Archives de catégorie : Revue

Le concept de « légitimité culturelle » et l’abandon d’une culture exigeante (par C. Bertiau)

À partir d’une réflexion sur le concept de « légitimité culturelle », Christophe Bertiau montre que s’en prendre à une culture exigeante au nom d’une théorie critique de la « domination » a pour effet d’installer le marché comme seul critère de valorisation culturelle. Il faudrait donc « […] rendre ‘’légitimes’’ les cultures de masse, […] enseigner à l’école le rap, le slam, les mangas. Ce faisant, on n’a pas considéré que le marché remplit déjà avec brio ce rôle de valorisation. ». C’est ainsi que le seul arbitrage du marché convertit la réussite économique d’un bien culturel en réussite symbolique. En témoignent les apologies de l’esthétique des chansons de l’artiste Aya Nakamura, régulièrement comparée aux écrivains français les plus valorisés – apologies dont l’auteur nous offre un florilège.

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‘Penser contre son camp’ de Nathalie Heinich, lu par Philippe Foussier

Dans ‘Penser contre son camp, itinéraire politique d’une intellectuelle de gauche’ (Gallimard, 2025), Nathalie Heinich constate les mutations intervenues dans son camp politique. Elle en recense les marqueurs : activisme néo-féministe, complaisance envers l’islamisme, soutien aveugle au transactivisme, défense inconditionnelle de l’écriture inclusive, et récemment dérive vers cet antisémitisme d’atmosphère que constitue aujourd’hui l’antisionisme. Elle rappelle les principes qui n’auraient logiquement jamais dû quitter le camp de la gauche dont l’ensemble est à présent gangrené par ces mutations : une telle conversion est probablement la plus importante sur le plan idéologique comme d’un point de vue quantitatif depuis le XVIIIe siècle.

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Dessin, figure, texte

En confrontant « dessin et texte » dans différents domaines, Thierry Foucart ne se contente pas de souligner la fréquente ambivalence des images, des figures, et même du graphique – sans parler de leur exploitation biaisée -, opposée à la précision d’un texte explicatif ou analytique. Au-delà de l’enrichissement et de la fonction révélatrice que recèlent des images équivoques, il montre la valeur heuristique des tracés, notamment en géométrie. Ainsi apparaît une « complémentarité » de la représentation graphique et du texte susceptible de renforcer leur puissance.

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« Éric Weil. Philosopher avec Critique », lu par Jean-François Robinet

Jean-François Robinet a lu le volume de 773 pages « Éric Weil. Philosopher avec ‘Critique' » (Paris, Vrin, 2024) où sont publiés, annotés et présentés par les soins de Patrice Canivez, Gilbert Kirscher et Sylvie Patron les 157 articles et notes qu’Éric Weil a écrits pour la revue Critique entre 1946 et 1971. Les lecteurs d’Éric Weil y trouveront un complément utile pour l’approfondissement de sa philosophie ; ceux qui ne le connaissent pas y trouveront des jugements éclairés sur les moments décisifs de l’histoire.

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Sport et laïcité : un terrain miné

Aline Girard rappelle les multiples et spectaculaires offensives politico-religieuses dont la pratique sportive publique est l’objet, lesquelles n’épargnent même pas (on devrait dire « surtout pas ») l’olympisme en dépit de sa charte. Elle fait le point sur la situation actuelle de la réglementation, très complexe, de l’affichage politico-religieux dans le sport et commente le projet de loi voté par le Sénat en février 2025 ainsi que les réactions qu’il a soulevées. Elle souligne que, pour l’islam politique qui mène ses offensives sur tous les secteurs de la vie sociale et publique, « le sport est un terrain de choix, puisqu’il met en scène le pire cauchemar des intégristes, la liberté des corps, et surtout la liberté des corps féminins. »

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Hommage à Angelo Rinaldi (17 juin 1939-7 mai 2025)

Mezetulle remercie Samuël Tomei pour cet hommage à Angelo Rinaldi, où s’entrecroisent lumineusement l’histoire d’un homme, celle d’un auteur amoureux de la langue, et la littérature qui révèle et libère la part inaccessible et déniée que chacun recèle en soi.

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Pourquoi l’école ne peut (malheureusement) plus être un lieu d’émancipation et d’éducation (par C. Bertiau)

Après avoir lu l’article de Jean Leclercq sur l’enseignement dont il partage en grande partie les analyses, Christophe Bertiau présente une vision dissonante et quelque peu décourageante s’agissant d’une action proprement politique qui, selon lui, entretient l’illusion d’une refondation humaniste de l’institution scolaire. Si, dit-il, « les savoirs passent à la trappe », si la perspective humaniste a quitté l’école, si les activités extra-scolaires et l’idéologie modulaire des « compétences » l’envahissent, c’est que les réformateurs sont les agents de forces puissantes qui font de l’école un appendice du marché du travail. Et puisque « dans une société de marché le politique est subordonné à l’économie », il est vain d’espérer une autre politique scolaire.
Au-delà de ses constats et de ses analyses extrêmement bienvenus dans la ligne éditoriale de Mezetulle, l’article pose la question classique de l’exclusivité causale de ce que naguère on appelait l’infrastructure économique. Ce faisant, il ouvre un débat s’agissant de l’école pensée comme institution censée dépasser, par son universalisme et son humanisme liés aux savoirs, ce moment causal mécanique.

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Jean-Michel Muglioni : le courage de penser

Jean-Michel Muglioni a toujours emprunté et frayé une route qui s’efforce de prendre la pensée à ses commencements pour la mener à son comble. Il a donné l’exemple du courage de penser. Il a été cet exemple pour ses élèves, pour ses collègues, pour ses lecteurs, pour ses interlocuteurs, et aussi pour ses amis au nombre desquels je m’honore d’avoir été. Il le restera.

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L’enseignement comme émancipation et éducation (par Jean Leclercq)

Libres considérations inactuelles

Mezetulle remercie Jean Leclercq pour cette belle défense et illustration de l’école dans sa mission essentielle : instruire. S’opposant à maintes idées répandues, il plaide pour « une rupture ou un principe de différence quasi ontologique entre l’École et la société ». L’école émancipe dans la mesure où elle ouvre et protège un « espace spécifiquement distinctif qui est celui d’une instruction publique et singulièrement décentrée par rapport à des pratiques utilitaires voire rentables », un lieu à l’abri des pressions déguisées en « valeurs pédagogiques » dont on nous rebat les oreilles depuis des décennies tant en Belgique qu’en France. Or « c’est précisément parce que l’on n’y enseigne pas et que l’on n’y élève pas que l’École devient un autre lieu », celui de la reproduction sociale.
L’auteur ne se borne pas à déployer des arguments et à donner des exemples accablants, il ne s’appuie pas seulement sur une expérience de type professionnel qui aurait quelque chose d’un peu trop tranquille. Il puise les accents les plus forts et les plus émouvants de son plaidoyer dans l’histoire sinueuse de l’enfant « transclasse » qu’il fut, et qui aujourd’hui « […] ne peut pas s’empêcher de repenser à toutes ces situations où il ne fut pas « élevé » comme l’exigeait sa condition d’élève ».

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Roman Polanski, un temps pour transmettre

Sur le livre de R. Polanski « Ne courez pas! Marchez! »

Sabine Prokhoris déploie une magnifique réflexion sur le livre de Roman Polanski « Ne courez pas ! Marchez ! » suivi de « Lettres à mon fils » de Ryszard Polanski, traduction des Lettres par Piotr Kaminski, Paris Flammarion, 20251. Mezetulle reprend ici le texte publié par la revue Telos, en remerciant l’auteur et Telos de leur aimable autorisation.

« À ces scènes incroyablement vives de la vie d’un jeune garçon plongé dans un cauchemar auquel il lui a fallu jour après jour imaginer comment résister, le récit entremêle les réflexions d’un homme qui a beaucoup vécu, beaucoup lu, beaucoup réfléchi et qui, surtout, n’a cessé de créer. C’est-à-dire, à mille lieues de tout solipsisme, de transformer en une œuvre artistique à portée universelle la matière impure de la vie. Telle aura été – telle est – la plus indestructible des résistances à l’anéantissement. »

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L’intelligence artificielle : l’édification d’un monde de substitution post-humain

Compte rendu d’un livre de François Rastier

Dans ‘L’I.A. m’a tué. Comprendre un monde post-humain’ (Paris, Éditions Intervalles, 2024), François Rastier analyse le fonctionnement des intelligences artificielles génératives (IA) du type ChatGPT. Contrairement aux comparaisons rassurantes (notamment avec l’écriture et l’imprimerie) qui tentent de sauver la place surplombante d’un utilisateur-sujet face à une technologie qu’il s’agirait simplement d’apprendre et de contrôler, il montre que la génération automatique de textes et d’images conduit à édifier un monde de substitution post-humain exerçant une emprise sur ledit sujet. Simulant la symbolisation alors qu’il n’est fait que de codes de signaux, ce monde ignore les notions de vérité, de réalité, d’authenticité, et le statut de sujet en tant qu’agent critique réflexif, y est constitutivement impensable.

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À sa place ou déplacé. Récit transclasse et pensée victimaire (par Fabrice Ravelle)

Fabrice Ravelle réfléchit sur la construction et l’usage du concept de ‘transclasse’ – « ces personnes qui migrent d’une classe sociale à l’autre dans un mimétisme qui se sent parfois coupable ». Parti d’une expérience personnelle, nourri par la lecture de récits contemporains (Didier Eribon, Edouard Louis, Annie Ernaux) éclairé par des travaux de recherche (Chantal Jaquet, Gérald Bronner, Frédéric Martel), il soulève la question d’une « pensée victimaire » et d’une assignation qui, au nom d’une identité contraire à la singularité, récuse le principe d’émancipation.

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L’hypothèse « toutes choses égales par ailleurs »

Thierry Foucart prolonge et approfondit une réflexion déjà engagée dans les colonnes de Mezetulle sur l’usage peu rigoureux des probabilités et de la statistique dans le domaine des sciences sociales. Il examine ici, en l’illustrant avec quelques études de cas, l’hypothèse bien connue « toutes choses égales par ailleurs », souvent utilisée pour détecter l’existence de discriminations.

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De Castoriadis à Ibn Khaldoun (et retour)

Vers un horizon impérial

La fin de la spécificité de l’Occident fut diagnostiquée naguère par Cornelius Castoriadis. Poursuivant ici une série de publications sur Castoriadis, Quentin Bérard, par le truchement des analyses de Gabriel Martinez-Gros, invite à méditer l’univers décrit au XIIIe siècle par le penseur arabo-musulman Ibn Khaldoun. La modernité occidentale peut alors apparaître comme une parenthèse ; sa dérive, son « délabrement », analysés par Castoriadis avec un certain accablement, semblent pointer vers un horizon impérial dont les formes renouvelées restent à cerner- quelques pistes sont ici esquissées.

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L’urgence de transmettre… des contresens ?

Critique des écrits de François-Xavier Bellamy sur l’école

Il y a bien longtemps que Mezetulle s’indigne devant une politique scolaire qui tient pour suspecte la transmission des savoirs et qui ne cesse de livrer l’école à son extérieur. De nombreux ouvrages et travaux se succèdent depuis une quarantaine d’années, annonçant et analysant l’effondrement scolaire que l’on constate. On serait tenté d’y joindre des écrits de François-Xavier Bellamy – notamment « Les Déshérités » et « Éduquer avec Rousseau ». Or Benjamin Straehli montre que le problème est que F.-X. Bellamy y recourt avec une grande désinvolture à une généalogie absurde, attribuant les maux actuels de l’école directement à Descartes, Rousseau et Bourdieu ; il reprend ainsi (ou même forge) des clichés fondés sur ce qui ne mérite même pas le nom de lecture.

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Intuition et raisonnement

L’analyse des exemples proposée par Thierry Foucart montre en quoi les raisonnements spontanés, les hypothèses implicites, l’acceptation non critique de questions apparemment claires – que l’auteur désigne par le terme général d’intuition – loin d’être les fruits de démarches sommaires qu’il serait facile de déceler et de dénoncer, s’autorisent bien souvent d’un demi-savoir nimbé du prestige des technologies modernes en matière de calcul et d’information. Se croyant dispensé d’instruction élémentaire et de pensée critique parce que ces technologies fourmillent de solutions qu’elles mettent immédiatement à la portée de la moindre requête, on néglige alors de faire l’effort de s’interroger sur l’intelligibilité même des questions et sur la manière dont les connaissances sont obtenues.

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Les normes et ce qui leur échappe : sur Foucault et Butler (1re partie)

À partir du livre d’Éric Marty « Le sexe des modernes »

Dans ce travail d’analyse et d’explication de textes croisés, Daniel Liotta, à partir d’un livre d’Éric Marty, examine les déformations spéculatives imposées par la philosophe américaine Judith Butler à certaines œuvres françaises de la seconde moitié du XXe siècle, particulièrement celles de Michel Foucault. Cette déformation a reçu le nom de French Theory. Il met en lumière le statut distinct que Foucault et Butler accordent à l’universel, au particulier et au singulier lorsqu’ils pensent la « sexualité » et les normes sexuelles. Il montre en quoi et pourquoi Foucault et Butler sont fondamentalement en désaccord dans leur conception de l’universel et du singulier. Alors que Foucault propose une « culture » des plaisirs qui invente des singularités en s’ouvrant à l’universel une fois les particularismes mis hors-jeu, la pensée de Butler soumet la pensée du « je » à une sociologie des particularismes, interdisant toute valorisation du singulier et de l’universel.
Ce parcours très riche propose (première partie) une réflexion sur l’individualisation et la singularisation, la norme et la loi selon Foucault. Il aborde ensuite (seconde partie) une analyse de la puissance des particularismes, des communautarismes sexuel et social.

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Qui déteste Manuel Valls ?

Depuis la nomination du gouvernement de François Bayrou, le nouveau ministre des Outre-mer Manuel Valls est l’objet d’un déferlement de haine sur les réseaux sociaux, au point qu’un auditeur a pu insulter en direct l’ancien Premier ministre sur une radio de service public. Au-delà du simple constat de l’abaissement du débat civique, Sébastien Duffort tente de définir les contours idéologiques et intellectuels qui inspirent un tel déchaînement. L’examen de divers aspects des reproches – pour ne pas dire plus – qui sont avancés (accointance avec « l’extrême-droite », « carriérisme », questions économiques, politique culturelle « identitaire »), est pour lui l’occasion de procéder à quelques rappels utiles.

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Laïcité de séparation et « laïcité de coopération ». Un grossier piège sémantique

Le site Vie publique.fr, frappé du logo de la République française, a publié récemment un texte de Philippe Portier, intitulé « L’action sociale : de la laïcité de séparation à la laïcité de coopération ». Qualifié de « Parole d’expert », il côtoie sur le site des déclarations ministérielles et divers documents officiels. Aucune invitation à le commenter n’est proposée, aucune autre « parole d’expert » présentant un point de vue différent n’est rendue accessible sur le sujet. Comme le montrent l’enquête et l’analyse d’Aline Girard ci-dessous, sa source, son titre et surtout sa lecture révèlent qu’il s’agit d’une tribune programmatique promouvant une politique d’inspiration concordataire, contraire aux lois laïques.

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