Le Dr Yves Namur, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, a envoyé à Mezetulle la « Lettre ouverte sur l’écriture inclusive » que cette académie a publiée le 28 juin 2021. C’est avec grand plaisir, et en remerciant Yves Namur pour son attention toute spéciale, que je la reproduis ci-dessous1.
Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique
Lettre ouverte sur l’écriture inclusive
Comme il est inscrit dans ses statuts, « l’Académie donne son avis dans les domaines de son ressort, de sa propre initiative, à la demande de l’Exécutif ou à celle de tout autre pouvoir public ». Ainsi entend-elle donner aujourd’hui un avis sur ce qui est communément appelé « écriture inclusive ».
Au préalable, l’Académie s’accorde à dire que si la langue en elle-même n’est nullement sexiste, les discours des usagers peuvent l’être, et qu’il ne faut pas confondre écriture (manière de s’exprimer par l’écrit) et orthographe inclusives (graphie propre à l’orthographe).
Elle tient aussi à rappeler qu’un discours inclusif conférant aux femmes une juste représentation dans la société contemporaine est une nécessité légitime et que la féminisation des noms de métiers et de fonctions est à encourager comme l’attestait déjà Le Bon Usage (2016) d’André Goosse2.
L’Académie rappelle les deux caractères fondamentaux du signe linguistique : l’arbitraire et la linéarité. Les conséquences de cet arbitraire sont que la langue ne représente pas directement le réel et ne détermine pas la pensée, dans la mesure où les locuteurs d’une même langue peuvent exprimer des conceptions très différentes. Quant à la linéarité, certaines pratiques de l’écriture inclusive, dont le point médian et les « néologismes morphologiques » créés par amalgames (celleux), exigent un décryptage empêchant une lecture linéaire essentielle à la compréhension d’un texte (exemple : tou·te·s ou tou·t·es sénateur·rice·s, usant de segments inexistants). L’Académie se prononce clairement contre ces formes contre-intuitives et très instables.
L’Académie constate par ailleurs qu’analyser la question du genre grammatical à travers certains préjugés historiques aboutit à une impasse et à une idéologie destructrice. De nombreux moyens (lexicaux, épicènes et contextuels) sont à notre disposition pour préserver la place légitime de la femme dans le discours.
De surcroît, la tentative d’imposer une « novlangue » relève d’une pratique inquiétante qui créera paradoxalement de l’exclusion en matière d’apprentissage et d’enseignement de la langue française chez les usagers déjà les plus défavorisés.
En conséquence, l’Académie recommande la lecture d’Inclure sans exclure (édité par la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2020) d’Anne Dister et Marie-Louise Moreau3, ouvrage de qualité sur le sujet, une synthèse respectant le fonctionnement propre de la langue ainsi que la place des femmes dans le discours.
Une communication de notre confrère Jean Klein, accessible sur le site de l’ARLLF4, développe le sujet tant au point de vue historique que linguistique.
Bruxelles, ce 28 juin 2021
Notes de l’éditeur
1– Le texte est également accessible sur le site de l’Académie https://www.arllfb.be/actualite/ecriture_inclusive.pdf . On rappellera aussi la Lettre ouverte (7 mai 2021) sur l’écriture inclusive d’Hélène Carrère d’Encausse et Marc Lambron en ligne sur le site de l’Académie française https://www.academie-francaise.fr/actualites/lettre-ouverte-sur-lecriture-inclusive
2 – André Goosse, Maurice Grevisse, Le Bon Usage, éd. De Boeck Supérieur, 2016. Voir le site https://www.grevisse.fr/ouvrage/9782807300699-le-bon-usage
3 – Anne Dister et Marie-Louise Moreau. (2020). Inclure sans exclure. Les bonnes pratiques de rédaction inclusive. Bruxelles : Direction de la Langue française – Service général des Lettres et du Livre – Fédération Wallonie-Bruxelles. Ouvrage accessible en pdf sur www.languefrancaise.cfwb.be
Voir le dossier récapitulatif des articles en ligne sur Mezetulle au sujet de l’écriture inclusive
Ping : L'écriture "inclusive" séparatrice, mise à jour du dossier (juillet 2021). - Mezetulle
Merci pour cet excellent texte qui contient d’ailleurs de précieuses références.
Parmi ces dernières, je relève (de Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE et Marc LAMBRON) cet extrait:
« L’écriture inclusive installe ainsi un débat de l’entre-soi cantonné à un périmètre limité, au préjudice des étrangers désireux d’apprendre notre langue telle qu’elle leur est souvent transmise par de grands textes patrimoniaux. Dans un monde où la francophonie, principalement sur le continent africain, est appelée à un développement exponentiel, ce mode d’écriture dissuasif est susceptible de renforcer l’anglais comme langue véhiculaire ».
C’est un constat que je fais depuis longtemps au Vietnam, dès son ouverture: les gens qui hésitaient entre l’apprentissage du français et celui de l’anglais, retenaient le critère de la facilité (outre les critères affectifs ou commerciaux) : nul doute qu’avec l’écriture prétendue « inclusive », à la mode, le critère de la facilité sera le premier retenu demain (et français disparaîtra alors de ce pays).