Paris, Tunis, New York et l’étendard sanglant

Le communiqué de l’État islamique cible l’urbanité, « abomination »

Il faut lire et prendre au sérieux le communiqué par lequel l’État islamique revendique les carnages qui ont eu lieu le 13 novembre à Paris et brandit son étendard sanglant. Il ne s’embarrasse pas de circonlocutions, il ne fait pas de périphrases pour ne pas choquer ou « stigmatiser ». Le nom de ce qu’il entend éradiquer, mettre à feu et à sang, y est clairement affiché avec l’insolence de ses propriétés honnies : « Paris, capitale des abominations et de la perversion ».

Au sein d’un texte très inspiré dont les accents bibliques n’échapperont à personne, cette paraphrase (voulue ?) du titre d’un célèbre ouvrage de Walter Benjamin indique la nature de la cible, visée en son cœur. Le signifiant « Paris » est ici le nom de l’urbanité (inventée par Rome) comme New York le fut en 2001, et plus récemment Tunis. 

Les lieux urbains sont ceux où on est chez soi précisément parce qu’on est d’ailleurs (le contraire d’un terroir), où l’on change de monde en traversant la rue (le contraire d’un intégrisme uniformisant), où le mot « quartier » signifie l’inverse d’une mise en ségrégation. Mais il y a mieux. Dans un lieu véritablement urbain, les femmes peuvent se promener sous le regard d’autrui sans le craindre, sans avoir à justifier de leur présence, être là juste pour y être sans avoir spécialement quelque chose à y faire, pour y jouir d’un moment d’oisiveté, autrement dit de liberté. Ce comble de « l’abomination », tâchons de le préserver.

Lire aussi l’article « L’urbanité comme perdition« 

© Mezetulle, 2015.

CommuniquéEInov15

16 thoughts on “Paris, Tunis, New York et l’étendard sanglant

  1. Catherine LEFEVRE

    Bonsoir,
    Le paradoxe (?) c’est que la société arabe est urbaine dés le moyen-âge, non ? c’est du moins ce que j’ai retenu de mes lectures et études….La ville : lieu de rencontres et d’échanges, oasis dans le désert. D’ailleurs les combats de Mohammed pour asseoir sa puissance se déroulent dans des villes (Médine = ville). L’islam n’est pas « anti-urbanité » à l’origine.

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Bonsoir,

      1° Votre commentaire laisse entendre que l’article ci-dessus considère que urbanité et islam sont entièrement contraires. Je n’ai jamais rien écrit de tel. C’est vous qui le concluez. C’est, de plus, commettre un contresens puisque en faisant comme si j’avais dit que urbanité et islam sont entièrement contraires, vous m’attribuez la thèse de l’EI, thèse que je combats !
      Il me semble que l’EI et son acharnement sanglant et obscurantiste s’en prennent, aussi, à de larges pans de la culture musulmane et que l’EI n’a pas le monopole de cette culture.
      Par ailleurs, je mentionne Tunis dans le titre de l’article, cette ville de haute culture tant musulmane que non-musulmane (voir l’article de JM Muglioni).

      2° Votre commentaire identifie « arabe » et « islam », comme si cette identification allait de soi. Il me semble que ce n’est pas coïncident.

      3° Il se peut en outre qu’un passage de l’article ci-dessus vous ait échappé, où je résume quelques propriétés de l’urbanité moderne, dont le nom « Paris » est redevenu aujourd’hui le signifiant (après l’avoir été dans le titre d’un ouvrage de W. Benjamin auquel il n’est pas invraisemblable que le communiqué de l’EI fasse allusion, consciemment ou non) :

      « Les lieux urbains sont ceux où on est chez soi précisément parce qu’on est d’ailleurs (le contraire d’un terroir), où l’on change de monde en traversant la rue (le contraire d’un intégrisme uniformisant), où le mot « quartier » signifie l’inverse d’une mise en ségrégation. Mais il y a mieux. Dans un lieu véritablement urbain, les femmes peuvent se promener sous le regard d’autrui sans le craindre, sans avoir à justifier de leur présence, être là juste pour y être sans avoir spécialement quelque chose à y faire, pour y jouir d’un moment d’oisiveté, autrement dit de liberté. »

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  2. thierry bruno

    Madame,
    j’ai découvert votre site il y a peu et suite à la lecture d’un entretien sur la laïcité que vous accordiez au FigaroVox. Vos propos m’avaient intéressé, d’autant qu’ils faisaient écho à des textes de Hanna Arendt que j’avais lus. Toutefois, il me semblait que votre analyse, juste néanmoins sur le plan de la théorie, sur le port des signes religieux à l’extérieur oubliait un détail concernant les musulmans : le fait de se voiler pour les femmes – et en France, nous parlons souvent de jeunes filles -, de porter djellaba, kefia (je ne sais pas le nom de leur coiffe) et la barbe pour les hommes, n’est pas tant un acte religieux mais d’abord un acte politique. Un acte politique fort qui s’oppose d’une part aux us et coutumes de la société française, antérieures au débat sur la laïcité, et, d’autre part, à l’esprit de nos institutions incarné par la Constitution. Porter le voile, c’est affirmer son obéissance d’abord au Coran – qui considéré sous le régime de la charia est une Constitution et un code civil -, contre l’acceptation des institutions françaises. Cet affichage s’accompagne aussi d’une volonté très nette de ne pas parler français. Je vis, hélas, à Paris et il m’est arrivé d’y faire des kilomètres – oui des km- à pied sans entendre parler français autour de moi ; et ce n’était pas des touristes qui m’environnaient.
    Ce débat sur la laïcité est un faux débat qui permet à des prosélytes hostiles au mode de vie français – et le texte de l’EI est sans équivoque là-dessus – de faire accepter des concessions à l’État. Un écrivain algérien écrivait après les attentats qu’un musulman qui vient en France attend des Français « tolérance et flexibilité ». Sous couvert de laïcité, nous n’avons pas été tolérants, nous avons renoncé à nous-mêmes.
    Quand je croise une femme voilée dans nos rues, je pense à ces mots que Malraux prête à son héros dans « Les noyers de l’Altenburg », rentrant d’un long séjour en Turquie : « l’absence du voile musulman, l’apparition des visages, donnaient à l’Europe une douloureuse pureté. Ce qui marquait ces faces n’étaient pas la nudité, mais le travail, l’inquiétude, le rire – la vie. Dévoilées. » N’était-ce pas là la profonde et très ancienne « urbanité » de notre pays, qui fût à une époque le phare de l’Europe ?

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Bonsoir,

      Tout serait très simple si on pouvait prouver que le port du voile, celui de la « tenue islamique » pour les hommes, etc., sont des déclarations d’hostilité ouverte à l’égard de la République française, ou si on pouvait prouver que le port du voile est une déclaration d’inégalité entre hommes et femmes. Or cela n’est pas possible, ce ne sont pas des délits. Nous vivons fort heureusement en régime de droits formels où les délits doivent être constitués. Sinon on est en régime d’inquisition, où on vous juge sur des intentions et non sur des déclarations explicites. Ce sont aux yeux du droit, des signes d’appartenance religieuse, à mettre sur le même plan que le port d’une kippa ou d’une soutane. J’ai consacré presque tout un chapitre de mon livre Penser la laïcité à cette question.

      D’autre part, vous semblez penser que les musulmanes portent le voile, comme si cela allait de soi. Non ! seules certaines le portent, et beaucoup ne le portent pas. Il fallait donc soutenir celles qui ne le portent pas, et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai été co-auteur et co-signataire de l’appel de 1989 demandant l’interdiction du port des signes religieux par les élèves dans les écoles publiques. Il a fallu quinze ans pour l’obtenir…

      Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par la phrase suivante, qui me semble contradictoire avec le reste de votre propos :
      « Sous couvert de laïcité, nous n’avons pas été tolérants, nous avons renoncé à nous-mêmes ». vous semblez dire ici que nous aurions dû accepter l’affichage et la présence religieuse partout, et donc le port du voile, de la kippa, etc. au sein même de la puissance publique (et par exemple à l’école) alors que tout le reste de votre commentaire dit au contraire votre aversion pour le port du voile et les « tenues islamiques » … Je vous avoue que là je ne comprends pas !

      Le régime de laïcité suppose qu’on applique le principe de laïcité (abstention) dans le domaine participant de l’autorité publique, mais que l’affichage des opinions soit libre (dans le cadre du droit commun) au sein de la société civile, y compris en public. Il y a renoncement soit lorsqu’on tolère la présence religieuse en tant que telle et quelle qu’en soit la forme au sein de la puissance publique, soit symétriquement lorsqu’on prétend effacer toute présence religieuse de la société civile.

      Une dernière remarque. Pourquoi dire « je vis hélas à Paris » ? C’est une des plus belles villes du monde ! C’est une ville urbaine (car toutes le villes ne le sont pas) : on ne vous y reproche jamais de venir d’ailleurs, ça n’a même pas de sens. Reproche qu’on fait parfois en France aux Parisiens… lorsqu’ils vont ailleurs ! Alors oui moi aussi je m’y déplace souvent sans entendre parler français, mais promenez-vous à Londres, à New York… vous n’y entendrez pas forcément parler anglais, loin de là. Ce sont des métropoles. Je suis moi-même fille d’immigré et j’ai toujours trouvé normal et particulièrement urbain qu’on puisse rencontrer plusieurs langues vivantes dans une capitale. Ce que je trouverais choquant, en revanche, c’est qu’on refuse de me répondre lorsque je parle français chez un commerçant, ou, pire et vraiment intolérable, qu’on me harcèle en me faisant comprendre que ma présence est indésirable, que je n’ai rien à faire dans le coin et qu’il faut que je déguerpisse….

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      1. tochûde

        « Je suis moi-même fille d’immigré et j’ai toujours trouvé normal et particulièrement urbain qu’on puisse rencontrer plusieurs langues vivantes dans une capitale. »

        Je pense que le premier commentateur faisait plutôt référence au nombre de locuteurs d’une langue étrangère qu’à leur seule présence. Si des quartiers entiers sont dans cette situation, elle a tendance à durer et le mauvais accueil que vous décrivez ensuite a plus de chances de se produire. Il y a donc une notion de quantité à garder en tête sur ces sujets.

        D’ailleurs, il y a quelques semaines, une polémique médiatique nous a rappelé une citation de de Gaulle :

        « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leur djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »

        qui fait justement référence à cette notion de quantité. N’aurions-nous pas mieux fait, ne ferions-nous pas mieux de tenir compte de ce conseil ?

        En tout cas, la politique française récente qui consiste à faire venir des millions de gens contre l’avis de la population initiale, ou en tout cas sans lui demander son avis ; puis à monter la tête de ces millions de gens à coup d’études sociologiques peu rigoureuses et de relectures caricaturalement repentantes de l’histoire de France est tout de même assez curieuse. On comprend que de Gaulle parle aussi de gens très savants, mais à la cervelle de colibris.

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        1. Mezetulle Auteur de l’article

          Bonjour,
          Je crois avoir répondu, pour l’essentiel, dans ma 2e réponse à « Thierry Bruno ».
          Sur l’intégration, j’ajouterai que tout le monde a besoin d’être intégré.

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  3. thierry bruno

    Merci de votre réponse.
    Concernant le port du voile, je n’affirme pas que toutes les musulmanes en France portent le voile mais juste que celles qui le portent font un acte essentiellement politique et qui est une opposition à la France. Certes, on ne peut le prouver et c’est bien tout l’exercice auquel se livrent les prosélytes de l’islam en Europe, Tariq Ramadan en tête, de prétendre être plus ou aussi républicains que les « autres ». On peut s’y laisser prendre et, ainsi, grâce à une forte concentration de population musulmane, les islamistes peuvent en toute quiétude vaquer à leurs occupations, dont certaines sont particulièrement meurtrières. Je sais bien que du point de vue du droit,  » le voile est à mettre sur le même plan que la soutane ». Sauf que d’un point de vue strictement religieux, ce n’est pas vrai. La soutane comme le voile des religieuses marquent une appartenance au clergé, – dans la communauté chrétienne, il y a le clerc, membre du clergé, et le laïc, qui n’est pas du clergé, vous le savez bien -, pour l’islam, ça n’est pas vrai. D’un point de vue historique, c’est aussi faux. Car, la soutane et la kippa d’ailleurs – et parfois pas pour le bonheur de celui qui la portait – font partie de l’histoire de notre pays, à condition évidemment de ne pas oublier que la France a existé et s’est même construite bien avant 1789. Et l’islam n’a jamais fait partie de l’histoire de la France, n’en déplaise à des idéologues qui se prétendent historiens.
    « Sous couvert de laïcité, nous n’avons pas été tolérants, nous avons renoncé à nous-mêmes ». Renoncé à être nous-mêmes, c’est avoir renoncé à reconnaître justement que la France s’est construite avec le christianisme et au contraire, tout faire pour effacer cette réalité afin de ne pas stigmatiser nos compatriotes fraîchement naturalisés de confession musulmane. Renoncé à être nous-mêmes, c’est avoir renoncé à être l’Europe dévoilée citée par Malraux. Renoncé à nous-mêmes, c’est avoir renoncé à faire aimer la France, sa langue, sa civilisation à l’étranger que nous accueillions. Je me permets de rappeler cette très belle phrase de Romain Gary, et ce afin qu’il n’y ait aucune équivoque dans mes propos : « Je n’ai pas une seule goutte de sang français dans les veines, mais la France coule dans mes veines. » Je pourrai aussi citer Kessel qui, comme Gary, était tellement connaisseur et amoureux de l’histoire de notre pays qu’il devrait en faire honte à mes contemporains.
    Je sais bien que tout cela n’a rien à voir le droit mais un pays, est-ce seulement du droit ?
    Enfin pour Paris, je suis désolé mais nul ne saura me convaincre de la beauté de cette ville ; un collègue, vieux parisien, désespère de me convaincre. Et j’évite de lui en parler pour ne pas le peiner. Paris est laide, non pas que certains vieux bâtiments ne soient pas splendides, mais cette beauté est gâchée par la modernité, par la saleté, par le bruit et par la grossièreté foncière du Parisien. L’archétype de la laideur de Paris c’est la pyramide du Louvre, édifice ridicule et prétentieux qui casse la majesté de l’esplanade et des façades du Louvre.
    Quant à ne pas entendre un mot de français dans les rues, si à Londres ou New York, c’est la tour de Babel, peu me chaut ; la capitale de mon pays, c’est Paris. Et puis, il y a une différence entre le cosmopolitisme d’antan, qui était celui d’une élite culturelle qui venait dans une vraie ville de Lumière, lumière par l’intelligence – et non par les illuminations de la tour Eiffel, et des populations étrangères, immigrées économiques qui vivent à Paris tout en refusant d’y parler la langue. Je me répète mais quand on prétend faire sa vie dans un pays, la première à chose à faire est d’en adopter la langue et au moins, ne pas en heurter les coutumes en public. Que croyez-vous d’ailleurs que signifie cette ostentation à ne pas parler français dans l’espace public sinon nous affirmer, à nous dont le français, langue si belle, est la langue maternelle et alors que nous sommes sur la terre de nos ancêtres, que nous ne sommes plus à notre place, que nous sommes exclus ?
    Mais j’imagine qu’au nom du droit, nous devons tout accepter, même l’iniquité du renoncement.

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Bonjour,
      Acte politique le port du voile, oui surtout depuis les deux dernières décennies. Mais comme vous le reconnaissez vous-même, il faudrait qu’on puisse établir un corps de délit…
      Je partage votre remarque : il ne faut pas que les islamistes soient dans certaines zones « comme des poissons dans l’eau ». Des décennies de laisser-aller et d’atermoiements dans l’application de la laïcité, la destruction systématique de l’école républicaine réduite à un « lieu de vie adaptatif », la désurbanisation des « quartiers », ces analyses vous en trouverez à foison sur ce site, et sur l’ancien site mezetulle.net

      J’adopte volontiers la phrase de Romain Gary, ce qui ne signifie nullement que je souscris, par ailleurs, à l’idée d’une identité chrétienne de la France. La France a ceci de grand, c’est qu’elle a inventé une association politique qui a entièrement disjoint le lien politique de toute référence religieuse, le minimalisme laïque que j’essaie d’exposer dans mon livre.

      Paris est beau, point à la ligne ! Vous n’avez rien compris à l’humour parisien, qui consiste à s’invectiver et à proférer des plaisanteries en ne riant surtout pas : faites un tour chez ma bouchère de quartier et vous verrez l’immense esprit que recèle cette bougonnerie étudiée. Quant à la prétendue muflerie, c’est un roman, un mythe : il suffit de demander son chemin pour le constater. C’est tellement facile d’insulter en quelques lignes 12 millions de personnes (3 millions intra-muros) en recourant à des clichés. Mais je ne vous en veux pas.
      Bon nous convergeons au moins sur un point, c’est que le Louvre et les Tuileries sont le plus bel ensemble de palais du monde – la pyramide n’y fait pas si mauvais effet à mon avis. Et vos remarques sur Paris capitale des Lumières me font penser que nous serons d’accord sur l’essentiel : faire en sorte tout de même que Paris ne devienne ni une ville bling bling vouée au spectaculaire, à la « vache multicolore » du Zaratoustra de Nietzsche, ni une ville-musée comme Vienne, et qu’elle reste une métropole, un lieu paradoxal. Cela ne peut pas être entièrement propret comme la salle à manger de ma tante où il fallait mettre des patins pour ne pas salir le parquet! Et puis ce n’est pas si sale que ça. Quand on fait le ratio nombre de gens/surface/déchets jetés au sol/unité de temps, la Gare du Nord (1ere gare européenne pour le trafic voyageurs 200 millions par an) c’est plutôt moins sale qu’un sentier de grande randonnée.

      Quant au français, si ce n’était qu’une langue maternelle ce serait un idiome parlé par des idiots. Or c’est jusqu’à présent le contraire d’un idiome. Le poète Jean Racine exigeait des comédiens qu’ils fissent les liaisons, car on ne les faisait pas à la cour : le français est grand lorsqu’il est une langue étrangère y compris (et surtout) pour ceux qui croient l’avoir sucé avec le lait maternel (beurk !). C’est pourquoi il faut lire les poètes, et faire de la grammaire – en commençant par l’école, qui doit dépayser. Aucune langue, aucune culture, n’accède à l’universel sans ce mouvement de distance, de dépaysement et « d’étrangéisation » (pardonnez ce barbarisme par lequel j’essaie de traduire la Verfremdung de Brecht). Mais cela vous sera aisé à comprendre, vous qui aimez la littérature. le problème est que l’école a abandonné la valorisation de la référence littéraire. Mon père immigré italien a appris à lire à l’école communale (Paris 20e) à travers de grands textes littéraires qu’on proposait dès les classes élémentaires aux enfants d’ouvriers, et c’est parce qu’on lui avait parlé de Rabelais et de Victor Hugo qu’il a eu envie de lire Dante.

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      1. tochûde

         » La France a ceci de grand, c’est qu’elle a inventé une association politique qui a entièrement disjoint le lien politique de toute référence religieuse, le minimalisme laïque que j’essaie d’exposer dans mon livre. »

        Je pense que cette invention des philosophes et, surtout, du parti radical a peut-être, comme je vous l’indiquais plus haut, un domaine de validité restreint.

        En ingénierie, personne ne vous dira « j’ai trouvé la solution qui marchera dans toutes les circonstances » : un pont tiendra debout dans certaines conditions de charge, et si les conditions climatiques ont bien été étudiées et ne changent pas. Voyez plutôt :

        https://www.youtube.com/watch?v=X8YR5nS-PY0

        Il serait très étrange qu’il en aille différemment dans les affaires humaines.

        Vous me dites aussi que tout le monde doit être intégré. Je veux bien, mais je pense quand même qu’il est plus facile d’intégrer une personne de la population majoritaire qu’une personne issue de l’immigration, et à plus forte raison qu’un descendant de militant FLN.

        Je maintiens donc mon point de vue, qui est que la politique migratoire de la France depuis les chocs pétroliers n’a pas été optimale, et pourrait utilement être revue pour l’avenir.
        Les conceptions erronées qui ont pu mener à cette politique migratoire sont variées, et il est possible qu’une trop forte confiance accordée à l’applicabilité de la laïcité, par exemple, en fasse partie.

        Je reste prudemment agnostique en ce qui concerne la splendeur de la laïcité elle-même, n’ayant pas le temps matériel de réfléchir suffisamment à ce sujet.
        Cependant, ayant lu récemment quelques ouvrages d’histoire sur les débuts de la troisième république et sur la mise en place de la la laïcité, j’ai eu quand même l’impression d’un certain sectarisme de la part des partis de gauche. Ce sectarisme (l’affaire des fiches, par exemple, ou le refus de reconnaitre l’égalité des droits aux prêtres revenus s’engager pendant la première guerre mondiale, encore en 1939) n’est quand même pas à leur honneur, ou garant d’une réflexion sereine dans la conception de ces lois.
        On a plutôt l’impression, sur ce sujet comme sur d’autres en politique française (ou dans sa vie intellectuelle, d’où se dégagent parfois les voluptueuses volutes de l’opium des intellectuels), d’une foire d’empoigne où le plus fort du moment l’emporte. Donc j’ai quand même un peu de mal à croire qu’elle ait été conçue pour répondre à tous les défis pouvant se poser à la nation française, sans restrictions d’aucune sorte. Je penche donc plutôt pour la prudence, le conservatisme…

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        1. Mezetulle Auteur de l’article

          Bonsoir,

          S’agissant de la question de la nature du lien politique minimaliste en disjonction avec la forme religieuse du lien, inventée par un courant de la Révolution française (bien avant la mise en place des grandes lois laïques de la IIIe République), j’ai écrit un petit livre là-dessus (Qu’est-ce que la laïcité ? Vrin, 2007 et 2008) ; j’ai repris la question en apportant d’autres précisions dans le premier chapitre du second livre (Penser la laicité, Miverve, 2014). Je pense donc m’être assez expliquée là-dessus pour ne pas y revenir ad nauseam, et je me permets donc de vous y renvoyer. À vous de voir, après lecture à tête reposée, si la comparaison avec l’ingenierie est pertinente.

          J’ai également abordé dans ce deuxième livre la question de l’intégration, après avoir développé pendant 30 ans une théorie de l’école républicaine notamment dans un livre consacré à Condorcet et l’instruction publique, qui vient d’être republié.

          Dire qu’une personne « de la population majoritaire » serait plus facile à intégrer, ce n’est vraiment pas gentil (je pèse mes mots!) pour mon père, petit garçon immigré qui a appris le français à l’école et qui n’a jamais fait une faute d’orthographe de sa vie, ainsi que pour les millions d’immigrés qui ont fait de même. Plus généralement c’est considérer que la culture se transmet principalement par imprégnation et de manière implicite ; c’est vrai pour le sens anthropologique du terme « culture », pour les us et coutumes, pour les idiomes, les tabous et les préjugés, mais c’est une thèse éminemment discutable (et là encore je pèse mes mots) s’agissant de la culture au sens humaniste et universel qui s’adresse à l’ensemble de l’humanité. Aucun « natural speaker » ne sait vraiment « sa » langue car la langue maternelle n’est qu’un idiome parlé par des idiots, et c’est pour cela qu’il faut lui apprendre « sa » langue comme si c’était une langue étrangère : lire les poètes, et faire de la grammaire, c’est urgent et ça ouvre l’esprit !
          Qu’il soit nécessaire d’éclaircir les principes d’une politique migratoire est une autre question que celle de l’intégration de ceux qui sont ici ; mais on ne peut pas prendre argument d’une prétendue difficulté plus grande d’intégrer « ceux qui viennent d’ailleurs » pour en fixer les principes, car cette difficulté est générale, elle vient de la destruction systématique de l’école républicaine par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 30 ans.

          Il me semble enfin que proposer des livres au public comme je m’efforce de le faire, ce n’est pas se livrer à une foire d’empoigne : les livres demandent à être lus dans la sérénité.

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          1. tochûde

            J’essaierai de lire vos livres à l’occasion, mais je ne crois pas que vous soyez la seule à définir ce concept de laïcité et à l’appliquer. Je me permet donc de regarder ce que sont les motivations et comportements majoritaires liés à ce concept, et je suis bien obligé de constater une certaine intolérance, que personnellement je trouve contre-productive.

            De même, je n’ai jamais eu l’intention de ne pas être gentil à l’égard de votre père, mais je peux me prononcer sur les comportements moyens parce que ce sont les faits, en moyenne. Or c’est bien le comportement moyen qui importe pour définir une politique.

            Je regrette la dégradation de l’école républicaine, qui est ce qui me fait parfois lire les articles de ce blog. Je regrette aussi la destruction de la transmission de la culture chrétienne (distincte, à la limite, de la pratique religieuse) parce que celle-ci est aussi nécessaire pour comprendre la littérature et l’architecture européenne. Pourquoi regretter qu’on s’en prenne au latin et à la mythologie gréco-latine (ce que je regrette avec vous) et se réjouir plus ou moins ouvertement que de moins en moins de monde connaisse les grands épisodes de l’ancien ou du nouveau testament ? C’est une perte comparable dans les deux cas. Et l’agressivité de la gauche à ce sujet me semble donc à première vue largement imbécile et contre-productive. Monsieur Peillon veut à présent des cours de morale laïque à l’école : le décalogue du catéchisme ne suffisait-il pas, à ce niveau ? Mais il est vrai que faire et défaire, c’est toujours travailler. En Bavière, où j’ai eu l’occasion d’aller via les programmes d’échanges scolaires, il y a un cours de religion à l’école (par ailleurs chahuté) ; la Bavière est-elle une théocratie ?

            « mais on ne peut pas prendre argument d’une prétendue difficulté plus grande d’intégrer « ceux qui viennent d’ailleurs » pour en fixer les principes, car cette difficulté est générale, elle vient de la destruction systématique de l’école républicaine par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 30 ans. »

            Désolé, je suis en désaccord avec vous sur ce point.
            D’une part, il y a des différences culturelles (cf Philippe d’Iribarne par exemple). L’école n’est pas la seule à jouer un rôle de transmission, les familles le font aussi.
            D’autre part, il y a des rancoeurs historiques. Par exemple, le régime en place à Alger joue depuis au moins 15 ans de l’hostilité envers la France comme d’un élément de politique intérieure (il est d’ailleurs malheureusement très bien appuyé par la presse de gauche française, par exemple). Cela signifie qu’on peut s’attendre à une plus grande rancoeur envers la France de la part de ceux qui auront été formés dans ce pays, qui pourtant veulent venir y travailler pour des raisons économiques. Ne faut-il pas en tenir compte ? Très bien, mais au bout du compte, vous avez des gens qui sifflent la Marseillaise, brûlent le drapeau français, font des doigts d’honneurs devant la tribune officielle le 14 juillet, etc. Et ce n’est pas la faute de l’école ou de la prétendue ghettoïsation, ou pas uniquement…

          2. Mezetulle Auteur de l’article

            Bonjour,

            Je pense avoir déjà répondu sur l’essentiel, que ce soit directement en réponse à vos commentaires ou de manière générale dans les articles et les livres auxquels je me suis permis de vous renvoyer. Me dire que je ne suis pas la seule à travailler sur le sujet est une évidence – il y a une abondante bibliographie dans mon Penser la laïcité, qui est loin d’être exhaustive ; je n’ai pas l’habitude de travailler sans références mais je n’ai pas non plus l’habitude, lorsqu’on m’interpelle et qu’on me pose des questions, de « botter en touche » en renvoyant exclusivement à d’autres auteurs.
            Ce que vous décrivez à la fin de votre commentaire relève à mon avis aussi de l’abandon des thèmes républicains depuis une trentaine d’années – abandon dont la destruction de l’école fait partie.

            Merci pour votre participation et votre attention.

  4. thierry bruno

    Chère Madame,
    je vais essayer une très brève réponse.
    Concernant Paris, je reconnais n’avoir pas l’humour parisien ; je le croyais disparu depuis Michel Audiart ou Antoine Blondin… En revanche, pour la saleté des GR, il y a probablement trop de Parisiens qui les empruntent – la gare du Nord, beau bâtiment mais vraiment très, très sale .
    Pour les racines chrétiennes de la France, il s’agit purement et simplement d’histoire. Il ne s’agit pas d’évangéliser mais qu’au moins que cessent d’être répétées toutes ces sottises sur le christianisme et sa place dans l’histoire de notre pays. Une lecture un peu critique et non idolâtre de Voltaire éclairerait un peu nos compatriotes sur ce qu’a été vraiment le christianisme et le catholicisme durant plus d’un millénaire dans notre pays. Il n’a pas à rougir, notamment devant nos deux siècles de « laïcité ».
    Il va de soi que « langue maternelle » ne signifie pas « idiome ». Une langue maternelle est une langue dont au contraire on ne doit cesser d’en découvrir les sens, la mélodie, l’écriture, tout ce qui en fait la beauté. Faire comme faisait l’écrivain japonais Tanizaki Junichiro, qui écrivait certains de ses textes pour que la page éditée soit esthétique. Il est dommage que l’école encourage l’abandon de la découverte de la richesse de la langue française pour n’inculquer effectivement qu’un idiome utilitaire, pour faire des « esclaves » comme disait si justement la philosophe Simone Weil. Et bien que je ne sache lire que le français, je cherche toujours de belles traductions d’auteurs étrangers tels Dostoïevski, Chesterton ou Mishima. Nous avons eu la chance d’avoir en France un traducteur de génie, Armel Guerne, très oublié du grand public, et c’est bien dommage.

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    1. Mezetulle Auteur de l’article

      Bonjour,

      L’humour que nous apprécions tous deux (en référence à Antoine Blondin et Michel Audiard) n’a pas tout à fait disparu. La preuve, c’est que vous vous y mettez : « Pour la saleté des GR, il y a probablement trop de Parisiens qui les empruntent » – pas mal ! Allez, je vous aide un peu en osant l’hyperbole : « S’il n’y a qu’un seul papier traînant par terre dans un coin de France, c’est forcément un Parisien qui l’a jeté » – je vais tester cette blague chez ma bouchère.

      Merci pour la référence à Tanizaki et pour vos remarques sur les traductions. Cela me rappelle que j’ai eu comme professeur d’allemand Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain et grand traducteur. Un détail : c’était au Lycée de Saint-Denis (93) où j’ai fait mes études jusqu’au bac. Oops, j’oubliais : 93 c’est extra muros, ça ne compte pas !

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        1. Mezetulle Auteur de l’article

          Le niveau des flots du Paris-bashing monte jusqu’à paraphraser un célèbre propos de Jeanne d’Arc ! On se plonge délicieusement dans cette divinisation de Paris, mais sans sombrer.

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