« Iel », qui est-ce : une personne ou un person ?

Je profite du coup de com réussi par Le Robert en ligne (peut-on écrire aussi La Roberte ? ou mieux : L·e·a Robert·e ?) avec le prétendu pronom personnel « iel » pour rappeler quelques articles publiés par Mezetulle sur l’écriture dite inclusive. On en trouvera la récapitulation et les références dans le dossier « L’écriture inclusive séparatrice. Faites le test bisous à tous deux ».

Et voici, en outre, quelques remarques sur la nouveauté « iel ».

La définition proposée en ligne est la suivante :

« RARE. Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. L‘usage du pronom iel dans la communication inclusive. – REM. On écrit aussi « ielle, ielles » »1

Trois passages me semblent importants et montrent qu’il s’agit d’un concentré de contradictions reposant sur une méthode forcée.

1° « Rare ». Comprendre : « nullement attesté dans l’usage courant, utilisé seulement par les militants et sympathisants de la mouvance woke ». Comme le fait remarquer Bernard Cerquiglini, entre autres linguistes2, « rare » s’applique en général à des termes anciens qui tombent en désuétude. C’est le contraire ici. Un coup de force inverse la méthodologie pratiquée par un dictionnaire de la langue. En principe c’est l’usage répandu qui fait entrer un terme dans le dictionnaire, ici c’est une décision ultra-minoritaire qui prétend imposer ses thèses en dictant une novlangue. De l’aveu même des responsables du dictionnaire, l’usage du terme est considéré comme prévisionnel. Mais sa présence n’atteste-t-elle pas qu’on en attend un effet performatif ?

2° « évoquer une personne » : voilà un usage (attesté et très courant) extensif du genre dit féminin pour désigner quiconque, quel que soit son genre… N’eût-il pas fallu l’éviter ici, ch·e·è·r·e Robert·e (pas facile avec ce fichu accent) ? Car le substantif « personne » employé ici montre que le concept de genre dans la langue est dissocié de la notion socio-politique ainsi que du concept de sexe biologique. Qui peut croire qu’une victime, une fripouille, une canaille soient nécessairement de genre féminin ? Qui peut croire que la girafe, la panthère, la taupe ne désignent que des femelles3 ? Poursuivons : si le genre dit féminin dans la langue (en français genre marqué) peut avoir une valeur extensive, cela est encore plus courant pour le genre dit masculin (genre non-marqué), et c’est même la règle générale. « Colette est un des plus grands écrivains de langue française du XXe siècle » : heureusement qu’on ne la compare pas uniquement aux femmes. Ah oui, mais il y a l’énoncé scélérat « le masculin l’emporte sur le féminin » qu’on ne peut plus apprendre aux petites filles. Eh bien effectivement, on n’a pas à dire cela aux élèves. Car on n’est pas obligé d’épouser les fantasmes du père Bouhours4, et on devrait énoncer plus justement : « en grammaire, lorsque les deux genres se rencontrent, le genre non-marqué l’emporte sur le genre marqué » – ce qui est parfaitement logique. D’ailleurs le genre non-marqué assure parfois la fonction d’un neutre : « il pleut », « il est recommandé de prendre un parapluie ».

3° La fin de la définition nous offre le bouquet final de ce petit feu d’artifice de contradictions et de mauvaise foi : on écrit aussi « ielle, ielles », histoire de réintroduire une distinction, sous la forme d’un scrupule, d’une super bonne intention qui vient bousculer la précédente. Et puis qui « on » ? Et on reste très sérieux (onne reste très sérieuse, oups, non je corrige : on·ne·s rest·e·ent très sérieu·x·s·e·s) en continuant à parler d’inclusion5 !

Ajoutons une question simple qui fâche parce qu’elle rappelle que toute langue est articulée, formée d’unités de plusieurs niveaux qui fonctionnent et sont comprises en relation les unes avec les autres. En l’occurrence, il s’agit d’unités grammaticales : le pronom personnel s’emploie dans une séquence, une proposition. Quand on veut l’expliquer, on ne se contente pas d’une définition qui isole le mot, on fait une phrase : « iel est venu hier » ou « iel est venue » ? Passe encore avec cet exemple, car ça ne s’entend pas. Mais « iel est idiot » ou « idiote » ?

Ici, il est recommandé de prendre un parabêtise : on s’en fera un plaisir.

Notes

2 – Voir Le Figaro du 19 novembre 2021, p. 21.

3 – Les langues « vertueuses » qui ont un neutre (wouaouh, quelle chaaannnce!) ne l’utilisent pas comme la moraline woke le souhaiterait : en allemand comme en anglais, la désignation d’une personne déterminée s’effectue avec des pronoms personnels genrés. Rappelons aussi qu’en allemand, das Weib (la femme) est neutre, et qu’en anglais on parle d’un bateau en disant « she » et non « it »… C’est drôle quand même : les langues ont leurs propres lois ! Ce que M. Jourdain découvre, quelques linguistes dévorés par le militantisme et la haine de la langue l’oublient.

4 – Grammairien du XVIIe siècle qui a cru bon de justifier la règle d’extensivité grammaticale du non-marqué par l’argument de la plus grande « noblesse » du masculin. Idée reprise ultérieurement par le grammairien Nicolas Beauzée. Quelle aubaine pour un néo-féminisme ignorant et rempli de haine pour la langue française : adoptons vite ce machisme projeté sur la langue ! Sur d’autres aspects d’un prétendu sexisme de la langue, voir l’article d’André Perrin « La langue française, reflet et instrument du sexisme ?« .

10 thoughts on “« Iel », qui est-ce : une personne ou un person ?

  1. Antonio COLLADO

    Bonjour,
    Brièvement. Peut-on s’entendre sur le fait que la langue française est sexuée, genrée, que le neutre est le masculin ? Que la langue témoigne aussi des rapports sociaux, en l’occurence du patriarcat pour ce qui nous concerne ? Que pour autant les cultures dont les langues ne distinguent pas les genres ne sont pas plus égalitaires que la nôtre ? Les anglais, les turcs, dont les langages ne sont pas genrés, sont-ils en mesure de nous donner des leçons d’égalité entre les sexes pour autant ? Je ne vous parle pas des difficultés pour les enfants turcs pour apprendre le français.
    Une question : pourquoi est-ce si important, alors que l’eau monte – contrairement au niveau de la COP – de s’étriper sur le nombril ? Une hypothèse : tracer des frontières et alimenter le conflit des générations. Quand on a renoncé à lire les rapports sociaux sous l’angle des rapports de classes, victoire idéologique du libéralisme anglo-saxon, il est assez logique de chercher des distinction ailleurs. Se payer la génération précédente est la moindre des choses pour toute nouvelle génération, et celle-ci, certain.e.s-ci si j’ai bien compris, fait/font preuve d’une créativité qu’on ne peut pas leur reprocher. Ce qu’on peut leur reprocher cependant, c’est de se prendre pour la pointe avancée de la civilisation. Mais c’est un reproche qu’iel.le.s peuvent nous retourner il faut en convenir.
    Au final, je me demande si iel.le.s (?) ne sont pas la figure de l’excès de notre liberté individuelle laïque, nos droits individuels de l’Homme, c’est-à-dire une théorie poussée à son terme ; ce qui est le meilleur moyen de montrer sa limite dans la pratique. Si je comprends bien, iel.le.s est/sont à la fois dans l’autodétermination individuelle (fantasme d’auto-engendrement) et dans le communautarisme qui en est la négation. Ça brouille le message.
    On aurait intérêt à prendre séparément le messager et le message sur la langue, ce que vous faites. Chaque génération a le droit d’interroger son langage, sinon c’est que ce n’est pas la sienne, c’est qu’il est possédé par le langage parental (François Dolto appelait cela une aliénation car on ne décide pas de sa langue maternelle).
    Au moment où j’écris ceci, je pense aux islandais qui ont figé leur langage. Ils sont capables de comprendre ce qui s’écrivait au XVème siècle je crois, ce qui n’est pas notre cas. Est-ce le cas pour d’autres langues, et quels rapports les populations entretiennent-elles avec le concept de liberté individuelle si elles n’ont pas la liberté de recréer leur langage ? J’aimerais beaucoup être éclairé sur ce sujet.
    Bien à vous

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    1. Weidong

      Un chinois n’a aucune difficulté de comprendre des textes de l’époque de Confucius s’il a fait des études jusqu’au bac. Des traits de certains caractères sont simplifiés aujourd’hui mais cela n’empêche pas les gens de distinguer les anciens. Quelques fois on ne sait plus très bien la prononciation de certain caractères desuets sans consulter un dictionnaire mais on peut deviner correctement son sens par induction.

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  2. Jean-Philippe BOYÉ

    Merci pour vos éclairages et permettre ainsi une pensée mieux construite pour appréhender l’urgence de l’universel.

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  3. Claustaire

    Merci d’avoir eu recours à cette notion de « non-genré » qui, en cas de difficulté d’accord, l’emporterait sur le genré.

    Cela semblera d’autant plus logique qu’on aura préalablement convaincu les gens que CE QU’ON APPELLE UN MASCULIN serait EN FAIT UN NEUTRE, et qu’en français seul le féminin exclusif (que ce soit au singulier ou au pluriel) se signalerait par du féminin.

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  4. Binh

    Ce délire militant bien intentionné sur le formalisme de l’écriture (voire du verbe) se prétend égalitariste (formellement, donc) comme tous les porteurs de belles étiquettes: il témoigne surtout de l’obsession de certaines élites pour le texte dans lequel elles croient tout découvrir, tout prouver, voire tout changer. Et parfois, malheureusement, ça marche, sur ceux qui se laissent berner par le « spectacle ». Après le mensonge idéologique, surgit la réalité moins sexy. Hitler s’est fait élire grâce à son étiquette (entre autres) de « socialiste », sans parler d’autres manipulations plus récentes, en France comme ailleurs. Avec ce travail prétendu « égalitariste » sur la langue française (écrite ou parlée), ces élites de la « déconstruction » sont en train de scier la branche sur laquelle elles pérorent: de fait, elles construisent un galimatias compliqué qui deviendra inutilisable, et qui provoquera une fuite massive hors de la francophonie. La branche sera sciée: donc plus besoin d’écriture ou de verbe inclusifs. Les inclusivistes auront alors tué leur bébé. Les communistes ont fait pareil. Comme tous les idéologues…

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  5. Pierre Campion

    Chère Mezetulle,
    Dans le français de l’Ouest abusivement appelé gallo, que je parlais et entendais enfant, « ielle » est le prénom féminin singulier. On disait aussi « o ». C’est le français du temps de Rabelais, qui se parlait de St Brieuc à Caen et à Tours.
    Dans ses « Baliverneries d’Eutrapel » (1585), Noël du Fail en donne une belle version.
    Voilà ce qu’il dit, le français, au wokisme !

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    1. Mezetulle

      Merci cher Pierre Campion.
      J’ajoute, dans le même ordre d’idées, qu’on entend encore en Picardie (et cela n’était pas rare à Paris naguère) « a » devant consonne d’une forme conjuguée pour « elle » et « al » devant voyelle : « a chante », « al a d’la chance », « a vient ». Et « i » est encore très fréquent un peu partout dans le Nord de la France devant consonne pour « il » et même pour le pluriel « ils », en général transcrit par « y » : « qu’est-ce qu’y dit ? », « qu’est-ce qu’y font ? », « d’où qu’c’est qu’y viennent? où qu’c’est qu’y vont ? ».
      Il me semble que le « l » de « elle » et de « il » est traité comme une consonne de liaison euphonique. Mais je n’ai fait aucune étude linguistique ni d’histoire de la langue, et donc je vous soumets cette hypothèse..

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  6. Pierre Campion

    Merci chère Mezetulle.
    Mon observation visait le pronom féminin et le barbarisme effronté du petit Robert.
    Mais je n’ai aucune compétence de linguiste. Seulement c’est ma langue maternelle pour ainsi dire. « La folle-là, tu sais c’qu’o m’a fait comme crasse ? »

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  7. Tarnacois sans caténaire

    Il est décidément tout un petit monde qui a l’orgueil du genre mal placé . Lorsque j’effectuais mon service militaire il m’est arrivé plus souvent qu’à mon tour d’être UNE sentinelle. A cette occasion j’ai eu froid, je me suis ennuyé (pour rester poli) mais jamais je ne me suis senti humilié dans mon âme masculine d’occuper un poste à la dénomination si efféminée. J’imagine la réaction de mon adjudant de batterie, au demeurant si amène et avenant, si je lui avais suggéré d’écrire dans ses rapports :un sentinel , ou, anticipant l’augmentation du personnel féminin de l’armée de terre : un-e sentinel-le. Je pense que je serais encore de faction devant le dépôt de munitions !
    La vanité de ces revendications linguistiques me semble au-delà de toute mesure et il me semble, vu la place qu’elles prennent dans le débat public, que nous sommes tombés au degré zéro de la politique. L’usage, plusieurs fois centenaire, a enlevé ou fait oublier tout caractère sexiste de notre langage si tant est, comme vous le rappeliez , qu’il en ait existé un. Que diraient ces féministes si pointilleuses si elles savaient ce qui suit.
    Dans le Limousin (dialecte occitan) parlé sur les hauteurs de notre belle province, il est d’usage de placer un article défini uniquement devant les prénoms féminins. Et ce particularisme se poursuit même quand les locuteurs parlent français. Ainsi, lorsque l’on discute à propos d’une personne, on dit pour une femme la Françoise alors que pour un homme on dit François sans article. Et ce vice va jusqu’au nom des animaux. Ainsi si l’on évoquait les vertus cynégétiques du chien de chasse du voisin, on parlait des exploits de Flambard alors que si on discutait des qualités de la chienne de berger de mon grand-père on faisait part des vertus de la Fanny, réduisant pour tout ce qui est féminin le nom propre à un simple nom commun. Il y a très peu de temps que j’ai remarqué cet idiotisme après pourtant soixante ans de pratique. Cet usage sexiste ne m’avait manifestement pas paru choquant, étant un homme ça pourrait paraître normal, mais il n’a pas non plus offusqué le personnel surdiplômé et entièrement féminin de la librairie occitane. Après un minimum d’enquête elles m’ont affirmé qu’en effet dans l’ouest il est plutôt d’usage de mettre l’article partout, tandis que dans le sud, ce serait plutôt nulle part. Espérons que le wokisme exterminateur n’ira pas jusqu’à militer pour la destruction du plateau de Millevaches ou l’envoi de sa population en camp de rééducation linguistique.

    Mais tout ceci est anecdotique.
    Le Petit Robert fait ce qu’il veut : c’est une édition privée. Mais depuis quelques temps des municipalités, des collectivités locales, délivrent des documents officiels, dûment tamponnés, en orthographe dite inclusive. Les écoles de langues régionales ne peuvent enseigner en immersion ( alors que l’anglais est pratiqué en faculté pour des cours de sciences et est partiellement enseigné par cette méthode). Cette interdiction vient d’un ajout à la Constitution : le français est la langue de la République (au demeurant c’était aussi celle du royaume de France depuis l’édit de Villers- Cotterêts). Ce qui veut seulement dire que la correspondance administrative doit se faire dans cette langue afin d’être comprise par tout le monde. A ma connaissance l’orthographe inclusive n’a pas été validée par l’Assemblée Nationale : ce n’est donc pas du français. En conséquence, en tant que conseiller municipal, toute missive écrite dans ce sabir finira à la corbeille sans la moindre consultation, viendrait-elle de la préfecture.

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