Conseil des sages de la laïcité… : deux textes officiels à comparer

La modification des conditions encadrant l’existence et l’activité du « Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République » (en abrégé CSLVR) est intervenue par un arrêté du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Pap Ndiaye daté du 12 avril 20231, arrêté modifiant l’arrêté du ministre précédent Jean-Michel Blanquer daté du 19 février 20212. Le présent article a pour objet de mettre les modifications en évidence.

Dans un entretien accordé au magazine Le Point daté du 21 avril, le ministre Pap Ndiaye se défend de vouloir « diluer » le CSLVR et annonce à cette occasion la nomination d’un nouveau membre, Christophe Capuano professeur d’histoire contemporaine à l’université de Grenoble-Alpes3.

Selon l’article du Point, le ministre aurait déclaré sur France Inter : « Ce Conseil n’avait pas d’existence juridique. Je lui en donne une ». Du 8 janvier 2018 – date de son installation par le ministre précédent Jean-Michel Blanquer – au 19 février 2021, le Conseil a fonctionné en l’absence de texte paru au Bulletin officiel de l’Éducation nationale – ce qui ne l’a pas empêché de produire maints travaux et d’assurer maintes interventions : pour en avoir un aperçu, on se reportera à la page du CSLVR sur le site du Ministère4. En revanche, l’arrêté du 19 février 2021 (que modifie l’arrêté du 12 avril 2023) porte explicitement dans son titre la « création » du CSLVR5.

Je propose ci-dessous un dispositif très simple pour comparer les textes des deux arrêtés. Plutôt que de les republier l’un après l’autre (les lecteurs peuvent facilement les consulter en ligne, les liens sont donnés ci-dessous en note) et de me livrer à un commentaire inutile (les lecteurs savent lire) et peut-être déplacé (je suis en effet membre du Conseil), j’ai fait un exercice purement matériel de traitement texte qui, je l’espère, sera éclairant.

J’ai copié et collé le texte de l’arrêté du 19 février 2021. J’y ai inséré les modifications prises par l’arrêté du 12 avril 2023. Les passages de l’arrêté de 2021 supprimés restent lisibles (ils sont barrés), les passages nouveaux (12 avril 2023) sont en rouge.

Article 1 – Le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, placé auprès du ministre chargé de l’éducation nationale, exerce une mission de conseil, d’expertise et d’étude relative à la mise en œuvre du principe de laïcité et à la promotion des valeurs de la République dans les politiques publiques de l’éducation, de la jeunesse et des sports de l’éducation et de la jeunesse.

Il assiste le ministre dans le choix des méthodes et outils utilisés pour garantir le respect du principe de laïcité et des valeurs de la République dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse et des sports de l’éducation et de la jeunesse.

Par ses avis et ses propositions, il participe à la détermination des positions du ministère en matière de laïcité.

Il peut être saisi par le ministre de toute question relative au principe de laïcité et aux valeurs de la République.

Il participe à la formation des membres de la communauté éducative aux enjeux de la laïcité et des valeurs de la République dans l’espace scolaire et peut contribuer à celle des personnels exerçant une mission éducative auprès de mineurs.

Les avis du Conseil peuvent être rendus publics sur décision du ministre chargé de l’éducation nationale.

Il agit sur saisine du ministre. Il rend ses avis et études au ministre. Il étudie les conditions de respect et de promotion des principes et valeurs de la République à l’école et dans les accueils collectifs de mineurs, notamment la laïcité, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la promotion de l’égalité des sexes et la lutte contre les discriminations.

Il participe, à la demande des recteurs, de la direction générale de l’enseignement scolaire et de l’institut des hautes études de l’éducation et de la formation, à la formation des équipes académiques valeurs de la République et des membres de la communauté éducative aux principes et valeurs de la République dans l’espace scolaire et peut contribuer à celle des personnels exerçant une mission éducative auprès de mineurs au sein des structures relevant du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse. Ces formations doivent notamment avoir pour objectif d’étayer l’expertise des formateurs et personnels d’encadrement. Les membres du Conseil ne peuvent intervenir dans les établissements que sur sollicitation des recteurs.

Les avis du Conseil ne peuvent être rendus publics que sur décision du ministre. Sauf lorsqu’un avis a été ainsi rendu public, les membres du Conseil et les agents placés sous l’autorité du président veillent, dans leur expression sur les sujets relatifs à l’activité du Conseil définis au présent article, à ne pas s’exprimer au nom du Conseil ou au nom du ministère chargé de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Article 2 – Le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République est composé de vingt membres au plus dont un président. Ils sont désignés par le ministre chargé de l’éducation nationale pour une durée de cinq quatre ans6. Leur mandat est renouvelable une fois.

Un règlement intérieur fixe les règles de son fonctionnement ainsi que les obligations auxquelles ses membres sont assujettis.

Sous l’autorité du président, un secrétaire général et un secrétaire général adjoint assurent l’organisation, le fonctionnement et la coordination des travaux du Conseil. Sous l’autorité du président, un secrétaire général assure l’organisation, le fonctionnement et la coordination des travaux du Conseil. Il peut être assisté d’un secrétaire général adjoint.

Le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République se réunit au moins une fois par an à la demande et en présence du ministre pour présenter le bilan de son activité. Le ministre définit ses orientations de travail.

Un comité de liaison réunit régulièrement les représentants de l’administration et les membres du Conseil. Le secrétaire général du ministère et le directeur général de l’enseignement scolaire ainsi que tout directeur ou chef de service intéressé selon la nature des thèmes portés à l’ordre du jour y participent. Le secrétariat général du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse assure le secrétariat du comité de liaison.

Article 3 – Les frais occasionnés par les déplacements et les séjours des membres du Conseil et des personnes qu’il appelle en consultation sont remboursés dans les conditions prévues par la réglementation applicable aux fonctionnaires de l’État.

Article 4 – Le secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports est chargé de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Bulletin officiel de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

Notes

4 –  https://www.education.gouv.fr/le-conseil-des-sages-de-la-laicite-et-des-valeurs-de-la-republique-41537 . On y trouvera, entre autres, la Lettre de mission (17 janvier 2018) adressée par le ministre Jean-Michel Blanquer à Dominique Schnapper, un bilan succinct de l’activité de 2018 à 2022, de nombreux avis et notes, ainsi que les brèves bio-bibliographies des membres du Conseil.

5 – Voir les notes précédentes 1 et 2.

6 – L’arrêté de 2023 précise que cette disposition s’applique aux membres du Conseil actuellement en exercice.

7 thoughts on “Conseil des sages de la laïcité… : deux textes officiels à comparer

  1. Mathieu Gibier

    En somme on veut bien des sages, mais à condition de pouvoir s’assurer que leur sagesse ne s’écarte pas trop de la folie du moment…

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    1. Braize

      Bonjour Catherine
      Le texte du blog auquel vous nous renvoyez est très intéressant sur les mefaits de ce ministre mais contient une erreur de taille. L’arrêté de création du conseil de février 2021 ne prévoyait absolument pas la saisine directe du conseil par les chefs d’établissement. Le conseil était déjà placé auprès du ministre et n’était pas une autorité administrative indépendante. Son interlocuteur et commanditaire était le seul ministre.
      Amitiés
      FBraize

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      1. Mezetulle

        Bonjour François,

        Je pense que votre commentaire devrait être posté aussi sur le blog de Roseline Letteron. Comme vous le savez, elle est professeur de droit public et il serait intéressant d’avoir sa réponse.

        Je me suis contentée, étant membre du « Conseil des sages », de proposer une comparaison textuelle entre les deux arrêtés.

        Il me semble que si le ministre prend soin de remplacer la formule « Il peut être saisi par le ministre » par celle-ci : « Il agit sur saisine du ministre », ce n’est pas anodin.

        Et je m’interroge sur la portée de la phrase « Les membres du conseil ne peuvent intervenir dans les établissements que sur sollicitation des recteurs ». Elle ne précise ni le sujet des interventions (un membre du CSL peut-il intervenir, sur un autre sujet que ceux qui sont de la compétence du CSL ? auquel cas son intervention doit simplement être sollicitée par un enseignant et subordonnée à l’autorisation du chef d’établissement), ni les conditions de celles-ci (un membre du CSL n’intervient pas nécessairement en tant que tel).

        Il existe de nombreuses « associations agréées » par le Ministère de l’Education nationale pour intervenir dans les établissements. On pourrait imaginer que chacune de leurs interventions est ainsi contrôlée a priori par une sollicitation expresse du recteur. Mais ce n’est évidemment pas le cas : sinon à quoi bon l’agrément ? L’intervention de ces associations est subordonnée à l’autorisation du directeur d’école ou du chef d’établissement (Art. D551-6 du Code de l’éducation). On peut consulter la liste des associations sur le site du Ministère https://www.education.gouv.fr/les-associations-agreees-par-l-education-nationale-6797

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  2. Laribaine

    Bonjour

    Je n’arrive pas à comprendre la logique du raisonnement de ceux qui reprochent à la laïcité d’être ce qu’elle n’est pas – identitaire – et qui proposent, pour corriger ce qui est en effet une dérive, des solutions qui entraîneront immanquablement la laïcité là où elle ne doit précisément pas aller, c’est-à-dire vers ces mêmes dérives relativistes et identitaires qui font de la laïcité ce qu’ils dénoncent au départ : le fait qu’elle devienne une idéologie.

    Quoique….En y regardant de plus près cette logique ne consiste t’elle pas à avancer masqué ?

    Naëm Bestandji soulève cette problématique de l’entrisme dans son livre « le linceul du féminisme, caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éd seramis 2021). Il estime que « Les alarmes intellectuelles, laïques et antitotalitaires sont le fruit des luttes contre les dérives du catholicisme et des totalitarismes (pétainisme, nazisme, fascisme, soviétisme) » et que face à l’entrisme des frères musulmans « les balises d’alerte qui émettent ces signaux ne sont plus adaptés à l’islamisme politique ». Le défi est immense pour contrer leur « stratégie politique […] qui vise à instrumentaliser des valeurs et concepts (droits humains, antiracisme, féminisme, démocratie, laïcité. Ils cherchent à adapter la République et la laïcité à leur vision de l’islam » et présentent la laïcité comme « une forme de racisme contre les musulmans », en dénonçant « l’islamophobie [qui est leur] arme sémantique ».

    « L’enthousiasme » de « l’assassinat » dont parle si justement Roseline Letteron fonctionne de la même manière, c’est de l’entrisme. (En commentaire de cet article, Alain Policar perd son sang-froid : se sent -il à ce point démasqué ?)

    De façon à ce que mes propos ne soient pas perçus comme orientés, j’ajoute que le procédé qui consiste pour certains à débaptiser comme culturel le symbole cultuel qu’est la crèche pour en appeler à la laïcité afin de lui faire une place dans les services publics est du même ordre.

    Vous avez relevé que lors de ses vœux présentés le 21 décembre 2017 à des dignitaires religieux, le Président de la République « se serait dit « vigilant » face à un « risque de radicalisation de la laïcité ». (1).
    J’ai posté un commentaire sous cet article (pseudo Laribaine) dans lequel je dis que de toute évidence la position du président doit être clarifiée. J’écrivais ainsi : « Mme Kintzler vous émettez l’hypothèse que le Président a voulu prévenir la dérive qui consiste à vouloir étendre le principe de laïcité à la société civile (autrement dit refuser la religion là où elle peut être). Il s’agit peut-être au contraire de préparer les esprits à l’un de ces accommodements qui visent à faire accepter la religion là où elle ne doit pas être ».
    Vigilante, vous m’avez alors répondu : « Oui j’émets cette hypothèse, mais il ne vous aura pas échappé que je n’y crois pas tellement et que mon texte fait en sorte que l’autre hypothèse (celle d’une préparation aux accommodements) ne soit pas exclue … ! ».

    Nous y sommes !

    La laïcité est l’espace temps de la puissance publique. Elle suppose une puissance publique en surplomb. Je suis vraiment pessimiste sur son avenir.

    (1) https://www.mezetulle.fr/les-propos-sur-la-laicite-attribues-au-president-macron-sont-mal-ficeles/

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  3. Gaspard

    Dire que la laïcité est une « valeur » est déjà commettre un contresens complet sur la notion. C’est oublier en effet qu’il s’agit d’un principe politique dont la force ne repose pas sur le ressenti de ceux qui lui accordent une valeur. La laïcité est encore moins l’objet d’une « sagesse » réservée à quelques-uns, mais un concept sur lequel tous, quelles que soient ses convictions ou son éthique, peuvent s’accorder.
    En faire une question de morale personnelle ou collective, c’est précisément la « communautariser ». Toute valeur suppose un évaluateur. Toute valeur dévalorise. Je crains qu’il n’y ait pas grand chose à attendre de cette institution si mal nommée.

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    1. Mezetulle

      J’ai écrit et répété maintes fois que la laïcité n’est pas une valeur mais un principe, merci de le rappeler.

      Le « Conseil des sages » : il s’agit avant tout d’une instance consultative de conseil. Dire qu’il est composé de « sages » relève d’une métaphore hyperbolique qui ne choque que ceux qui veulent absolument prendre « sages » au sens propre.

      Quant à « ce qu’on peut attendre de cette institution » : cela ne peut se dire en toute rigueur que pour le Conseil modifié par l’arrêté d’avril 2023. Mais le Conseil existe depuis janvier 2018, comme le dit l’article ci-dessus. Le bilan des années écoulées est consultable publiquement sur la page du CSL du Ministère de l’Education nationale, à laquelle renvoie la note 4 de l’article.

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