcément envie d’aller dans ces modules. Les élèves peuvent le vivre un petit peu comme quelque chose de discriminant : finalement ils ont une heure en plus alors que déjà ils n’aimaient pas. » Il serait donc « discriminant » de ne pas renoncer à instruire les élèves qui ne comprennent pas ? Se rend-on compte de ce que signifie un tel propos ?

Tous les élèves n’ont pas besoin de faire les mêmes efforts pour apprendre les mêmes choses, c’est un fait. C’est un fait aussi qu’un élève que les mathématiques rebutent n’aura pas envie d’en faire plus que les autres. Mais alors faudrait-il, au nom de l’égalité, renoncer à instruire ceux qui ont plus de mal afin de ne pas exiger d’eux plus d’efforts que des autres ? N’est-ce pas ce renoncement, au contraire, qui est « discriminant » et profondément contraire à l’égalité des esprits ? Je sais bien que certains élèves ont de telles lacunes en mathématiques quand ils arrivent au lycée qu’il est dérisoire de prétendre leur faire rattraper leur retard avec une heure de plus par semaine. Mais si justement, dans le cadre d’un tel module, il est possible de prendre son temps, de sortir du programme, d’aller chercher l’élève là où il en est resté, en n’ayant pas peur de revenir au plus élémentaire, alors je suis convaincu qu’un tel enseignement pourrait effectivement réconcilier certains élèves avec la discipline, et avec eux-mêmes. Aux professeurs de mathématiques de saisir cette occasion plutôt que d’avoir peur de « discriminer » les élèves alors qu’ils leur viennent en aide !

Qu’on me permette de rappeler un passage d’Alain (Propos du 15 juin 1925) :

« Celui qui n’a aucune idée de la nécessité géométrique manquera l’idée même de nécessité extérieure. Toute la physique et toute l’histoire ne la lui donneront point. Donc peu de science, mais une bonne science, et toujours la preuve la plus rigoureuse. Le beau de la géométrie est qu’il y a des étages de preuves, et quelque chose de net et de sain dans toutes. Que la sphère et le prisme, donc, nous donnent des leçons de choses. À qui ? À tous. Il est bien plaisant de décider qu’un enfant ignorera la géométrie parce qu’il a peine à la comprendre ; c’est un signe au contraire qu’il faut patiemment l’y faire entrer. Thalès ne savait point toute notre géométrie ; mais ce qu’il savait, il le savait bien. Ainsi la moindre vue de la nécessité sera une lumière pour toute une vie. Ne comptez donc pas les heures, ne mesurez pas les aptitudes, mais dites seulement :  ‘Il faut’. »3

Il est vrai que l’enseignement de la géométrie a quasiment disparu du lycée : il y aurait beaucoup à dire et à critiquer sur les programmes de mathématiques… Mais, pour une fois qu’une mesure va dans le bon sens, ne cédons pas au fatalisme.

Notes

1 – Professeur de philosophie au Lycée Faidherbe de Lille, Mathieu Gibier travaille sur la philosophie des mathématiques d’Auguste Comte.

3 – En ce qui concerne le rôle indispensable des mathématiques dans la culture de l’esprit, on pourra lire ou relire, entre autres articles sur ce site, la mise au point de Jean-Michel Muglioni, notamment dans https://www.mezetulle.fr/comment-juger-une-reforme-de-lecole/ (en particulier « Apprendre, comprendre, et non s’informer » et, plus bas, « l’exemple de Descartes »).

À la mémoire d’Edith Fuchs

J’apprends par Jean-Michel Muglioni le décès d’Edith Fuchs. Comme le dit Marie Perret dans son message aux adhérents de l’APPEP1, Edith Fuchs « a été un artisan infatigable de la promotion de l’enseignement de la philosophie et du modèle républicain de l’instruction publique ». Par son savoir toujours renouvelé aux meilleures sources, sa présence d’esprit, sa gaieté et sa fermeté de pensée, Edith Fuchs incarnait la figure exemplaire du professeur tel qu’on le souhaite pour ses propres enfants et sur laquelle la destruction systématique de l’instruction publique s’acharne depuis quarante ans. Puisse son souvenir redonner du courage aux professeurs qui sont encore, malgré tout, dans les classes.

Edith Fuchs a signé plusieurs ouvrages :

  • Entre chiens et loups : dérives politiques dans la pensée allemande du XXe siècle préface de Bernard Bourgeois, Paris : Le Félin 2011 (Recension sur Mezetulle par Jean-Michel Muglioni )
  • Écritures d’Auschwitz : défiguration et transfiguration de l’histoire, préface d’Emmanuel Faye, Paris : Delga, 2014.
  • L’humanité et ses droits, Paris : Kimé, 2020. (Recension sur Mezetulle par Jean-Michel Muglioni)

Elle a traduit Spinoza and the case for philosophy d’Elhanan Yakira sous le titre Spinoza. La cause de la philosophie, Paris : Vrin, 2017.

Elle a préfacé Hitler par lui-même d’après son livre « Mein Kampf » de Charles Appuhn, Paris : Kimé, 2021 (Recension sur Mezetulle par C. Kintzler )

Mezetulle s’honore d’avoir accueilli de nombreux articles de sa main. On y retrouve le goût de la formule caustique, l’esprit alerte et ironique qui faisaient de sa conversation un régal.

Sur le site d’archives :

Sur l’actuel site :

_________

1– Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public.

Samuel Paty, professeurs menacés de mort : on regarde ailleurs…

À l’approche du triste anniversaire – le 16 octobre – de l’assassinat de Samuel Paty, on apprend que dans l’Essonne un professeur est menacé, en des termes très explicites1, de décapitation. Avant la publication de cette sinistre nouvelle, le Collectif laïque national a publié un appel intitulé « Se montrer fidèles à l’action de Samuel Paty » demandant notamment « aux responsables institutionnels de réagir systématiquement et avec vigueur à la moindre alerte […] » et appelant à rejoindre « les initiatives locales prises pour rendre hommage à Samuel Paty notamment à Paris Ve le 16 octobre à 14h au square Samuel Paty place Paul Painlevé »2.
Alors que circulent ces menaces de mort, qui se présentent ouvertement comme un rappel funeste de l’assassinat de Samuel Paty, les « partis de gauche de la Nupes » ont programmé une « manifestation contre la vie chère et l’inaction climatique » précisément et délibérément pour ce dimanche 16 octobre, comme s’il n’y avait pas d’autre date possible, comme si la mémoire du 16 octobre 2020 devait s’effacer. Mais ils ne sont pas les seuls à regarder ailleurs.

Il y a deux ans, je mettais en ligne sur Mezetulle « À la mémoire de Samuel Paty, professeur ».

Il y a deux ans, Philomag publiait cette interview en accès libre « Le terrorisme islamiste considère que l’école est à sa disposition et entend lui dicter sa loi ».

Il y a deux ans… Rien n’a changé, et c’est même peut-être pire, comme le dit le magazine Marianne « L’indifférence a gagné » . Comme le constate aussi amèrement Anne Rosencher ce matin sur France-Inter.  Elle déclare : « J’ai cru, comme beaucoup, qu’un tel électrochoc allait faire reculer les intimidations islamistes, qui veulent imposer leurs normes et faire taire les professeurs. Hélas. ».
Professeurs de plus en plus ouvertement méprisés – traités de « déserteurs », accusés de « ne pas contribuer au redressement du pays » – parents d’élèves intrusifs et tout-puissants, wokes qui au nom du « respect des convictions et des identités » ferment délibérément les yeux sur l’invasion du fanatisme avec son cortège d’injonctions sanglantes … Seul changement : l’extension de la lâcheté et du renoncement.

Il faut cultiver notre indignation. Pour cela, lire et relire le livre de David di Nota J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty .

« Samuel Paty Ni oubli ni pardon » (tweet de Catherine Clément ce soir).

Notes

1– « … le sale JUIF… On va lui faire une SAMUEL PATY » dit notamment (avec les majuscules) le message qui circule actuellement sur les réseaux sociaux  voir https://twitter.com/jpsakoun/status/1580469267119886338 . Il y a quelques jours, un autre professeur a été menacé de mort après un cours sur la laïcité.

« Condorcet, la pensée politique et l’école »

La Révolution française a fourni une importante réflexion sur l’institution d’une école publique gratuite. Au sein de celle-ci, les textes de Condorcet – Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791) et Rapport et projet de décret relatifs à l’organisation générale de l’instruction publique (1792) sont les plus importants et les plus consistants. Ils ont donné à l’école républicaine ses principes émancipateurs. Sa théorie de l’instruction publique, dont je vais m’efforcer de présenter quelques points, a inspiré en partie l’œuvre scolaire de la IIIe République, qui cependant par maints aspects ne va pas aussi loin que ses propositions. Aujourd’hui même, il s’agit toujours de la pensée la plus puissante de l’école républicaine. Elle nous rappelle que l’école publique n’a pas pour objectifs l’adaptation à la demande sociale, ni des « compétences » dictées par une extériorité fluctuante, mais l’instruction de chacun selon un modèle raisonné d’appropriation des savoirs libres et libérateurs : sa finalité est la liberté.

Conférence de Catherine Kintzler, organisée par la Société des membres de la Légion d’honneur (Section du XXe arrondissement de Paris).

 

« Condorcet, l’instruction publique… » de CK, 4e édition

J’ai le plaisir d’annoncer la quatrième édition de mon
Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen, éditions Minerve. Texte revu et corrigé.

Rappel des éditions précédentes :

  • 1984 Le Sycomore,
  • 1987 Folio-Essais,
  • 2015 Minerve.

Parce qu’il s’interroge sur les effets de la liberté politique, Condorcet construit le concept de l’école républicaine. Faute de lumières et de pensée réflexive, un peuple souverain est exposé à devenir son propre tyran, et le progrès n’est pour lui qu’un processus d’étouffement ; il ne peut être vraiment libre que par la rencontre avec les objets du savoir désintéressé formant l’humaine encyclopédie.
Il appartient à la puissance publique d’organiser une telle rencontre afin que chacun soit capable de se soustraire à l’autorité d’autrui et de s’engager sur le chemin de sa propre perfectibilité. L’égalité prend alors sa forme la plus accomplie : l’excellence et la distinction des talents.
Lire Condorcet, c’est reprendre possession d’une théorie de l’école profondément ancrée dans une philosophie de la liberté. La puissance de la pensée classique est d’une grande actualité : elle permet de mesurer combien les « réformateurs », depuis des décennies, se sont acharnés à éloigner l’école d’une telle hauteur de vue.

 

Un paradoxe : le progrès des sciences ruine l’école. Commentaire d’un texte d’Alain

Réflexions sur l’irrationalisme d’un savoir emprunté

Alain nous demande de réfléchir sur la rupture qui résulte des extraordinaires progrès des sciences entre quelques chercheurs de haut vol et les « esprits moyens ». La plupart d’entre nous sommes informés de découvertes qu’en réalité nous ne comprenons pas vraiment. L’école en vient à confondre informer et enseigner : on ne distingue plus connaissance par ouï-dire et connaissance rationnelle. J’ai vu parfois qu’en mathématiques les résultats étaient assénés sans démonstration. Ainsi disparaissent l’instruction et l’idée même d’une république des esprits.

Texte d’Alain, Vigiles de l’esprit – XCIX

« L’élite pensante (4 novembre 1933)

« Au temps des Universités Populaires, nous espérions que l’intelligence voudrait bien descendre des sommets. Avec nous autres, littérateurs, moralistes, philosophes, il n’y avait point de difficulté ; chacun entretenait ses amis prolétaires de ce qu’il savait de plus beau ; et j’ai connu un mécanicien qui raisonnait sur les passions à la manière de Descartes. Devant ces problèmes l’égalité se montre ; on sait qu’Épictète esclave en a parlé aussi bien que Marc-Aurèle empereur. Nous n’avions point à simplifier, à mutiler, à abaisser nos idées. Par exemple, la philosophie des Misérables n’est pas une philosophie au rabais ; ce que j’y trouve de clair, d’obscur, de fraternel, de sublime, je puis le communiquer à tout homme, pourvu qu’il soit curieux de l’homme. Et qui ne l’est ? Nous sentîmes plus d’une fois que l’esprit humain n’est qu’un.

« Pour les sciences, c’était une autre affaire. La mathématique communément rebutait. C’est peut-être qu’elle ne sait pas redescendre. L’astronomie n’intéressait guère, d’abord faute de notions géométriques, bien nettoyées, et aussi parce qu’il y faut un long temps d’observations ; et c’est pourtant la première école de l’esprit. Nous eûmes heureusement des physiciens et des chimistes qui surent s’arrêter assez longtemps aux expériences les plus simples, selon la robuste méthode de Faraday, de Tyndall, d’Huxley. J’ai moi-même refait les principales expériences concernant les courants continus ; je me suis instruit et j’ai instruit les autres. C’était selon moi une physique toute vraie et toujours vraie, sans vaines subtilités. Qui a surmonté ces premières difficultés est physicien, comme Thalès était géomètre, assez pour faire un homme complet, quoiqu’il en sût moins qu’un bachelier d’aujourd’hui, mais il savait bien. Et moi-même je suis assuré que je gagne plus à savoir bien ce que Thalès savait qu’à m’étonner de Poincaré ou d’Einstein.

« Que ces grands esprits s’envolent à perte de vue, je le veux bien. Toujours est-il qu’ils abandonnent la grande société des esprits. Ce que pourraient dire les illustres mathématiciens et les illustres physiciens d’aujourd’hui devant un auditoire d’ouvriers ou d’écoliers, ce serait de l’information, ce serait du roman ; ils conteraient comme Shéhérazade, ils ne feraient pas comprendre ce qu’ils savent. Savoir qu’un autre sait, c’est comme lire le journal ; ce n’est pas savoir de première main. Tout est ouï-dire, sauf pour deux ou trois. La science se sépare du troupeau ; elle aide par ses inventions et par ses machines ; elle n’aide point par ses notions. Ainsi la partie de mécanique et de physique qu’Archimède pouvait connaître semble comme néant pour un homme d’aujourd’hui ; il veut en être aux plus récentes merveilles ; il croit y être, il ne peut. Il croit savoir ; il est tout au plus capable de raconter ce que savent Langevin, Perrin ou Curie. Et certes ces hommes sont presque toujours de bons frères ; ils ne méprisent point ; mais ce sont de grands frères qui nous traitent en enfants. Nous les croyons ; et soit ; mais nous ne savons toujours pas. L’élite est si loin de nous qu’elle ne peut même plus nous tendre la main. Ils sont à l’avant-garde ; ils nous disent ce qu’ils voient. Nous nous consolons d’ignorer en nous disant que d’autres savent ; cela ne fait pas une société d’esprits.

« Quoi ? La fraternité réelle des esprits, le plus éminent aidant l’autre, a pourtant bien plus de prix qu’un progrès dont nous entendons seulement parler. L’humanité ne peut se faire si les plus forts laissent le gros du peloton. Non, ils ne devaient pas s’en aller ; ils devaient revenir ; ils devaient s’assurer qu’ils étaient suivis. Il est triste de penser que la plus haute raison se met hors de portée de presque tous. On dit que c’est l’effet du progrès. Mais que les esprits moyens soient de plus en plus abandonnés, réduits à admirer, réduits à croire, est-ce un progrès ? J’y verrais plutôt un de ces effets de rebroussement que l’on remarque aussi en d’autres domaines, et qui viennent de ce que le haut ne communique plus avec le bas. Oui, bien moins qu’au temps de Socrate, l’homme simple peut espérer d’un grand génie quelque lumière sur ses propres problèmes et sur sa propre confusion et obscurité. C’est arracher le consentement ; c’est penser tyranniquement. Au lieu que penser aristocratiquement, ce serait communiquer au commun des hommes la vertu de connaître qu’on a, et les y faire participer. Le meilleur serait le maître, mais dans le plus beau sens du mot. Le meilleur mènerait le peloton ; il s’assurerait qu’on le suit ; ce qu’il ne saurait pas enseigner à tous, il jugerait que ce n’est pas la peine de l’apprendre. Et alors on pourrait parler d’une société d’hommes. Je ne vois qu’Auguste Comte, parmi les rois de science, qui ait porté le regard vers cet avenir neuf. Les autres avancent tout seuls ; et, tout seuls, que peuvent-ils ? »

Quelques remarques sur ce propos d’Alain du 4 novembre 1933

Alain commence par rappeler le temps de sa participation aux universités populaires, au début du siècle. Avec d’autres, il osait donner à un public d’ouvriers accès aux grands auteurs de la tradition littéraire et philosophique. Ce qu’il y a de plus beau et de plus grand, voilà en effet ce qui convient aux hommes. Ces œuvres donnent à penser l’homme à l’homme et pour cette raison chacun s’y retrouve. Seulement cette pédagogie, qui est en un sens le contraire de la pédagogie, puisqu’il ne s’agit pas de s’abaisser au niveau supposé bas d’un auditoire et de lui proposer « une philosophie au rabais », repose sur la foi en l’homme, foi aussi bien en la présence de l’esprit en chacun qu’en l’existence d’œuvres qui en sont l’expression la plus haute. L’école ayant renoncé à ces deux exigences, faut-il s’étonner qu’elle ne puisse plus instruire et qu’elle ennuie élèves et maîtres ? On comprend aussi que la fraternité dont parle ici Alain n’y soit pas toujours présente, puisque précisément les Humanités ont disparu1. Là-dessus, il suffit de relire les Misérables pour comprendre ce qu’Alain appelle clair, obscur, fraternel, et sublime. La célébrité de ce livre suffit à prouver la vérité du Propos d’Alain.

La suite rend compte d’un mal qui n’a cessé de gagner non pas seulement l’école mais toute la société, et qui déjà s’était répandu au temps des universités populaires : l’absence de culture scientifique paradoxalement due au progrès des sciences. Plus encore que la défense des études dites classiques, cette réflexion d’Alain paraîtra paradoxale et même inadmissible. Ne croit-on pas généralement que jamais les hommes n’ont tant appris de sciences, et cela précisément grâce aux progrès considérables accomplis dans tous les domaines par ce qu’on appelle la recherche ? Un paradoxe philosophique n’est pas seulement une provocation destinée à faire sortir le lecteur de sa torpeur : c’est une vérité qui choque parce qu’elle s’oppose à nos préjugés.

La géométrie élémentaire est une école de rigueur intellectuelle irremplaçable. On l’a remplacée par des mathématiques de haut vol que seuls quelques-uns peuvent pratiquer sans s’y perdre. L’enseignement, s’il doit instruire, doit s’en tenir à Thalès et laisser Poincaré2 aux spécialistes. Je me souviens d’un temps où dès les premières classes de primaire, au lieu d’enseigner simplement la numération décimale, on commençait par apprendre qu’il peut y avoir plusieurs bases : j’en ai fait l’expérience lors de mon premier cours de philosophie dans une classe de terminale en 1969. Voulant distinguer croire et savoir, j’avais pris comme exemple de connaissance scientifique 2+2=4, et je vis les élèves – âgés de dix sept ans – fort étonnés. Ils m’ont dit que c’était discutable, parce que, en base deux, cela fait cent. Il m’a fallu improviser l’explication de la numération et leur montrer que ce qui s’écrit 100 lorsqu’on ne dispose que de deux chiffres, le 1 et le 0, se lit quatre et non pas cent… Même aberration lorsqu’on introduisit dans le programme de mathématiques la théorie des ensembles alors figurés par ce qu’on appelait des patates.

Quant à l’astronomie, elle est aujourd’hui toujours absente de l’école. Comme déjà du temps d’Alain, rares sont ceux qui ont réellement regardé le ciel, pour y voir le mouvement du Soleil, de la Lune et des constellations. Or c’est par là que les hommes ont conçu l’idée d’une géométrie du monde et ainsi accédé à l’idée qu’il y a des lois de la nature. La physique galiléenne est inséparable de cette astronomie géométrique qui permet de comprendre les apparences célestes. Nul besoin, « pour faire un homme complet », d’aller au-delà de Thalès en géométrie et au-delà des commencements de la physique : pour se délivrer des superstitions et de toutes les formes d’irrationalisme liées à nos passions, la physique élémentaire est une école nécessaire et suffisante. Dans Histoire de mes pensées, Alain peut donc écrire : « la physique n’est plus à faire, elle est faite »3. Ce qu’il faut savoir de physique pour se préparer à vivre avec un peu de sagesse ne requiert pas que nous nous interrogions sur la théorie de la relativité restreinte ou générale, ou que n’ayant jamais regardé le ciel nous bavardions sur l’expansion de l’univers. Et certes cette sorte d’ascétisme scolaire n’apprend pas à briller dans les dîners en ville.

Il s’agit de « savoir bien ». Là est l’essentiel. Savoir n’est pas recevoir des informations sur ce qu’on ne sait pas et qu’on ne peut pas savoir parce qu’on n’a pas fait le chemin qui permet de comprendre. Une manière d’être informé de ce qu’on ne sait pas conduit à croire n’importe quoi : la découverte du radium a donné libre cours à des « romans », des contes sur les radiations et les mystères de l’énergie. La distinction même entre croire et savoir, entre connaissance scientifique ou rationnelle et connaissance par ouï-dire disparaît. Certes, il n’y a rien en soi d’aberrant à ne pas tout savoir ni même à utiliser pour faire marcher tel ou tel appareil un savoir qu’on ne maîtrise pas en tant que savoir. Mais faute d’avoir été instruits des éléments de la physique et de les avoir longuement médités, les meilleurs esprits sont perdus et parfois même il arrive aux plus savants de ne pas comprendre les savoirs qu’ils manipulent avec dextérité. Un nouveau cléricalisme apparaît, qui fait de nous les fidèles de quelques grands savants auxquels nous faisons confiance, croyant ce qu’ils nous disent sans y rien comprendre. Le propos du 11 décembre 1933, qui dans le recueil Vigiles de l’esprit, suit celui que nous lisons, conclut le recueil sous le titre Le courage de l’esprit. Il propose une formulation plus violente encore : dès que les sciences entrent dans le détail des choses au lieu de s’en tenir aux principes universels, « les physiciens redeviennent des sortes de Mages qui promettent la vérité pour demain. Ce que l’esprit se doit à lui-même est oublié, et même publiquement méprisé, que dis-je ? Solennellement répudié. Souvenez-vous. N’a-t-on pas tenté de nous faire croire, d’après les miraculeuses apparences du radium, que l’énergie pouvait naître de rien ? »4. S’étonnera-t-on que fleurissent les croyances les plus folles, que par exemple la vaccination devienne l’objet de polémiques politiques ? Que je puisse par exemple consulter sur mon écran des informations médicales, cela fait-il de moi un médecin ?

Entre l’enfant qui comprend la numération et le mathématicien le plus savant il y a une communauté totale, celle de l’esprit. Communauté, égalité, humanité vraie. Quand il n’y a plus rien de commun entre ceux qui savent vraiment et le plus grand nombre, si bien informé qu’on le suppose, quand s’impose la domination d’une élite scientifique, c’en est fini de cette république des esprits et avec elle de l’exigence d’universalité par laquelle chacun reconnaît en tout homme son semblable. Le tour qu’a pris le progrès des sciences a entraîné une renonciation générale à l’instruction, c’est-à-dire (un pléonasme est parfois nécessaire pour se faire comprendre) à l’instruction élémentaire. Mais qui aujourd’hui admettra qu’il faille séjourner chez Archimède sans se presser d’aller au-delà ?

« Mais que les esprits moyens soient de plus en plus abandonnés, réduits à admirer, réduits à croire, est-ce un progrès ? J’y verrais plutôt un de ces effets de rebroussement que l’on remarque aussi en d’autres domaines, et qui viennent de ce que le haut ne communique plus avec le bas ». 1789 est inséparable du siècle des Lumières, c’est-à-dire d’un essor philosophique et scientifique auquel l’esprit républicain est fondamentalement lié. Ces mots d’Alain permettent de comprendre la régression à la fois scolaire et politique de notre temps et l’irrationalisme qui le mine. Il arrive aux politiques d’opposer la France d’en haut et la France d’en bas. La plupart y voient une différence sociale qui est aussi selon eux une différence entre les diplômés et les autres. Mais les diplômés eux-mêmes appartiennent à la France d’en bas s’ils n’ont eu la chance d’avoir de vrais maîtres ou le génie de s’instruire par leurs propres moyens. Réformateurs ou révolutionnaires n’arriveront à rien tant que le plus grand nombre – riches compris ! – continuera de subir la tyrannie d’un savoir emprunté, pire que l’ignorance. Car l’ignorant qui ne prétend pas savoir peut apprendre, l’informé qui croit savoir est heureux de demeurer ignare et hostile à l’école. C’est aussi pourquoi le métier d’instituteur et de professeur est aujourd’hui plus difficile encore qu’hier.

Notes

1 – Ce qu’on appelle ainsi dans le nouveau programme de spécialité n’a rien de commun avec ce que faisaient Alain et ses amis aux universités populaires. On y verra que la notion même de « grands auteurs » est devenue obsolète et remplacée par une fausse érudition. Cf. l’article  https://www.mezetulle.fr/programme-histoire-lettres-philosophie-jean-michel-blanquer-digne-heritier-de-ses-predecesseurs/  et la discussion https://www.mezetulle.fr/dossier-sur-le-programme-humanites-litterature-et-philosophie-2019/ .

2 – Henri Poincaré, 1854-1912, dont je ne sais pas pourquoi il est célèbre à l’étranger à l’égal d’Einstein, seul vraiment connu en France.

3 – Pléiade, Les arts et les dieux, Histoire de mes pensées, Chap. matérialisme, p.187.

4 – Propos qui figure aussi dans le volume I des Propos de la Pléiade p. 1191 sq.

L’école de la République à l’épreuve de l’OCDE et de la Commission européenne (par Christophe Kamysz)

Cet article de Christophe Kamysz1 s’inscrit dans une longue série de textes que Mezetulle a publiés depuis la création du site en 20052. C’est avec plaisir que je l’accueille ici, plaisir mêlé d’amertume, car il témoigne de la politique délétère qui s’acharne depuis bientôt 40 ans sur l’école républicaine et sur la conception véritablement libérale des savoirs qui devrait l’inspirer. Il témoigne aussi, et heureusement, de la constance de bien des professeurs, sur plusieurs générations maintenant, à s’opposer à cette politique pour des raisons qui n’ont rien perdu de leur profondeur et de leur actualité.

L’école de la République est à l’agonie. En 40 ans, le rêve d’une école émancipatrice imaginée par Condorcet s’est effondré. Les enseignants qui s’interrogent encore sur les finalités de leur métier assistent impuissants à ce naufrage organisé dont les effets délétères affectent désormais le fonctionnement de notre démocratie.

La sentence peut paraître présomptueuse et pourtant, à bien y regarder, la raison, l’intérêt général et la quête de vérité n’éclairent plus les suffrages d’une grande partie de nos concitoyens. Comme le craignait Condorcet, le peuple trop peu instruit est peu à peu devenu son propre tyran.

Ces mots parfaitement choisis permettent de rappeler – au risque d’étonner ceux de nos contemporains dont l’imaginaire a été totalement colonisé par des préoccupations centrées sur l’entreprise et le monde du travail – que la finalité de l’école républicaine – y compris dans l’enseignement professionnel – n’est pas économique mais politique.

L’école de la République telle qu’elle fut pensée par Condorcet à travers son Rapport et ses Mémoires sur l’instruction publique repose – dans cette France de la fin du XVIIIe siècle qui invente la figure du citoyen actif – sur une théorie du suffrage et de la souveraineté populaire, théorie qui depuis 1793 n’a cessé d’inspirer ces pionniers de l’école républicaine que sont François Guizot, Jules Ferry, Jean Jaurès, Ferdinand Buisson ou Jean Zay.

Ainsi est affirmée la principale mission de l’école républicaine : construire – dans la plus pure tradition révolutionnaire – un corps politique souverain que l’on appelle une Nation.

Cette Nation est constituée de citoyens qui doivent faire un usage éclairé de leur droit de vote. Or, comme le rappelle Condorcet, l’état naturel de l’homme est l’ignorance. Pour que le peuple prenne des décisions éclairées par les lumières de la raison, il convient donc de l’instruire. Pour Condorcet, il faut « rendre la raison populaire » et comme l’instruction est consubstantielle à l’avenir de la République, cette mission revient naturellement à l’État3 : c’est un devoir de la puissance publique de l’assurer afin que personne ne soit exclu.

Dans cette perspective, Condorcet a imaginé un vaste programme d’instruction visant à construire des esprits libres.

Par esprits libres, il faut comprendre :

  • des esprits libérés de l’ignorance, des préjugés, des contrevérités, des idées reçues ou des évidences ;
  • des esprits qui ne dépendent pas aveuglément de la parole d’autrui pour construire leur propre jugement ;
  • des esprits libérés du carcan des intérêts particuliers, sensibles à l’intérêt général, au bien commun et cultivant les valeurs de solidarité qui cimentent la société.

Ce programme d’instruction qui puise ses racines dans une philosophie de la liberté repose sur une théorie du savoir.

Dans l’école imaginée par Condorcet, les principes ne doivent pas être sacrifiés à la pratique. L’école ne doit pas enfermer les esprits dans l’étroite sphère de l’utilité immédiate. Elle doit au contraire les libérer en transmettant des savoirs émancipateurs et désintéressés sans lesquels il est impossible d’exercer son jugement critique et de cultiver son humanité. Aujourd’hui4, ces savoirs, ce sont le français, l’histoire, les mathématiques, la physique, les langues étrangères, les sciences de la vie et de la terre, la technologie, l’éducation physique et sportive, sans oublier la musique et les arts plastiques qui sont les formes les plus abouties du désintéressement.

Désintéressement. Voilà un mot bien étrange dans une société où chacun est sans cesse tenu de prouver son utilité et sa productivité. La pratique de la pensée désintéressée ressuscitée par l’œuvre scolaire de Condorcet était pourtant considérée – dans l’Antiquité grecque – comme la plus noble et la plus enviée des activités. Connue sous le nom grec de skholè dont dérive le mot « école », la pensée désintéressée est un héritage d’autant plus précieux qu’elle a donné naissance – dans l’histoire des idées – à la philosophie et à la démocratie.

Cette école du jugement critique et de la pensée désintéressée est aujourd’hui menacée dans ses fondements – et plus que les moyens matériels c’est sans doute la remise en cause de ces finalités qui nourrit le mal-être enseignant.

En effet, force est de constater que l’école de la République n’est plus réglée sur les principes qui sont les siens. Elle est au contraire exposée à toutes les injonctions extérieures. Malmenée par la demande sociale et l’opinion publique, elle est pénétrée par des pouvoirs économiques et politiques qui – par nature et pour reprendre les mots de Condorcet – sont « toujours ennemi[s] des Lumières »5.

À une vision émancipatrice et désintéressée de l’école républicaine s’est progressivement substituée une conception utilitariste centrée sur l’économie et le marché du travail. Aujourd’hui, l’école de la République n’a plus vocation à instituer des citoyens qui perpétueront notre héritage républicain. L’école s’emploie désormais à former des travailleurs flexibles et adaptables au service d’une économie de plus en plus concurrentielle.

Cette régression – car il convient ici de parler de régression – a été délibérément orchestrée par l’OCDE6 et la Commission européenne. Ces institutions ont piloté les réformes qui ont détruit les fondements de l’école républicaine avec la complicité des ministres de l’Éducation nationale – toutes tendances politiques confondues – et des cabinets conseils comme McKinsey. Ces réformes ont donné naissance à l’approche par compétences qui a radicalement transformé les finalités de l’école et plus encore le rapport au savoir.

En effet, dans l’approche par compétences, le savoir n’est plus conçu comme la finalité permettant à l’élève de comprendre le monde dans lequel il vit et de s’autoconstituer en sujet pensant. Dans cette approche par compétences, le savoir est au contraire traité comme une simple information interchangeable au service d’une stratégie de communication. Dans cette approche, la compétence ne s’identifie plus au savoir. Dans cette approche, le savoir est réduit à sa dimension utilitaire.

L’approche par compétences a également introduit une culture de l’évaluation totalement délétère. Pour apprécier la productivité du système éducatif, pour mesurer la rentabilité des professeurs qui sont soumis à ce que Hannah Arendt appelle le pathos de l’innovation permanente7, les élèves subissent continuellement des tests ayant vocation à quantifier leurs progrès. Cette culture de l’évaluation fondée sur l’approche par compétences a un effet doublement néfaste : elle technicise à outrance la relation pédagogique et elle achève de vider le savoir de tout son sens.

L’utilitarisme, la compétence, l’innovation permanente, la quantification, la rentabilité, la productivité sont des principes qui règlent le monde de l’entreprise et l’école de la République – qui en est aujourd’hui totalement imprégnée – aurait gagné à s’en préserver.

Ces principes – qui nient le temps long nécessaire aux apprentissages – sont en effet totalement contraires à la pensée désintéressée, aux savoirs émancipateurs, à la construction du jugement critique et au sens du bien commun qui permettent d’instituer le citoyen.

Ces principes issus du monde de l’entreprise ont marginalisé les enseignants au sein de leur propre institution. Loin d’être reconnus comme des figures d’autorité dont la parole devrait compter, ils sont désormais exclus de la plupart des décisions qui les concernent. Porteurs de savoirs émancipateurs pour lesquels certains chefs d’établissement n’arrivent même plus à cacher leur mépris, on leur préfère les savoirs clos, l’utilité immédiate8, les projets éducatifs hors-sol et les interventions extérieures on ne peut plus médiocres. Leur expertise est ignorée par des procédures où la décision revient exclusivement aux personnels de direction et aux parents. Niés en tant qu’intellectuels de haut niveau, soumis à l’autorité de chefs d’établissement essentiellement préoccupés par leur carrière, prolétarisés par des revenus qui ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications, ils font chaque jour l’apprentissage de leur indignité…

Si nous ne voulons pas que l’école républicaine devienne une entreprise de production de capital humain dans le cadre d’un marché éducatif tiré par la loi de l’offre et de la demande, il va nous falloir résister.

Résister, c’est réaffirmer les finalités de l’école républicaine.

Résister, c’est réinstituer l’école de la République sur des principes qui lui sont propres.

Résister, c’est réaffirmer la centralité des savoirs émancipateurs et de la pensée désintéressée dans les apprentissages.

Résister c’est réaffirmer le lien consubstantiel entre l’école de la République et la démocratie.

 

Bibliographie indicative

  • Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, GF-Flammarion, 1994.
  • Catherine Kintzler, Condorcet, l’instruction et la naissance du citoyen, Minerve, 2015 (1984).
  • Charles Coutel, Instituer le citoyen, Michalon, 2015.
  • Jean-Miguel Pire, Otium, Actes Sud, 2020.
  • Hannah Arendt, La crise de la culture, Essais Folio, Gallimard, 1972.

En ligne

Notes

1 – [NdE] Titulaire d’une maîtrise de sociologie (faculté des Lettres et Sciences humaines de Nancy 1996), Christophe Kamysz a été conseiller principal d’éducation (CPE) en lycée général et en collège de 1999 à 2006, date à laquelle il a obtenu le CAPES d’histoire-géographie. Il enseigne au collège Lyautey de Contrexéville depuis septembre 2007.

2 – [NdE] Textes toujours accessibles sur le site d’archives (voir le sommaire, rubrique « Ecole »), notamment et par exemple sous la plume de Jean-Michel Muglioni et de Tristan Béal . La série s’est poursuivie sur le site actuel (voir le sommaire thématique, rubrique « École »). Sur Condorcet, on pourra lire C. Kintzler « Condorcet, l’instruction publique et la pensée politique ».

3 – Mais pas exclusivement – l’enseignement privé est libre.

4 – L’ensemble des disciplines peut varier selon l’époque et l’état des techniques. Mais il y a des invariants : les disciplines qui donnent accès à toutes les autres (lecture, écriture, calcul). Les questions décisives sont celles du caractère libérateur du contenu de l’instruction et de sa progressivité.

5 – « En général, tout pouvoir, de quelque nature qu’il soit, en quelques mains qu’il ait été remis, de quelque manière qu’il ait été conféré, est toujours ennemi des lumières ». Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique (5e mémoire), Paris, GF, p. 261

6 – [NdE] Voir notamment sur ce site : « Les risques calculés du néo-libéralisme » par C. Kintzler ; « Comment ruiner l’école publique » par M. Perret  ; « OCDE et Terra Nova: une offensive contre l’école républicaine » par F. Boudjahlat.

7 – Hannah Arendt utilise l’expression « pathos de la nouveauté », La crise de la culture, Essais Folio, page 229.

8 – Catherine Kintzler, « Tout savoir est-il libérateur ? » dans  » Condorcet, l’instruction publique et la pensée politique »

Le professeur, le rappeur homo sapiens et le prédicateur (par Delphine Girard)

Delphine Girard1 analyse l’effarante et effrayante histoire de « Stéphanie »2, professeur de SVT3 qui, peu après l’assassinat de Samuel Paty et dans la même académie, fut accusée de « racisme » et menacée par un père d’élève. N’avait-elle pas, dans son cours sur les origines et l’évolution de l’espèce humaine, illustré Homo sapiens par une image du rappeur Soprano ? Effarante histoire : soutenue du bout des lèvres par une institution encline à déstabiliser les professeurs4, « Stéphanie » dut d’abord « s’expliquer » avant d’être exfiltrée dans une autre académie. Effrayante aussi : le crédit accordé à la parole prévenue et convenue des élèves, relayée et amplifiée par des parents idéologues, entend une fois de plus faire savoir aux enseignants de France qu’ils sont épiés et que la pression s’accentue pour les pousser à l’autocensure. Allons-nous laisser des prédicateurs s’emparer de l’école ?

[Le texte qui suit est celui de l’article que Delphine Girard a publié (sous le titre « Quand un rappeur donne de sa voix pour soutenir les enseignants ») dans le numéro 595 (février 2022) de L’AP, magazine mensuel du Syndicat national de l’enseignement technique action autonome-FO. Je remercie le secrétaire général du SNETAA-FO, directeur de la publication, pour son aimable autorisation de reprise.]

Voilà un peu plus d’un an, dans les Yvelines, il est arrivé à « Stéphanie » professeur de SVT, une bien singulière histoire dont la presse ne s’est fait l’écho que tout récemment5, mais sur laquelle il paraît singulièrement important de revenir. Alors qu’elle traitait tout à fait normalement son programme de troisième sur le darwinisme, quelque élève peu attentive lui fit remarquer avec indignation qu’il était choquant, à ses yeux, de voir apparaître sous les traits d’Homo sapiens sapiens le visage du rappeur Soprano. À cet instant, j’imagine que vous vous demandez comme moi, si vous ne connaissez pas cette affaire, ce qui pouvait bien provoquer l’indignation de cette élève : eh bien – tenez-vous – la raison en était que celui-ci est « noir » ! Ainsi selon elle, le cours de notre collègue serait « raciste », puisque la jeune fille voyait dans ce schéma de notre évolution une filiation directe entre le singe et le Noir, et par là, un parallèle insultant. Passons sur son ignorance, bien excusable au demeurant au regard des polémiques nauséabondes actuellement sur tout ce qui touche aux questions dites « raciales » : il n’existe qu’une seule et unique race humaine, mais après tout nous sommes là, pédagogues, pour expliquer ces choses à nos élèves. Là où le bât blesse, c’est que notre élève, peu convaincue par l’explication de son professeur, ne s’est pas contentée de se récrier en classe : assurément bien intentionnée, elle est allée montrer le cours à son père, un charmant monsieur connu des services de police pour des faits de violence, et engagé dans un islam rigoriste qui goûte peu les théories darwiniennes.

À cet instant, comme moi, vous blêmissez au souvenir d’une autre affaire toute semblable qui peu avant celle-ci, dans la même académie, avait secoué le monde enseignant d’un tremblement effroyable. Et voilà en effet que le charmant père de cette charmante élève, assurément soucieux, comme il le dira, de rétablir la justice dans une pédagogie coupable et non de faire peser sur notre collègue une menace dont il ne pouvait ignorer les répercussions potentielles, part en campagne sur les réseaux sociaux pour dénoncer le cours de cette enseignante, expliquant à qui veut l’entendre que l’Éducation nationale véhicule à dessein un enseignement raciste à nos enfants. Cette fois, le rectorat puis le parquet de Versailles prendront très au sérieux la fatwa numérique qui est en train d’éclore : l’affaire Paty, qui vient d’ébranler l’institution scolaire et la France entière, étreint encore tous les esprits. Pour autant, tout comme Samuel Paty, notre collègue devra d’abord, à la demande de sa hiérarchie, s’expliquer devant le père de l’élève en colère sur son cours et son choix pédagogique.

Lorsque, en toute transparence et en toute simplicité, elle explique qu’elle avait choisi le rappeur Soprano parce que, quelques années auparavant, certains de ses élèves lui avaient fait assez justement remarquer qu’on ne voyait toujours dans les manuels scolaires que des visages blancs, elle ne convainc évidemment pas le parent de son élève. Rien de bien étonnant : on devine qu’il n’était pas là pour écouter l’explication demandée, mais bien pour mettre en difficulté une enseignante qu’il attendait au tournant, guettant la faille dans l’institution comme on guette une proie, au sujet d’un cours qu’il dira lui-même lors de son audition ne pas cautionner, la théorie de l’évolution n’étant pas compatible avec ses convictions religieuses.

Fort heureusement, la comparaison avec la funeste affaire de notre collègue de Conflans-Sainte-Honorine s’arrête ici, et nous n’avons pas eu à pleurer l’insupportable mort d’une collègue qui s’efforçait de faire au mieux son métier. Mais enfin, à quel prix ! Après avoir porté plainte pour diffamation, « Stéphanie », contrainte et forcée, s’éloigne de son établissement, vit quelque temps au rythme des patrouilles qui régulièrement passent devant son domicile, puis se verra tout bonnement exfiltrée de son académie pour devenir TZR6 dans une région jugée plus sûre, perdant du même coup son poste, ses repères, ses collègues auxquels elle était attachée, et jusqu’à son appartement des Yvelines qu’il lui faudra vendre !

« J’étais heureuse, j’avais demandé à être affectée à Trappes. Ça me fait mal de penser qu’on m’a pris mon poste : ce monsieur m’a volé dix ans de ma vie. J’y avais établi des liens, j’avais des amis, j’ai tout perdu. J’avais pourtant été inspectée en 2018, et mes cours avaient été validés. […] Quand ce parent d’élève est venu, on l’a laissé entrer dans l’établissement alors que nous étions en Vigipirate renforcé. On ne m’a pas autorisée à être accompagnée d’un collègue et je n’ai pas été soutenue par mon chef d’établissement. »

À présent, comme moi, vous voilà agité de mille questions indignées : comment se fait-il qu’un professeur se voie sommé de se justifier, comme un accusé sur le banc, sur le contenu de ses cours à la première diffamation d’un parent pourtant connu dans l’établissement pour être un fauteur de troubles ? Pourquoi sa hiérarchie n’a-t-elle pas mieux protégé et soutenu notre collègue, jusque-là irréprochable ? Comment est-il possible, quatre mois après l’assassinat de Samuel Paty, que l’État, notre employeur, n’ait pas trouvé de meilleure parade au lynchage d’enseignants sur les réseaux sociaux que l’exfiltration d’une professeur innocente ? Voire plus dérangeant encore : pour quelles raisons insondables l’institution ne s’est-elle pas constituée partie civile lors du procès pour accompagner véritablement son administrée…?

Certes, « Stéphanie » n’a pas été abandonnée au triste sort de Samuel, et une prise de conscience a bel et bien eu lieu du moins au sein de la justice française : bien qu’il eût fini par démentir son post diffamatoire – du bout des dents et de façon bien ambiguë -, le père de l’élève écopera d’une peine de six mois de prison ferme, dont il entend prochainement faire appel. Mais enfin que de chemin il nous reste à parcourir dans la protection des enseignants et dans la défense de nos enseignements les plus attaqués par le grand retour du prosélytisme religieux ! Et que dire du chemin qu’il reste à nous frayer à travers toute une frange – devrais-je dire, une fange – de l’opinion quand on sait que ce père d’élève a reçu de Cyril Hanouna une bienveillante invitation pour expliquer ce qui lui était arrivé, et le jugement sévère dont il avait été victime pour avoir dénoncé ce qui lui était apparu comme du racisme institutionnel ! Sur les plateaux télé, il aura fallu que le rappeur lui-même vienne au secours de notre collègue, donnant de sa voix de Soprano pour dénoncer une campagne malveillante contre un cours volontairement « sorti de son contexte ».

Cette histoire singulière nous dit aujourd’hui quelque chose de terrible pour l’École et pour la République : elle dit que nous sommes, dans nos classes, guettés, attendus, scrutés. Ce que ce parent a voulu faire savoir aux enseignants de France, c’est que derrière nos élèves, certains idéologues ne sont pas prêts à nous laisser émanciper leurs enfants en toute liberté, qu’ils veillent, qu’ils sont prêts à tout pour rendre sur nos épaules et sur nos cours la pression toujours plus lourde et plus inquiétante afin de nous pousser à l’autocensure, nous obliger à éviter les sujets sensibles et nous faire préférer les cours « faciles » ; en somme, prêts à tout pour dévoyer notre métier et nous museler. Or, ne nous y trompons pas : aucun compromis n’est possible dans ce contexte sans compromission profonde de notre mission. Cette guerre que mènent certains religieux, c’est celle que menèrent toujours les obscurantistes à la science et au savoir : elle est politique, elle est totale, elle n’aura pas de limite. Après le darwinisme, il faudrait bientôt céder sur le tabou de la mixité en cours de sport, celui du cours sur la reproduction sexuée, celui de la critique religieuse véhiculée par les Lumières, celui du cours sur la Shoah…

Malgré tout ce qu’elle a enduré, « Stéphanie » poursuit aujourd’hui son enseignement engagé pour une pédagogie universaliste, qui s’attache justement à faire fi de la teinte de peau d’Homo sapiens… Comme elle, répétons partout que nous ne céderons pas ! Que la liberté pédagogique, la liberté d’apprendre, la liberté de circulation de tous les savoirs ne se négocieront pas, ne se ratatineront pas, au prétexte qu’une poignée de prédicateurs nous épient dans nos cours comme des prédateurs en faction ! Nous ne nous ferons pas proies dociles, nous ne renoncerons pas à nos ambitions humaines et pédagogiques, pas plus qu’à nos convictions laïques, ni à l’idée que nous nous faisons de notre métier. Souhaitons enfin à « Stéphanie » un prompt rétablissement psychologique et une poursuite de carrière sereine, heureuse et digne.

Notes

1 – Professeur agrégée de Lettres classiques, co-fondatrice de Vigilance Collèges Lycées – VCL, collectif d’enseignants laïque ayant vu le jour après l’assassinat de Samuel Paty ; membre du Conseil des Sages de la Laïcité.

2 – Nom d’emprunt.

3 – Sciences de la vie et de la terre.

4 – Le livre de David di Nota, J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty, Paris : Cherche-Midi, 2021, analyse de près les processus de désaveu et de culpabilisation auxquels les professeurs sont confrontés. Voir l’article de recension.

6 – Titulaire en zone de remplacement.

À la suite du colloque « Après la déconstruction, reconstruire les sciences et la culture »

Le colloque « Après la déconstruction, reconstruire les sciences et la culture », tenu à la Sorbonne les 7 et 8 janvier, a été un événement et un succès. Y compris à en juger par les articles et commentaires qui se sont donné une grande peine pour le discréditer : certains le jugeaient tellement important qu’ils avaient pris la précaution de le faire avant même sa tenue1 ! En attendant la publication des Actes, chacun pourra se faire directement une idée en écoutant les interventions réunies sur le site de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires (co-organisateur du colloque avec le Comité Laïcité République)2.

Dans l’article « Le maccarthysme est-il la chose du monde la mieux partagée ? » André Perrin se livre à une excellente analyse, parfaitement documentée et très caustique, du dénigrement dont le colloque est l’objet et du retournement victimaire qui inspire ce dénigrement. Je le remercie d’en avoir confié la publication initiale à Mezetulle, le site de l’Observatoire du colonialisme l’a repris, lui donnant ainsi une audience plus large.

Je remercie également Charles Coutel d’avoir proposé à Mezetulle une variante de son intervention (table ronde n° 10) « Osons transmettre ! » où, méditant sur un groupe sculptural du Bernin, il réfléchit sur le désir de transmetttre.

De mon côté, j’ai eu le plaisir de participer à ce colloque au sein de la table ronde n° 11 intitulée « Des rondes, des noires, des blanches : la musique pour tous », animée par Hubert Heckmann, avec Nicolas Meeùs, Bruno Moysan et Dania Tchalik. Sous le titre « Manuel abrégé d’expiation pour musicologues dix-septiémistes », j’y ai repris, en les abrégeant et en actualisant les références, quelques réflexions proposées en ligne dans l’article « Antiracisme, accusation identitaire et expiation en milieu académique » . À ces réflexions, j’ai ajouté un « dernier mot » :

« Nous avons appris le 7 janvier le décès de l’immense comédien Sydney Poitier. Ce sera peut-être l’occasion de revoir, entre autres, le grand film de Norman Jewison (1967) Dans la chaleur de la nuit d’après le roman de John Ball. Deux enquêteurs s’y affrontent dans le climat raciste du Sud des États-Unis de la fin des années 1950 – début des années 1960. C’est l’exercice de la raison, et lui seul, qui fait qu’ils prennent petit à petit congé, l’un et l’autre, de leurs préjugés respectifs. Se figer dans un rôle de victime ou dans celui d’un coupable plein de contrition n’a rien à voir avec un travail sur soi-même ».

1 – Voir dans Figarovox la tribune d’Emmanuelle Hénin (4 février 2022) « Le colloque sur la déconstruction, coupable d’avoir atteint sa cible »  et celle de Wiktor Stoczkowski (14 janvier) « Quand un colloque de grande qualité sur un sujet crucial devient, pour ses détracteurs, une machination diabolique » . On trouvera d’autres analyses sur le site de l’Observatoire du décolonialisme et sur le site du Comité Laïcité République.

2 – Les enregistrements sont accessibles par ce lien : https://decolonialisme.fr/?p=6517 .

Osons transmettre !

L’argument présentant le colloque « Après la déconstruction, reconstruire les sciences et la culture » tenu à la Sorbonne les 7 et 8 janvier 2022 se termine par un appel à la « construction, chez les élèves et les étudiants, des repères culturels et fondamentaux »1. Cela caractérise non seulement une fonction fondamentale de l’école et de l’université, mais aussi et plus largement le geste sans lequel aucune civilisation ne peut se déployer ni grandir. Reprenant son intervention lors du colloque, Charles Coutel réfléchit sur ce geste de transmission, sur le désir de transmettre et sur celui d’admirer en s’aidant d’un chef-d’œuvre à portée allégorique : le groupe sculptural Enée, Anchise et Ascagne du Bernin2.

« Il est également légitime, actuellement, de penser que la meilleure façon de servir la république
est de redonner force et tenue au langage »
Francis Ponge

À côté de la nécessaire critique de l’obscurantisme qui paraît gagner certaines parties de l’université, notre colloque, soucieux de reconstruire et donc de réinstituer, insiste sur la dimension de la transmission : « Il s’agit avant tout de favoriser la construction, chez les élèves et les étudiants, des repères culturels fondamentaux ». Une construction, éclairée par le désir de transmettre, permet d’allier la modestie et le désir de durer, tout en grandissant. Autant de vertus que les gardes rouges du wokisme ignorent. Cette ambition requiert des distinctions conceptuelles et sémantiques préalables : bien distinguer la transmission et la communication, la recherche et la propagande ou encore l’enseignement et l’inculcation.

Ce désir de transmettre se heurte, il est vrai, à l’existence d’un véritable fossé générationnel confirmé par les analyses récentes de Frédéric Dabi et de Stewart Chau (La Fracture, Les Arènes, 2021). On lit à la page 66 de cet ouvrage que pour les jeunes de la tranche d’âge 18-35 ans, en réponse à la question « Quels sont les handicaps de la France ? », ils répondent : pour 44 %, la crainte du chômage, mais tout de suite après, pour 36 %, l’affaiblissement de l’école et du système éducatif, puis les questions de la dette, de l’immigration ou encore la menace terroriste. Dont acte3.

Ces constats initiaux permettent d’insister sur l’importance de la transmission. Transmettre est donc une urgence pour l’École et l’Université, mais nous n’hésitons pas à dire que la transmission est un processus complexe et exigeant qui, problématisé, pourrait justifier notre volonté de reconstruire.

Transmettre n’est pas communiquer

Beaucoup d’esprits, trop peu instruits et trop peu cultivés, semblent confondre communiquer et transmettre4. Pour reprendre une formule concise de Régis Debray dans son ouvrage Les enjeux et les moyens de la transmission (1998), « La transmission est un transport qui transforme ». La communication se déploie dans l’espace, sur le mode de l’immédiateté, tandis que la transmission requiert une dimension temporelle et donc le temps long de l’étude. Mieux, si transmettre c’est accepter de se transformer, c’est aussi un appel à un retour sur soi pour savoir qui on est et ce qu’on doit transmettre. C’est cette modestie et cette patience que l’on retrouve quand nous parlons de conservatoire de musique, de conservateur de bibliothèque ou de musée ou enfin de conservation de manuscrits.

Notre remarque initiale se confirme : la construction des repères culturels fondamentaux requiert une philosophie raisonnée de la transmission. Comme le confirme le sondage cité précédemment, une grande partie de notre jeunesse est comme désœuvrée, à tous les sens du terme : à la recherche d’une reconnaissance économique et sociale par le travail , mais aussi, trop souvent tenue éloignée des œuvres de la culture humaniste universelle. Comment comprendre autrement les actes de vandalisme contre les œuvres d’art, les statues, qui ont récemment défrayé la chronique : barbarie, ignorance, inculture, tout se tient.

Cette perte de repères culturels ne date pas des récentes crises sanitaires voire sociales ; nous faisons l’hypothèse que l’inculture de masse procède d’une volonté politique datant des années 1970 qui, réforme Haby oblige, a fait des institutions scolaire et universitaire des lieux de socialisation, prétendument professionnalisante, et non d’émancipation individuelle et collective par les savoirs, les techniques et les arts, au service de notre République. Le désolant « vivre-ensemble » est un des effets à long terme de ce quasi-refus d’instruire et de cultiver les citoyens. Pour ne pas connaître un nouveau mai 68, les élites orléanistes, autoproclamées et technocratisées, ont privé la jeunesse des mots et des chefs-d’œuvre qui permettent de dire et de penser la résistance au monde tel qu’il va5. C’est cette amnésie programmée que notre colloque conteste et combat. Redécouvrir les chefs-d’œuvre de l’humanité et la richesse de la langue soutient et nourrit cet esprit de résistance et de reconstruction.

Un détour par Pierre Legendre

Dans une contribution au volume collectif De la limite (2005, Parenthèses Éditions), Pierre Legendre avertissait : « Nous traversons une période d’obscurantisme militant ». Dans d’autres travaux, ce constat est mis en relation avec la crise de l’ancestralité. Dès 2001, dans son ouvrage De la Société comme texte (Fayard, p. 235), le philosophe a cette formule troublante : « la mondialisation pose la question de l’ancestralité ». Dans son esprit, l’ancestralité rejoint les idées de transmission, de savoir et d’enseignement. Dans ce contexte mondialiste, l’amnésie communicationnelle ne peut que marginaliser l’exigence de transmission. Mais alors, que faire quand il faut à la fois réagir vite et prendre le temps de la réflexion et du débat ? C’est la question qu’il nous arrive parfois de nous poser : que devons-nous d’abord préserver et sauver quand il y a un incendie ? On sait que c’est cette interrogation qui clôt l’ouvrage d’Umberto Eco, Le Nom de la rose : sauver les textes d’Aristote ! Ces références nous permettent de revenir à nouveaux frais sur nos constats initiaux.

Une allégorie de la transmission : Énée et Anchise du Bernin

Pour répondre non fanatiquement aux fanatiques et ouvrir l’avenir, nous pouvons, pour nous-mêmes et pour les jeunes, nous inciter à redécouvrir les chefs-d’œuvre, les monuments, les textes de notre héritage universaliste. Conserver les livres ou les brûler, ce choix est essentiel. Les grandes œuvres s’organisent bien souvent autour de la volonté courageuse de continuer à transmettre. Innover, parce que l’on est justement de fidèles héritiers6.

Prenons le temps, animés par ces interrogations, d’admirer la sculpture du Bernin, Énée et Anchise, réalisée entre 1619 et 16207  [cliquer sur la photo pour la voir en grand format].

Le Bernin : « Enée, Anchise et Ascagne »

Pour symboliser le désir de transmettre, bien des œuvres peuvent être mobilisées, mais nous choisissons cette sculpture car elle nous permet d’inscrire la complexité de toute transmission dans l’espace singulier de l’œuvre. L’épisode évoqué par cette sculpture renvoie à l’Énéide de Virgile8, lui-même admirateur d’Homère. Énée fuit la ville de Troie en flammes. Il entend sauver l’essentiel. Il s’assure que son épouse et son fils Ascagne sont sains et saufs et ne sont pas loin ; il tient à bout de bras son père, Anchise, paralysé. Anchise, lui aussi soucieux de sauver l’essentiel, tient et protège un petit autel des dieux Lares. Rappelons également qu’Ascagne a la responsabilité de porter et de préserver la flamme du foyer. Qu’on se rassure, ce chef-d’œuvre présent dans la villa Borghèse de Rome est sous très bonne garde ! Même si cette œuvre est d’un seul tenant, on peut y distinguer quatre niveaux d’interprétation.

Les différents niveaux d’une herméneutique de la transmission

Le premier niveau insiste sur l’importance et la responsabilité d’Ascagne, à qui l’on n’hésite pas à confier la protection et l’entretien du foyer. Pas de transmission sans le respect des enfants, qu’il s’agit d’instruire et d’éduquer. Notre régression jeuniste actuelle est aux antipodes de cette composante initiale ; c’est pourquoi nous utilisons de plus en plus le mot jeune et de moins en moins le terme enfant, qui en latin renvoie pourtant à la nécessité de bien nommer et d’apprendre à parler comme on devrait parler. La leçon est claire : c’est le plus jeune qui a la charge de ce qu’il faut préserver à long terme.

Le deuxième niveau implique l’effort déployé par Énée, le plus vigoureux, qui porte son père sur ses épaules : piété filiale reconnaissante. Toute transmission ne passe-t-elle pas par le fait d’accepter d’avoir des enfants, des parents mais aussi des étudiants à sa charge (prenons au sérieux l’expression chargé de cours) ? La leçon nouvelle est claire : on ne peut aller de l’avant si on ignore les savoirs et la culture hérités. On sait malheureusement combien un certain sociologisme, heureusement finissant, s’est plu à pervertir l’expression héritage culturel. Autre leçon d’ordre éthique : c’est au moment où on risque de la perdre que l’ancestralité formatrice montre toute son importance. C’est pourquoi notre colloque est historique.

Troisième niveau : l’importance du personnage d’Anchise, qui sait qu’il dépend de l’aide d’Énée, mais qui, à son tour, protège ce dont il a lui-même hérité : l’autel des dieux Lares.

Quatrième et dernier niveau : l’autel des dieux Lares, lui-même monument de l’ancestralité. Le plus ancien est placé le plus haut. Le flambeau d’Ascagne est destiné à se placer à côté de l’autel des dieux Lares quand celui-ci sera de nouveau en lieu sûr. Synchronie de l’œuvre d’art qui permet de penser la nécessaire diachronie de toute transmission9. Cette sculpture n’est-elle pas l’exemple des repères culturels fondamentaux dont notre jeunesse est, à son insu, privée ?

Trois leçons

En ayant en tête la complexité d’une herméneutique de la transmission, ouvrons trois perspectives qui sont la traduction pratique de nos constats initiaux. Mais soyons modestes, ces perspectives dessinent autant de tâches qui supposent une volonté de réinstituer l’École républicaine et l’Université publique. Ces tâches sont difficiles, mais exaltantes, car elles nous permettraient enfin de sortir du renoncement orléaniste qui date des années 1970.

Première tâche : se concentrer sur la nécessité de la nomination, en réaffirmant la toute-puissance émancipatrice de la normativité de la langue. Un repère culturel devient fondamental quand il est nommé avec clarté et pertinence. Toute reconstruction implique de bons matériaux, de bons outils, mais aussi de bons ouvriers et de bons architectes. Prenons au sérieux l’avertissement de Francis Ponge en 1951 : « Il est également légitime, actuellement, de penser que la meilleure façon de servir la république est de redonner force et tenue au langage »10. On le sent bien aujourd’hui, le lexique républicain rationaliste et humaniste est à reconstituer presque en totalité.

Deuxième tâche : redonner force et vigueur à l’argumentation rationnelle qui caractérise la démarche scientifique. Enseigner et chercher ne sont pas des activités militantes et nos étudiants ne sont pas des cobayes. Sachons rétablir la noblesse des controverses au sein desquelles les problèmes sont posés et débattus. Sur ce point, la méthodologie poppérienne de la falsifiabilité est à remettre en place, notamment dans le domaine des sciences sociales et dans les instances d’évaluation. Un laboratoire ou un centre de recherche ne sont pas des chapelles ! L’incantation n’est pas une démonstration. Toute intimidation est à proscrire.

Troisième tâche, que nous indiquent les grandes œuvres comme celle du Bernin : toute transmission saura allier la modestie devant la richesse d’un héritage avec le désir d’admirer. Dis-moi ce que tu admires…

La transmission est une école de modestie et de curiosité mais c’est pour mieux nous proposer une expérience de l’admirable. L’admiration répète l’original, elle s’en inspire en innovant, dans le souci de grandir ensemble11.

Quelques conclusions

Il est donc possible de formuler et de dépasser la nature paradoxale de la transmission qui veut que la véritable originalité emprunte les chemins de l’étude. Il se pourrait même que pour innover il faille accepter modestement de continuer. N’est-ce pas aussi une des leçons possibles de la contemplation de l’œuvre du Bernin ? Sachons enfin nous souvenir des deux avertissements solennels que lancent ces deux génies de la transmission que sont Flaubert et Primo Levi. Flaubert, dans Bouvard et Pécuchet, montre les ravages que causent ses deux personnages qui, prenant en otage deux enfants, s’improvisent instituteurs sans rien connaître de ce qu’ils prétendent enseigner. Au point que, dans une « séance de botanique », Flaubert a cette formule : « Ils inventèrent des noms de fleurs plutôt que de perdre leur prestige ». Songeons, d’autre part, à ces pages du chapitre 11 de Si c’est un homme où Primo Levi déclare qu’il aurait donné sa soupe pour pouvoir retrouver un vers de Dante, autre admirateur de Virgile, qu’il tenait à tout prix à transmettre à Pikolo, son jeune compagnon de misère à Auschwitz, désireux d’apprendre l’italien. Là encore, dans l’urgence absolue : transmettre un chef-d’œuvre, pour grandir ensemble et conserver l’estime de soi.

Notes

1 – [NdE] Colloque organisé par l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires et par le Comité Laïcité République. On peut lire l’argument sur le site : https://decolonialisme.fr/?p=6333

2 – [NdE] Le texte qui suit est une version écrite de l’intervention de C. Coutel au colloque. On peut écouter l’intervention sur cette page du site de l’Observatoire (table ronde 10) https://decolonialisme.fr/?p=6517 .
Gian Lorenzo Bernini dit le Bernin, Enée, Anchise et Ascagne, (1618-1620), Rome Galerie Borghèse https://it.borghese.gallery/collezione/scultura/enea-anchise-e-ascanio.html

3 – Nous avons commenté ces chiffres lors du récent colloque sur l’universalisme organisé par le Comité Laïcité République à Nantes.

4 – Cette première confusion se double d’une autre, que nous ne pouvons étudier ici : la confusion entre patrimoine et mémoire.

5 – L’orléanisme est ici utilisé au sens de Charles Péguy : processus par lequel une branche cadette, ayant pris le pouvoir sur la branche aînée, se justifie en réorganisant à son profit la mémoire et les mots, instituant une véritable amnésie d’État. Pour Péguy, depuis le début du XXe siècle, les religions, voire la République, se sont orléanisées.

6 – Nous renvoyons, sans pouvoir le développer ici, au concept de secondarité culturelle chez le philosophe Rémi Brague ; voir La Voie romaine, Folio, 1999.

8 – Virgile, Énéide, Livre 2 : récit par Énée de la chute de Troie.

9 – Nous posons le cadre philosophique, mais potentiellement institutionnel, d’une formation des maîtres réellement au service de la transmission.

10 – Voir le texte de Ponge intitulé Pour un Malherbe, La Pléiade, p. 15. Nous nous permettons de renvoyer aux pages 94 et 95 de notre ouvrage Pour une République laïque et sociale. Héritages, défis, perspectives, L’Harmattan, 2021. La maîtrise de la langue écrite et orale doit être assurée avant l’entrée au collège, mais le présupposé essentiel est bien la maîtrise parfaite de la langue par tous ceux à qui on confie un enseignement.

11 – Le philosophe Jean Nabert complète cette expérience éthique et esthétique de l’admirable par une philosophie spirituelle de la vénération par laquelle, expérimentant les figures transcendantales de l’hospitalité, nous laissons l’admirable transformer toute notre personne. On lira, de Jean Nabert, ses Éléments pour une éthique, Aubier, 1971, p. 218.