École : les projets alarmants du Conseil supérieur des programmes

Le Conseil supérieur des programmes de l’Éducation nationale s’appuyant sur la loi de programmation et d’orientation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013, a rendu public le 3 mars 2023 un avis alarmant, avec des propositions qui concernent le recrutement et la formation des professeurs des premier et second degrés. Cet avis engage la nature et le contenu des épreuves de recrutement ainsi que les objectifs de ce que doit être la formation initiale et continue des professeurs en 2023. À travers la question du recrutement, c’est la conception de l’école qui continue à être mise à mal, soumise qu’elle est à des considérations à court terme qui laissent entrevoir une déconstruction décomplexée de tout ce qui est l’honneur de la République.

[Mezetulle remercie le site Unité laïque, où l’article de Valérie Soria a été publié le 20 mars 2023, pour son aimable autorisation de reprise.]

Ce qui apparaît saillant dans ces avis et propositions est l’articulation des parcours de formation et des concours. La conclusion de ce rapport est éloquente : « Le Conseil supérieur des programmes a souhaité insister sur la priorité à donner à la logique des parcours de formation sur celle des modalités de recrutement : les concours, ou autres modalités de recrutement, ne sont sans doute plus des finalités en soi ». S’appuyant sur le manque d’attractivité du métier et sur la lecture des rapports de jurys de concours qui relèvent que le niveau des candidats n’est pas aussi élevé qu’attendu, s’appuyant également sur la nécessité de renouveler 31% de l’effectif du corps enseignant, soit 328 000 postes, entre 2019 et 2030, il s’agit de réfléchir sur la formation des professeurs et sur les concours. L’agrégation est laissée de côté pour le moment, son « évolution mérite une réflexion spécifique », ce qui assurément a de quoi inquiéter.

Les rédacteurs abordent le modèle français de l’École républicaine au prisme d’autres modèles à l’International et en Europe.  Ce tour d’horizon met l’accent sur la question de l’équilibre entre la formation disciplinaire et la dimension professionnelle du métier. La formation et les concours sont en ligne de mire ; sont pointés l’acquisition des savoirs disciplinaires en France par rapport à d’autres pays qui intègrent dans les parcours de formation des éléments relevant des sciences humaines (psychologie, anthropologie) et aussi des items plus didactiques. Il s’agit de professionnaliser  et de mettre en avant des compétences, parmi lesquelles « l’emploi raisonné du numérique », «  s’imposer comme référent intellectuel et social », être «  un révélateur de talents », la liste n’étant pas exhaustive.

Plusieurs scénarios sont proposés : huit pour le premier degré, sept pour le second degré. Ces scénarios peuvent être augmentés et transformés par les « briques constitutives » de chacun d’entre eux. En quelque sorte, une école conçue comme un Lego. Il s’agit, dit la conclusion,  de « mettre l’accent sur des parcours de formation de cinq ans validés par un master, aussi bien pour le premier que pour le second degré, et autant que possible financièrement sécurisés […] au moins à partir du M1 et quelquefois dès la licence. »

Que faut-il retenir de ce jeu de construction prospectif ?

  • L’inversion du rapport qui articule les concours et les parcours de formation. Ce sont ces parcours qui priment.

  •  Si les contenus disciplinaires sont bien pris en compte dans ce rapport, une responsabilité écrasante est donnée, dans les scénarios les plus radicaux, aux formateurs et aux recruteurs : universités, Inspé, chefs d’établissement, inspecteurs généraux et territoriaux, enseignants référents. Certains scénarios font disparaître purement et simplement les épreuves écrites des concours de recrutement pour les remplacer par une liste d’aptitude. C’est encore la logique du primat de la formation qui vaut ; elle enterre les concours qui n’attirent plus suffisamment de candidats et qui traduisent « la baisse avérée du niveau disciplinaire des candidats », selon les rédacteurs.

  • Un recrutement local, dans les scénarios les plus radicaux, qui se base sur les besoins particuliers de chaque bassin de formation. Cela revient à aligner le second degré sur le premier degré et risquer de développer des inégalités territoriales et sociologiques.

  • La mise en cause, à terme, du statut de fonctionnaire de l’État. Si les rédacteurs insistent pour dire que ce statut est pérenne, comment l’articuler à la « multiplicité des modalités de recrutement » que lesdits rédacteurs présentent en allant crescendo dans la radicalité et la déconstruction de ce statut ?

Il faut appeler avec la plus grande gravité au respect de l’École républicaine et de ses professeurs, dans l’intérêt des élèves qui seront les citoyens de demain et auxquels nous devons un enseignement de qualité, un enseignement qui garantit l’égalité de tous, dans tous les territoires de la République, un enseignement de l’excellence et non pas un enseignement  au rabais soumis à des contraintes de souplesse budgétaire pour pallier la misère de notre École qui n’attire plus les meilleurs de ses serviteurs et qui peine à assurer sa mission de service public.

Rappelons que les seuls leviers pour relever l’École sont la revalorisation des rémunérations des enseignants qui favoriseront l’attractivité du métier, le renforcement des contenus disciplinaires dans la formation des maîtres et la pérennité des concours de recrutement pour tous les degrés. L’École mérite mieux qu’un jeu de Mécano au service de considérations à court terme qui laissent entrevoir une déconstruction décomplexée de tout ce qui est l’honneur de la République et nous oblige.

[L’avis du CSP est téléchargeable sur le site du Ministère de l’Éducation nationale : https://www.education.gouv.fr/le-conseil-superieur-des-programmes-41570  et sur le site d’Unité laïque Télécharger le rapport .

On lira aussi avec profit l’analyse de Vincent Lemaître sur le site Ufal-Infos https://www.ufal.org/ecole/rapport-du-csp-propositions-pour-en-finir-definitivement-avec-lecole-publique/.]

3 thoughts on “École : les projets alarmants du Conseil supérieur des programmes

  1. MUGLIONI Jean-Michel

    Oui, toutes les « réformes » des collèges et des lycées visent à détruire ce qui reste de l’enseignement secondaire. On admettait autrefois qu’un Georges Duby puisse commencer sa carrière comme professeur d’histoire en classe de sixième et la terminer au Collège de France. Aujourd’hui son œuvre fait partie des quelques grands livres d’histoire – depuis Hérodote – que cette collection publie. On voulait que les professeurs soient d’abord, j’ose le dire, des savants. Le secondaire et le supérieur étaient étroitement liés, avec le concours d’agrégation comme clef de voûte.
    Spécificité française, donc aberration.
    Il est vrai que rendre un tel enseignement accessible au plus grand nombre coûte cher. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle tous les gouvernements tentent d’y mettre fin. Le savoir est passé de mode. Il n’est recherché que pour accroitre la richesse et la puissance du pays dans la concurrence entre les États. S’est donc imposée l’idée que le savoir est un obstacle pédagogique et un signe de distinction sociale. S’il est vrai que la rémunération des professeurs ne risque pas de rendre le métier attractif, la vraie raison qui explique le manque de candidats aux concours et la faiblesse de beaucoup d’entre eux, c’est l’état des lieux : pourquoi un jeune homme attaché au contenu scientifique d’une discipline irait-il se battre dans une classe pour obtenir un peu de silence ? Aujourd’hui « bon élève » est une injure.
    Il faut donc gérer la pénurie, c’est-à-dire organiser la garderie des élèves. Nul besoin de l’agrégation ou du Capes pour en recruter les gardiens. Comme il ne s’agit pas d’instruire les élèves, pourquoi vouloir des professeurs instruits ? Donnons leur une « formation ». Un lecteur de Canguilhem ne doutera pas qu’il faille « intégrer dans les parcours de formation des éléments relevant des sciences humaines (psychologie, anthropologie) ». On se souvient du conseil d’orientation qu’il donnait au psychologue, en conclusion de son article sur la psychologie. « Quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si l’on va en descendant, on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police. » Il faut des techniques de psychologie pour tenir les classes dans une société où il est entendu que l’autorité du maître n’est plus fondée sur le savoir.
    Mais peut-être est-ce perdre son temps que se demander d’où vient que les gouvernements détruisent l’enseignement. Je ne sais plus où Raymond Aron a dit que « l’ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l’histoire ». Cette année les épreuves de spécialité du baccalauréat, qui comptent le plus dans la note finale, ont été organisées fin mars. Les étudiants savent alors qu’ils auront le baccalauréat et leurs demandes d’entrée à l’université sont déjà envoyées : les voilà libres jusqu’à la fin du trimestre pour arpenter les rues les villes. Est-ce que ce sera pour réclamer qu’on les instruise ?

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  2. André Perrin

    « l’ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l’Histoire ». Cette phrase se trouve dans Le spectateur engagé Julliard, 1981, p.50. Elle se rapporte d’une part au programme du Front populaire, d’autre part au refus par le grand patronat d’une dévaluation qui aurait pourtant été dans son propre intérêt.

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    1. Jean-Michel Muglioni

      Merci de cette précision.
      Peut-être permet-elle de conclure que pour jouer au plus bête il faut être deux…

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