Archives par étiquette : cimetières

Cimetières et « carrés » confessionnels

La triste actualité entraînée par la pandémie Covid-19 fait réapparaître la question des « carrés » confessionnels dans les cimetières. Je me permets de reprendre ci-dessous un article intitulé « Existe-t-il des cimetières chrétiens en France ? » publié en février 2015 à la suite d’une affaire de profanation, dans lequel je m’efforçais de faire le point1.

Existe-t-il des « cimetières chrétiens » en France ? La délaïcisation par accoutumance (par Mezetulle, le 21 février 2015)

Après la déplorable série récente de profanations de sépultures, on a pu constater que l’expression « cimetière chrétien » (sur le modèle du « cimetière juif » de Sarre-Union situé en Alsace-Moselle) a été employée sans précaution notamment pour désigner les cimetières de Saint-Béat (Haute-Garonne) et de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude).

Pourtant, cette appellation est erronée : aucun cimetière chrétien, juif, musulman ou d’une autre confession n’existe sur le territoire de la République française, pour la bonne raison que c’est rendu impossible par la loi du 14 novembre 1881 dite « sur la liberté des funérailles »2.

Cela n’a pas empêché Cécile Deprade, procureur de la République de Saint-Gaudens, de déclarer, au sujet de Saint-Béat : « Il s’agit de dégradations dans un petit cimetière chrétien. Des plaques, des croix et des pots ont été cassés ».

Si l’on peut comprendre l’emploi approximatif du terme « cimetière » pour désigner des « sépultures » par un non-spécialiste, ou même (encore que moins excusable) par un journaliste pressé de remettre son papier, cet emploi ne peut en aucun cas être innocent dans la bouche d’un magistrat représentant l’État et (on l’espère) ayant quelques notions de droit.

C’est ainsi que la délaïcisation s’installe par petites touches et par gros mots d’une novlangue d’autant plus nocive qu’elle est inaperçue. On accoutume les gens à la norme religieuse qu’on transforme en norme sociale puis en norme politique, on feint de confondre la laïcité avec le « dialogue inter-religieux », et, par ces petites négligences de langage dont certaines sont soigneusement calculées, non seulement on encourage ce qu’on prétend combattre, à savoir le repli communautaire, mais on finit par exclure près de 40% de la population, qui se déclare indifférente à toute religion.

La circulaire du 19 février 20083 rappelle en ces termes la réglementation laïque des cimetières.

  • La loi du 14 novembre 1881, dite « sur la liberté des funérailles », a posé le principe de non-discrimination dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie du cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte. Ce principe de neutralité des cimetières a été confirmé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat.

  • Les cimetières sont des lieux publics civils, où toute marque de reconnaissance des différentes confessions est prohibée dans les parties communes. Seules les tombes peuvent faire apparaître des signes particuliers propres à la religion du défunt.

L’existence de cimetières confessionnels ne peut donc relever que d’un état antérieur à la législation de 1881, et aucun nouveau cimetière de ce type ne peut être créé après promulgation de la loi.

On peut s’étonner par ailleurs d’entendre parler de « carrés » confessionnels . Cela peut s’expliquer par les circulaires de 1975 et 1991 autorisant ces « carrés ». Mais la circulaire du 19 février 2008 abroge ces circulaires et revient à l’application de la loi du 14 novembre 1881. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « carrés musulmans » ou autres dans les cimetières. On continue à employer cette expression, car un maire peut procéder, en vertu de ses pouvoirs de police, à des regroupements de fait de sépultures pourvu que ces derniers ne soient pas identifiables par des signes dans les parties communes et pourvu que personne ne soit empêché ou obligé de s’y faire inhumer au motif de sa religion ou de sa non-religion. Mais là encore, l’emploi du terme « carré » est impropre, car il impliquerait l’existence de délimitations extérieures identifiables et suggère l’idée d’une discrimination exercée sur les défunts selon leur religion ou leur absence de religion4. Avec le lexique, c’est donc là aussi une accoutumance qui s’installe.

Mezetulle a déjà abordé ce sujet en ligne à deux reprises.

Notes

1 – [Note avril 2020] Une rapide recherche de mise à jour ne m’a pas montré de modification(s) de la législation depuis cette date ; je remercie les lecteurs, s’il y a lieu, de me la/les signaler en commentaire ou par courrier.

2 – À l’exception de l’Alsace-Moselle, les lois dites laïques ne s’y appliquant pas – d’où l’expression correcte de « cimetière juif » dans le cas de Sarre-Union. Précisons cependant que l’existence de cimetières ou de « carrés » confessionnels en Alsace-Moselle ne s’applique que pour les quatre cultes reconnus. Pour le culte musulman, ce sont, comme le précise très clairement la circulaire du 19 novembre 2008 (voir la référence note suivante), les conditions valides partout ailleurs qui s’appliquent : possibilité de procéder à des « regroupements de fait », mais non identifiables de l’extérieur. On peut donc se demander si le « cimetière musulman » inauguré en grande pompe en février 2012 par le maire de Strasbourg est conforme à cette disposition.

3 – Téléchargeable sur Legifrance http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/cir_13981.pdf
[Edit avril 2020] Voir aussi le Guide juridique relatif à la législation funéraire à l’attention des collectivités locales (2017) https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/dgcl_v2/CIL2/guide-collectivites-aout-2017.pdf

4 – Sur la question, on consultera entre autres l’article suivant qui récapitule les étapes historiques de la législation des cimetières. Il est très intéressant aussi du fait que son auteur Barbara Charbonnier regrette l’impossibilité légale de constituer des « carrés » : http://www.funeraire-info.fr/integration-des-carres-confessionnels-au-sein-des-cimetieres-communaux-28344/
[Edit avril 2020] Cet article n’est actuellement plus accessible.

Existe-t-il des « cimetières chrétiens » en France ?

La délaïcisation par accoutumance

Après la déplorable série récente de profanations de sépultures, on a pu constater que l’expression « cimetière chrétien » (sur le modèle du « cimetière juif » de Sarre-Union situé en Alsace-Moselle) a été employée sans précaution notamment pour désigner les cimetières de Saint-Béat (Haute-Garonne) et de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude).

Pourtant, cette appellation est erronée : aucun cimetière chrétien, juif, musulman ou d’une autre confession n’existe sur le territoire de la République française, pour la bonne raison que c’est rendu impossible par la loi du 14 novembre 1881 dite « sur la liberté des funérailles »1.

Cela n’a pas empêché Cécile Deprade, procureur de la République de Saint-Gaudens, de déclarer, au sujet de Saint-Béat : « Il s’agit de dégradations dans un petit cimetière chrétien. Des plaques, des croix et des pots ont été cassés ».

Si l’on peut comprendre l’emploi approximatif du terme « cimetière » pour désigner des « sépultures » par un non-spécialiste, ou même (encore que moins excusable) par un journaliste pressé de remettre son papier, cet emploi ne peut en aucun cas être innocent dans la bouche d’un magistrat représentant l’État et (on l’espère) ayant quelques notions de droit.

C’est ainsi que la délaïcisation s’installe par petites touches et par gros mots d’une novlangue d’autant plus nocive qu’elle est inaperçue. On accoutume les gens à la norme religieuse qu’on transforme en norme sociale puis en norme politique, on feint de confondre la laïcité avec le « dialogue inter-religieux », et, par ces petites négligences de langage dont certaines sont soigneusement calculées, non seulement on encourage ce qu’on prétend combattre, à savoir le repli communautaire, mais on finit par exclure près de 40% de la population, qui se déclare indifférente à toute religion.

La circulaire du 19 février 20082 rappelle en ces termes la réglementation laïque des cimetières.

  • La loi du 14 novembre 1881, dite « sur la liberté des funérailles », a posé le principe de non-discrimination dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie du cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte. Ce principe de neutralité des cimetières a été confirmé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat.

  • Les cimetières sont des lieux publics civils, où toute marque de reconnaissance des différentes confessions est prohibée dans les parties communes. Seules les tombes peuvent faire apparaître des signes particuliers propres à la religion du défunt.

L’existence de cimetières confessionnels ne peut donc relever que d’un état antérieur à la législation de 1881, et aucun nouveau cimetière de ce type ne peut être créé après promulgation de la loi.

On peut s’étonner par ailleurs d’entendre parler de « carrés » confessionnels . Cela peut s’expliquer par les circulaires de 1975 et 1991 autorisant ces « carrés ». Mais la circulaire du 19 février 2008 abroge ces circulaires et revient à l’application de la loi du 14 novembre 1881. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « carrés musulmans » ou autres dans les cimetières. On continue à employer cette expression, car un maire peut procéder, en vertu de ses pouvoirs de police, à des regroupements de fait de sépultures pourvu que ces derniers ne soient pas identifiables par des signes dans les parties communes et pourvu que personne ne soit empêché ou obligé de s’y faire inhumer au motif de sa religion ou de sa non-religion. Mais là encore, l’emploi du terme « carré » est impropre, car il impliquerait l’existence de délimitations extérieures identifiables et suggère l’idée d’une discrimination exercée sur les défunts selon leur religion ou leur absence de religion3. Avec le lexique, c’est donc là aussi une accoutumance qui s’installe.

Mezetulle a déjà abordé ce sujet en ligne à deux reprises.

 

Notes

1 – À l’exception de l’Alsace-Moselle, les lois dites laïques ne s’y appliquant pas – d’où l’expression correcte de « cimetière juif » dans le cas de Sarre-Union. Précisons cependant que l’existence de cimetières ou de « carrés » confessionnels en Alsace-Moselle ne s’applique que pour les quatre cultes reconnus. Pour le culte musulman, ce sont, comme le précise très clairement la circulaire du 19 novembre 2008 (voir la référence note suivante), les conditions valides partout ailleurs qui s’appliquent : possibilité de procéder à des « regroupements de fait », mais non identifiables de l’extérieur. On peut donc se demander si le « cimetière musulman » inauguré en grande pompe en février 2012 par le maire de Strasbourg est conforme à cette disposition.

2 – Consultable en ligne sur le site du Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur (année 2008) et directement téléchargeable sur legifrance http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/cir_13981.pdf

3 – Sur la question, on consultera entre autres l’article suivant qui récapitule les étapes historiques de la législation des cimetières. Il est très intéressant du fait que son auteur Barbara Charbonnier regrette l’impossibilité légale de constituer des « carrés » : http://www.funeraire-info.fr/integration-des-carres-confessionnels-au-sein-des-cimetieres-communaux-28344/