Samuel Paty, commémoration sans mémoire à l’école : « ne pas revenir sur ce qui s’est passé » !

Le ministère de l’Éducation nationale, sur le site Eduscol, diffuse un document de suggestions et de recommandations aux enseignants au sujet de la commémoration de l’assassinat de Samuel Paty dans les établissements scolaires durant la journée du vendredi 15 octobre. En voici l’introduction. C’est moi qui surligne.

« Les écoles et établissements pourront rendre hommage à la mémoire de Samuel Paty et consacrer la dernière heure de cours à un temps d’échanges, dont le contenu sera laissé au choix des équipes en fonction de leur situation respective.
Ce moment est ouvert à l’ensemble des professeurs qui, selon leur discipline ou leur formation, le mèneront selon différentes modalités avec leurs élèves. L’heure n’a pas vocation à être un retour sur ce qui s’est passé il y a un an, ni une évocation de Samuel Paty ou de sa mémoire, mais doit porter sur les questions que pose cet assassinat sur le rôle et la place du professeur, ce qui donne du sens à ce moment et qui peut être abordé dans le temps court d’une heure.
Des pistes de réflexion sur le rôle du professeur sont proposées dans ce document. Elles étayent ou complètent l’action pédagogique que les équipes auront choisi de mettre en place. Elles constituent des démarches possibles pour mener ce temps d’échanges avec les élèves en fonction de leur âge. »
(Texte téléchargeable : https://eduscol.education.fr/document/11975/download)

Ne pas aborder « ce qui s’est passé il y a un an », parce que, bien sûr, cela ne « donne pas de sens » à ce moment de commémoration ! Pas de sens les mensonges d’une élève complaisamment écoutés et crédités, sans vérification, pour accabler le professeur ? Pas de sens les propos vindicatifs des parents de cette élève, soutenus par un imam survolté qui parlait de « voyou » ? Pas de sens la désignation du professeur au tueur par des élèves ?  Pas de sens l’avis d’un demi-savant officiel suggérant que le professeur ne « maîtrisait » pas le concept de laïcité ? Pas de sens les remontrances à peine voilées  adressées au professeur ?

Écoutons plutôt Fatiha Boudjahlat remettre les pendules à l’heure en faisant le catalogue des « lâchetés et [des] trahisons qui ont rendu cette mort possible » :

Fatiha Boudjahlat sur la commémoration de l’assassinat de Samuel Paty, LCP 14 octobre 2021 émission Ça vous regarde : prendre la vidéo à partir de 49 minutes https://lcp.fr/programmes/ca-vous-regarde/comment-doper-le-pouvoir-d-achat-81243

Transcription du passage :

« Demain ce sera une journée de recueillement pour tous les enseignants et les élèves de France, mais ce soir je n’ai pas envie de me recueillir, j’ai envie de désigner les mains sales qui sont, selon moi, coresponsables de la mort de mon collègue. Il y a eu bien sûr celui qui assassina Samuel Paty au nom de l’islam. Il y a eu l’élève qui a menti et qui a persisté dans ses mensonges pour couvrir les vraies causes de son exclusion. Il y a eu ces élèves qui firent le guet avec le tueur et lui désignèrent la cible en échange de l’argent. Il y a eu la mère de l’élève menteuse qui a accusé Samuel Paty de racisme, il y a eu le père de l’élève menteuse qui sonna la charge contre Samuel Paty sur les réseaux sociaux, accompagné d’un imam pyromane fiché S. Mais il y a aussi eu cette principale qui demanda à Samuel Paty de s’excuser, qui ne vérifia pas si l’élève était présente ou non le jour de ce fameux cours – elle n’était pas présente – qui aussi convoqua la hiérarchie pour corriger Samuel Paty et qui, lorsque le père lui reprocha de l’avoir fait attendre dehors « comme un chien » et lui dit qu’elle ne se serait pas comportée comme ça s’il avait été juif, ne le mit pas à la porte à coups de pieds dans le derrière, elle le laissa dire parce que les parents les plus véhéments sont ceux qu’on ménage le plus. Il y a eu aussi ce référent laïcité venu corriger Samuel Paty dont il faudra toujours se souvenir des mots qu’il employa : il venait expliquer les règles de la laïcité, de la neutralité que « ne semble pas maîtriser Samuel Paty ». Il y a eu la FCPE, cette association de parents d’élèves qui prétendit jouer les modérateurs avec les parents mais qui ne modéra rien du tout et qui conseilla aux parents de porter plainte contre Samuel Paty, ce qu’ils firent, pour « projection d’images pornographiques ». Il y eut un policier qui accepta de prendre cette plainte, convoqua Samuel Paty, et qui mena une enquête difficile, ardue, parmi les PowerPoint de Samuel Paty. Il y eut aussi cette enquête de l’inspection générale de l’Éducation nationale dépêchée en urgence, qui ne consacra qu’une vingtaine de pages à l’assassinat de Samuel Paty et qui utilisa comme titre cet euphémisme puant : « Enquête sur les événements survenus au collège du Bois d’Aulne » – « les événements », c’est comme ça qu’on parlait de la guerre d’Algérie. Il y eut aussi le syndicat Sud qui refusa à Toulouse et ailleurs de s’associer aux rassemblements en hommage à Samuel Paty – ils ne l’auraient pas soutenu de son vivant, ils ne voulurent pas le soutenir après sa mort. Il y a eu le ministère qui nous refusa deux misérables heures de concertation à la rentrée des vacances de la Toussaint, nous voulions évoquer ce drame, et nous voulions aussi arrêter une façon de faire, une stratégie vis-à-vis des élèves. Il y eut aussi François Héran, professeur au Collège de France, qui publie cette année une Lettre ouverte aux professeurs sur la liberté d’expression, qui rend Samuel Paty responsable de sa mort, qui dit qu’il a eu tort d’utiliser la caricature…
Thomas Piketty – Non vous ne pouvez pas dire ça..
Fatiha Boudjahlat – C’est exactement ce qu’il a dit sur France-Culture
Thomas Piketty – Ne lancez pas des accusations comme ça, il n’est pas là pour se défendre
Fatiha Boudjahlat – Je le dis et je le répète.
Thomas Piketty – C’est trop facile…
Myriam Encaoua – Laissez-la terminer, vous pourrez réagir.
Fatiha Boudjahlat – … et qui aussi déclara – cela vous direz peut-être qu’il ne l’a pas dit non plus – que la liberté d’expression est un masque pour déguiser les discours de haine, voilà ce qu’a dit François Héran. Il y a eu aussi, et j’en finirai par là, ces quelques élèves qui refusèrent de faire la minute de silence parce que des professeurs leur avaient dit qu’ils en avaient parfaitement le droit. Mais la seule chose positive est que la majorité accepta de faire cette minute de silence. Il n’y a eu que deux mains pour assassiner Samuel Paty… et demain on va se recueillir, mais ce soir j’ai envie de demander pardon parce qu’en fait il y a eu un continuum de lâchetés et de trahisons qui ont rendu cette mort possible. »

Relire sur ce site l’article du 17 octobre 2020 : À la mémoire de Samuel Paty, professeur

Et sur la Lettre aux professeurs de François Héran, l’article de Véronique Taquin : Liberté de croyance et liberté d’expression selon François Héran

20 thoughts on “Samuel Paty, commémoration sans mémoire à l’école : « ne pas revenir sur ce qui s’est passé » !

  1. Binh

    Merci Madame pour cette saine piqure de rappel, celui des faits mais aussi celui de la sélectivité des indignations de certains individus autoproclamés « de gauche » ou « progressistes », etc. On peut raisonnablement penser que ces derniers auraient commémoré activement l’évènement si Samuel Paty avait été noir ou homosexuel (ou musulman, ou adhérent LFI, etc), ou si le tueur avait eu des liens « honteux » pour eux. Cette indignation sélective masque en fait des blocages idéologiques manifestement prêts à relativiser (voire…oublier) certaines crimes abominables: c’est clairement inquiétant pour l’avenir. Mais ce n’est pas nouveau, malheureusement: les crimes staliniens, soviétiques ou maoïstes, ont été niés (ou relativisés) durant des décennies dans les milieux étiquetés « De Gauche ».

  2. crabère

    Il est clair que ce professeur, non seulement n’a pas été soutenu par l’éducation nationale, mais les faits, qui sont maintenant bien répertoriés dans le temps, montrent une grave défaillance de l’institution dans cette affaire tout au long des 10 jours entre le cours d’histoire et l’assassinat de Samuel Paty. La journée de réflexion et de sensibilisation doit mener au-delà du rappel du drame. L’institution doit surtout tirer les leçons de cette tragédie et de toutes les erreurs commises par la hiérarchie elle-même.
    Chantal Crabère

  3. Jean-Yves Pranchère

    Bonjour,

    Je me permets de signaler que les propos attribués à F.Héran dans cette vidéo ne figurent ni dans son livre, ni dans ses entretiens à la presse, ni dans les deux émissions qu’on peut entendre sur France Culture.

    Voir https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/liberte-dexpression-liberte-denseigner-le-casse-tete-des-professeurs-avec-francois-heran-et-bruno
    et https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/les-professeurs-et-la-liberte-dexpression

    Comme par ailleurs les propos attribués à F. Héran contredisent ce qu’il dit réellement dans son livre et ses entretiens, il est permis de penser, en l’état des documents disponibles, qu’il s’agit de diffamation pure et simple. Accuser un interlocuteur de complicité de meurtre en utilisant pour ce faire des fausses citations ne me semble pas conforme à l’ethos du débat démocratique, ni à l’esprit de la liberté d’expression, qui suppose qu’on puisse formuler un avis discordant sans faire l’objet d’une mise au pilori. Les désaccords qu’on peut légitimement avoir avec certaines analyses de F. Héran ne me semblent pas une raison suffisante pour pratiquer la calomnie ou ce qu’on pourrait appeler, car c’en est, de la « cancel culture ».

    Bien à vous

  4. Binh

    Pour ma part je ne retiendrai pas (de cet article) ce qui a été dit sur M. Héran par un tel ou une telle. Je constate, grâce cet article, que le Ministre de l’Éducation a estimé qu’il n’était pas nécessaire de revenir sur la mécanique sociale et relationnelle qui s’est mise en route pour déboucher sur la décapitation d’un prof. A partir du moment où nos responsables politiques estiment qu’il ne faut pas évoquer cette mécanique infernale, on peut bien deviner ce qui va se passer dans l’avenir. D’ailleurs, les faits récents nous en donne une petite idée, puisque des menaces de mort viennent d’être envoyées à des profs…
    La diversion sur M. Heran me conforte plutôt dans le sentiment qu’il y a bien une sélectivité des indignations de certains individus autoproclamés « humanistes » , « progressistes », voire « de gauche », dans ce type d’horreur (en 2001, déjà, certains avaient relativisé la mise à mort des gens présents dans le World Trade Centre. Comme d’autres avaient déjà relativisé les millions de morts provoqués par le Grand Bond en Avant maoïste….)

    1. Jean-Yves Pranchère

      Et donc, parce que Badiou existe, il est permis de mettre au pilori des enseignants en leur imputant des propos qu’ils n’ont pas tenus et en faisant d’eux des cibles sur les réseaux sociaux.
      Car la vérité factuelle des citations n’importe pas. Le vrai, c’est ce qui aurait pu être vrai ou ce dont on pense que ça devrait être vrai: les faits alternatifs « expriment » mieux le réel que les faits tout court.

      Et on peut donc agiter les réseaux contre telle ou telle personne en utilisant des faits alternatifs.

      Je ne suis pas vraiment certain que ce soit là la leçon qu’il faille retenir des circonstances et de l’engrenage qui ont conduit à l’ignoble meurtre de Samuel Paty par un islamiste fanatisé.

      Quant à la sélectivité des indignations, j’aimerais bien savoir en quoi l’article d’Esprit que j’ai mis en lien sur mon nom en participe. L’argument ad hominem peut certes être légitime, mais à condition qu’il ne soit pas lancé dans le vague et qu’il ne prenne pas la forme d’un procès par amalgame.
      Mais bon, on sait que, chez de plus en plus de gens, toute formulation d’un simple bémol entraîne immédiatement l’accusation d’être un partisan des assassins. Faire remarquer qu’une citation fictive est fictive, ce serait déjà une complicité de crime et le signe que celui qui parle a pratiqué la relativisation des crimes de Staline ou de Mao. Constater qu’un tel n’a pas dit ce qu’on l’accuse de dire, ce serait une « diversion » qui signifierait en tant que telle une approbation du crime. Refuser un lynchage sans preuves, ce serait protéger les criminels. On peut aller très, très loin si on suit une telle logique.

  5. Mezetulle Auteur de l’article

    Je me permets d’attirer l’attention des commentateurs sur l’article de Véronique Taquin analysant la Lettre aux professeurs de François Héran « Liberté de croyance et liberté d’expression selon François Héran », ainsi que sur le texte de Gwénaële Calvès (consacré à la première version, publiée en ligne sur le site La Vie des idées, de cette Lettre) : « Vous enseignez la liberté d’expression ? N’écoutez pas François Héran ! »

    1. Jean-Yves Pranchère

      Le texte de Gwénaële Calvès est une véritable discussion argumentée de la première version de l’article de F. Héran et pointe des enjeux de désaccord importants. F. Héran en a d’ailleurs tenu compte. Dans son livre, il répond de manière convaincante à certaines des objections de Gwénaële Calvès (en particulier sur la question du sens contextuel d’une des caricatures). Ce qui ne veut pas dire qu’il donne une théorie pleinement satisfaisante du tracé des limites de la liberté d’expression; mais on a là un bon exemple d’une discussion où la vivacité des différends n’empêche pas la probité des participants et induit un progrès de la réflexion plutôt qu’un climat de chasse aux sorcières (il en va de même dans l’émission « Répliques » d’A. Finkielkraut, où les objections amènent F. Héran à préciser certaines formulations équivoques de son livre).
      En revanche, pour ce qui est du pamphlet de Mme Taquin, il ne constitue certainement pas une réponse aux arguments de F. Héran, qui ne sont pas restitués mais défigurés polémiquement, à coups d’amalgames et d’extrapolations, à des fins de disqualification morale. Il est très significatif que cet article passe sous silence le fait que, dans son livre, F. Héran critique explicitement les décisions de la CEDH validant l’application en Autriche de la loi contre le blasphème: F. Héran déclare que la CEDH a eu tort de ne pas annuler la condamnation en justice d’une personne qui avait accusé Mahomet de pédophilie (et dont la condamnation s’est donc trouvée confirmée). Il est vrai que la simple mention de ce fait textuel gênerait bien des accusations outrancières.
      On remarque au passage que, dans cet article, F. Héran est dénoncé au nom d’un éloge des « positions républicaines du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer »— lequel est pourtant le ministre de l’éducation le plus anti-républicain qu’il y ait jamais eu en France: voir https://www.mezetulle.fr/leducation-nationale-ne-recrute-plus-elle-embauche/ Cet éloge de Jean-Michel Blanquer est très cohérent avec le reste de l’article.

    2. Gaspard

      Bravo Madame pour cette analyse courageuse et sans concession des lâchetés inadmissibles de l’administration de l’Education nationale dans ce drame abominable! Oui mille bravos pour la fermeté de vos propos, à un moment où un ministre multiplie avec un cynisme inouï les provocations en rendant les enseignants quasi coupables des manquements à la laïcité dont pourtant son administration est coutumière. Ce que vous dénoncez et mettez vigoureusement en lumière est le mal même qui détruit l’Ecole ; et J.M. Blanquer — dont on aurait pu à en moment préjuger du contraire, dont vous avez pu vous-même, peut-être, en attendre beaucoup mieux, — est celui qui, avec un fanatisme ou un aveuglement de plus en plus manifestes, en est un des plus grand zélateurs : d’un côté, soucieux du bien-être à l’école de tous les élèves , il permet à chacun de modifier son prénom, sans avoir à en référer à l’état civil, de l’autre, il gronde les professeurs susceptibles de ne pas « adhérer aux valeurs de la République », confondant sans vergogne valeurs et principes, et ignorant que le fait de donner pour seul but à l’école de « transmettre des valeurs » sans instruire est justement un oubli des principes mêmes de la République et de l’école républicaine.
      Il fut un temps où vous avez pu, avec bien d’autres personnalités illustres, défendre l’école républicaine face aux lâchetés d’un ministre de l’éducation nationale. Je suis heureux de constater que vous n’avez rien perdu de votre combativité. Puissiez-vous encore être entendue en haut lieu!

      1. Mezetulle Auteur de l’article

        Il est vrai que je ne souscris pas à bien des aspects de la politique menée par JM Blanquer… Je m’emploie néanmoins à travailler à la promotion de la laïcité au sein du « Conseil des sages » que ce même ministre a réuni depuis 2018 sous la présidence de Dominique Schnapper. J’espère que ce travail collectif ne sera pas inutile : vous pouvez en consulter quelques éléments téléchargeables – notamment les trois volumes du coffret Guide républicain ainsi que des notes et avis – sur la page officielle du Conseil.
        J’ajoute que ma liberté de parole n’a jamais été l’objet de la moindre remarque, elle reste entière et j’en use sans contrainte.

        1. Jean-Yves Pranchère

          Merci pour votre réponse.
          Je me permets, avant de m’éclipser, d’ajouter aux textes essentiels sur la liberté d’expression cet article de Charles Girard, avec lequel je me sens pleinement d’accord, et qui constitue dans les faits une réponse à François Héran:
          Charles Girard, « Pourquoi a-t-on le droit d’offenser ? », Vie des idées , 8 décembre 2020, https://laviedesidees.fr/Pourquoi-a-t-on-le-droit-d-offenser.html
          Bien à vous, en vous remerciant pour cet espace de discussion pluraliste

  6. Binh

    Je constate donc qu’un article judicieux sur Samuel Paty (ou plutôt sur l’oubli quasi factuel du mécanisme ayant conduit à sa décapitation) a provoqué une tentative de recentrage du « problème Paty » sur la défense d’une autre personne, M. Héran (on a même risqué un échange sur M. Badiou….).
    Je suis donc conforté dans le mot que j’avais utilisé: « diversion ».
    Cette situation relative à l’affaire Paty me rappelle ce qu’écrivait l’historien Manceron, prétendu « spécialiste » de la colonisation et de l’Algérie, sur sa liste de diffusion (d’histoire postcoloniale): « nous condamnons l’assassinat de Samuel Paty, mais… » (le MAIS portant sur les injustices de ce monde, réelles certes)
    A la question « pourquoi il y a un Mais ? « , l’historien avait répondu en acceptant de remplacer son texte par le suivant « nous condamnons l’assassinat de Samuel Paty, cependant… ».
    C’est dire à quel point, quand on veut ne pas parler en profondeur d’un sujet, on sait quoi faire pour l’éviter.
    Moi, j’appelle ça une « diversion » (une « diversion » ne signifiant pas que les sujets alternatifs évoqués soient nuls et inintéressants, bien sûr. C’est évident. Héran est intéressant en soi, et Badiou aussi. Tous les 2, d’ailleurs, sont clairement passionnants , à plus d’un titre…)
    Il est manifeste que cette affaire Paty (ou plutôt les mécanismes ayant conduit à sa décapitation) provoque d’innombrables manœuvres de « diversion » en tout genre, qui nous démontrent bien que le danger de nouveaux assassinats de profs (ou de personnes fréquentant les écoles) est toujours d’actualité, les fanatiques haineux de la république ayant bien pris conscience (ils ne sont pas idiots) qu’il existait une partie non négligeable de la France prête à exprimer un « MAIS », ou une autre technique de « diversion », pour amoindrir l’hommage rendu à Samuel Paty (et, surtout, perturber l’analyse des causes ayant provoqué cet évènement). Il faut peut-être rappeler, quand même, que l’école française est encore sous la menace d’un carnage demandé par Daech.

    1. Jean-Yves Pranchère

      Je condamne l’assassinat de Samuel Paty de toutes mes forces, sans aucun « mais » ni aucune réserve. Et mon article d’il y a un ans dans Esprit le disait clairement.
      En revanche, je ne pense pas que cette condamnation doive conduire à accepter de relayer des fausses informations ou des diffamations sans aucune rectification.
      Je ne vois pas le rapport entre le fait de dire « telle information/accusation est fausse » et le fait de dire « je condamne … mais ». Dire « F. Héran n’a pas dit que… » n’est pas dire « S.Paty a des torts » (il n’en a aucun). Ce n’est pas dire non plus « F.Héran a raison » (j’adhère aux objections de Charles Girard).
      Et je ne vois pas en vertu de quel sophisme on peut amalgamer, comme vous le faites, ces propositions très différentes.

      Il n’y a aucun « Mais' » ni aucune diversion dans le fait de dire:
      1. Samuel Paty n’a aucun tort, il faut défendre résolument l’enseignement de la laïcité et des principes de la liberté d’expression contre la terreur djihadiste et la pression islamiste,
      2. Il faut dénoncer les mécanismes qui ont rendu le meurtre possible, aussi bien du côté de la diffusion virale de la haine et du mensonge sur la toile que du côté de l’impéritie de l’administration,
      3. F. Héran propose une conception insuffisante de la liberté d’expression, conception justement critiquée par Charles Girard dans l’article cité plus haut de la vie des idées
      4. Il n’est pas acceptable pour autant d’imputer à F. Héran, de manière mensongère et diffamatoire, des propos qu’il n’a pas tenus, avec pour effet de le mettre au pilori sur les réseaux sociaux, voire de le désigner comme une cible.

      Ce qui est frappant, c’est la façon dont vous faites vous-même diversion pour ne pas admettre qu’on peut rectifier une fausse information.
      Ce que vous appelez diversion, c’est le fait de tenir à la vérité factuelle et de considérer qu’on ne peut pas criminaliser un enseignant en lui imputant des torts qui ne sont pas les siens, par exemple au moyen de fausses citations.
      A-t-on le droit de mentir pour accuser quelqu’un?
      Est-ce qu’une cause juste autorise la désignation de boucs émissaires qu’on se permet de criminaliser par des accusations appuyées sur des fausses informations?
      Vous pensez que oui, je pense que non.
      Vous justifiez la diffamation mensongère et vous pensez que ceux qui refusent la diffamation mensongère excusent de ce fait le djihadisme.
      Je pense que la lutte contre l’islamisme ne justifie pas la diffamation mensongère, et que le respect de la vérité factuelle n’est jamais une diversion, mais un devoir, et n’a rien à voir avec un « Oui mais ».

      Cette question du respect de la vérité factuelle n’a strictement rien à voir avec l’intérêt qu’on porte à l’œuvre des accusés (personnellement je ne trouve pas Badiou intéressant, je l’ai cité parce que vous avez comparé mon intervention, selon une étrange démarche de procès par association, aux errances maoïstes).
      Ce qui est en cause est simplement le principe selon lequel on n’accuse pas sans preuves ou en fournissant de fausses preuves.
      À ma connaissance, ce que nous défendons contre le djihadisme est bien le respect de l’Etat de droit républicain, et pas l’arbitraire qui permet de condamner un innocent sur des bases fictives (ou de lyncher sur les réseaux sociaux).

      Par ailleurs, permettez-moi de vous rappeler que la haine en ligne ne vient pas seulement des islamistes. La menace djihadiste reste entière et les professeurs sont exposés à d’insupportables intimidations islamistes. Dans le même temps, nombre de spécialistes estiment que les risques d’actes terroristes venus de l’extrême-droite (dont l’aile la plus violente a de très nombreux suiveurs sur la toile, suiveurs dont on sait qu’ils sont en train de s’organiser en groupes capables de passer efficacement à l’action) ne cessent de grandir.
      Il me semble normal, dans un climat délétère où les médias ne voient aucun problème à donner la parole à des figures qui peuvent librement asséner leurs contre-vérités historiques, comme le fait Eric Zemmour dans sa réhabilitation de Pétain, de considérer qu’on ne peut pas inventer les faits et de vouloir que la lutte contre l’islamisme se fasse dans le sang-froid de la raison et des convictions républicaines. L’opinion selon laquelle les faits ne comptent pas se répand de plus en plus: je connais un grand nombre de personnes qui estiment par exemple que les mensonges de Zemmour n’ont aucune importance, et que les historiens qui s’en occupent pour les réfuter sont des gens qui « font diversion » puisque le seul problème serait la nécessité de se préparer à une guerre civile sur laquelle Zemmour nous alerte, de sorte que les pinailleurs qui critiquent Pétain seraient des complices des djihadistes.

      Je trouve dangereuse la mentalité qui consiste à dire: « qu’importe qu’une personne soit faussement accusée, tous ceux qui veulent qu’on rectifie une erreur font diversion et sont au service de l’ennemi ».
      Cette mentalité me rappelle trop le grand argument de Maurras à l’époque de l’affaire Dreyfus. Maurras disait en substance: « qu’importe que Dreyfus soit innocent ou coupable, le problème est que ceux qui s’occupent de l’innocence de Dreyfus font diversion par rapport à la menace militaire allemande. Ils disent « le patriotisme oui, mais… » et ainsi ils affaiblissent l’autorité de l’armée française au moment où cette autorité est nécessaire pour faire face au danger d’une agression allemande. Le dreyfusisme est une diversion quand l’armée allemande se prépare à la guerre ». Maurras n’inventait pas la menace allemande: elle était réelle.
      Entendons-nous: F. Héran n’est pas Dreyfus. Une diffamation virale n’a rien à voir avec une condamnation au bagne. Je ne vous soupçonne nullement de maurrassisme. Mais je pense que l’argument de Maurras était sophistique et que, d’un point de vue strictement logique, le vôtre est également sophistique. L’armée française n’était pas affaiblie par l’exigence dreyfusarde de la correction d’une injustice. Le respect de la vérité n’affaiblit pas une cause.
      Et refuser la rectification d’une erreur comme si elle était une complicité passive avec l’ennemi djihadiste est un étrange symptôme.

      1. Binh

        Il est clair pour moi que la seule longueur de votre commentaire est en soi une diversion par rapport à l’article d’origine: quand on passe d’un texte alertant sur la volonté officielle d’ignorer un processus criminel à un commentaire 3 fois plus long destiné à défendre (avec de bonnes intentions, là n’est pas la question, et avec des bons arguments, là n’est pas la question non plus) l’honneur d’une autre personne, on fait en effet de la diversion. Et le fait que la diversion soit intéressante, fondée, juste, équitable (ou tout ce que vous voulez comme qualificatif élogieux), n’en fait pas moins une diversion. C’est quoi une diversion ? C’est un contournement destiné à proposer une autre route que celle initialement prévue: et même si cette diversion est agréable, utile, efficace, plaisante, bucolique…elle nous fait quand même prendre une autre voie ! La preuve ? On est bien passé de Samuel Paty (ou plutôt: du mécanisme social ayant facilité une décapitation) à une autre personne dont l’honneur semble vous obséder beaucoup plus que l’alerte d’origine (pour des raisons humanistes respectables, certes). Personnellement, je ne souhaite aucun mal à ce M. Héran, mais ce n’était franchement pas le sujet central de l’alerte: entre la mécanique infernale qui prépare des décapitations de citoyens, et l’honneur d’une personne défendue par ailleurs par Piketty dans l’alerte elle même, votre sensibilité à ce Monsieur est (dans ce contexte) surdimensionnée….Ce qui me pousse à vous dire que je ne vais pas me laisser piéger par votre diversion. J’arrête ici mon échange avec vous sur ce sympathique Monsieur Héran. Je me focalise sur la décapitation de Samuel Paty.

        1. Jean-Yves Pranchère

          En effet, il vaut mieux arrêter « l’échange » (qui n’en est pas un). La longueur de mes réponses s’explique aisément par la « loi de Brandolini ».

          Mon commentaire originel n’appelait qu’une réponse qui aurait dû être brève: « en effet, F. Héran n’a pas dit cela; tenons-nous en aux responsabilités de l’institution, et maintenons la critique des thèses de F. Héran sur le plan des principes, sans lui faire dire ce qu’il n’a pas dit ».

          Au lieu de quoi j’ai eu droit à une salve accusatoire qui au fond reproduit le célèbre argumentaire du « faux patriotique » déployé par Maurras quand il combattait la « diversion dreyfusiste » face à la menace allemande.
          Le refus de rectifier une erreur, l’obstination à soutenir qu’il vaut mieux dissimuler un fait que le reconnaître (afin de mieux combattre l’ennemi islamiste), le besoin d’accuser de complicité avec l’ennemi celui qui maintient l’exigence de respect de la vérité factuelle, — tout cela constitue un bon symptôme du fond maurrassien de l’air du temps.

          Quand de bons esprits en sont là, il ne faut pas s’étonner que l’air du temps idéologique soit celui où l’extrême-droite représente une part considérable de l’électorat français, où un défenseur de Pétain est le deuxième choix des sondés pour le premier tour des présidentielles, où sur Youtube des influenceurs comme Papacito sont des stars et encouragent leurs suiveurs à se constituer en groupes militaires prêts à passer à l’action contre les « islamogauchistes ».
          Et de fait on sait que l’extrême-droite violente est de mieux en mieux organisée, qu’elle est désormais armée, et qu’elle est de plus en plus capable, logistiquement, de mener des opérations de grande envergure. Mais elle reste tranquille car elle a bon d’espoir de prolonger ses immenses progrès idéologiques (la main-mise de Bolloré sur de grands moyens d’informations) dans une conquête progressive du pouvoir.

          Ne nous y trompons là: cette dérive si sensible, et qui suscite si peu de résistance, c’est une victoire de l’islamisme (qui souhaite cette dérive), pas une victoire sur lui.
          Et on ne combat ni l’islamisme ni l’extrême-droite quand on encourage cette dérive en reprenant la technique favorite des extrêmes; la dénonciation du respect des faits au nom des nécessités de la lutte contre l’ennemi.

          1. Mezetulle Auteur de l’article

            Je pense aussi qu’il est temps de clore cette discussion, portant effectivement sur un point marginal si l’on considère l’objet principal de l’article.
            Je comprends et partage le souci de vérité avancé par J.-Y. Pranchère sur ce point – la vérité ne doit jamais être écartée, l’erreur est toujours mauvaise, et tous les lecteurs auront été suffisamment avertis par ses commentaires. Faire remarquer la marginalité d’un point en relation avec le sujet principal ne mérite pas pour autant, me semble-t-il, une « reductio ad Maurras ».

            Il n’en reste pas moins que même si F. Boudjahlat n’avait fait aucune allusion aux propos de F. Héran dans la vidéo citée, la série de mensonges et de lâchetés qu’elle énumère est consternante (c’était l’objet principal de l’article). De sorte que récuser son propos sur un point n’invalide pas les autres points, fort nombreux, ni la conclusion qu’on peut et doit tirer au sujet cette « mécanique infernale » dont parle Binh et que déploie de manière implacable le livre de David di Nota J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty.

            Encore un peu de marginalité : en ce qui touche F. Héran je crois qu’il est revenu sur la question récemment dans un « Hommage à Samuel Paty » dont un article de Charlie-Hebdo fait état ici https://charliehebdo.fr/2021/10/societe/samuel-paty-un-deroutant-hommage-a-sciences-po/.

  7. LARIBAINE

     » Des pistes de réflexion sur le rôle du professeur sont proposées dans ce document » peut-on lire dans le document de l’Education nationale.
    Tout est dit en ces quelques mots, au mieux du désarroi de cette institution, au pire de la démission de la République vis a vis du corps enseignant.

    Cela m évoque les affiches de la campagne de rentrée du Ministère de l’Éducation nationale sur la laïcité dont vous avez relevé à juste titre que « seules deux (n° 4 et 5) sont relatives à une situation scolaire »

  8. Binh

    Il est clair que la mécanique sociale ayant abouti à la décapitation de Paty est déjà en place pour que ça recommence: cette mécanique, c’est « le regard tourné ailleurs », ou « les yeux baissés » ou bien encore « la honte de soi ». De l’institution scolaire elle même (direction, rectorat, collègues), en passant par les « parents d’élèves », et en allant jusqu’aux Politiques, nombreux sont ceux qui ont participé indirectement, par leur lâcheté, à l’exécution de Paty. C’est pour cela que le ministre ne veut pas d’une commémoration qui examine les choses d’un peu trop près: la compréhension de la blessure des malheureux fanatiques, le respect d’une religion qui mérite plus d’accommodements que d’autres religions, la diabolisation de la laïcité, la prolifération bienveillante du fameux concept démagogique « islamophobie ». Tout ça est toujours là: Alexis Corbières (LFI) accuse Paty d’avoir mal fait son métier d’enseignant en voulant « choquer en permanence les élèves », et François Burgat estime que le prof décapité n’avait pas  » la liberté d’avilir » ses élèves. Bref: la violée a bien cherché son criminel ! Donc, les criminels qui préparent d’autres décapitations en France savent qu’ils bénéficient déjà d’une certaine compréhension bienveillante, avant les décapitations elles-mêmes, d’une partie de la population française. Tout est prêt.

  9. Mezetulle Auteur de l’article

    Je viens de terminer à l’instant la lecture du livre de David di Nota J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty (Cherche Midi, 2021).
    Ce n’est pas seulement un rapport accablant pour le fonctionnement de l’institution scolaire sur l’assassinat de Samuel Paty, c’est aussi une analyse approfondie des procédés de retournement accusatoire, et du mécanisme qui érige le « respect » en principe pour prétendre qu' »il ne faut pas offenser les croyants », des attendus philosophiques et des conséquences politiques d’une telle soumission à l’ordre religieux. C’est aussi un livre superbement écrit, très fort. Je compte y revenir dans les colonnes de Mezetulle.

  10. Binh

    Illustration de cette complicité sociale globale avec les futurs décapiteurs (cette mécanique que le Ministre ne veut pas qu’on analyse sérieusement) : Le Monde titrait, récemment, pour parler d’un parent dont l’enfant a été massacrée au Bataclan  » Au procès des attentats du 13-Novembre, la colère d’un père haineux ». Donc, Le Monde a décentré le débat pour focaliser ses lecteurs sur la « méchanceté » d’une victime des terroristes (la Haine de cette victime ayant été volontairement grossie pour éliminer sa douleur et son calvaire, en mettant cette « haine » en balance avec le massacre lui même !). La démarche du journal est non seulement répugnante, elle conforte aussi les cellules dormantes de décapiteurs prêtes à passer à l’acte, sans scrupule maintenant (puisque les blasphémateurs qu’on se prépare à égorger sont des gens remplis de haine à l’égard des musulmans, dixit Le Monde lui même…). La preuve de cette démarche irresponsable et encourageante d’une partie de notre élite française, pour les futurs meurtriers, c’est que Le Monde a modifié ultérieurement le titre de son article: il était donc possible de faire autrement dès le départ, mais il était sans doute naturel et nécessaire, pour ce journal, de salir d’abord une victime. Voilà le genre de commémoration qui plait à notre ministre et à d’autres. Ne pas trop fouiller en nous, et minimiser la barbarie en cherchant une « diversion » (peu importe qui est la victime, réellement. Peu importe que la diversion soit fondée ou pas ) à cette commémoration. Opération commando au service d’un prétendu « humanisme », ou au service du ministre lui même, bien tentée par le quotidien (autoproclamé « progressiste »).

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