Infatigable lecteur critique des indigestes et indigents textes officiels consacrés à l’enseignement de la musique, Dania Tchalik offre à Mezetulle pour cette rentrée scolaire une analyse alerte, grinçante et perspicace de la seconde version du « Rapport Lockwood » intitulée « Transmettre aujourd’hui la musique ».
Le 21 juin 2016, jour de Fête de la Musique par la grâce de Jack Lang, le gouvernement a dévoilé sur son site officiel une mouture rénovée (refondée ?) du Rapport1 confié à Didier Lockwood, célèbre violoniste de jazz mais aussi (et surtout) ancien vice-président du Haut Conseil à l’Éducation artistique et culturelle2. Le milieu de la musique se souvient avec horreur d’une première version particulièrement prolixe en démagogie parue voici quatre ans3 ; nous étions alors sous les heures sombres du sarkozysme mais les esprits naïfs ignoraient que les artistes subventionnés et les ronds-de-cuir avaient pour point commun d’échapper aux joies de l’alternance politique. C’est donc fort logiquement que la majorité suivante a reconduit sa confiance à cet éminent expert, tout en prenant soin de différer la parution du nouveau chef d’œuvre de plus d’un an, sans doute en attendant une fenêtre d’opportunité. Celle-ci s’est présentée tout récemment, à la faveur des sorties quelque peu osées de l’inspection des affaires culturelles de la Ville de Paris à propos de la pédophilie supposée des professeurs des conservatoires4. Le ministère de la Culture n’a certes plus d’argent mais il lui reste les idées (parfois insolites) et les conseillers en communication : quand la piétaille se rappelle au bon souvenir de ses dirigeants, le mieux est de la divertir ou de lui donner un os à ronger…
Le texte préconise une introduction massive de la pratique orchestrale à l’école : cette fois, ce n’est plus l’indépassable modèle finlandais qui est à l’honneur mais le Venezuela d’El Sistema5. Quelques déclinologues clament à l’envi que la France se tiers-mondise et on serait presque tenté de leur donner raison : pendant que l’État se désengage du financement des conservatoires existants6 et retire son agrément à certains d’entre eux, certaines mairies n’hésitent plus à faire passer leurs écoles de musique sous statut associatif (ce qui a pour effet de faire monter les tarifs), les refus d’inscription se multiplient par manque de place et de postes de professeurs, les concours de recrutement sont sans cesse ajournés7… Mais ce ne sont que broutilles pour des autorités qui préfèrent brocarder le cours individuel, cet archaïsme élitiste qui assure le caractère spécialisé de l’enseignement, pour mieux imposer l’Éducation artistique et culturelle, grande cause nationale s’il en est, et son « déploiement des pratiques collectives ». Dès lors, la mécanique culpabilisatrice est enclenchée et toute ressemblance avec l’actuelle réforme du collège8 ne saurait être qu’un pur hasard : comme l’a fort élégamment formulé un directeur de conservatoire dans le coup, « les doués et les riches n’ont pas besoin d’écoles » !
Entre sensiblerie new age et relativisme culturel
Mais le nouveau rapport Lockwood n’est pas un texte ministériel comme les autres : il porte une griffe artistique qui n’appartient qu’à son signataire. Le lecteur est ainsi invité à imaginer un « sublime symbole » : « à l’heure où les fanatismes et les conflits identitaires refont funestement irruption sur le devant de la scène publique », « toutes les écoles de France se rassemblent autour de la pratique musicale collective, mais aussi des autres formes d’expression artistique, pour construire ensemble un modèle de citoyenneté irrigué par les diverses constellations du sensible ». Les pistes pédagogiques proposées sont à l’avenant : à l’entame d’une séquence, « il est fondamental d’instaurer un silence inchoatif et de le faire ressentir [aux élèves], non comme un abyssal vide anxiogène associé à l’image de la mort, mais a contrario comme le berceau des possibles dans leur infinité ». À noter que ce « rituel inaugural », que l’on imagine quelque part entre Woodstock et le club de spiritualités alternatives (sans oublier les meilleurs happenings made in ESPE, ex-IUFM), sera « directement confié aux élèves puisque le dépassement des problèmes de discipline passe par la responsabilisation des enfants ». On imagine aisément la scène dans une école de zone sensible… Toujours est-il qu’après avoir « discerné l’harmonie du silence », des « jeux ludiques » [sic !] favoriseront « une prise de conscience du corps, de ses centres énergétiques et de ses mécanismes respiratoires inhérents à l’incarnation du rythme et du son, afin de générer les conditions physiques et mentales favorables à une utilisation constructive de l’instrument ». Mais l’étape suivante – accorder les instruments – touche au mystique : elle « représente le symbole le plus évocateur des valeurs humaines et sociales contenues en germe dans la pratique musicale d’ensemble » puisque « l’ajustement des différentes fréquences instrumentales ne saurait être dissocié d’une mise en résonance des corps et des cœurs, qui composent dans toute sa vitalité l’accord orchestral, miroir d’une concorde sociale ainsi établie ».
À force d’insister sur les prolégomènes (dont la sempiternelle « motivation » de l’apprenant) et d’enfoncer des portes ouvertes (favoriser une approche sensible de la musique, stimuler l’intuition, développer le sens du rythme : comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?), la pédagogie finit par en oublier l’enseignement proprement dit. L’injonction de privilégier « l’oralité » justifie-t-elle l’élimination de tout élément de théorie et le report de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture de la musique à l’âge de onze ans, sous couvert de ne pas « étouffer l’intuition » ? La créativité bien comprise, fruit de l’acquisition patiente d’un patrimoine technique et culturel tiré des meilleurs exemples du passé, cède alors sa place à deux dérives symétriques : le spontanéisme simpliste et ravi et le technicisme qui empile des procédés dépourvus de finalité. L’obsession du « ludique », le zapping de la « sensibilisation » permanente, la démesure de la « perspective synesthésique » (!) et l’expérimentation comme fin en soi – tout innovants qu’ils sont, les « ateliers dédiés à la construction d’instruments originaux, à partir d’objets industriels ou recyclés » fleurent bon leur nostalgie (serait-elle suspecte ?) des seventies – font perdre un temps précieux, favorisent l’éclatement des apprentissages et expliquent en grande partie l’incapacité récurrente des élèves à se concentrer, que ces mêmes « pédagogues » prétendent combattre avec la caution de la Science.
Mais ces directives se distinguent surtout par un relativisme outrancier. « Il ne peut être de véritable démocratisation de l’éducation musicale sans une ouverture à l’ensemble des esthétiques, alliée à une déconstruction des représentations qui leur sont associées dans l’imaginaire collectif, afin d’abolir les clivages symboliques susceptibles d’opposer les différentes formes d’expression musicale et leurs publics ». On en déduira que ceux qui préfèrent Mozart au rock, mais aussi ceux qui aiment Mozart et le rock, mais différemment, sont définitivement « fermés » et « anti-démocrates » : le pédagogue se fait militant et son ressentiment néo-bourdieusien envers la « culture bourgeoise » l’incite à assimiler toute tentative d’établir des priorités dans les programmes scolaires à une forme de discrimination, dans la plus pure tradition du gauchisme culturel.
Les dames patronnesses sont de retour
Cette doxa sociologiste vire à la dictature du présent lorsqu’elle invite chacun à être « en adéquation avec les conditions socioculturelles de notre temps ». Elle trouve néanmoins ses limites dès lors que l’injonction de la rétro-chronologie9 (le fait d’« amener progressivement les élèves vers de nouveaux horizons musicaux à partir de leurs goûts musicaux ») vient contredire l’égalité absolue des esthétiques martelée supra. « La considération accordée par d’éminents pédagogues et musiciens à ces enfants » (merci pour eux !) atteste la volonté de « faire évoluer leur perception, mais également celle de leurs familles, à l’égard de la sphère musicale “classique” » : le relativisme culturel n’est donc que la façade bienpensante du mépris de classe. Le but de la « pédagogie » n’est alors plus de porter chaque élève au plus haut de ses capacités mais, « indépendamment du niveau musical acquis par les élèves concernés » (!), de « réunir les enfants autour de l’expérience commune de la pratique musicale […] et des valeurs relatives au vivre-ensemble qu’elle véhicule » et, surtout, « d’offrir à la jeunesse une alternative aux diverses manifestations de la violence qu’engendrerait un éventuel sentiment d’exclusion sociale ». Derrière le vivre-ensemble10, le « plaisir de se retrouver », la « solidarité intergénérationnelle », le « regard réflexif sur l’identité [de l’élève] et sa pratique de musicien » (sic !), le développement des « qualités sensibles sublimant les facultés rationnelles » et les « nouveaux horizons propices à la construction d’une politique de la paix » (liste non exhaustive) pointent la psychologisation comportementaliste et des valeurs autrement plus prosaïques, celles d’un cynisme où la compassion victimaire tient lieu de politique sociale. Quand le prêche moralisant se substitue à l’instruction, la responsabilité individuelle est plus étouffée que stimulée et l’intuition n’est plus fécondée par l’exercice de la raison ; loin d’éveiller la sensibilité, les bons sentiments en deviennent aussitôt le tombeau.
Devenu collectiviste et « socio-culturel » (et non plus populaire puisque son nouveau profil correspond davantage aux fantasmes d’une élite branchée), le conservatoire cesse dès lors d’être une école d’art pour se transformer pas à pas, à l’image de l’école investie par ces mêmes « pédagogues », en un outil de traitement social au rabais des maux de la société. Cependant, le renoncement à l’élévation de l’individu et le repli sur une illusoire « pacification des rapports sociaux » (sic !) par une pratique orchestrale assimilée à un camp de boy-scouts n’illustre-t-il pas l’impuissance des politiques à contenir le désengagement financier de l’État, le creusement des inégalités ou la ghettoïsation rampante du territoire ?
Le management au service de l’utilitarisme
Dans un contexte budgétaire contraint, il n’échappera à personne que la promotion des pédagogies collectives s’apparente à un plan social déguisé, et il est bien précisé que le coût de cette « appropriation vivante et accessible à chacun de l’outil musical » « doit demeurer abordable pour les collectivités territoriales » qui (jusqu’à la prochaine crise ?) détiennent les cordons de la bourse. Le rapporteur précise du reste que le choix des instruments à vent plutôt que des cordes pour former les effectifs instrumentaux relève de cette même volonté de maîtriser les coûts. Mais dans la plus pure tradition du développement culturel, il s’agit aussi de créer de la valeur ajoutée et « d’établir des passerelles entre les mondes de l’école, des arts [et] de l’entreprise, car dans une optique d’insertion professionnelle, l’épanouissement spirituel est favorable à la productivité ». On rappelle donc à propos que les « activités de l’association “Orchestre à l’école” furent originellement impulsées par la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) » et l’on prône l’association du secteur du numérique à des marchés publics… qui n’ont jamais aussi bien porté leur nom.
Il n’est donc plus question que l’État fasse autre chose qu’accompagner les « forces vives » locales (et donc le creusement des inégalités) puisque selon Emmanuel Ethis, sociologue, recteur d’Académie et vice-président du Haut Conseil à l’Éducation artistique et culturelle, cette dernière doit et devra « se développer toujours davantage, sans jamais méconnaître la diversité des acteurs, des pratiques et des territoires, mais en faisant un atout, et non plus un obstacle »11. Dans le même temps, les missions des professeurs sont appelées à se multiplier (pardon, à évoluer) entre l’enseignement, les concerts, mais aussi l’animation socioculturelle et les tâches bureaucratiques ; mais plutôt que « d’imposer des directives pédagogiques en rupture avec l’existant » (ce qui s’avère parfois risqué), les managers ont tout intérêt à les faire admettre comme inéluctables et, mieux, à y faire adhérer leur ressource humaine dans une démarche dite participative. Le Rapport Lockwood appelle ainsi à revoir le contenu des examens proposés pour les DE (Diplôme d’État) et les CA (Certificat d’Aptitude) afin de baser le profil des futurs intervenants sur la personnalité de l’intervenant et ses aptitudes communicationnelles : le formatage ne commence jamais assez tôt et l’enthousiasme vaut bien les connaissances musicales – dont certaines, nous dit-on, pourront être « rudimentaires ».
La pédagogie se réduit alors à un simple prétexte. Pour mieux répandre les « bonnes pratiques », rien ne vaut la « formation de formateurs » (sic) les « modules de formation continue »12, les « synergies » et autres « partenariats », sans oublier l’incontournable « travail en équipe », le tout évidemment « en concordance avec les actuels enjeux socioculturels et les attentes des publics », secundum Scripturas. Des « modules en sociologie des arts, de la culture et de l’éducation » permettront également aux intervenants de travailler leur réflexivité et, toujours, de « déconstruire leurs propres représentations pour composer avec celles de leurs élèves »13. La rédaction d’une « charte pédagogique ouverte, dans le but de définir les socles de compétences » sera éminemment précieuse à cet effet.
Un fonctionnement clanique
Le décalage de ces « humbles propositions » (sic !) avec la pratique de la musique et son enseignement, sans parler des préoccupations quotidiennes des musiciens, semble complet et irrémédiable. Reste à expliquer la permanence de cette logorrhée depuis plus de trente ans, l’obsession maladive de la socialisation, la mode des démarches de type universitaire trop précoces ou, a contrario, le report récurrent des apprentissages élémentaires. La réponse se trouve dans la liste des personnes consultées, qui recoupe étrangement celle des rédacteurs des annexes14. Comme à la rue de Grenelle, les politiques viennent chercher l’inspiration auprès d’une même minorité agissante d’experts à la botte : les Cefedem (Centres de Formation des Enseignants de la Danse et de la Musique) et les CFMI (Centres de Formation des Musiciens Intervenants en milieu scolaire), équivalents des tristement célèbres ESPE (ex-IUFM), y occupent une place de choix, sans oublier l’association de directeurs Conservatoires de France que le rédacteur du rapport transforme subtilement en une « Association des conservatoires de France ». Au lieu de consulter des professionnels relégués au rang d’exécutants, les décideurs s’adressent à des « comités de pédagogues »15 dont le centralisme démocratique à toute épreuve permet en retour de solliciter le « soutien des services du ministère » afin de « cadrer » toute réflexion « à l’aune des textes en vigueur », et ainsi de suite. Tant qu’on ne rompra pas avec cet entre-soi clientéliste (« de droite » comme « de gauche »), la crise de l’enseignement musical16 français perdurera et les élèves, amateurs et futurs professionnels confondus, continueront d’en être les principales victimes.
Notes
1 – Texte en ligne : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/liseuse/7423/master/index.htm
2 – Voir http://www.education.gouv.fr/cid104769/presentation-de-la-charte-pour-l-education-artistique-et-culturelle.html. Créature bureaucratique des années 2000 affublée d’un comité Théodule ad hoc, le concept d’Éducation artistique et culturelle pourrait sembler quelque peu obscur au profane et même au musicien confirmé. En effet, n’enseigne-t-on pas déjà les disciplines artistiques sur tout le territoire, était-il nécessaire de créer un nouveau dispositif alors que l’enseignement général (avec les « dumistes » pour les écoles et les certifiés et agrégés pour le secondaire) et spécialisé (avec les professeurs des conservatoires) disposaient déjà de professionnels qualifiés et (en principe) titulaires d’un concours national ? Tout d’abord, le temps politique et les nécessités de la communication font qu’il est plus profitable à court terme de créer de nouvelles structures plutôt que d’entretenir convenablement l’existant : on le constate notamment tous les jours dans un domaine tel que les transports en commun ferroviaires. Ensuite, si une école, un collège ou un conservatoire disposent d’un budget pérenne et d’un personnel permanent, ce n’est pas le cas de l’Éducation artistique et culturelle qui fonctionne à l’échelon des territoires, en partenariat et sur projet ; au lieu de dispenser un financement annuel aux diverses institutions, l’État gestionnaire est désormais libre de réserver sa manne aux projets les plus innovants, c’est-à-dire conformes à l’idéologie du moment (on observera au passage que cette même gouvernance opaque et d’inspiration néo-libérale a largement investi le monde de la recherche). Enfin, l’assèchement financier et la soumission au politique se soutiennent mutuellement : le développement de la transversalité (la dilution progressive des spécificités de chaque corps dans un collectif aliénant à souhait) permet à terme la mutualisation, l’indifférenciation des missions (puis des statuts) et le nivellement, si possible par le bas, de l’enseignement dispensé – qui n’en est d’ailleurs plus un à partir du moment où on le remplace par une vague éducation, comme le précise sans détour l’intitulé du dispositif. À cette fin, on ne manquera pas de recourir au leurre idéologique de la démocratisation de façon à délégitimer les enseignements spécialisés qui, au moins pour les niveaux les plus élevés, s’adressent nécessairement à une minorité – de là à les accuser d’élitisme, le pas est vite franchi…
3 – Le texte de cette première version est accessible en ligne : http://www.fuse.asso.fr/docsfuse/Rapport-Lockwood_658684939.pdf . J’en avais alors publié une critique sur le blog Je suis en retard : http://celeblog.over-blog.com/article-le-rapport-lockwood-bas-les-masques-101377295.html
4 – Voir http://lelab.europe1.fr/quand-linspection-generale-de-la-ville-de-paris-voulait-supprimer-les-cours-individuels-dans-les-conservatoires-a-cause-des-risques-dinfraction-sexuelle-2748710
5 – Voir l’article de Vincent Agrech dans Diapason : http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/el-sistema-voyage-en-utopie
6 – La charte de l’Éducation artistique et culturelle susmentionnée proclame que le financement de ce dispositif a été augmenté de 80% entre 2012 et 2016, passant à plus de deux milliards d’euros. Curieusement, ce document ne précise pas que dans le même temps les crédits d’État accordés aux conservatoires ont été purement et simplement supprimés. Chacun sait cependant que, comme leur nom l’indique, les conservatoires sont conservateurs ; cet arbitrage budgétaire est aussi un choix idéologique en même temps qu’un message clair envoyé à la profession.
7 – Les derniers concours de la fonction publique territoriale (FPT) ont eu lieu en 2011 pour les assistants territoriaux d’enseignement artistique (ATEA) et en 2013 pour les professeurs d’enseignement artistique (PEA). Il ne faudrait tout de même pas que les collectivités territoriales (qui, depuis quelques années, ont toujours le dernier mot s’agissant des décisions gouvernementales, à la Culture comme ailleurs) fussent contraintes de recruter leur personnel dans le cadre des statuts en vigueur ! Mais l’espoir reste permis puisqu’on envisage une nouvelle session pour, respectivement, 2018 et 2019, c’est-à-dire après les présidentielles – si le statut n’est pas purement et simplement supprimé d’ici-là, comme nous le promettent déjà certains candidats dits républicains à la magistrature suprême. Inutile de préciser qu’une telle suppression de fait des concours aurait été impensable côté Éducation nationale, qui plus est à l’heure des introuvables « 60 000 postes »…
8 – Lire l’article de Jean-Pierre Le Goff publié dans Marianne http://www.marianne.net/jean-pierre-goff-cette-reforme-du-college-signe-mise-mort-ecole-republicaine-100233254.html
9 – Déjà omniprésent dans la première version du Rapport, le gadget innovant de la rétro-chronologie est pourtant loin d’avoir été inventé par Didier Lockwood puisqu’il ne fait que ressasser les habituels poncifs de pédagogies qui, depuis les événements de 68 et leurs suites, n’en finissent plus d’être « nouvelles ». Il relève notamment de l’injonction de partir du vécu de l’élève : voilà assurément le meilleur moyen de maintenir celui-ci dans son ignorance originelle (pardon, dans son handicap socio-culturel). Voir J.-P. Despin et M.-C. Bartholy, Le Poisson rouge dans le Perrier, Limoges, Critérion, 1983 (p. 73 et suivantes).
10 – Si l’expression vivre-ensemble s’est récemment banalisée à la suite des attentats et d’un matraquage ad nauseam de la part des médias et des politiques réunis, son arrière-plan idéologique n’en devient que plus opérant à mesure qu’elle accède au rang de truisme. Habilement dissimulé sous le moralisme et l’effusion sentimentale, ce qui a pour effet de désarmer la critique, le travail de sape mené au nom des bonnes intentions constitue une menace sérieuse pour la vitalité de la démocratie républicaine. Ainsi, pour le philosophe Robert Redeker (L’École fantôme, Paris, Desclée de Brouwer, 2016), la transformation en cours des objectifs de l’école véhicule un projet politique et anthropologique visant à « substituer la société à la nation et au peuple » et à créer une humanité nouvelle composée de consommateurs ignares, dociles et indifférenciés. On ne sous-estimera jamais assez la férocité et la nature foncièrement anti-républicaine de cette doxa, véritable « machine de guerre contre la fraternité » dont les progrès favorisent une balkanisation larvée du corps social. Autre variante : la bienveillance. Voir le livre d’Yves Michaud, Contre la bienveillance, Paris, Stock, 2016, et l’article de Richard Michel « Raison ou bienveillance ? » sur le site du Comité Laïcité République http://www.laicite-republique.org/raison-ou-bienveillance-r-michel.html.
11 – E. Ethis, Charte de l’Éducation artistique et culturelle, éditorial de présentation, Avignon, juillet 2016, http://www.education.gouv.fr/cid104769/presentation-de-la-charte-pour-l-education-artistique-et-culturelle.html.
12 – Voir mon article « Enseigner c’est manager » sur ce site : http://www.mezetulle.fr/enseigner-cest-manager/
13 – Cette dernière affirmation comporte une contradiction dans les termes : pour être « dans les clous » des préconisations du ministère, faut-il qu’un professeur renonce à enseigner ?
14 – À cet égard, la liste des membres du Haut Conseil de l’Éducation artistique et culturelle n’est pas moins éloquente puisqu’on n’y dénombre qu’un seul musicien en exercice : M. Lockwood himself !
15– Voir mon article « Quand les conservatoires se bougent le bacon » http://www.mezetulle.fr/quand-les-conservatoires-se-bougent-le-bacon/
16– Voir mon article « Conservatoires: les raisons d’une crise » http://www.mezetulle.fr/conservatoires-les-raisons-dune-crise/
© Dania Tchalik et Mezetulle, 2016.
Merci pour ce brillant exposé ; un léger bémol tout de même ; ça ne m’a pas donné envie de lire le rapport Lockwood. Est-ce grave, docteur ?
Le système vénézuélien prospère, semble t-il, dans un environnement catastrophique. L’article de Diapason semble dater un peu, d »ailleurs.Y a-t-il des informations sur le fonctionnement actuel du « système » hongrois (pédagogie Kodaly, pour faire vite) sous la houlette (je n »ose dire la baguette) de M. Orban ? En d’autres termes, faudra-t-il voter pour Madame Machin ?
Mezetulle a reçu la réponse de Dania Tchalik :
L’environnement politique, social et économique du système vénézuélien est en effet déplorable et c’est la raison pour laquelle j’évoquais dans mon texte le spectre de la « tiers-mondisation ». Mais en France, la haine de soi est une seconde nature chez les décideurs : notre propre modèle est, comme chacun sait, « archaïque » et « obsolète » et il convient de le « moderniser », si possible en copiant servilement ce qui fonctionne (tant bien que mal) chez les autres et dans un tout autre contexte. Par ailleurs, cet engouement soudain pour le Venezuela dans les hautes sphères (politique, administration, sciences humaines) pourrait s’expliquer par la faillite d’une certaine doxa marxiste dont les présupposés ont été massivement transférés de la politique vers l’école et la culture, faute de mieux. Il est vrai que nous vivons à une époque où il est plus facile de réformer compulsivement le système scolaire en le nivelant par le bas au nom d’un égalitarisme mal digéré que d’imposer le plafonnement des très hauts revenus, pour ne citer que cet exemple…
On ne peut qu’applaudir à ce commentaire. Il est bien évident que, dans ce contexte, les enfants qui pourront espérer entamer une carrière musicale ou même simplement atteindre un niveau d’amateur leur permettant de continuer à faire de la musique toute leur vie, devront s’adresser à des professeurs particuliers, avec le retour des « petits cours » ou bien à des écoles privées prestigieuses.
Par ailleurs, retarder l’apprentissage des techniques présente tellement d’inconvénients qu’on se demande comment ces « conseillers » ne les voient pas. Certains apprentissages sont intéressants pour un enfant de 6 ans et ennuyeux pour celui qui en a 11, et les structures mentales sont différentes. Les « étapes » de l’éducation sont absolument nécessaires.
Mezetulle a reçu la réponse de Dania Tchalik :
Les écoles privées sont déjà à l’affût. J’en connais au moins une, très renommée, qui songe très sérieusement à prendre position sur le « créneau » qu’abandonnent actuellement les conservatoires et qui constitue pourtant leur raison d’être.
Quant au fait de différer les apprentissages élémentaires (et à ses inconvénients), il ne s’agit pas d’une méprise mais, au contraire, d’un mantra de la pédagogie officielle. A l’école, cela donne chez les inspecteurs : « rien ne sert de traumatiser les gamins au CP, ils disposent de toute leur scolarité obligatoire pour apprendre à lire (ou à calculer). » Au conservatoire, c’est encore plus radical : « comme ce sont de futurs amateurs, les élèves n’ont pas besoin de travailler des techniques fastidieuses et inutiles, mieux vaut les faire bidouiller (sic) tout en s’amusant ». Pour justifier ces aberrations, on convoque pêle-mêle les « têtes bien faites et bien pleines » de Montaigne, l’obsolescence supposée du cartésianisme et de la progressivité des apprentissages (si possible au profit de Morin et de sa « pensée complexe »), l’Emile de Rousseau et Piaget, sans oublier l’incontournable « demande des publics »…
Didier Lockwood
Chère Madame Tchalik
Après avoir découvert( bien tardivement je m’en excuse) votre réaction au rapport que j’ai remis au premier Ministre il y a plus d’un an , je tenais à rectifier, si vous me le permettez ,certaines de vos insinuations et affirmations .
1) je n’ai perçu aucun salaire ni aucune émolution ( remboursement de frais ) pour la rédaction de ces deux rapports.( cela n’a donc rien coûté ni à l’état ni au contribuable )
2) En tant que vice président du haut conseil de l’éducation artistique et culturelle je n’ai aussi jamais été salarié ni par l’état ni par qui que ce soit d’autre.
On m’a demandé d’y rester en tant que membre qualifié ce que j’ai accepté , mais étant le seul artiste présent au sein du nouveau haut conseil je ne tenais pas à continuer à y travailler car je savais que çela allait provoquer ( à juste titre ) des réactions du style de la votre. Et surtout je ne tenais pas à être le seul représentant des artistes. En fait cela m’a permis uniquement de rédiger ( bénévolement) en tant que chargé de mission mon second rapport.
3) je ne rentrerai pas dans un débat avec vous car chacun est bien entendu libre de penser ce qu’il veut , mais il me semble que la virulance de vos propos et la condescendance dont vous les agrémentez disproportionnées . J’y perçois peut être même une forme, pardonnez moi , de paranoïa.
Ces rapports ont été pour moi l’occasion de faire part de mes observations de musicien improvisateur , compositeur , mais aussi enseignant concernant l’enseignement de la musique et surtout de sa démocratisation .
Ma connaissance est fondée sur une longue et large expérimentation de l’outil musical comme fondement du développement des fonctions cognitives et de la conscience . Mais aussi comme vous le soulignez fondateur au niveau de l’insertion sociale et citoyenne des jeunes .
Votre discourt ( trés institutionnel) met en valeur vos grandes qualités intellectuelles , dommage que je n’y perçoive pas la bienveillance nécessaire à lui donner une véritable dimension humaniste ….en tout cas celle qui conviendrait me semble t’il mieux aux propos d’un ou d’une artiste ayant la chance et le bonheur de se réaliser en tant que tel . Et croyez bien que je ne me permettrais pas de remettre en cause vos qualités et votre engagement en tant qu’enseignante en écriture musicale.
Tout ce que j’exprime dans ce dernier rapport je l’ai expérimenté , le silence dans les arènes de vienne devant plus de 4000 enfants mais aussi auprès des enfants des nombreuses classes orchestres que je parraine et fait travailler lorsque l’on me sollicite . « L’accordage « aussi ….. même si cela vous parrait relever de la philosophie « New âge » …. bref ! Vous savez on fait bien pousser aujourd’hui des courgettes grâce à la musique ! ( eh oui c’est de la science : raisonnance molèculaire )
Là meilleure réponse que je puisse tenter de vous donner est à travers les sourires et les regards des enfants lorsque je prends plaisir à partager avec eux les trésors que la musique,( et a n’importe qu’elle stade) , peut nous apporter .
La confusion que peut être vous commentez est que ce rapport n’est pas une » nouvelle » pédagogie musicale pour former de futurs musiciens professionnels , mais une réflexion sur ce que pourrait être la mise à disposition du plus grand nombre cet outil de vie prodigieux de sa plus simple expression jusqu’à ses formes les plus élitistes et savantes, mais toujours dans le plaisir ! Il n’y a rien de plus aride et mortifère que le savoir désincarné.
Il y a deux manières principales de prendre les choses soit pour soi, soit contre soi . Celà ne dépend pas de l’objet observé lui même , mais de là où l’on se place .
En espérant que ma réponse aura pu éclaircir un petit peu le sombre tableau que vous vous faites de ma personne et de mon action .
Mais rassurez vous, vos propos m’encouragent doublement à persévérer et à espérer que les esprits évoluent pour que nous puissions en discuter peut être un jour en toute intelligence et sympathie.
Bien à vous
Didier Lockwood
Quelques remarques à propos de la réaction de M. Lockwood :
1. Mon analyse du second rapport Lockwood n’insinue rien puisqu’elle n’aborde à aucun moment la question des « émolutions » [sic] de son (ses ?) auteur(s) ; on se demande donc pourquoi M. Lockwood met tant d’empressement à se justifier. Il n’en demeure pas moins que les « artistes n’ayant pas eu la chance de se réaliser en tant que tels » et qui, néanmoins, sévissent (mais que font les autorités compétentes ?) dans les conservatoires de musique, éprouvent généralement quelque difficulté à apprécier l’utilité de tels rapports, tout comme celle des comités Théodule qui les rédigent. S’agissant du HCEAC, on notera que M. Lockwood « ne voulait pas [y] rester »… mais y est resté quand même, ce qui ne l’empêche pas d’attribuer à ses contradicteurs les travers du « discourt [sic] institutionnel ». À l’ère de la subversion institutionnalisée, voilà qui n’étonnera personne.
2. M. Lockwood « ne souhaite pas rentrer dans un débat » avec ses contradicteurs (nombreux, comme il le reconnaît lui-même) et préfère voir dans les réactions hostiles de la « paranoïa ». N’y a-t-il pas là une forme de « virulance » [sic] bien éloignée de la « dimension humaniste » et de la bienveillance que tout artiste se doit d’irradier ? Pour rappel, la psychologisation de l’adversaire, le jeunisme et l’empressement à faire vibrer la corde sensible (ah, les sourires des enfants !) ont longtemps fait partie de l’arsenal totalitaire.
3. Il existe une marge entre « faire mes observations » « lorsqu’on me sollicite » et l’enseignement au quotidien. Tout comme il existe une différence entre une « connaissance fondée sur une longue et large expérimentation de l’outil musical comme fondement du développement des fonctions cognitives et de la conscience » (reprenez votre souffle) et l’observation, plus modeste mais tangible et basée sur le long terme, des progrès des élèves ou, au contraire, des difficultés qu’ils rencontrent dans l’appropriation d’un savoir. En un mot, la figure du professeur ne se confond que rarement avec celle de l’expert.
4. Il n’y a rien de plus factice que l’opposition entre les qualités intellectuelles d’un individu et sa sensibilité artistique, tout comme celle, non moins rebattue, entre le « plaisir » et le « savoir désincarné » : comme l’a si bien dit Alain, bercer n’est pas instruire. S’il est de bon ton, dans les milieux branchés et postmodernes, de brocarder l’excès de savoir mort (alors que les courgettes dopées aux ambiances sonores sont, comme chacun sait, pleines de vie), la misologie n’est jamais qu’un signe d’incompétence.
5. Même chose pour ce qui concerne l’opposition entre l’enseignement destiné aux professionnels (haro sur l’élitisme !) et celui destiné au plus grand nombre. Contrairement à la doxa pédagogique en vigueur, seul un enseignement de qualité et d’État destiné à tous (et non pas une garderie territorialisée destinée à donner bonne conscience au bourgeois) est de nature à permettre aux plus doués et aux plus travailleurs de s’élever à un niveau susceptible de les faire accéder (s’ils le souhaitent) au statut de professionnel, mais aussi de contenir le phénomène des héritiers, qui n’ont jamais été aussi nombreux depuis qu’on s’est mis en tête de démocratiser la culture.
6. « Si l’on croit que la culture a une utilité, on confondra rapidement ce qui est utile avec la culture » (Nietzsche, Fragments posthumes). La musique est tout, sauf un « outil », que ce soit de « développement des fonctions cognitives » ou de « lien social », et l’art n’admet pas l’asservissement utilitaire, sauf à vouloir pratiquer une forme de jdanovisme. Mais fort heureusement, les vrais artistes savent généralement circonscrire la portée de leur engagement, et l’on constate bien souvent que l’humanisme qui vaut pour les enfants des autres (de préférence, des pauvres) ne vaut pas nécessairement pour les siens.