Jean-Michel Muglioni est mort

J’ai appris ce matin par Christiane son épouse la mort soudaine de Jean-Michel Muglioni, qui m’attriste et m’affecte profondément. Mes pensées vont d’abord vers Christiane, vers Marianne et Mathieu leurs enfants. Mezetulle rendra honneur à sa mémoire comme il convient, au-delà des quelques éléments qui suivent et que je rassemble maintenant à la hâte, bien maladroitement.

Jean-Michel a été un grand professeur de philosophie, notamment en classe de khâgne. Sa présence à la fois audacieuse et modeste, sa pensée ferme et généreuse, son gai savoir stimulaient les élèves en les instruisant et en les menant au sommet de ce qu’ils pouvaient atteindre. Il fut un maître, un magister : celui dont l’enseignement, la réflexion, le rapport à la pensée et l’exemple ont pour finalité et pour effet de rendre les élèves capables de se passer de maître.

Docteur d’État (1991 « Progrès et finalité chez Kant : la philosophie kantienne réponse à la question: qu’est-ce que l’homme? »), intervenant régulier à l’Université conventionnelle, on lui doit des traductions et des éditions commentées de textes classiques de Kant (L’idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Bordas, 1988 ; Théorie et pratique, Hatier, 1990 ; Qu’est-ce que les Lumières?, Hatier, 2007 et 2015). Il est l’auteur de  La philosophie de l’histoire de Kant (Hermann, 2e éd. 2011, 1re éd. PUF 1993), Apprendre à philosopher avec Kant (Ellipses, 2014) et Repères philosophiques (Ellipses, 2010) .

Les lecteurs de Mezetulle le connaissent aussi comme une pièce maîtresse du site. Il lui a donné une grande partie, essentielle, de sa cohérence éditoriale et pour tout dire de sa constitution. Plus d’une centaine de textes y sont signés de sa main. On peut les lire et les relire, sur le présent site (depuis 2014)  https://www.mezetulle.fr/tables-auteurs/ et sur le site d’archives (2007-2014) http://www.mezetulle.net/article-16750257.html#Muglioni

Il y a un mois Jean-Michel intervenait lors d’un colloque d’hommage à Bernard Bourgeois – c’est ce vif souvenir, un propos alerte et émouvant, que j’emporte de lui. Et au-delà, quarante ans d’engagements communs, de discussions et d’amitié sont présents à mon esprit.

[Edit 5 mai]. J’invite à lire les commentaires ci-dessous. À vous, proches, amis, collègues, anciens élèves, professeur de flûte, lecteurs, pour vos témoignages, pour votre émotion reconnaissante, merci. Vos textes montrent, comme le dit Mathieu Gibier dans son commentaire du 5 mai, que
« [Jean-Michel Muglioni] a lancé dans le monde une communauté d’instituteurs, de professeurs, d’hommes de bonne volonté, qui se doivent maintenant d’être à la hauteur de son exemple. »

10 thoughts on “Jean-Michel Muglioni est mort

  1. Tristan Béal

    En cette soirée où brille un mince croissant de lune, je pense à ce qu’une fois Muglioni nous avait dit lors d’un de ses cours : Pas de république sans astronomie. C’était un « instituteur » d’une douce et enthousiasmante humanité.

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  2. GUY DESBIENS

    Bonjour chère Catherine.
    J’en suis très triste. Je ne dirai pas que je le connaissais bien personnellement, mais la lecture de ses ouvrages, notamment sur Kant, de ses articles, de ses cours en ligne, m’a accompagnée tout au long de ma carrière de professeur de philosophie et j’avais eu aussi l’occasion d’échanger avec lui il y a quelques années par messagerie à propos de la philosophie de Kant justement.
    C’était de toute évidence un grand professeur de philosophie et je présente mes condoléances à sa famille et ses amis.
    Amicalement,
    Guy DESBIENS

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  3. Anne Magnin

    Merveilleux penseur et professeur, si utile, si humain et pénétrant. RiP. Un grand compagnon de route .

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  4. Pietri

    Il y a 52 ans, un OVNI arrivait au Lycée Carnot à Tunis. C’était Jean -Michel Muglioni et, par chance, il a été mon professeur de philosophie en terminale. J’ai connu Christiane à cette même époque. Je ne les ai plus quittés depuis. Je suis immensément triste.

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  5. DOUSSARD Joël

    Je ne sais que redire ce que j’ai confié à son fils Mathieu: j’ai admiré et aimé cet homme depuis la première rencontre il y a presque cinquante ans. Très modestement j’étais sensé lui prodiguer des cours de flute traversière , mails il en jouait très bien. En retour il me dispensait – à moi ignorant- généreusement, des cours de philosophie (quel luxe!). Surtout il m’indiquait un chemin : avec lui la philosophie était une leçon de vie. Il a transformé la mienne. Ma tristesse est également immense.

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  6. Alain LHUILLERY

    Madame,
    Il y a quelques années j’ai eu la chance de rencontrer la Société Française de Philosophie. Moi qui à 14 ans suis allé en apprentissage mécanique, puis dans le tourisme!! La lecture et des recherches m’ont conduit vers vous.
    Beaucoup de plaisir et d’émotion. Dans les ateliers j’avais « osé » quelquefois m’aventurer avec une question ou deux! C’est Jean-Michel Muglioni qui m’a conduit en « instituteur ». ( lectures notamment)
    Pour me rassurer il m’a dit : La philosophie se nourrit aussi de ce qui n’est pas elle.!
    Je relis avec tellement de plaisir ses articles sur MEZETULLE.
    Recevez, Madame, mes pensées amicales , vous qui avez partagé beaucoup, je crois avec Jean-Michel.
    (Ces quelques sont personnelles) Bien cordialement. Alain Lhuillery

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  7. Gibier Mathieu

    Ceux qui ont eu la chance d’avoir Jean-Michel Muglioni pour professeur de philosophie ont sans doute pu lire, dans la marge de leurs copies, l’annotation « doxographie ? », en même temps qu’ils retrouvaient biffées toutes les expressions telles que « Platon dit que… », « selon Kant », etc., par lesquelles on fait parler un auteur au lieu de prendre le risque de penser par soi-même. J’entends encore Muglioni nous dire qu’un philosophe n’a pas d’opinion, qu’il n’y a pas de « morale de Kant », et qu’il faut lire les philosophes pour s’instruire sur la nature des choses, non pour s’informer de la façon de penser de tel ou tel ; bref que la philosophie n’est pas l’histoire des idées.

    Il savait montrer, comme aucun autre professeur que j’ai pu rencontrer, qu’il est possible de prendre Descartes, Kant ou Hegel pour guides vers les idées les plus hautes, sans pour autant se dispenser soi-même de l’effort d’ascension. J’emprunte l’image de l’auteur comme guide de haute montagne à Muglioni lui-même, qui la développe au début de ses Repères philosophiques, sous-titrés significativement : « Comment s’orienter dans la pensée ? » Cette exigence philosophique ne conduit pas, comme on pourrait le croire, à faire le tri entre ce qu’un auteur a pu dire de vrai, et ce qu’il faut rejeter comme dépassé. Car la pensée des grands auteurs ne se laisse pas découper en morceaux. C’est en la comprenant dans sa cohérence, dans son unité profonde, qu’on peut apercevoir ce qu’il y a de vrai en elle. Aussi Muglioni, fidèle à l’exemple d’Alain, ne cherchait jamais à réfuter les auteurs qu’il étudiait, mais il les acceptait tout entiers comme diverses voies d’approches vers la même vérité. Ce qui ne l’empêchait pas, au contraire, comme le savent ceux qui l’ont lu ou entendu, de se montrer féroce envers tous ceux qui rabaissaient la pensée philosophique à une opinion, la pensée à un phénomène psychologique, ou encore l’obligation morale à un conditionnement social. Son respect pour l’humanité allait de pair avec son intransigeance envers tout ce qui incite au contraire à la mépriser. Néanmoins, même ses articles les plus polémiques, contre Heidegger par exemple, n’ont pas pour but premier de combattre telle ou telle opinion, mais de répandre la lumière dans une question où d’autres auteurs n’avaient apporté que de la confusion. La clarté de tous ses articles et ses cours repose sur sa capacité à rappeler, sans lourdeur, les distinctions élémentaires qui structurent toute pensée. En ce sens il est juste de lui rendre hommage, avec Tristan Béal, comme un grand « instituteur » de la philosophie – c’est également de cette manière qu’Alain désigne Kant.

    Le courage intellectuel, seul véritable courage peut-être, a-t-il écrit en réfléchissant sur Qu’est-ce que les Lumières ? de Kant. Car l’exigence philosophique dont je viens de parler fonde la volonté de vivre en accord avec ce que la pensée nous permet de comprendre. Cette volonté, en Jean-Michel Muglioni, s’est toujours montrée inébranlable. A ce titre, il n’était pas seulement un grand professeur de philosophie, mais un philosophe. Il ne voulait pas qu’on l’appelle ainsi, ayant toujours à l’esprit ce que Kant observe lorsqu’il distingue le « concept cosmique » du philosophe de son concept simplement « scolastique » (ou académique, comme nous dirions plutôt aujourd’hui) : « Mais il y a encore un concept cosmique qui a toujours servi de fondement à cette dénomination, surtout quand on le personnifiait en quelque sorte et qu’on se le représentait comme un modèle dans l’idéal du philosophe. Dans cette perspective, la philosophie est la science du rapport de toute connaissance aux fins essentielles de la raison humaine, et le philosophe n’est pas un artiste de la raison, mais le législateur de la raison humaine. Dans un pareil sens, il serait très orgueilleux de s’appeler soi-même un philosophe, et de prétendre que l’on est parvenu à égaler un modèle qui n’existe que dans l’idée. » Néanmoins, il est sans doute permis à ses disciples et amis de dire que sa vie se présente comme une incarnation admirable de ce modèle que nous portons tous dans notre raison. Elle suscite le respect au sens le plus fort de ce terme, celui que Kant a mis en lumière dans des analyses que Muglioni ne se lassait pas de commenter : le sentiment à la fois humiliant et exaltant qu’éveille en nous la loi morale à travers l’exemple d’un homme dont la vie prouve qu’il est possible d’agir comme nous savons devoir agir. Si son enseignement m’a fait comprendre des vérités essentielles, sa personne m’a montré qu’il était possible de vivre selon cette compréhension.

    Dans la conversation ordinaire, il n’était pas de ces professeurs qui ramènent tout à leur discipline. On le devinait contrarié quand la discussion prenait un cours trop scolastique, et il avait toujours une anecdote à disposition pour la ramener dans le monde des hommes. C’est d’ailleurs aussi ce qui faisait de lui un professeur capable de captiver toute une classe. Sans mépriser le travail scolastique, il se tenait souverainement à l’écart des intrigues universitaires et, à l’université conventionnelle (fondée par Frédéric Dupin, un de ses anciens élèves), il était surtout content lorsque son enseignement parvenait à toucher un curieux qui ne fût ni professeur ni étudiant en philosophie. Lui-même intéressé par tous les états, il vous parlait de la pose de ses nouvelles fenêtres, du travail d’un voisin corse ou du témoignage d’un ami policier, quand vous vous attendiez à discuter avec lui de tel ou tel philosophe. Et toujours il revenait aux beaux-arts, à la musique en particulier, parce que dans le Beau tout l’homme est réuni. Il n’aimait pas qu’on le flatte, en revanche il accueillait avec générosité, je dirais même reconnaissance, les critiques qu’on formulait contre ses propos, comme on pourra le constater, par exemple, en relisant ses réponses aux commentaires de ses articles sur Mezetulle. Et l’on sortait d’une discussion avec lui en ayant meilleure opinion des autres et de soi. D’une bienveillance sans faille envers ses anciens élèves en particulier, il a lancé dans le monde une communauté d’instituteurs, de professeurs, d’hommes de bonne volonté, qui se doivent maintenant d’être à la hauteur de son exemple.

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  8. Braize

    Chère Catherine
    Grande tristesse face à cette disparition. Sans l’avoir connu personnellement ses textes nous ont illuminés et on en mesure l’importance dans votre table des auteurs qui est le plus bel hommage à ses apports
    à la fois fondamentaux et diversifiés.
    On attend avec impatience l’hommage que vous allez lui rendre, comme des enfants gourmands, ce qu’il était aussi je pense, enfant et maître en même temps, gourmands tous deux.

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  9. Patrick LESNE

    Bonjour chère Catherine,
    J’arrive très en retard pour adresser mes condoléances à toutes celles et tous ceux qui ont partagé sa vie, tant dans sa vie familiale, que sur les bancs d' »Ecoles »‘ ou encore dans la rédaction de « Mezetulle’ et dans toutes autres situations aussi. Comme tu le sais, je n’ai fait aucune étude philosophique dans ma vie mais, grâce à Mezegulle, j’y ai lu de très nombreux articles dont tous les tiens et ceux de Monsieur Muglioni qui m’ont toujours apporté de nouvelles connaissances et de nouveaux parcours de pensées. J’ai beaucoup aimé ces articles parfois très percutants et toujours criants de vérité, du moins pour moi.
    J’adresse toutes mes amitiés et mon soutien moral à la famille de ce bel esprit qui nous a quitté, physiquement, ainsi qu’à ces proches.
    Patrick LESNE, (simple lecteur Mezetulle)

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