Tous les experts sont d’accord : il faut en finir avec le redoublement ! Le problème est que les prétendues études sur lesquelles s’appuient ces Diafoirus pour asséner ce qui n’est rien d’autre qu’un dogme reposent sur des sophismes, des enquêtes internationales biaisées et avancent des estimations de « coûts » invérifiables. Mais qu’importe ? qui veut noyer son chien…[1]
En finir une fois pour toutes avec le redoublement ! Telle est donc, de nouveau, la grande et noble ambition de refondation de l’École de la République. On ne le répétera jamais assez, et tous les experts s’accordent à le dire : le redoublement est une pratique archaïque, inutile, inefficace, coûteuse et même injuste, nuisible et traumatisante pour les élèves, à laquelle demeurent pourtant attachés les enseignants, voire les parents, par préjugé et par croyance irrationnelle.
Le lamento : si seulement le redoublement était interdit !
Un projet de décret fut donc présenté au CSE [2], le 3 juillet dernier, pour soumettre dorénavant le redoublement, à tous les niveaux de la scolarité, à un accord écrit des parents. Il semblerait que ce projet n’aille pas encore assez loin pour les experts du CNESCO [3], qui avaient opportunément rendu public, le 28 août 2014, des extraits d’un futur Rapport consacré au « redoublement et ses alternatives » : on peut y lire que le redoublement, dont la pratique est en France en nette régression, n’est malheureusement pas encore, selon eux, comme c’est le cas pour d’autres pays, purement et simplement interdit [4] !
Le CNESCO prévoit donc pour le cours de l’année scolaire 2014-2015 une série de « conférences de consensus » : on peut cependant se demander en quoi pourront bien consister les débats avec des experts en « science de l’éducation » qui estiment détenir la vérité absolue et qu’on ne saurait donc contester qu’en raison d’un aveuglement lié à ses « représentations sociales ». Car c’est évidemment ce qui expliquerait les réticences du corps enseignant, encore attaché à « la pédagogie traditionnelle », à sa « vision morale de l’École républicaine » et même à l’usage de tout moyen coercitif confortant son pouvoir au sein de l’ordre scolaire [5] ! Les experts ne craignent pas néanmoins l’incohérence quand ils déplorent « la place essentielle laissée aux parents » (qui peuvent également adhérer à ce genre de pratiques éducatives désuètes), place qu’ils ont toujours cherché à renforcer au sein de l’institution (chaque fois qu’il a été possible, évidemment, de porter atteinte à l’autorité des professeurs).
Un sophisme arithmétique
Les arguments invoqués pour démontrer « scientifiquement » l’inutilité du redoublement sont globalement toujours les mêmes : ils se fondent sur un sophisme arithmétique. Les études en question consistent à comparer les résultats scolaires des groupes d’élèves ayant déjà redoublé avec ceux de la population de leur classe d’âge : ce qui permettrait de mesurer, par l’usage des méthodes statistiques, les effets négatifs du redoublement sur les performances scolaires ultérieures des élèves. Le Rapport du CNESCO reconnaît néanmoins qu’il y a en cela de graves insuffisances méthodologiques : « Le chercheur est donc contraint, peut-on y lire (p.19), de comparer des élèves redoublants et des élèves non-redoublants pour estimer la valeur inobservable de ce qui se serait passé pour le redoublant s’il avait été promu ». Nous saurons gré aux experts d’admettre qu’ils n’ont pas encore le pouvoir, en dépit de leur science absolue, de prédire ce qu’aurait dû être l’avenir si on avait pu agir sur le présent ! Mais qu’à cela ne tienne : ce défaut méthodologique expliquerait pourquoi certaines études ne sont pas significatives (les cas où le redoublement s’avère positif, ce qui tiendrait à des raisons extrinsèques), mais ne jouerait plus en défaveur des études les plus récentes (celles qui démontrent que le redoublement a des effets quasiment nuls à court terme et négatifs sur le long terme). Le double discours peut donc sans problème être admis comme procédé scientifique.
Des enquêtes internationales biaisées, un prétendu « coût » invérifiable
Autre argument indubitable au regard des experts : la confirmation par les enquêtes internationales et notamment PISA [6]. Or les enquêtes internationales sont biaisées : elles n’évaluent absolument pas le niveau scolaire des élèves, mais des « compétences socialement utiles » par des tests composés d’items et de QCM. De surcroît, l’interprétation des statistiques internationales est toujours tendancieuse : certains pays ne pratiquant pas le redoublement ont certes les meilleurs résultats (la Corée, le Japon, la Finlande, la Norvège) ; d’autres pays du même ordre, cependant, ont des résultats en dessous la moyenne de l’OCDE (la Grèce, la République Tchèque, la Slovaquie, Israël) ; mais certains pays, ayant conservé le redoublement dans leur système scolaire, bénéficient de résultats au dessus de la moyenne (la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse). Les comparaisons internationales ne permettent donc pas d’ériger un modèle de système scolaire abstraction faite d’autres paramètres déterminants comme la culture, l’histoire, le poids démographique, le PIB par habitants, etc. Encore une fois, le procédé n’est pas rigoureux sur le plan de la méthodologie scientifique.
Dernier argument, et c’est sans doute le plus convaincant : le coût annuel du redoublement s’élèverait à 1,6 milliards d’euros pour le système éducatif. Le Rapport du CNESCO ne présente aucune donnée quantifiable permettant de vérifier de tels chiffres, mais seulement sa méthode de calcul : distinguer le coût moyen et le coût marginal d’un élève et déterminer l’impact de l’augmentation du nombre d’élèves par classe d’âge sur la dépense d’éducation correspondante [7]. Le système éducatif s’apparente à un appareil de production, l’élève à une marchandise, la suppression du redoublement à une économie d’échelle.
Mais enfin par quoi le remplacer ? On ne pourra reprocher aux experts de manquer d’imagination : rattrapage en fin d’année, promotion conditionnelle, écoles d’été, classes multi-âges, suivi individualisé et apprentissage coopératif (pp. 28-29). Cependant, de telles pratiques pédagogiques, continuellement préconisées au fur et à mesure des réformes, ne seront pas mises en place pour se substituer au redoublement : elles seront rendues nécessaires parce que celui-ci aura été supprimé ! Que faudra-t-il, dès lors, supprimer encore afin de favoriser la réussite des élèves : la notation, les classes, les examens, l’École elle-même ?
Inconsistant sur le plan méthodologique, dogmatique, don-quichottesque : le Rapport du CNESCO sur le redoublement est un chef d’œuvre d’inepties pédagogistes.
1 Dans un article intitulé « le redoublement en question », paru dans la Quinzaine Universitaire n° 1242 du 29 août 2005, Guy Desbiens dénonçait déjà la campagne de communication orchestrée à l’époque pour mettre en cause la valeur et la place du redoublement au sein du système scolaire (article repris sur Mezetulle).
2 Conseil Supérieur de l’Éducation.
3 Le Conseil national d’évaluation du système scolaire, qui se définit comme une « instance indépendante placée auprès du ministre de l’éducation nationale et présentant une capacité d’évaluation scientifique de haut niveau » (http://www.cnesco.fr/).
4 « Légalement, le redoublement ne peut être qu’exceptionnel (article 37 de la loi de 2013). Il n’est cependant pas interdit » (pp.16-17).
5 Cf. pp.25-26 : les extraits qui sont présentés du Rapport sont édifiants.
6 Programme international pour le suivi des acquis des élèves (enquête menée tous les 3 ans par l’OCDE) : http://www.oecd.org/pisa. On notera à cet égard que l’actuelle présidente du CNESCO, Nathalie Mons, a codirigé la concertation pour la refondation de l’École et intervient en tant qu’experte pour le consortium PISA.
7 « nous avons calculé la sensibilité de la part de la dépense intérieure d’éducation par degré d’éducation au nombre d’élèves dans chaque degré. Nous trouvons alors qu’une augmentation de 1% du nombre d’élèves engendre une hausse de la dépense intérieure d’éducation de 0,6%. Ainsi, le coût du redoublement correspond à environ 60% du surcoût calculé comme le produit de la dépense moyenne par élève et du nombre de redoublants » (p.24).