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Paris, « votation » tarification véhicules lourds : ni scrutin, ni sondage

Les résultats de la « votation » organisée le 4 février par la mairie de Paris sur une augmentation des tarifs de stationnement pour les véhicules individuels « lourds, polluants et encombrants » auprès des 1 374 532 électeurs de la ville ont été présentés de manière quelque peu opaque. Cette opération prétendument démocratique n’a en réalité mobilisé que 78 121 votants (5,7 % des inscrits) et le « succès » dont se vante la municipalité repose sur 42 415 suffrages favorables (3 % des inscrits). En outre, elle n’a aucune valeur juridique et elle ne peut même pas être considérée comme un sondage. Alors pourquoi être allée déposer un bulletin dans l’urne ?

Le journal Le Parisien, dimanche 4 février à 22 heures, n’hésite pas à écrire « Ce dimanche 4 février, les Parisiens se sont rendus aux urnes afin de se positionner sur une augmentation du tarif de stationnement des SUV dans la capitale. À 54,55 %, ils ont voté en faveur d’une taxation accrue. »1
Il s’agit d’une fausse nouvelle contredite dans le même article, comme peuvent le voir ceux qui ont la patience d’aller jusqu’au deuxième alinéa du texte : « À noter la très faible participation puisque seuls 5,7 % des inscrits ont participé au scrutin. ».
Le Parisien récidive ce matin 5 février en écrivant « Ce dimanche, les Parisiens ont voté à 54 % « pour un tarif spécifique pour le stationnement » des véhicules lourds de type SUV. », et insiste en poursuivant « Dans les urnes de la capitale, 54,55 % des habitants ont voté pour une tarification spéciale des véhicules lourds, polluants et encombrants. », avant d’indiquer un peu plus loin que « sur les 1,3 million de Parisiens inscrits sur les listes électorales, seulement 78 000 ont fait le déplacement, soit un peu plus de 5%. »2

Même chose pour France-Info qui annonçait hier soir sur X : « Votation sur les SUV : les Parisiens approuvent à 54,55 % le triplement des tarifs de stationnement pour les voitures les plus « lourdes, encombrantes, polluantes » »3, précisant prudemment sur son site, en plus petits caractères, que « moins de 6 % des électeurs se sont déplacés ».

Ce ne sont donc pas 54,55 % des Parisiens qui ont voté en faveur de cette proposition d’augmentation, mais 54,55 % des 5,7 % des électeurs parisiens ayant voté – soit 42 415 sur les 78 121 votants, ce qui fait 3% des 1 374 532 inscrits. Ajoutons que la « fake » est aggravée par le terme global « les Parisiens » ou « les habitants » : car ceux-ci, au nombre de 2 100 000 selon la dernière estimation, comprennent aussi plusieurs centaines de milliers de non-inscrits.

On peut ne voir là qu’une manipulation courante de présentation des résultats, probablement initiée par une dépêche d’agence que les organes de presse recopient idéologico-fidèlement. Mezetulle a déjà écrit un petit article là-dessus4.

Sauf qu’ici le décalage entre les nombres (42 000 voix seraient équivalentes à au moins 748­000…) laisse rêveur.

Sauf que cette présentation (même si elle alignait des chiffres homogènes) laisse croire qu’il s’agit d’une consultation comparable à un véritable scrutin. Or il n’en est rien.

L’opération n’est pas un référendum local. Je suppose qu’elle est « une consultation pour demande d’avis » (loi du 13 août 2004 du Code des collectivités territoriales) mais nulle part je n’ai vu mention expresse de ce statut, qui pourtant est obligatoire. Elle n’est pas régie par le Code électoral : les électeurs n’ont pas été convoqués selon ses formes, beaucoup n’étaient pas au courant, beaucoup de ceux qui souhaitaient voter n’ont pas pu trouver le bureau pour le faire, aucun matériel n’a été adressé aux électeurs, des militants ont distribué des tracts pendant le déroulement du vote devant au moins un « lieu de vote », la question posée n’a pas été validée juridiquement, elle été posée de façon peu claire, etc.

Cela relèverait-il d’irrégularités contre lesquelles on pourrait introduire un recours ? Je n’en sais rien, et peut-être que certains lecteurs seront plus informés que moi.  C’est en tout cas une opération particulière, une fantaisie dominicale, un gadget municipal dont l’assemblée délibérante (le Conseil de Paris) peut faire ce qu’elle veut : on fait voter les électeurs pour les consulter, mais on peut le faire aussi pour les enfumer et se vanter. Anne Hidalgo, maire de Paris, a précisé qu’il faudra assurer « la sécurité juridique » de la mesure prétendument adoptée – manière implicite de dire que celle-ci n’a aucune validité avant un vote du Conseil. Mais c’est surtout une manière de dire que le contenu de la mesure proposée est incertain et fragile : c’est sur ce contenu que des recours sérieux pourront porter. Et là, ce sera, espérons-le, une autre paire de manches.

Pourrait-on parler, plutôt que d’une consultation, d’un simple sondage ? Certains pourront même enfourcher ce cheval de secours pour dire « quand même un sondage sur 78 000 personnes vaut quelque chose et on doit en tenir compte ». Pas du tout. Un sondeur sérieux construit un « panel », un échantillon représentatif de la population concernée et rend compte, au début de sa présentation des résultats, de la méthodologie employée. Ce n’est pas le cas. Seuls ceux qui ont bien voulu aller voter ont été « consultés »… ! Si on ajoute que l’invitation à voter n’a pas été une formelle convocation à un scrutin, on pourra dire que 78 000 électeurs parisiens politisés et/ou militants ont donné un avis, qui plus est sur une question tordue, et que 54,55% d’entre eux se sont prononcés en faveur de la mesure proposée par la municipalité.

Voilà, me dira-t-on, d’excellentes raisons pour un électeur parisien de rester à la maison, de faire tout autre chose que d’aller au bureau de vote.

Alors, électrice parisienne, pourquoi suis-je allée déposer un bulletin dans l’urne ? J’avoue que je me suis posé la question… Je suis politisée, mais ça n’explique pas tout.

Voyant que la mesure proposée ne vise pas les résidents (« stationnés dans leur zone de stationnement autorisé » ou non ???5), je me dis qu’elle a pour effet (sinon pour objet) d’empêcher les non-résidents de circuler et de stationner dans Paris avec un véhicule mesurant plus de xx cm de large, pesant plus de xxxx kilos, etc. Pourquoi s’arrêter là ? On va fermer le périph ? On va augmenter les tarifs des transports en commun pour les autres habitants d’Ile de France ? C’est ça être parisien ? C’est ça l’urbanité ? C’est ça la ville qui a accueilli et charmé mes grands-parents au siècle dernier : une tribu de bobos féroces qui s’évertuent à rester entre eux ? C’est ça la capitale de la France où chaque Français devrait se sentir chez lui, y compris quand il vient en bagnole ?

Quand je lis les tweets peu amènes (je passe sur les insultes) reprochant aux Parisiens de « pleurnicher alors qu’ils ne vont même pas voter » et donc de « n’avoir que ce qu’ils méritent », je me dis que même l’indifférence des abstentionnistes, même cette protestation, certes légitime mais trop silencieuse et qui peut passer pour de la hauteur, apporte de l’eau au moulin de l’aversion anti-parisienne qui se répand de plus en plus.

J’ai voté (j’ai voté contre bien sûr!) parce que je suis parisienne, parce que Paris appartient à tous les Français, parce que je trouve absurde et dangereux d’opposer ainsi les Parisiens aux autres Français. J’ajoute quand même une petite raison bien mesquine : parce que, me déplaçant à pied, je n’ai pas peur d’un véhicule « lourd, encombrant, polluant » qui s’arrête au feu rouge – contrairement à d’autres légers, peu encombrants, pas polluants, menés par trop de conducteurs arrogants et mal embouchés.

Notes

1https://www.leparisien.fr/paris-75/votation-sur-les-suv-les-parisiens-favorables-a-une-taxation-du-stationnement-pour-les-vehicules-lourds-04-02-2024-TUTZBV2MM5GSFKTRDM2UNHG45Q.php . Le texte étant en ligne, il a pu être modifié. J’ai une copie d’écran de la version dont je fais état.

5 – Le site Paris.fr, sous le titre « Qui sera concerné ? » précise entre autres « les visiteurs détenteurs d’un SUV dépassant le poids règlementaire », puis sous le titre « Qui ne sera pas concerné ? » « les résidents parisiens et les professionnels sédentaires stationnés dans leur zone de stationnement autorisé ». https://www.paris.fr/pages/plus-ou-moins-de-suv-les-parisiens-et-parisiennes-sont-invites-a-voter-le-4-fevrier-25381#quelle-est-la-mesure