Les bons sentiments et les saintes-nitouches armées d’un coutelas

Intervention à la soirée du 16 octobre « Réparer la République »

Le 16 octobre 2023, j’ai participé à Paris à une soirée organisée par le Collectif laïque national à l’invitation du Grand Orient de France1. Intitulée « Réparer la République », elle était un hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, deux professeurs tombés sous les coups d’un terroriste islamiste. On trouvera ci-dessous le texte de mon intervention, à laquelle j’ai ajouté, pour la version écrite, les intertitres et les notes.

La dictature du « ressenti »

Début octobre 2020, en classe de 4e, Samuel Paty fait cours sur la liberté d’expression. Il utilise un dessin de Coco paru dans Charlie Hebdo en septembre 2012, dessin relatif à un film et qui fait l’objet d’une fiche pédagogique référencée sur le réseau Canopé du MEN2.

Samuel Paty est alors accusé d’avoir traité les élèves musulmans de manière discriminatoire en les excluant d’une classe sur critère religieux, parce que musulmans. C’est faux, ce qui est confirmé par des élèves présents. Mais une élève qui était absente a choisi, elle, de rester dans la classe où elle n’était pas pour entendre le professeur dire « les musulmans vous pouvez sortir ». Et d’ajouter « On a tous été choqués »3.

Dès lors la machine accusatoire est enclenchée, maniée par des virtuoses de l’art d’être choqué. Le père de l’élève et son « accompagnateur »4 s’emparent de cette parole mensongère et la développent : il faut « virer ce professeur ». L’administration de son côté – on le sait notamment par le rapport de l’IGESR5 du 3 décembre – adopte la thèse de la menteuse sur un point non négligeable (S. Paty « a froissé les élèves »), ce qui revient, en l’occurrence et de la part de la parole publique, à restaurer le délit de blasphème. Elle s’étonne de la résistance du professeur à « reconnaître une erreur ». Peu importe que cela soit démenti par le témoignage des élèves présents, ce qui compte est l’offense ressentie.

Le 16 octobre, Samuel Paty est décapité par le fils d’un Tchétchène réfugié dans l’« État français islamophobe ». Abdullah Anzorov a été renseigné par quelques élèves.

Les professeurs n’ont qu’à bien se tenir. Cibles idéales offertes au « ressenti » des élèves et des parents érigés en censeurs par un dispositif mis en place depuis des décennies, il n’est déjà pas très bon qu’ils veuillent instruire sans négocier, sans s’agenouiller devant ce qu’on appelle « le bruit pédagogique ». L’exercice se révèle extrêmement dangereux quand l’objet de cette instruction est, comme le prescrit pourtant le programme d’EMC (Enseignement moral et civique), la liberté d’expression, notamment de la presse. Ce que notait, non sans un humour qui nous navre a posteriori, un mél de S. Paty : « Je travaillerai l’année prochaine sur la liberté de circulation ou, peut-être, sur la censure d’Internet en Chine ».

Les croyances ont-elles des droits ?

Et puis ces petits profs ont besoin de conseils, de leçons prodiguées cette fois par un professeur du Collège de France, François Héran, qui dans plusieurs interventions publiques prit la peine de leur expliquer que la liberté d’expression est abusive quand elle empiète sur « la liberté de croyance », et qu’il convient de la modérer pour n’offenser aucune sensibilité6.

Il faudrait donc se donner pour règle le respect de ce que les uns et les autres croient ? Et ainsi non seulement on frappera d’interdit tout ce qui contrarie ou même blesse une croyance quelconque, mais on finira par considérer comme comme admissible que « la simple projection d’un dessin puisse entraîner une décapitation »7. D’où ces déclarations odieuses « Je condamne, mais… ».

Or, comme le montre Gwénaële Calvès, il n’existe pas, en France, de droit au respect des croyances religieuses opposable, par exemple, à des dessins de presse ou à d’autres formes d’expression8. Seules les personnes ont droit au respect. Tel pourrait être l’objet d’une séquence d’enseignement sur la liberté d’expression, illustrée notamment par un dessin de presse et son contexte.

Il faut rappeler que la liberté d’expression, encadrée par un droit qu’il faut justement appeler commun, vaut pour tous, en tous sens. Sa pratique n’a pas la gentillesse pour norme, mais la loi. Oui, on peut afficher une opinion politico-religieuse ultra-réactionnaire dans la société civile, on a le droit de dire que l’incroyance est une abomination. Mais cela vaut réciproquement : c’est en vertu du même droit qu’on peut exprimer la mauvaise opinion et même la détestation qu’on a de tout cela ; c’est en vertu du même droit qu’on peut caricaturer irrévérencieusement telle ou telle religion. Oui c’est difficile à supporter, mais la civilité républicaine, en tolérant qu’on s’en prenne aux doctrines et jamais aux personnes, a ici une leçon de bonnes manières à donner aux saintes-nitouches armées d’un coutelas. « Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévots ? »9

La voie de l’ignominie toujours ouverte

Ce n’est pas fini. Dans un lycée d’Arras, ce 13 octobre 2023, un terroriste islamiste dont la famille, elle aussi, avait trouvé refuge dans « l’État français islamophobe », a massacré un professeur, Dominique Bernard, et blessé trois autres membres du personnel, dont l’un grièvement. La date, la similitude des faits laissent penser qu’il s’agit d’une réplique délibérée de l’assassinat de Samuel Paty. Du reste, un détestable néologisme circulant chez certains élèves – « je vais lui faire une Samuel Paty » -, a érigé cet assassinat en modèle. Ajoutons que l’ancien chef du Hamas Khaled Meshaal a appelé les musulmans du monde à un « jour de djihad » ce vendredi 13 octobre10. Mais l’État islamique n’avait-il pas, déjà en 2015, appelé à tuer des professeurs en France ?11

Les tombereaux de fleurs et autres minutes de silence qui recouvrent ces massacres ne parviennent plus à dissimuler le poids du contexte institutionnel, ni à masquer l’impuissance publique et les années de déni. Il est vrai que les ouvriers de la onzième heure qui s’empressent de verser des larmes de crocodile donnent des signes de fébrilité : la culpabilité semble changer de sens.

Mais Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel, a raison de dire que « nous ne sommes pas dans l’après Samuel Paty, mais dans le pendant »12. Certains encouragements officiels à persévérer dans la voie de l’ignominie n’ont pas pour autant disparu – ce que je vais tenter d’illustrer à présent par un tout petit détail.

Un gros « trou dans la raquette » dans le programme d’enseignement moral et civique

Je remonterai pour cela à l’émission Répliques (France Culture) du 24 avril 2021. Elle a opposé François Héran à Souâd Ayada (alors présidente du Conseil supérieur des programmes) au sujet de l’enseignement de la liberté d’expression. À un moment, F. Héran a avancé que, le « respect des convictions religieuses d’autrui » figurant dans le programme d’enseignement moral et civique (EMC), on pouvait récuser légitimement le fait de recourir en classe à certaines caricatures.

Je suis allée voir. En effet, dans le programme d’Enseignement moral et civique de l’école et du collège, le respect des convictions est présenté au début du texte comme constitutif du respect d’autrui – première finalité de l’EMC :

« Respecter autrui, c’est respecter sa liberté, le considérer comme égal à soi en dignité, développer avec lui des relations de fraternité. C’est aussi respecter ses convictions philosophiques et religieuses, ce que permet la laïcité. »13

Il y a là un gros « trou dans la raquette ».

1° Campée sur cette déclaration réglementaire, toute « conviction » peut exiger le « respect » au seul motif qu’elle existe. Toute démarche critique à l’égard d’une conviction est d’emblée disqualifiée, ce qui est à la fois contraire au droit et à un enseignement émancipateur.

2° Soumis à une telle directive, comment un professeur peut-il éclairer la notion de blasphème et sa non-pertinence en droit républicain ? Comment peut-il éclairer le concept de liberté d’expression ? Comment un Samuel Paty, comment un Dominique Bernard peuvent-ils enseigner ? Ou alors il faut s’en tenir à des notions bisounours erronées et vagues, en berçant les élèves avec ce qu’ils croient savoir (« il faut être gentil avec toutes les convictions »). Et on s’étonne que les élèves s’ennuient et que le niveau baisse ; on s’étonne aussi que les professeurs pratiquent l’évitement et l’autocensure. Mais cette phrase du programme officiel est elle-même une injonction à l’autocensure !

3° Le professeur est confronté à des injonctions contradictoires. Lui faut-il enseigner le respect des convictions (notamment religieuses) ou bien d’autres points du programme et les autres programmes d’enseignement qui lui demandent d’expliquer et de transmettre un savoir, y compris lorsque celui-ci va à l’encontre de convictions présentes chez des élèves ? Les savoirs libres et substantiels doivent-ils s’effacer devant la revendication abstraite et nombriliste de « la liberté de ne pas être froissé »?

4° Cette phrase pleine de bons sentiments est contraire à l’idée même d’instruction en ce qu’elle place la croyance au-dessus du savoir. De plus elle introduit le présupposé de l’indissociabilité de la conviction et de la personne qui s’en prévaut. Ce qui est une absurdité philosophique et juridique. Se défaire d’une conviction ou en changer, ce n’est pas pour autant se dissoudre ou devenir une autre personne.

Cette si gentille phrase ne peut pas être lue de manière anodine. Incompatible avec le droit républicain, elle repose sur une absurdité contraire aux concepts de liberté et d’émancipation, elle est un obstacle à l’acte même d’enseigner et à celui de s’instruire. Elle n’a pas sa place dans un programme d’enseignement établi par une république laïque. L’y maintenir c’est excuser d’avance les saintes-nitouches armées d’un coutelas qui s’érigent en défenseurs d’une foi. Il faut la supprimer.

Oui, c’est un détail. Mais il est significatif de l’esprit de bien des textes officiels. Plus largement il révèle une mentalité, un défaitisme décervelant répandu par le « bisounoursisme » ambiant, il révèle un acquiescement anticipé aux propos culpabilisateurs tenus par des dévots sanguinaires, par leurs soutiens clientélistes et par leurs idiots utiles. Il faut combattre cette mentalité ; il est grand temps de consentir à voir que « contre nous de la tyrannie l’étendard sanglant est levé ».

[Vidéo sur la chaîne Youtube du GODF  https://www.youtube.com/watch?v=gXkmQ-9rZOE à 6’07 minutes du début de la vidéo.]

Notes

1 – Intervenants : Alain Seksig, Eddy Khaldi, Benoît Kermoal, Damien Boussard, Sophia Aram, Yaël Goosz, Hadrien Brachet. En présence de Guillaume Trichard Grand Maître du GODF. Voir l’affiche https://www.mezetulle.fr/wp-content/uploads/2023/10/Affiche-GODF-16-10-2023-Reparer-la-Republique.jpg

3 – Je m’inspire ici du livre de David di Nota J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty, Paris, Cherche-Midi, 2021.

4 – Abdelhakim Sefrioui le leader en France du collectif Cheikh Yassine fondateur du Hamas.

5 – Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, « Enquête sur les événements survenus au collègue du Bois d’Aulne (Conflans Sainte-Honorine) », octobre 2020, publié le 3 décembre 2020.

6 – Voir par exemple sur le site La vie des idées sa « Lettre aux professeurs d’histoire-géographie » du 30 octobre 2020 https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geo-Heran , où sont habilement confondus les opinions (croyances, incroyances, etc.) et les personnes, et qui érige en principes, sans aucun critère, les notions d’offenseur et de « minorité offensée ». Sur le caractère prétendument tardif en droit français du concept de « liberté d’expression » et sur la référence non-pertinente à un passage de la Constitution de 1958, voir la critique détaillée de Gwénaële Calvès, professeur de droit public : https://www.mezetulle.fr/vous-enseignez-la-liberte-dexpression%e2%80%89-necoutez-pas-francois-heran%e2%80%89-par-gwenaele-calves/ . On lira aussi l’analyse de Véronique Taquin « Liberté de croyance et liberté d’expression selon François Héran ».

7 – Henri Pena-Ruiz « Lettre ouverte à mon ami Régis Debray », Marianne, 21 décembre 2020 https://www.marianne.net/agora/henri-pena-ruiz-lettre-ouverte-a-mon-ami-regis-debray

8 – Voir référence à la note 6.

9 – Boileau, Le Lutrin , I .

13 – Souligné par moi. Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 26 juillet 2018, 2e alinéa du premier item https://cache.media.education.gouv.fr/file/30/73/4/ensel170_annexe_985734.pdf . Repris dans le BO du 30 juillet 2020. Les réflexions qui suivent reprennent en partie un article que j’ai publié sur ce site en janvier 2022 « Doit-on enseigner le ‘respect des convictions d’autrui ?' » https://www.mezetulle.fr/doit-on-enseigner-le-respect-des-convictions-philosophiques-et-religieuses-dautrui/

13 thoughts on “Les bons sentiments et les saintes-nitouches armées d’un coutelas

  1. Laridant

    « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
    Ce trou dans la raquette que vous évoquez ne trouve t’il pas son origine dans cette reconnaissance constitutionnelle (problématique à mon avis) de toutes les croyances?

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    1. Mezetulle

      Effectivement, cette formule de l’article premier de la Constitution de 1958 semble problématique. J’ai abordé ce point dans deux articles (notamment ici https://www.mezetulle.fr/du-respect-erige-en-principe/#-la-france8230-respecte-toutes-les-croyances- ) en faisant état de mon inquiétude devant une lecture maximaliste comme celle que vous faites, puisque vous la traduisez en termes positifs de « reconnaissance ».

      Il faut néanmoins souligner que cette lecture maximaliste isole la formule et qu’elle est contredite expressément par la loi du 9 décembre 1905. Si le constituant de 1958, qui a introduit cette disposition, et les législateurs suivants n’ont pas jugé qu’il fallait en conséquence réviser la loi de 1905 comme contraire à la Constitution, c’est donc qu’il faut lire la formule de 1958 de sorte que la loi du 9 décembre 1905 ne lui soit pas contraire.

      C’est ce que font les juristes que j’ai pu interroger en pratiquant une lecture minimaliste : la France se tient à distance des croyances, et n’intervient pas dans ce domaine. Je vous renvoie à l’article de Gwénaële Calvès référencé à la note 6 de mon texte, je cite G. Calvès :
      « Introduite à la veille du référendum de 1958 pour rassurer l’électorat catholique, cette disposition, totalement marginale dans la construction laïque et dénuée de tout rapport avec la liberté d’expression, invite l’État à ne pas s’immiscer dans les questions religieuses. Elle ne signifie en aucun cas que « toutes les religions méritent le respect ». Elle impose simplement à l’État et à ses agents de s’abstenir de tout jugement sur la valeur de telle ou telle croyance, dès lors que son expression ne contrevient pas à l’ordre public.  »

      Mais je suis bien d’accord, il vaudrait mieux que cette disposition ne figure pas dans le texte constitutionnel, afin d’éviter les lectures maximalistes toujours possibles même si elles sont incohérentes et en désaccord avec toute la législation et la jurisprudence existantes.
      Le mieux serait d’introduire dans la Constitution, à la place, une disposition inspirée de la loi du 9 décembre 1905, comme celle-ci :
      « Elle [la France] assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ». Mais quelle force politique actuelle aura le courage de faire une telle proposition de révision constitutionnelle ?

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      1. Braize

        Merci chere catherine de cet article salutaire. Cela fait du bien !
        Sur les échanges en commentaire jecsuis plus circonspect s’agissant de la phrase de larticle 1er. La lecture maximaliste de larticle 1er de la constitution est contraire à la loi de 1905 mais aussi à la jurisprudence du conseil constitutionnel comme je l’ai montré dans mon commentaire sous votre précédent article dont vous m’aviez donné acte du caractère rassurant. Rien est changé de ce point de vue. Ne modifions pas la constitution à chaque fois qu’un document ou texte de bisounours encombre le paysage. Supprimons le ce sera suffisant.
        Amitiés

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          1. Braize François

            Oui c’est bien ce commentaire auquel je fais référence et qui a toute son actualité en attendant que l’on supprime un jour peut-être cette phrase ambiguë sur les croyances. Mais je ne suis pas optimiste tant un retour en arrière sur le respect des croyances ferait polémique. Ce serait allumer un incendie à tout coup.
            Il nous suffit de tenir bon sur l’interprétation rigoureuse et laïque qui veut que l’Etat ne se mêle pas du contenu des croyances même s’il les respecte toutes. Commençons donc à ne pas confondre « respect » et « reconnaissance » ce qui n’a rien à voir. Quand je lis certains commentaires à cet égard je me dis que nous ne sommes pas sortis de la confusion…

  2. Incognitototo

    Merci, Catherine, rien à dire sur ton texte juste, logique, percutant et fondamental.

    Mais puisque tu parles de dénis, plus généralement, il y en a 2 dont on entend rarement parler parmi les « médiatiques faiseurs d’opinions ».

    Il y a une contradiction fondamentale à continuer à commercer et à faire des ronds de jambe à tous les pays qui encouragent, manipulent et financent ces extrémistes, quelle que soit leur origine. La liste est tellement longue de tous ces pays qui honnissent entre autres la liberté des démocraties (et non accessoirement la laïcité) que ça ne sert à rien de les nommer. Il faut juste se rappeler que sur 167 États souverains (Cf. : « Indice de démocratie »), 72 seulement sont des démocraties (parfaites et imparfaites), tandis que plus de 60 % de la population mondiale vit sous des régimes autoritaires et/ou totalitaires.
    On ne peut pas continuer à faire comme si ça n’existait pas. On ne peut pas faire semblant de ne pas savoir que le fanatisme religieux politique commence à s’exporter et s’installe quand les USA ont formé et financé Oussama Ben Laden pour faire échec aux Soviétiques en Afghanistan (ils ont vraiment ouvert la boîte de Pandore avec ça). On ne peut pas continuer à fermer les yeux sur ce qui se passe dans ces pays et leurs politiques d’ingérence, juste parce que nous avons besoin de leurs ressources, de leur vendre nos produits (souvent militaires) et de leurs finances.
    Bref, je ne vois pas l’ombre d’une action politique qui tendrait à nous dissocier de nos dépendances à ces pays, ne serait-ce que pour leur dire « ça suffit », ou encore « les ingérences religieuses et/ou politiques, c’est fini ». Je ne vois pas l’ombre d’un début d’action pour cesser de cautionner par nos « accords commerciaux » leurs diktats religieux et politiques. Depuis 50 ans sous prétexte de realpolitik, on fait des « accords de Munich » perpétuellement avec tous les pays totalitaires et ça a un prix : celui de la dissémination et de l’expansion de tous les fanatismes religieux et politiques. Le pire est que tout en sachant que ces pays agissent pour faire tomber nos démocraties, « on » ne fait rien ou plutôt si on fait : on leur donne toujours plus d’argent pour consolider leurs régimes totalitaires et leurs délires de toute puissance. Qui aura le courage d’y mettre fin ? Il y aura à l’évidence un fort prix à payer pour retrouver notre indépendance et arrêter les compromissions (quand ce ne sont pas des complicités), mais je pense que rien n’est pire que les doubles contraintes que nous subissons perpétuellement, qui détruisent notre humanité, nos cultures et nos libertés.

    L’autre déni concerne les « terroristes » qui passent à l’acte, pour lesquels il faut arrêter de politiser les débats. La médecine a le pouvoir et le devoir d’enfermer et de soigner (si elle le peut) ceux qui sont dangereux pour eux-mêmes ou les autres, et je ne comprends pas pourquoi ça ne se fait pas pour les « fichés S. » M’opposer les dérives possibles concernant la création d’un délit d’opinion qui conduirait à de l’arbitraire ne tient pas une seconde ; vouloir tuer des gens et/ou soi-même n’est pas une opinion dans une démocratie (fut-elle imparfaite). Non accessoirement, je ne sais pas plus pourquoi on accueille chez nous des gens qui étaient en danger parce qu’ils luttaient pour imposer leur propre totalitarisme. Je ne vais pas développer, mais c’est étonnant que « l’on » confonde à ce point ceux qui ont réellement besoin d’être protégés à cause de ce qu’ils sont, de ceux qui sont en danger parce qu’ils veulent imposer leur propre dictature (et peu m’importe « l’ennemi » qu’ils combattent).
    Par-dessus tout, j’attends toujours que quelqu’un m’explique la différence entre un schizophrène qui cède à ses voix intérieures et ses pulsions meurtrières délirantes, avec un « radicalisé » qui obéit à un être surnaturel qui lui commande de tuer en criant « Allah-carambar ».
    Ce déni des problèmes psychiques (conséquences en grande partie du néolibéralisme et ça se démontre), ça commence à bien faire… ou alors, c’est parce que nos « visionnaires politiques » ont supprimé 60 % des lits psys depuis les années 80 qu’ils savent que de toute façon, même s’ils le voulaient, ils ne pourraient pas faire ce type de politique sanitaire.
    Mais en tout état de cause, si on admettait que ces gens-là ont des problèmes psychiques qui les rendent dangereux, on cesserait de leur donner une « légitimité » politique et médiatique pour faire de leur folie une croyance, et ils se retrouveraient dans les « faits divers » (aussi dramatiques soient-ils) sans plus aucun écho à leurs délires.
    Ça n’est pas en ne nommant pas les problèmes qu’ils n’existent pas, bien au contraire : « Mal nommer les choses, jugeait Camus, c’est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c’est nier notre humanité. » (Éric Fottorino) ; je partage totalement cette maxime à laquelle il convient d’ajouter celle de Nietzsche « Il n’y a pas d’erreur plus dangereuse que de confondre l’effet avec la cause : j’appelle cela la véritable perversion de la raison. » (« Le Crépuscule des idoles » / Les quatre grandes erreurs). En ne voulant pas catégoriser ces extrémistes parmi les « fous », on leur permet de continuer, et plus grave de ne jamais introduire de doute et encore moins de rationalité dans leurs « délires ».

    Voilà, Mezetulle publiera ou pas ce commentaire, pour ma part j’avais besoin de l’écrire et tant pis s’il ne sert à rien.

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  3. Marie-Pierre Logelin

    Merci, Catherine, pour cet article.
    Rappel fort bienvenu de l’émission Répliques (France Culture) du 24 avril 2021, qui mériterait d’être rediffusée. On y entend le sociologue François Héran s’exprimer du point de vue d’une « démocratie qui aurait oublié les Lumières » – en référence à la phrase célèbre de Régis Debray « La démocratie est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières. » (dans Êtes-vous démocrate ou républicain ? Texte de Régis Debray publié dans Le Nouvel Observateur du 30 novembre-6 décembre 1995 / pp. 115-121.) – et se réfère essentiellement aux cours de justice européennes. Son absence de rigueur intellectuelle contraste de manière saisissante avec l’exigeante conception de l’école qu’exprime son interlocutrice, la philosophe Souâd Ayada (alors présidente du Conseil supérieur des programmes).
    À propos du « trou dans la raquette » que constitue, en effet, la phrase du programme officiel d’EMC au collège (« Respecter autrui, ….. C’est aussi respecter ses convictions philosophiques et religieuses, ce que permet la laïcité. »), il convient, me semble-t-il de « rendre à césar ce qui est à César ». En effet, le programme d’EMC du collège, comme tous les programmes de collège d’ailleurs, date de 2015 et de la très controversée réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem. Le Conseil supérieur des programmes était alors présidé par Michel Lussault (nommé en septembre 2014) dont la nomination – tout aussi controversée – considérée, notamment par la présidente de la Société des agrégés comme « la revanche du pédagogisme » entraînera en mai 2015 la démission d’un membre éminent du CSP, Jacques Grosperrin, en raison notamment de « l’idéologie » et des « dérives communautaires » de cette instance en contradiction avec sa mission de garantir la transparence du processus d’élaboration de ces programmes.
    Cette phrase doit en effet être supprimée. On peut à cet égard déplorer que la lettre de Dominique Schnapper et de Souâd Ayada – qui, après l’assassinat de Samuel Paty, demandaient au ministre de l’Éducation nationale de saisir conjointement les deux conseils qu’elles présidaient alors, le Conseil des sages et de la laïcité et le CSP, pour réécrire le programme d’EMC de collège – fût restée sans effet.

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    1. Mezetulle

      Chère Marie-Pierre,

      Merci pour les précisions que tu apportes. Il y a en effet pas mal de travail à faire sur ce programme EMC.

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  4. LARIBAINE

    Bonjour

    Dans une tribune publiée en mars 2021 (1) Céline Florentino révèle que l’article 3 de la charte de la laïcité à l’école comporte un « raté relevant de l’acte manqué » que personne n’a relevé à l’époque (2013). Cet article dispose : « Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. La laïcité permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public. » Elle propose de remplacer « dans le respect des convictions d’autrui » par « dans le respect d’autrui » pour mieux signifier que critiquer une religion n’équivaut pas à « manquer de respect à l’essence même d’un individu ».
    Elle alerte avec lucidité : « Ce n’est pas un détail. Ou si c’en est un, il ne faut surtout pas oublier que le diable s’y niche. »

    Ségolène Royal n’a pas vu le détail ! Dans son livre « Je suis le prix de votre liberté » (Grasset 2021), Mila rapporte les propos de cette femme politique, plusieurs fois ministre, tenus à l’émission de France 3 « Dimanche en politique » : « Critiquer une religion n’empêche pas d’avoir du respect […] Une adolescente, qui est peut-être encore en crise d’ adolescence, si elle avait dit la même chose sur son enseignant, sur ses parents, sur sa voisine, sur sa copine, qu’est-ce qu’on aurait dit ? On aurait dit simplement « un peu de respect. »
    Mila lui pose alors cette fulgurante question : « Serais-je menacée de mort si j’avais dit la même chose sur mon enseignant, mes parents, ma copine ou ma voisine ? »

    Richard Malka dans Le droit d’emmerder Dieu (Grasset 2021), donne plusieurs exemples de propos politiques de la même veine que ceux de S. Royal tenus par « ceux qui ont soufflé sur les braises », notamment lors de la publication des caricatures danoises en 2006 : « il faut éviter bien sûr tout ce qui blesse inutilement et en particulier dans le domaines des convictions relieuses » (D de Villepin) – « il n’est pas normal de caricaturer l’ensemble d’une religion à un mouvement extrémiste, voire terroriste » (P. Douste-Blazy)- « les croyants ont droit au respect de leur croyance » ( J-M le Pen) – « j’ estime qu’il est aussi du devoir de ce quotidien [France-Soir] de respecter les convictions religieuses et philosophiques de nos concitoyens » ( R.D. de Vabres) – « la laïcité, c’est aussi éviter de blesser les sensibilités » ( M. de Sarnez).

    A l’inverse, je terminerai par l’opinion politique exprimée par Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, dans son excellente déclaration à France Info le 31 octobre 2020. J’ai été frappé qu’il n’a jamais employé le mot « valeur » lorsqu’il a réagi aux propos du père Jean-Louis Giordan qui a dit après l’attentat à Nice dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption jeudi 29 octobre. 2020 « être très en colère contre tous ceux qui disent qu’il faut continuer à diffuser les caricatures de Mahomet. Moi, je ne suis pas Charlie ».
    Sa déclaration n’en a que plus de force : « Je n’aime pas ces caricatures mais je les défends. Je défends ceux qui ont fait ces caricatures, je défends ceux qui les diffusent au nom de quelque chose qui est plus important pour moi que ces caricatures, qui est la liberté, la liberté d’expression et la liberté tout court. Voilà ce que je voudrais répondre à ce prêtre. Je suis Français, je défends l’esprit français et je défendrai toujours la culture française. C’est notre liberté nationale, c’est notre culture, notre mémoire, c’est l’esprit critique, c’est la capacité à rire d’une chose ou d’une autre. C’est ça qui est en jeu »
    Culture, esprit critique, mémoire: chapeau bas Monsieur le Ministre !

    (1)  » Vas-y là, ça s’fait pas de critiquer la religion : ce que nous entendons, profs, quand nous enseignons la laïcité »
    https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/vas-y-la-ca-sfait-pas-de-critiquer-la-religion-ce-que-nous-entendons-profs-quand-nous-enseignons-la-laicite

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    1. Mezetulle

      Merci pour ces précisions.
      Sur l’art. 3 de la Charte de la laïcité à l’école, j’avoue que cela m’avait échappé… Plus c’est gros et mieux ça passe, oui c’est du même tonneau que la phrase du programme d’EMC que je cite dans l’article.
      À votre série d’exemples, on peut aussi ajouter Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, qui a déclaré en janvier 2020 sur Europe 1 : « L’insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de conscience » https://www.youtube.com/watch?v=iNZxmnSugBo

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  5. Ping : École et laïcité : justice pour Samuel Paty ! · ReSPUBLICA

  6. Tarnacois sans caténaire

    Depuis le temps que je m’époumone à dire que la suppression de cette phrase devrait devenir un combat laïque prioritaire , je suis content d’être relayé.
    Belle métaphore au demeurant que celle du trou dans la raquette , mais au jeu de l’interprétation j’ajouterais qu’elle n’a pas non plus de manche. Lorsque je lis « Elle respecte toutes les croyances » je peux comprendre que , par omission et à son jugement , les non-croyants ne sont pas respectables. Et les défenseurs de cette constitution auront beau se raccrocher aux branches en proférant que les athées sont ceux qui croient que dieu n’existe pas , ils ne combleront aucun vide. De plus la connotation condescendante de l’assertion n’en fait même pas les égaux de ceux qui croient que l’on peut assécher une mer avec un bâton , alunir à cheval sur un rayon de lumière ou ressusciter à volonté
    Cette constitution contient en germe l’inégalité des citoyens devant la loi et c’est inadmissible

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