« Propos mêlés sur le rugby », ouvrage collectif lu par C. Kintzler

Paru dans l’été 2020, l’ouvrage collectif Propos mêlés sur le rugby (sous la direction de Gilbert et Yannick Beaubatie et d’Anne Deplace, éd. Mille sources) est à tous égards un « poids lourd ». Il s’impose par son volume – 496 pages – et par sa qualité – quelque 80 contributions, allant du témoignage à l’étude historique1 et à l’analyse conceptuelle, de la variation poétique au « coup de gueule », rehaussées d’illustrations judicieusement choisies loin du tapage et du lissage médiatique2. Poids lourd aussi et surtout par la tonalité brûlante et nostalgique qu’il laisse au cœur des amoureux du « rugby d’avant le désastre »3 assistant, désemparés, à l’extinction de « la flamme des humbles superbes »4.

Ce n’est pas seulement, même s’il y occupe une très large place, le rugby flamboyant et oxymorique d’évitement et de contact, de mouvements contraires et contrariés, de zigzags qui filent tout droit vers l’en-but, de poussées et d’envolées, d’urbanité et de ruralité, qui est célébré et analysé. Pas seulement l’obscure clarté de cette cérémonie secrète qui, déployée sous les yeux des amateurs, « adoube chevaliers mais jamais stars »5 ceux du village ou de la rue d’à côté. Est scrutée aussi, avec une indignation contenue, la trajectoire déclinante – on oserait presque dire renégate – par laquelle le rugby devient, comme nombre d’autres sports, « un segment de l’économie planétaire »6. Assigné qu’il est à la normalisation marchande qui lui impose l’uniformisation intensive tant des gabarits bodybuildés que des styles de jeu obsédés par la percussion et le verrouillage, sa dangerosité croissante broie des « surhommes pathétiques ». Sommé de rentrer dans le rang, il abandonne la fonction utopique qui pointait vers un « ailleurs » rêvé et pourtant accessible où l’humanité ordinaire, dans son déploiement varié, pouvait à la fois se reconnaître et se grandir. À l’image d’un maillot jadis « vierge de tout sponsor »7 et constellé aujourd’hui de taches publicitaires, il troque, en un échange désastreux, une parole « naguère littéraire, qui enchantait par sa verve la plume des écrivains » contre un discours formaté relevant de la « com ».

Malgré l’apparence d’un « pavé » de papier glacé, il ne s’agit pas d’un ouvrage destiné à la figuration sur une table basse de salon, d’un « beau » volume que l’on se contente de feuilleter.  C’est un livre qui appelle la lecture – laquelle peut être dispersée, sautant d’une contribution à l’autre sans observer nécessairement de séquentialité, mais ne peut jamais rester extérieure car chaque auteur est allé « chercher » son texte au plus profond de lui-même. On ne le lira pas tantôt pour s’émerveiller tantôt pour se désoler car une telle partition est fausse : on l’aimera parce que, fidèle à l’immanence et au contraste qui constituent le rugby, ce livre fait de l’amertume elle-même une étincelle réjouissante.

Propos mêlés sur le rugby ouvrage collectif sous la direction de Gilbert et Yannick Beaubatie et d’Anne Deplace, éd. Mille sources, 2020, 496 p.

Notes

1 – Entre autres « Faux rebonds », étude historique majeure signée par Xavier Lacarce, p. 259-279.

2 – Chaque photo, écartant l’exhibitionnisme technique du « geste » pris dans son abstraction, enracine son propos dans un souvenir, une histoire, un moment réfléchi, un éclat de rire, un regret… C’est dans un mouvement analogue de réflexion, de retour, que s’inscrivent les dessins (Perrine Rouillon, Roger Blachon, Béatrice Chastagnol), sculptures et toiles (Béatrice Chastagnol, Bernard Crémon).

3 – Denis Tillinac, préface au livre posthume de Jacques Verdier Ils ont franchi le rugbycon ! (Albin-Michel, 2019), citée par Robert Redeker p. 481.

4 – Jean-Pierre Oyarsabal, p. 403.

5 – Préface de Christiane Rancé, p. 3.

6 – Robert Redeker, p. 481.

7 – Adrien Pécout, « Symboles décolorés », p. 423.

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