Le chanteur Michel Sénéchal est mort le 1er avril – quelques articles parcimonieux dans la presse et un silence presque total sur les chaînes de tv de grande écoute. Je tiens tout particulièrement à célébrer sa mémoire.
Entendre Michel Sénéchal dans le rôle-titre de Platée à l’Opéra comique de Paris en 1977 (voir l’extrait vidéo ci-dessous) fut pour moi une révélation, un plongeon dans l’esthétique de l’opéra classique français du XVIIIe siècle. Ce ravissement, loin de me paralyser, fit que je me jetai avec avidité sur des textes dont certains m’étaient familiers mais qu’il fallait relire sous un autre angle et surtout d’une autre oreille – à commencer par ceux de Jean-Jacques Rousseau qui fut tout au long de mes méditations mon instituteur malveillant et lucide. Quelques années plus tard, portée par la stimulation intellectuelle et artistique qui entoura le tricentenaire de Rameau, je publiais mon premier livre, Jean-Philippe Rameau, splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique. Et ce fut le début d’une longue route qui me mena de découverte en découverte, d’émerveillement en émerveillement.
J’ai rencontré Michel Sénéchal à cette époque, dans une des nombreuses rencontres tables rondes après spectacle qui se tenaient alors. Nous étions côte à côte, et je l’entends encore s’exclamer, me prenant à témoin au sujet de Platée : « Mais cet opéra, c’est d’abord du théâtre ! »
Oui c’est d’abord du théâtre, oui il y a du texte, et ce texte doit être dit sans qu’on l’escamote, qu’on le réduise en bouillie, qu’on lui fasse violence en décomposant les nasales, en faisant systématiquement les liaisons ou en n’en faisant aucune, en accentuant bêtement tout ce qu’on croit être important, ce qui sont des manières (il y en a hélas d’autres) de l’excuser d’être en français1.
Il faut entendre Michel Sénéchal chanter et dire un texte en langue française pour comprendre à la fois les subtilités et l’évidence de la diction, pour comprendre que la musique ne s’impose pas en dépit du texte, mais grâce à lui – y compris pour le démentir ou l’élargir. On comprend tout, on entend les vers, on comprend que l’ornement mesuré n’est pas un vain ornement…
(à voir aussi directement sur le site EnScènes)
C’est d’une oreille rafraîchie par le style de Michel Sénéchal qu’on pourra réentendre ou entendre les chanteurs attachés à cette belle tradition – entre autres, et toutes générations confondues : Nicolaï Gedda, Laurence Dale, Jean-Philippe Lafont, Luc Coadou, Alain Zaepffel, Jérôme Corréas.
À écouter la série de cinq émissions « Hommage à Michel Sénéchal » sur France-musique (« Arabesques » de François-Xavier Szymczak) du 9 au 13 avril 2018. https://www.francemusique.fr/emissions/arabesques/arabesques-du-lundi-09-avril-2018-60075
On lira une intéressante notice sur le site Forum Opera https://www.forumopera.com/actu/michel-senechal-1927-2018-limmortelle-grenouille et l’article de Christophe Huss dans Le Devoir https://www.ledevoir.com/culture/musique/524334/michel-senechal-un-tenor-de-caractere
1 – Voir à ce sujet Dire le vers de Jean-Claude Milner et François Regnault (Paris : Seuil, 1987, nouvelle édition augmentée Lagrasse : Verdier, 2008).