Réforme du baccalauréat : il faut reconquérir le mois… d’avril !

Sébastien Duffort, dans ce texte initialement écrit pour le Mouvement républicain et citoyen (dont il est secrétaire national à l’éducation), analyse les effets délétères de la réforme du baccalauréat sur le calendrier scolaire. Réduire ainsi la durée et l’importance de l’enseignement, c’est rendre insignifiant et inefficace le processus d’instruction – comme s’il n’était pas déjà assez endommagé depuis des décennies par une politique de prétendue « innovation » et de réelle marchandisation. Un déplorable « en même temps » fait le grand écart entre les exigences initiales affichées par J.-M. Blanquer et ce nouveau mauvais coup dirigé contre la mission centrale de l’école. Cette situation est inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à l’exigence républicaine.

Depuis le passage de Xavier Darcos rue de Grenelle, chaque nouveau ministre de l’Éducation nationale entonne à son arrivée le refrain habituel : « la reconquête du mois de juin ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que la nomination de Jean-Michel Blanquer a définitivement rendu caduc ce slogan. La réforme du baccalauréat, promesse de campagne du candidat Macron, introduit en effet une part significative de contrôle continu (40% de l’examen), à laquelle il faut ajouter quatre épreuves finales (60% de l’examen) dont les deux épreuves de spécialités. Ces dernières revêtent une importance capitale pour les élèves à la fois en raison de leur fort coefficient (16 et 16 soit un tiers du bac) et du rôle qu’elles jouent dans leur orientation (les deux notes sont intégrées dans leur dossier Parcoursup). Or ces épreuves ont désormais lieu au mois de mars. Dit autrement, les élèves ont passé les trois quarts de l’examen au moment d’aborder le dernier trimestre. On dispose aujourd’hui d’un certain recul s’agissant des conséquences de cette réforme, et le constat est sans appel : cette situation ubuesque, qui voit les élèves passer les deux épreuves les plus importantes au deuxième tiers de l’année de terminale, pose de réelles difficultés, pour eux mais aussi pour le corps enseignant.

Premièrement, la réforme a pour effet de mettre élèves et enseignants sous pression durant les deux premiers trimestres, puisque le programme de chaque spécialité doit dorénavant être traité en six mois. Cette urgence ne permet pas de transmettre les concepts et mécanismes essentiels de façon convenable durant cette étape décisive que constitue pourtant l’année de terminale. Même si les programmes ont été récemment allégés, les retours dont on dispose dans les différentes disciplines ne laissent pas de place au doute : la grande majorité des professeurs ont la sensation de survoler les contenus programmatiques. C’est notamment le cas en sciences économiques et sociales où une enquête menée par l’APSES (association des professeurs de SES) en décembre 2022 a montré que seulement 7% des professeurs de SES de terminale déclaraient parvenir à tenir le rythme permettant de traiter convenablement les sept chapitres pour les épreuves prévues mi-mars. Constat terrible quand on sait que des problématiques telles que les sources et défis de la croissance économique ou l’analyse de la structure sociale française, essentielles à la formation du citoyen, sont abordées dans cette discipline.

D’autre part en termes de motivation : la réforme démobilise dramatiquement les élèves. Comment ne pas comprendre le relâchement bien compréhensible d’élèves qui connaissent parfaitement les enjeux de l’année de terminale et qui savent pertinemment, une fois ces deux épreuves passées, que les dés sont jetés ? Les deux épreuves du mois de juin (philosophie et grand oral), ne comptant que pour à peine 20% de l’examen, ne peuvent entretenir l’illusion d’un troisième trimestre intellectuellement exigeant1.

Troisièmement, cette nouvelle configuration dégrade considérablement les conditions de travail d’une partie du corps enseignant, en particulier ceux qui enseignent dans des établissements difficiles essentiellement constitués d’élèves issus de milieux populaires, moins prédisposés à la culture scolaire et donc plus facilement vulnérables à la démotivation à ce stade de l’année. Les enseignants qui eux exercent dans les établissements qui scolarisent les enfants issus de CSP+ fortement dotés en capital culturel (lycées de centre-ville et / ou enseignement privé sous contrat) sont quant à eux relativement épargnés et peuvent continuer d’enseigner dans des conditions décentes. La réforme du bac aggrave la fracture déjà existante entre les enseignants selon leur lieu d’affectation.

Cette réforme incarne à merveille le double discours macroniste du « en même temps ». On se souvient des priorités de Jean-Michel Blanquer lors de son intronisation rue de Grenelle : exigence intellectuelle, importance des fondamentaux (lecture, écriture et calcul mental), retour de la méthode syllabique, discours résolument républicain etc. Intentions louables dont certaines ont été concrétisées en actes : dédoublement de certaines classes de CP-CE1 pour lutter contre l’échec scolaire, défense d’une conception exigeante de la laïcité, lutte idéologique bienvenue contre le wokisme et l’islamogauchisme qui gangrènent nos universités. Malheureusement, ces exigences initiales se fracassent sur le mur du réel : celui d’une année de terminale qui se termine bel et bien au mois de mars.

Cette situation est inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à l’exigence républicaine : comment tolérer que des élèves, notamment les plus défavorisés d’entre eux, engagés dans des processus essentiels d’apprentissages, perdent deux voire trois mois de cours ? Cette situation est inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à l’idéal de justice sociale et d’égalité des chances : cette réforme creuse les inégalités d’accès au savoir entre les élèves fortement dotés en capitaux (économique, culturel, social) disposant de ressources extérieures à l’école et ceux qui, n’ayant que l’école pour apprendre, sont confrontés à une déscolarisation qui ne dit pas son nom.

Sur la question centrale des politiques éducatives, il apparaît plus que jamais nécessaire de lutter contre tous les discours qui entrent en contradiction avec la promesse républicaine d’émancipation intellectuelle pour tous : discours conservateur venant de la droite, discours libéral prônant la marchandisation du système éducatif et l’innovation pédagogique à tout va, discours démagogique du « y a qu’à, faut qu’on » émanant de la gauche radicale. Cela vaut pour la réforme du bac qui exige une position nuancée, raisonnée et raisonnable. Une position de gouvernement. Dans ces conditions, il est tout à fait possible d’envisager une refonte du calendrier de l’année de terminale en décalant a minima les épreuves de spécialités au mois de mai, voire revenir à des épreuves finales au mois de juin, configuration plus conforme au rituel républicain national que constituait le baccalauréat. La plateforme Parcoursup, mais aussi et surtout les filières de l’enseignement supérieur sont parfaitement capables de s’y adapter, dans l’intérêt des élèves. C’est possible à condition d’imposer un réel volontarisme politique.

Néanmoins, s’agissant des inégalités d’accès au savoir, il faut rester vigilant. Cette question du calendrier scolaire (tout comme celle des rythmes scolaires), importante, ne doit pas en occulter une autre dont on sait qu’elle est absolument décisive pour améliorer la réussite des élèves en difficultés : celle de l’efficacité des dispositifs pédagogiques mis en œuvre dans les classes. Or depuis 2017, la majorité présidentielle ne l’a jamais abordée, si ce n’est sous l’angle, conformément au discours libéral, de l’innovation pédagogique2 censée régler la question des apprentissages scolaires. Dès lors, une refonte du calendrier et éventuellement des rythmes scolaires est nécessaire mais elle ne résoudra en rien la question des inégalités scolaires si, dans le même temps, celle des pratiques pédagogiques n’est pas posée dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignant(e)s.

Le ministre a admis que la situation actuelle ne « convient pas », et n’exclut pas un report des épreuves l’an prochain. Une autre piste évoquée consisterait à conditionner l’admission dans un établissement supérieur à l’assiduité au troisième trimestre. Ces deux mesures de bon sens ne doivent en définitive pas faire oublier l’essentiel : la qualité des contenus disciplinaires et l’exigence intellectuelle transmises aux élèves, en particulier ceux qui n’ont que l’école pour apprendre.

Notes

1 thoughts on “Réforme du baccalauréat : il faut reconquérir le mois… d’avril !

  1. Alain LHUILLERY

    Bonjour,
    Le hasard du calendrier m’incite à ces quelques lignes. Comment dire que je souhaiterai qu’un jeune ministre de « l’éducation nationale « s’empare de vos propos lors de votre audition du 15 janvier 2021de la commission chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
    Qu’il s’empare de votre ouvrage : Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen. Sûrement d’autres.. Question probablement naïve, ne serait-il pas nécessaire de le rencontrer, une lettre ouverte .. et ce faisant ouvrir un espoir sur des perspectives républicaines de notre instruction publique. Reconquérir le mois d’avril mais surtout l’école. Vous en avez toute la légitimité. Merci.
    Bien cordialement.
    Alain Lhuillery

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