À l’issue de l’entretien du 21 décembre auquel le président de la République a convié des dignitaires religieux, certains d’entre eux ont fait état de propos qui auraient été tenus en leur présence par Emmanuel Macron. Il aurait notamment mis en garde contre une « radicalisation » de la laïcité, et résumé sa doctrine par la maxime « La République est laïque, mais non la société »1. Invitée par plusieurs lecteurs à donner mon sentiment à ce sujet, je m’appuierai sur des outils conceptuels déjà mis en place aussi bien dans les colonnes de Mezetulle2 que dans divers articles et dans mon livre Penser la laïcité. Quelle que soit la manière dont je les envisage, ces propos rapportés et fragmentaires me semblent mal ficelés.
Voici, de manière succincte, comment j’ai maintes fois caractérisé le fonctionnement du régime de laïcité, composé de deux volets. D’une part le principe de laïcité (principe d’abstention de la puissance publique en matière de cultes, de croyances et d’incroyances) est « radical » en un sens étymologique : il mène jusqu’à ses racines la disjonction entre foi et loi ; le moment politique ne recourt pas au modèle de la foi, il ne s’inspire d’aucun lien préexistant et ne suppose aucune forme de croyance ou d’appartenance préalable, il ne dit rien des croyances et des incroyances. D’autre part ce principe d’abstention, ne s’appliquant qu’au moment politique, au domaine de la puissance publique et à ce qui participe d’elle, a une portée limitée et n’a de sens qu’à libérer tout ce qu’il ne gouverne pas : l’infinité de la société civile jouit de la liberté d’expression dans le cadre du droit commun, y compris bien sûr en public. Autrement dit, le régime de laïcité n’est pas épuisé par le seul principe de laïcité, il articule deux éléments.
C’est à partir de là que je m’interroge sur les propos attribués au président de la République.
1° « Radicalisation » / radicalité
Le président de la République se serait dit « vigilant » face à un « risque de radicalisation de la laïcité ». Loin de concerner la radicalité de la laïcité telle que je viens de l’évoquer, ces propos n’ont rien de descriptif, ils sont prescriptifs ou au moins optatifs : il s’agit de se garder d’un risque. Je ne ferai pas l’injure au président de penser qu’il invite à considérer les citoyens favorables à la laïcité – qui n’ont jamais tué ni blessé ni menacé personne ni détruit quoi que ce soit, et qui n’appellent jamais à le faire – comme porteurs d’un risque de même nature et de même degré que les assassins fanatiques religieux « radicalisés » qui ensanglantent le monde. Personne n’ignore pourtant que le sens actuel du mot « radicalisation », utilisé plus particulièrement en matière d’opinions religieuses, désigne une fanatisation pouvant aller jusqu’au meurtre. Quelle que soit l’intention du locuteur, aujourd’hui l’emploi du terme « radicalisation » dans ce champ ne peut que l’exposer à cette interprétation : en parlant on est pris dans la langue, on ne la contrôle pas intégralement !
Mais écartons cette hypothèse. Comment alors comprendre un tel appel à la vigilance ? On peut certes lui trouver un sens en examinant la dualité principielle du régime laïque dont j’ai parlé plus haut.
En effet, de cette dualité se déduisent aisément deux dérives, deux mésinterprétations de la laïcité, qui fonctionnent structurellement de la même manière, observables dans notre quotidien, et dont il faut également se garder. La déduction se fait très simplement par un mouvement d’effacement de l’un des principes par l’autre, alternativement :
- L’une des dérives consiste à grignoter le principe de laïcité en prétendant étendre à la puissance publique le fonctionnement qui vaut dans la société civile, en récusant peu à peu la neutralité et l’abstention de l’État : c’est la laïcité « ouverte », « positive », « inclusive », « accommodante », etc., qui finit par s’abolir elle-même en reconnaissant les communautés religieuses comme agents politiques.
- L’autre dérive, symétrique, consiste à vouloir étendre le principe de laïcité à la société civile en la soumettant à la règle qui vaut dans le domaine de l’autorité publique : on prétend alors « nettoyer » la société de toute expression religieuse, on veut reléguer toute manifestation religieuse dans l’intimité (en confondant volontairement « intime » et « privé ») et n’en rien voir à l’extérieur, autrement dit on abolit la liberté d’expression3.
C’est peut-être de cette seconde dérive « niveleuse » et « nettoyeuse » que le président a voulu parler, celle qui, par un calamiteux excès de zèle, veut étendre le principe de laïcité au-delà de son champ d’application et faire de l’espace social un désert en matière d’expression religieuse ? Probablement.
Mais comment peut-on dénoncer pertinemment cette dérive sans en même temps pointer et dénoncer sa sœur jumelle ? C’est une opération conceptuelle boiteuse – ce qui n’est pas dans les habitudes d’Emmanuel Macron. Car on ne peut comprendre chacune des deux dérives que par leur commune structure, leur opposition renvoyant à une symétrie. C’est de plus politiquement déséquilibré : on fait comme si cette dérive extrémiste était, sinon la seule, du moins la plus dangereuse, alors qu’on est confronté à une montée meurtrière de prétentions religieuses fanatiques à faire la loi en intimidant la République et en se réservant des « territoires perdus ». En outre, pourquoi l’avoir dit ainsi ? Pourquoi choisir un terme violent qui, au-delà des zélés dont je parlais, atteint de paisibles citoyens, les insulte en qualifiant leur attachement à la laïcité comme on qualifie l’adhésion d’assassins à une dogmatique guerrière ? D’autres termes disponibles plus précis pouvaient être employés sans soulever d’hypothèse fausse et blessante : « dérive », « déformation », « exclusivisme », « extrémisme » ; et si on voulait absolument plaire aux dignitaires religieux, on pouvait même recourir au terme d’« ultra-laïcisme » !
2° « La République est laïque, mais non la société » / La République est laïque, mais la société n’est pas tenue de l’être
« La République est laïque, mais non la société » : telle est la maxime par laquelle le président aurait résumé sa doctrine. La République est laïque : elle a le devoir d’appliquer le principe de laïcité à tous ses actes, à tous ses propos, à toutes ses fonctions et organes, aux espaces, moments et choses qui participent d’elle ou qui sont directement gérés par elle. Et de l’autre côté, effectivement, le principe de laïcité ne vaut pas dans la société civile : on peut y aborder publiquement des sujets religieux, y afficher des signes religieux ou irréligieux, y dire tout le bien ou tout le mal qu’on pense de telle ou telle religion, etc., tout cela dans le cadre du droit commun – c’est le sens même de la dualité dont il a été question.
La formule néanmoins demande un commentaire, faute de quoi pourrait s’installer une interprétation restrictive tendant à négliger l’existence et la légitimité du courant laïque, des forces laïques, au sein de la société. Si la société en elle-même n’est pas laïque au sens où elle n’est pas assujettie au principe de laïcité, la laïcité y est présente en tant qu’opinion et je peux y déclarer « je suis laïque, je suis favorable à la laïcité du régime politique, je la soutiens et je la défends ». Ces positions jouissent de la même liberté que toute autre opinion.
Du reste la République elle-même ne serait pas laïque s’il n’y avait pas eu jadis des forces favorables à la laïcité au sein de la société pour penser, promouvoir et imposer la législation laïque. Naguère, en l’absence d’une résistance de forces laïques civiles, le champ eût été libre pour « toiletter » sévèrement la loi de 1905 comme le proposait le rapport Machelon en 2006, ou pour revenir sur la loi de 2004 dans le cadre de la « société inclusive » appelée par Jean-Marc Ayrault en 20134. On n’oublie pas non plus que Manuel Valls en 2005 était favorable à un financement public des cultes5, que en 2015 François Hollande déclarait « La République française reconnaît tous les cultes » et Gérald Darmanin proposait un « nouveau concordat », suivi de près par Bernard Cazeneuve en 20166. Aujourd’hui encore, la proposition de « loi de confiance » s’en prend subrepticement à la loi de 19057.
Le soutien du dispositif laïque républicain par les citoyens n’est pas moins opportun aujourd’hui qu’il ne le fut jadis et naguère : il prend place, de plein droit, au sein de la société aux côtés d’autres opinions.
Si l’on veut s’en tenir à une maxime, forcément elliptique, il serait à mon avis plus exact de dire « La République est laïque, la société n’est pas tenue de l’être ».
Qu’on les prenne d’une manière ou d’une autre, même en s’efforçant d’écarter les hypothèses blessantes, fausses ou biaisées, ces fragments rapportés me semblent imprécis, ambivalents, et de toute façon incomplets. On attend donc que le président, au discours direct cette fois et non plus « au détour d’une phrase » rapportée, se prononce clairement et distinctement comme il a généralement coutume de le faire.
Notes
1 – Voir entre autres Le Figaro 21 décembre 2017 .
2 – Par exemple ces deux articles qui me permettront, si les lecteurs veulent bien s’y référer, une grande économie d’explications : « Laïcité et intégrisme » et « Femmes et laïcité, la question de l’assignation ». De nombreux articles sur la laïcité sont disponibles sur Mezetulle.fr ainsi que sur le site d’archives Mezetulle.net – voir les sommaires respectifs.
3 – J’ai exposé le mécanisme des deux dérives symétriques et structurées de la même manière dans plusieurs textes, tant imprimés qu’en ligne, depuis 2007, et dans mon livre Penser la laïcité (Minerve, 2014, 2015 2e éd.).
4 – Rapport Machelon téléchargeable sur le site de la Documentation française . Quant à la politique de « Société inclusive » dans le cadre de la « Refondation de la politique de l’intégration » lancée par Jean-Marc Ayrault en 2013, elle a donné lieu à une série de rapports coordonnés par Thierry Tuot (ensemble téléchargeables sur le site de la Documentation française) ; le rapport sectoriel « Travail et mobilités sociales » p. 70 propose l’abandon de la loi du 15 mars 2004.
5 – Voir cet article du Parisien.
6 – Sur la déclaration de François Hollande, voir l’article sur Mezetulle . Sur la proposition de Gérald Darmanin, voir Libération du 14 janvier 2015 et la critique par Gérard Delfau . Proposition reprise par Bernard Cazeneuve en 2016, voir l’article sur Mezetulle « Concordat avec l’islam : et si on essayait le déshonneur ? »
7 – Voir l’analyse sur le site de l’UFAL .
Intéressé par ces clarifications
Merci d’avoir pris la peine de débrouiller les significations possibles de ces propos approximatifs, et de rappeler votre (notre) conception de la laïcité. Je crains hélas que l’ambiguïté du propos ne soit pas due à une réception fautive, mais à l’incapacité du Président à trancher en la matière : quand il a une opinion ferme sur un sujet, il ne prend pas de gants.
tout a fait d accord sur le jugement des propos du president mais il veut conserver son electorat en lancant quelques phrases jamais anodines mais toujours faites pour se poser les bonnes questions il n,est pas tres net sur la laicite
En effet, Mezetulle, décrypte bien les propos du président mais l’analyse, si je l’ai bien comprise, me semble trop neutre et statique sur l’articulation entre laïcité et société civile. En effet, dans une République laïque comme la nôtre, les trois composantes ne peuvent être séparées dans une présentation binaire et théorique qui dissocie République et société civile au regard de la laïcité. La société civile n’est pas hors de la République.
C’est parce que la République est laïque que la laïcité n’est pas que la séparation des églises et de l’Etat et qu’elle vient marquer de son empreinte y compris la société civile et pas seulement parce que les laïques y ont leur place et leur libre expression.
C’est aussi parce que la liberté des cultes (et non pas la liberté religieuse) n’y est surtout pas sans limite mais sous la contrainte des nécessités de l’ordre public et du respect de l’objectif d’émancipation des hommes et des femmes de toutes leurs chaines.
La République laïque ce n’est pas qu’un statu quo confortable pour les religions, c’est un combat permanent pour l’émancipation. C’est notamment le combat de l’instituteur, au besoin contre le curé, l’imam ou le rabbin (liste non limitative…), dès lors qu’ils portent un obscurantisme, ces derniers n’ayant pas tout l’espace public ouvert à leur libre convoitise mais la garantie par la loi de la liberté conscience et de culte.
Sous cette réserve, on partage évidemment la demande de clarification de la parole présidentielle.
Très cordialement
Merci pour ces précisions.
Que la laïcité puisse marquer la société de son empreinte, c’est un point que je ne discute pas. Je fais simplement remarquer que le principe de laïcité ne s’applique pas dans la société civile qui n’est pas astreinte aux mêmes règles, en matière d’affichage et d’expression des cultes, que le domaine participant de la puissance publique et que c’est cette distinction qui peut, en un sens mais en un sens seulement, éclairer la « maxime » attribuée au président. Je fais remarquer aussi que cette maxime « la société n’est pas laïque » est malencontreusement imprécise et restrictive car on pourrait la comprendre comme un bannissement des opinions laïques du sein de la société : or ces opinions y ont leur place de plein droit. La société civile n’est pas hors de la République au sens où elle n’est pas hors-la-loi. Mais elle n’est pas assujettie aux mêmes règles de droit que la puissance publique.
Bien sûr que mon analyse est statique : la dynamique est celle de la capacité des forces présentes dans la société à se mobiliser pour soutenir et développer la législation laïque !
Discussion extrêmement intéressante chère amie.
N’est-ce pas au fond l’Etat que vous considérez plutôt que la République dans votre « opposition » avec la société civile quand au degré de laïcité qui y est applicable ? D’ailleurs vous parlez de puissance publique…
Si c’est le cas nous pourrions nous accorder sans difficulté car en effet la laïcité à laquelle est astreint l’Etat est bien celle que vous dites et de son côté la société civile n’est pas astreinte à la même chose, c’est l’évidence puisque y existent liberté de conscience et liberté de culte.
Mais pour autant la République, si j’osais, est au dessus de « ça » qu’elle surplombe de ses principes (laïque, démocratique et sociale).
Dans ces conditions, dire comme E Macron « la république est laïque, la société ne l’est pas » est aussi invraisemblable que de dire « la République est démocratique, la société ne l’est pas »…
Peut-on se contenter de remplacer « ne l’est pas » par « n’est pas tenue » ainsi que vous l’avez proposé dans une belle tentative de compromis pour que ce soit acceptable ?
Je n’en suis pas du tout sûr.
Oui, je parlais de l’application du principe de laïcité : il vaut dans le domaine de l’autorité publique et de ce qui participe d’elle.
Il est clair que l’ensemble de la législation est laïque : aucune loi ne peut faire appel à un au-delà ou à un en deçà du lien politique, ce dernier ne s’inspire d’aucun lien préalable, il est immanent et autoconstituant. Mais le fait que la loi elle-même soit laïque ne signifie pas que le principe de laïcité s’applique en dehors du domaine de l’autorité publique et de ce qui participe d’elle.
Il me reste une incompréhension : si toute la loi est nécessairement laïque comme vous le dites (et dans les moindres recoins des règles qui régissent la société civile quelles que soient les matières) c’est bien que la société civile est toute entière empreinte de laïcité sans être soumise pour autant aux obligations qui pèsent sur la sphère des personnes publiques… les cultes et les consciences en effet y sont libres car c’est la laïcité qui l’implique d’ailleurs.
Avec cette pseudo « non laïcité de la société civile », j’ai de plus en plus l’impression d’un faux problème… et d’une vraie difficulté cachée derrière !
Je pense que la « difficulté cachée » que vous soulevez est plus dans les propos rapportés que je commente que dans le commentaire que j’en fais… !
Bonne année !
C’est l’évidence !
Mais ne faut-il pas pour cela admettre que la société civile est bien aussi « tenue » par la laïcité ? Sans aucune mesure certes avec le degré qui tient l’Etat et les autres personnes et services publics mais tenue tout de même autant que nécessaire dans notre République laïque, même si c’est dans un régime de libertés individuelles et publiques ?
Avec un ami avocat, nous allons préparer un article là-dessus car les choses méritent d’être clarifiées compte tenu de la confusion qui règne jusqu’au plus hauts sommets !
Belle année aussi !
On peut jouer sur la plurivocité du terme – « être tenu » peut signifier « être encadré » ou « être obligé » : oui, la société civile est « tenue » par une législation laïque au sens où la législation l’encadre, mais une législation laïque n’a pas le droit d’obliger la société civile à être laïque. La société, tenue (encadrée) par une législation laïque, n’est pas pour cette raison tenue d’être laïque. Et une législation qui obligerait la société civile à se soumettre au principe de laïcité ne serait plus laïque… !
Mille mercis à Catherine Kintzler de répondre à l’appel, chaque fois qu’il le faut. On peut effectivement craindre que la formule attribuée au président de la République selon laquelle « La République est laïque, mais non la société », ignore la laïcité dans la société (I), réduise la laïcité à une interdiction (II) et confonde la laïcité de l’État avec la laïcité de la République (III).
(I) La maxime facile à répéter : « La République est laïque, mais non la société » n’a pas retenu la réflexion de Paul Ricœur qui montrait que la laïcité est en même temps laïcité de l’État et laïcité de la société. Ainsi Ricœur distinguait-il un « usage » étatique de la laïcité définie par l’abstention de l’État en matière de religion, d’un « usage » social de la laïcité pensée comme une exigeante liberté de discussion publique. Le second serait impossible sans le premier.
(II) C’est pourquoi la laïcité de l’État elle même ne se réduit pas à l’imposition d’une abstention en matière religieuse. En même temps qu’elle signifie neutralité, la laïcité de l’État indique que l’autorité politique n’est pas assujettie au religieux et que l’État laïque a la charge de protéger la liberté d’expression et de communication au sein de la société, dans le respect du droit commun et de la liberté de chacun.
(III) Ces deux articulations : entre la laïcité de l’État et la laïcité dans la société, et entre les caractéristiques de l’État laïque elles-mêmes, impliquent une troisième articulation. La laïcité de l’État est en même temps laïcité de la République. Indivisible, démocratique et sociale, la République laïque répond à « l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Elle institue une école émancipatrice qui a vocation à instruire, au sein de laquelle « aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique ».
Pierre Hayat
Vous avez raison de souligner que, précisément parce qu’ils sont rapportés, les propos que je commente sont aussi colportés et générateurs d’idées fausses ou de confusions.
Sur les points I et III, il me semble que le terme « laïcité » n’a pas le même sens s’agissant de la puissance publique et s’agissant de la société. La proposition « Je suis laïque » n’a pas le même sens selon que le « Je » est assumé par la République ou par un citoyen. La République est organiquement et nécessairement laïque ; la société accueille, parmi d’autres, des forces laïques qui font vivre la laïcité et sans lesquelles la laïcité organique elle-même ne serait qu’une coquille vide. Dire qu’il y a un « usage » de la laïcité dans la société me semble inexact : car le principe de laïcité au sens strict ne s’exerce pas dans la société. Pour reprendre l’exemple que vous donnez, la discussion publique est garantie par la législation (et pas seulement en tant que cette législation est directement laïque), mais celle-ci ne peut en aucune manière l’imposer, la discussion n’est exigence que si des forces, au sein de la société, sont capables de la faire vivre.
Sur le point II, je le dis, me semble-t-il, d’une autre manière : la laïcité pousse la disjonction entre foi et loi jusqu’à ses racines.
Le principe laïque qui astreint la puissance publique à la neutralité en matière religieuse n’est pas neutre. Car, comme vous le dites, il implique la disjonction de la foi et de la loi, laquelle repose notamment sur les principes de liberté de conscience et d’égalité des droits. La raison de la neutralité n’est pas la neutralité, mais la liberté et l’égalité. La neutralité n’est pas le principe des principes de la laïcité.
Il s’ensuit que la laïcité peut être directement concernée par la société, ses rapports de forces, ses abdications et ses progrès.
Vous avez cependant raison de souligner que la laïcité ne prend pas le même sens du point de vue de l’autorité publique et du point de vue de la société. Mais la manifestation de la laïcité dans la société ne saurait se résumer à la possibilité d’y soutenir librement des convictions laïques. Tout mode d’organisation politique engage une certaine représentation de la société et des relations sociales. Je ne vois pas pourquoi la laïcité ferait exception. Dans son rapport de 2004, le Conseil d’État associe le principe de laïcité à « une perte d’emprise de la religion sur la société ». On peut nommer société non laïque une société dans laquelle les individus subissent l’emprise de la religion et société laïque une société émancipée de cette emprise. Les moyens de pousser à cet affranchissement ne sont certes pas seulement juridiques, mais simultanément politiques, économiques et culturels.
Dans notre République démocratique, laïque et sociale, la société interfère en amont et en aval des lois, à travers les débats qui les précèdent et par la qualité de leur application. Des associations sont largement soutenues par les collectivités publiques qui attendent d’elles en retour un renforcement de leur légitimité et de leur efficacité. Une politique laïque qui ignorerait cette réalité court le risque de tourner le principe de neutralité en un principe de neutralité « bienveillante », « inclusive » et « non séparatiste » à l’égard des religions, et ainsi de liquider les principes de liberté et d’égalité que porte la laïcité.
Il y a ainsi un enjeu social de la laïcité ou si, l’on préfère, un enjeu de laïcité dans la société, dès lors qu’on admet que la laïcité repose sur la liberté de conscience et l’égalité des droits, et implique un type de société déliée de toute emprise idéologique totalitaire, qu’elle soit ou non religieuse. On peut attendre du président de la République qu’il porte politiquement cette exigence-là.
Encore merci pour votre travail.
Bonne année !
La perte d’emprise des religions sur la société n’est pas à mon avis un phénomène de laïcité, mais de sécularisation. Les deux phénomènes sont évidemment liés dans leur histoire, mais il sont disjoints dans leurs propriétés, leur conceptualisation. J’ai eu à ce sujet une discussion avec Jean-Claude Monod, auteur d’un beau livre sur la sécularisation, discussion dont on trouve l’essentiel au chapitre 1 de mon Penser la laïcité, p. 30 et suiv.
Je ne pense pas qu’un président de la République doive porter une exigence idéologique prétendant intervenir sur la société : c’est précisément ce que je crains en entendant ces propos rapportés ! Les droits formels sont encore la meilleure manière de se protéger, et de se protéger des tyrans qui prétendent imposer un « bon usage » de la liberté. Je ne pense pas qu’on soit fondé, au nom de la laïcité, à délivrer la société d’une emprise : une législation laïque ne se substitue pas à la liberté des sujets, elle leur offre les moyens de l’exercer, notamment en organisant un bon système d’instruction publique. J’attends du pouvoir politique qu’il exerce la plus grande vigilance sur l’application du principe de laïcité et l’application des lois laïques, qu’il encourage la vie de cette législation laïque dans les domaines où celle-ci est en discussion (et parfois même en régression) par exemple aujourd’hui : recherche biologique, protection du droit des enfants, fin de vie…
Tout cela pourra sembler bien formaliste, mais je persiste – je l’ai fait de manière succincte notamment dans cet article !
Merci chère Catherine de ces si précises et précieuses mises au point.
Ce que vous dites, et cela vaut pour les autres contributions à la passionnante discussion ouverte par votre article, est d’autant plus important en cette veille de 2018 que s’ouvrent en début d’année, pour se poursuivre jusqu’au printemps, les états-généraux de la bioéthique, en amont de la révision des lois du même nom.
Il convient en effet de se montrer très attentif à la position du Président s’agissant du statut à ses yeux, dans ces débats (principalement pour ce qui concerne les questions de procréation et de fin de vie), du discours que portent les autorités religieuses.
Certaines de ses déclarations (non rapportées cette fois, mais extraites de son allocution aux responsables religieux réunis par la Fédération protestante de France pour les 500 ans de la Réforme), ont de quoi inquiéter en effet : « La manière que j’aurai de trancher ces débats ne sera pas de vous dire que la politique a une prééminence sur vous et qu’une loi pourrait trancher ou fermer un débat qui n’est pas mûr » a-t-il dit. Formulation très alambiquée, mais qui dit néanmoins que le politique (laïque), et le législateur lorsqu’il tranche (que peut-il faire d’autre de toute façon ?), ne sauraient avoir de prééminence sur l’opinion de nature religieuse.
S’agissant en tout cas de ce type de « débat de société » comme on dit.
Notre vigilance de laïques (dans la société civile) est alors plus que jamais de mise.
Et ceci de façon d’autant plus urgente que, du côté de nombres d' »experts » se réclamant des sciences humaines (ce qu’aujourd’hui l’Eglise elle-même dans sa Doctrine Sociale ne dédaigne pas de faire, c’est tout bénéfice pour elle en effet), leurs argumentations de docteurs non de l’Eglise mais es sciences humaines (plus spécifiquement psychanalyse ou anthropologie théorico-théoriques, mais jamais l’histoire, tiens donc !) sont, si on les examine de près, largement imbibées d’une vulgate catho-conservatrice (voire réactionnaire) qui ne dit pas son nom. Peut-être en toute innocence « scientifique », et parce que ces « savants » ne savent tout tout simplement pas la reconnaître dans leurs propres productions théoriques (ou plus exactement moralistes).
La situation en ces matières n’est plus celle de l’alliance du sabre et du goupillon, elle est celle, qui s’ignore en général, du « savoir » (psy, etc) et du goupillon.
C’est bien pourquoi il importe déjà, de tenir fermement la bride au goupillon…
Souhaitons que le Président vous lise.
Le Conseil d’Etat dans « un siècle de laïcité » ( page 392) évoque dans « Quelle conciliation entre la sphère de la spiritualité et l’ordre étatique » cet « usage » ou encore cette dimension nécessaire de la laïcité dans la société. Je cite » ..il est de la responsabilité de l’Etat de fixer, si cela est nécessaire, pour éviter qu’il soit porté atteinte aux valeurs fondamentales dont il se réclame , des bornes aux désirs tutélaires des religions et autres croyances. » dès lors que « tout système de croyances tend à développer une interprétation plus ou poins englobante du monde, et de l’aventure humaine , et à secréter des prescriptions et des rites » On ne peut certes, transiger sur la liberté de croire ou de ne pas croire mais la manifestation des croyances a ses limites et c’est bien au nom de la laïcité, protectrice des droits et libertés de chacun qu’un principe de restriction s’impose.
Guy ROBILLART
1 Je voudrais compléter le commentaire précédent . Certes, la loi est laïque et les limites susceptibles d’être imposées à la manifestation des croyances relèvent de la loi dont l’origine procède cependant pour une large part d’une expression de la société civile (?) Le cadre juridique est-il disjoint des expressions de la société civile ?
2 Marc Sauvé – Vice président du C.E. -lors d’une conférence donnée le 21 septembre 2013 devant la GLF déclarait dans sa conclusion »La République laïque n’en finit pas de faire surgir de nouveaux questionnements d’un point de vue tant juridique que philosophique, social et politique… » Vastes questionnements qui concernent chacun d’entre nous dans la société civile.
3 Le Conseil constitutionnel par sa décision QPC du 21 février 2013 prolonge le principe d’organisation de l’Etat par une définition de la laïcité comme « droit et liberté que la Constitution garantit » Dans quelle mesure la définition de la laïcité comme droit que la Constitution garantit aux individus s’impose et se manifeste dans le cadre de la vie civile?
Guy ROBILLART
Bonne année !
Bien sûr une république laïque considère que le droit des individus est prioritaire sur tout autre droit ou liberté : elle doit donc protéger ces individus de toute assignation, de toute « obligation d’appartenance », de toute pression visant à les contraindre à adopter telle ou telle position, ou à s’en défaire. C’est un des effets principaux d’une législation laïque. Mais une législation qui contraindrait les individus à s’abstenir de manifester telle ou telle position au sein de la société et dans le cadre du droit commun ne serait pas laïque – elle serait du reste contraire à l’article 10 de la Déclaration des droits, qui est une déclaration laïque.
J’ai quelque scrupule à poursuivre ces échanges , mais à propos du principe de laïcité comme » droit et liberté que la Constitution garantit » la définition du C. C. n’introduit-elle pas une liberté fondamentale dont tout individu pourrait se prévaloir y compris dans ses relations avec les autres personnes. Pour reprendre la question de P-H PRELOT dans un article publié par la Revue du Droit Local ( juin 2014), la définition de la « laïcité comme droit que la Constitution garantit pose également la question de savoir dans quelle mesure une telle obligation de laïcité s’impose aux individus eux-mêmes dans le cadre de leur vie sociale. » Et c’est là, un aspect qui est abordé dans certains commentaires . La décision du CC du 13 février 2013 n’implique-t-elle pas une extension de l’exigence de laïcité …dans la société civile?
Guy ROBILLART STRASBOURG
Je ne sais pas comment il faut entendre « vie sociale » ici…
Il est clair que toute personne doit respecter le principe de laïcité dès qu’elle participe à l’autorité publique, l’espace scolaire public étant également concerné pour les élèves. Prenons justement l’exemple des élèves à l’école publique : c’est une obligation de discrétion qui leur est imposée en matière d’affichage religieux « ostensible » par la loi du 15 mars 2004, alors que le principe de laïcité au sens strict (pas d’affichage religieux, même discret) concerne le personnel.
Si on prend l’exemple des entreprises (et là on est bien dans la société civile) elles peuvent inscrire une telle obligation dans leur règlement intérieur, sous certaines conditions (contact avec le public, nature de l’activité, interdiction de prosélytisme…). Je ne crois pas que le terme « laïcité » soit employé ici au sens où l’emploie la puissance publique. Idem pour les associations : par exemple une association qui se donne pour objectif de promouvoir la laïcité pourra inscrire de telles obligations de discrétion dans son règlement. Le droit privé peut s’inspirer du droit public, mais il y a cependant distinction entre les deux domaines. Je ne suis pas juriste et j’espère ne pas dire trop de bêtises… !
Mais je ne vois pas en quoi le principe même de laïcité (abstention) pourrait valoir généralement dans la vie sociale : cela me semble contraire à la liberté d’expression. « La République assure la liberté de conscience. »
Pour répondre à l’appel au secours de la « non juriste », je ne pense pas que ce soit la décision du CC de février 2013 qui étende à la société civile une obligation de laïcité qui serait nouvelle dans les relations entre ses membres.
Dans cette décision le CC n’a fait que ranger au niveau constitutionnel certain des principes de la loi de 1905 (interdiction de reconnaissance et de salariat des cultes, en oubliant d’ailleurs l’interdiction de subventionnement… voir à ce sujet notre article http://www.slate.fr/tribune/83673/iconoclastie-principe-constitutionnel). Ceci ne produit comme conséquence que d’interdire au législateur de modifier ou supprimer ces interdictions et ne change pas les conséquences de ces principes sur la société civile.
En revanche, je suis de ceux qui considèrent que seule une société civile qui a fait la choix d’ETRE laïque en séparant le politique du religieux a quelques raisons de se doter d’une République laïque. Mais cela ne veut pas dire que les règles de laïcité que cette société et cette République imposent à leur Etat et aux autres personnes publiques s’appliquent aux personnes privées, physiques et morales, qui composent cette société civile. Il ne faut pas tout confondre. Ce serait même nier la laïcité que de soutenir cela puisque ce serait nier la liberté de conscience, de culte et d’opinion qu’une société civile comme la notre garantit.
Donc, nous avons une République laïque parce que notre société, notre corps social, l’est aussi et que c’est son choix même si l’Etat et les personnes privées ne sont pas soumis au même degré d’exigence laïque ! La laïcité ne se réduit pas aux obligations qui pèsent sur l’Etat sous forme d’interdictions. Elle est également les garanties offertes aux citoyens quant à certaines de leurs libertés et elle est objectif d’émancipation par l’éducation et le développement du bien être économique et social.
Ce B.A. BA politique et juridique est fatiguant à devoir être répété sans cesse et on a envie d’ajouter qu’on se le dise et surtout qu’on le dise à notre Président…
Merci !
Bonjour et bonne année!
Puis-je me permettre une question très générale, et deux questions particulières qui l’illustrent plus ou moins directement.
Question générale : Sur quelle définition de la religion s’appuie la loi de 1905? Les anthropologues sont au moins d’accord sur un point : il n’existe pas de définition de la religion qui fasse consensus. Dans la loi de 1905, ne s’agit-il pas implicitement des religions judéo-chrétiennes, qui ne sont que des formes très particulières de religion? Inversement, la politique peut-elle se passer de toute religion, si prend le concept dans une acception plus large? La République ne repose-t-elle pas nécessairement sur un système de valeurs qui ne peut être justifié par la seule raison, et qui suppose implicitement une forme d’hétéronomie?
Illustration 1 : Yvon Quiniou a (sur?)réagi à ce même propos présidentiel dans Le Monde du 28.12 dans un article intitulé « Aucune religion n’a le droit d’imposer son culte aux citoyens » (http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/28/yvon-quiniou-aucune-religion-n-a-le-droit-d-imposer-son-culte-aux-citoyens_5235158_3232.html#gH38lTC6UVsoi9Yi.99 ). Mais il commet à mon avis l’erreur de stigmatiser les religions en général, plutôt que l’exclusivisme qui est une singularité « abrahamique », et contre lequel la laïcité s’est construite?
Illustration 2 : une république laïque peut-elle tolérer des partis ouvertement religieux, démocrate-chrétien hier, musulman, évangélique ou autre demain? Au nom de la liberté d’expression, sans doute, mais un parti ne porte pas seulement une expression idéologique, il participe à la production des lois voire est susceptible d’accéder au pouvoir. Certes la Constitution lui impose alors de s’engager à respecter le principe de laïcité, mais quel sens concret donner à un tel engagement, quel type de contrôle installer (le Conseil Constitutionnel suffit-il)?
Merci Jean-Pierre Castel pour ces questions très pertinentes. Je n’ai pas de réponse intégrale à chacune d’entre elles, seulement des éléments.
1° A ma connaissance, la loi de 1905 ne parle jamais de religion (n’emploie pas le substantif, mais seulement l’adjectif « religieux ») : elle emploie le mot « culte ». Les cultes ont pour caractéristique commune de se manifester matériellement. Au Ministère de l’intérieur, il y a un bureau des cultes – la République n’en reconnaît aucun, mais constate leur existence (les « connaît ») en les rencontrant matériellement par exemple pour des questions d’ordre public comme l’autorisation et le parcours d’une manifestation…
2° Des partis politiques peuvent effectivement se référer à une inspiration religieuse générale. Mais je vois deux limites (au moins!) : le cléricalisme est exclu, aucun « officier » religieux ne peut exercer de mandat public ès qualités ; ces partis ne peuvent pas proposer, dans leur activité parlementaire, des dispositions contraires au caractère laïque des institutions et de la législation, dispositions qu’ils justifieraient par des références à une autorité religieuse … On peut prendre l’exemple de l’IVG ou du mariage dit « pour tous » : des partis d’inspiration religieuse peuvent s’y opposer sans cacher leur inspiration, mais ils ne peuvent pas le faire en proposant, dans leurs amendements déposés, des déclarations ouvertement religieuses, par ex. invocation d’un texte « sacré », invocation d’une autorité transcendante.
Chère Madame,
merci, mais je dois dire que vos réponses me laissent sur ma faim.
Remplacer religion par culte ne résout pas la question, même si cela présente l’intérêt (conscient?) de mettre en avant le rituel plus que la croyance, ce qui correspond à un courant de l’anthropologie du fait religieux qui a ma préférence, mais qui lui-même ne fait pas consensus.
Quant à ne pas invoquer une forme de sacré, je ne sais pas comment cela a pu se passer hier lors de l’abolition de la peine de mort ou demain sur les questions autour de la GPA ou de l’embryon. Mais je retiens de votre réponse qu’un parti qui s’afficherait comme chrétien, juif ou musulman serait parfaitement possible dans une république parfaitement laïque?.
Je me permets d’apporter quelques éléments complémentaires concernant les partis s’affichant comme ouvertement religieux.
Ils sont possibles, au sens de légaux et habilités à participer à la vie publique en concourant à l’expression du suffrage universel, dans une République laïque si leur doctrine, leur programme ou leurs préconisations respectent nos valeurs démocratiques et nos principes fondamentaux définis en même temps par notre bloc de constitutionnalité (DDHC 1789, constitutions et principes dégagés par le Conseil constitutionnel) et par la Convention de sauvegarde des droits fondamentaux (CEDH).
D’ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé au début des années 2000 que l’islam radical et sa Charia n’étaient pas conformes à ces valeurs et principes et que, donc, un parti islamisme turc dissous dans son pays n’était pas fondé à demander la protection de ces valeurs et principes et de la convention qui les consacre pour se plaindre de sa dissolution devant la Cour européenne (voir notre commentaire : http://www.marianne.net/agora-les-4-principales-questions-que-pose-islam-radical-notre-etat-droit-100249137.html).
Le contraire eût été un comble mais, néanmoins personne, ou presque, dans notre pays ne semble se souvenir de cette décision fondamentale. Quant à être capable d’en tirer des conséquences vis-à-vis de ceux qui professent l’islam radical et sa Charia….
J’ai le sentiment que Mezetulle complique allègrement l’exégèse de l’expression « radicalisation de la laïcité » ; celle-ci, à mon humble avis, ne renverrait-elle pas à la campagne du FN en faveur d’une laïcité utilisée comme une « arme » anti-islamiste ? Cela concerne en particulier l’obligation des fidèles à envahir l’espace public du fait de l’exiguïté des mosquées des zones urbaines. La perversité du FN a été d’utiliser un terme habituellement connoté de gauche pour se le réapproprier en lui donnant une tournure xénophobe et anti-musulmane ! En rappelant le danger de cette dérive EM prend acte des dégâts que le FN a réussi à opérer dans l’opinion publique !
En rappelant que la société n’est pas tenue d’être laïque , le Président évoque le fond du problème auquel la laïcité ne répond pas : au-delà de la nécessaire absence d’implication du religieux dans la sphère de l’Etat, la paix sociale ne peut être obtenue que si la référence au religieux ou au non-religieux s’entend comme une acceptation mutuelle respectable et non sujette à conflit !
C’est aujourd’hui dans le monde le grand défi qui bute sur les dogmatismes et qui aboutit à des phénomènes d’exclusion avec toutes les déclinaisons possibles ; que le Président de la République évoque cette problématique de la tolérance mutuelle des différents types de croyances et d’incroyances montrent qu’il a su dépasser une lecture de la laïcité un tant soit peu franchouillarde et réductrice !
J’aborde expressément l’instrumentalisation de la laïcité par l’extrême-droite au sujet de la deuxième dérive. Je l’ai fait à de nombreuses reprises, notamment dans mon livre Penser la laïcité. L’extrême droite prétend combattre l’islamisme, l’islam politique (ce qu’il faut faire, de même qu’il faut combattre n’importe quelle religion qui entend s’imposer comme loi civile, et symétriquement combattre toute religion civile), mais en réalité combat l’islam et s’en prend aux musulmans qu’elle confond tous avec des islamistes…
Ce n’est pas le président qui dit que « la société n’est pas tenue d’être laïque », c’est moi qui propose cette formulation à la fin du texte comme moins inexacte que celle qui lui a été attribuée. J’entends par là que le principe de laïcité ne s’applique pas à la société civile, je l’ai écrit maintes et maintes fois.
Dans l’exemple que vous donnez des prières de rue bloquant la voie publique, les fidèles ne sont nullement obligés d’envahir l’espace public (la rue) ; ils sont au contraire tenus de célébrer leur culte dans des lieux appropriés. Et pour les manifestations sur la voie publique, elles sont soumises à la réglementation ordinaire des manifestations, qu’elles soient ou non religieuses : il semble que ces prières massives ne respectaient pas cette réglementation qui concerne tout le monde. L’exemple de Clichy a amplement montré qu’il n’y avait là aucune nécessité de bloquer la circulation, mais qu’on avait affaire à une opération politique : il a suffi que l’alerte soit donnée de manière claire pour que tout rentre dans le droit commun et que les fidèles retrouvent un lieu de culte existant.
J’ai également exposé, depuis une dizaine d’années, dans de nombreux textes et dans deux livres, les différences entre régime de tolérance et régime de laïcité. La laïcité ouvre un espace de liberté beaucoup plus large que le régime de tolérance qui s’en tient à la fédération de communautés existantes, c’est donc plutôt le régime de tolérance qui est réducteur. Il me semble que convoquer quelques dignitaires religieux ce n’est pas spécialement faire une démonstration de tolérance : à se lancer dans des opérations énumératives prenant en compte des communautés constituées, on s’expose nécessairement à en oublier, et on néglige par définition tous ceux qui ne se reconnaissent en aucune religion ou communauté (et ils sont fort nombreux en France), tous ceux qui sont déliés. Que signifierait un Contrat social où le Promeneur solitaire serait sinon impossible du moins considéré comme négligeable ? Sans oublier que « La République ne reconnaît aucun culte » – c’est précisément ce qui lui permet de les accueillir tous (y compris ceux qui n’existent pas encore !) au sein de la société civile et dans le cadre du droit commun.
J’ai également tenté de montrer que le concept de laïcité, contrairement à une tenace idée répandue, n’est pas philosophiquement réductible à une origine « franchouillarde ». Ce n’est pas ici le lieu – et ce serait un peu long – de récrire le chapitre 1 de mon Penser la laïcité auquel je me permets de vous renvoyer : ces questions y sont abordées en détail. Vous trouverez néanmoins quelques éléments dans cet article http://www.mezetulle.fr/femmes-et-laicite-la-question-de-lassignation/
Franchouillarde et réductrice, la laïcité à la française ? On aura tout entendu…
Mezetulle, qui est très aimable dans son expression, a raison, il faut d’urgence lire son bouquin, ou d’autres qui sont excellents.
Vous comprendrez alors peut-être que entre le communautarisme religieux à l’anglo-saxonne qui vous fait semble t-il rêver vu votre vision de ce que doit être le champ social, et les racistes du FN auquel le président ne pensait pas du tout, il y a des républicains sincères qui considèrent que la société n’est pas qu’un champ ouvert au libre jeu des ambitions des obscurantismes religieux, aussi divers qu’avariés.
Cette société se donne, en se dotant d’une République laïque, un objectif d’émancipation et de progrès humain pour les hommes et les femmes de cette planète, et pas de soumission à un hypothétique au-delà et à ses représentants autoproclamés sur terre !
Il me semblait que nous étions dans une discussion « aimable » d’échanges de points de vue, sur un fond de communauté de pensée ! Est-il nécessaire d’utiliser des accusations polémiques et blessantes ?
Franchouillard ne visait pas Mezetulle pour qui j’ai du respect de la considération mais le concept même de laïcité qui n’a jamais pu sortir des frontières de l’hexagone ! On peut avoir envie de se faire plaisir mais ne peut-on pas être réaliste et se poser la question du pourquoi ?
On peut en effet s’interroger sur l’aspect péremptoire de plusieurs commentaires. Certaines affirmations ne sont que l’expression de convictions alors que les propos de Catherine Kintzler interrogent , argumentent…Je reviens notamment sur l’interprétation de Francis Braize de la décision du C.C. de février 2013 qui me renvoie à un B.A BA politique et juridique et par là à mon ignorance. Désolé, mais le C.C. par sa décision ne se limite pas à » ranger au niveau constitutionnel certains des principes de la loi de 1905… » En écrivant que la laïcité figure au nombre des droits et libertés que la constitution garantit, le C.C.prolonge un principe d’organisation de l’Etat par une liberté et un droit . Chacun est désormais en droit d’exiger de l’Etat ou des collectivités le respect du principe de laïcité notamment par une une QPC et c’est bien nouveau. Jusqu’où la laïcité en tant que droit est-elle invocable? Cette possibilité se comprend d’ailleurs au regard de l’article 10 de la Déclaration de 1789. Je prends un exemple tiré de l’actualité. Face à une collectivité qui impose le porc dans une restauration scolaire organisée par une commune ou une association, les parents n’ont-ils pas la possibilité d’invoquer le non respect du principe de laïcité ? Je rappelle qu’à cette question la réponse ne peut s’appuyer sur le caractère non obligatoire de la restauration scolaire ( c. f. l’arrêt concernant Besançon)
Une remarque, le Président de la République n’a pas évoqué « la radicalisation de la laïcité » dans son discours quant à » la société civile qui n’est pas laïque » je n’ai pas trouvé non plus. Cela dit les propos rapportés méritent ces échanges et merci à Catherine KINTZLER de les avoir abordés et éclairés.
Désolé mais l’apport essentiel de la décision du CC de février 2013 est bien de ranger certains des principes de la loi de 1905 au niveau constitutionnel ce qui interdit au législateur maintenant d’y toucher. Seul le pouvoir constituant pourrait a priori le faire.
C’est une vraie novation.
Tandis que le rappel de ce que la constitution garantit, telle la laïcité à la fois liberté et droit, ne présent aucun caractère novateur.
En réponse à BRAIZE François. Certes, le Conseil Constitutionnel par sa décision du 21 février 2013 constitutionnalise certains aspects de l’article 2 de la loi de 1905 « Une pierre dans le jardin du Conseil d’Etat » pour reprendre la formulation de Charles ARAMBOUROU et c’est une avancée. Mais dire que la définition de la laïcité en tant que droit et liberté que la Constitution garantit ne présente aucun caractère novateur restreint la portée de la décision du C.C. . Il est curieux de ne pas admettre que le C.C. définit par sa décision, la laïcité en tant que principe invocable à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur demande d’un justiciable. Je vais m’appuyer sur quelques juristes pour étayer le propos. « le conseil peut décider que …tel ou tel principe n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit , cela signifie qu’une question prioritaire de constitutionnalité qui invoque une violation de ces règles sera déclarée irrecevable. Tel n’est pas le cas de la laïcité de la République consacrée par l’article 1err de la Constitution, et il faut s’en réjouir » « Gwénaële Calvès professeur de droit public (c.f. EGALE du 28/02/2013) Le Professeur Pierre-Henri PRELOT « Désormais , ce principe d’organisation est prolongé par une liberté et plus précisément un droit subjectif de rang constitutionnel, dont il incombe aux pouvoirs publics d’aménager la garantie » (c.f. Revue du Droit Local N°71 juin 2014) La portée de la laïcité comme droit que la Constitution garantit relève bien entendu de la jurisprudence. Je reprends l’exemple d’actualité des restaurations scolaires et des menus avec porc sans aucune substitution. Il serait intéressant de voir quelle serait la décision de la juridiction administrative sur ce manquement au principe de laïcité. Pour ma part, c’est un manquement.
Discussion très intéressante.
Je ne conteste pas le contenu du principe de laïcité en termes de liberté et de droits que vous soulignez à juste titre comme fondamental, et encore moins ne le regrette ou le critique, je dis simplement qu’il me semble que ce point n’est pas une novation due à la décision du CC de février 2013. Ce, notamment, depuis que notre Constitution garantit la laïcité de notre République.
Cette garantie donnée par l’article 1er de notre Constitution n’est pas qu’une affirmation théorique, ou un simple principe organisationnel, mais comporte un contenu en termes de liberté et de droits (mais aussi de devoirs) qu’il appartient au législateur de traduire, à l’Etat de faire appliquer et aux juges au besoin de faire respecter.
S’agissant des menus obligatoires avec porc, ils sont plus que contraires à l’idée même de laïcité, ils sont subrepticement mais certainement discriminatoires et pénalement peut-être même répréhensibles.
Quant aux QPC ouvertes aux simples citoyens pour critiquer, à l’occasion d’un litige contentieux, devant le Conseil constitutionnel une loi déjà adoptée, je les crois possibles sans même la décision du CC de février 2013 du seul fait du caractère laïque de notre République posé par notre Constitution. Bref, le conseil constitutionnel n’a eu, pour moi, en l’espèce, qu’un rôle déclaratif et non pas créateur du contenu de notre droit constitutionnel.
« Franchouillarde et réductrice » une certaine laïcité à la française (c’est à dire un peu plus indifférente que E. Macron vis-à-vis des cultes), c’est bien vous qui écrivez cela pour conclure votre commentaire. Je ne vois pas, dans un tel propos, un aimable échange de points de vue…
Merci pour votre réactivité !
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Ping : République, société, laïcité... il y aurait une intruse ? (par F. Braize, J. Petrilli et B. Bertrand) - Mezetulle
Billet paru dans Ouest-France
Selon les représentants des cultes religieux récemment reçus à l’Élysée, le chef de l’État leur aurait fait part de sa « vigilance » face au risque d’une « radicalisation de la laïcité », ajoutant que, si la République était laïque, la société ne l’était pas.
Le terme de radicalisation est, depuis quelques années, familier et désigne particulièrement un islam intégriste et extrémiste alimentant la violence terroriste. Retour à de prétendues racines et à un fantasme de pureté, ce fondamentalisme est un mélange de fanatisme et de superstition.
Dans son Traité théologico-politique, Spinoza mettait déjà en garde contre la soumission à « ce qui n’est que la lettre et l’image de la parole divine ». Cette soumission qui abolit toute liberté du jugement, « ce n’est point là de la piété, c’est de la démence pure ».
Y aurait-il donc un danger de radicalisation en ce qui touche la laïcité ? Ce propos met sur un même plan des croyances religieuses et la laïcité, confusion regrettable puisque la laïcité n’est pas une croyance parmi d’autres mais un principe. C’est un principe républicain inscrit dans la Constitution parce qu’inséparable de la liberté et de l’égalité. Sous le titre Principes, la loi de 1905 dite de séparation des Églises et de l’État énonce, dans son article 1er, que « la République assure la liberté de conscience ».
La liberté de conscience est, d’abord, un droit à ne pas confondre avec la seule liberté religieuse, le droit d’avoir ou pas une croyance religieuse. Mais une conscience vraiment libre est une conscience qui parvient à s’émanciper des contraintes, des préjugés et de l’obéissance craintive aux traditions.
Laïcité « ouverte » et la laïcité républicaine
C’est pour cela que le principe de laïcité exprime l’idéal des Lumières, idéal politique de citoyens égaux et éclairés et idéal humaniste d’individus exerçant librement leur faculté critique.
Parler de radicalisation de la laïcité, c’est opposer à la laïcité républicaine des Lumières, accusée d’être intolérante, une laïcité dite ouverte ou apaisée. Cette dernière conduirait à des accommodements prenant en compte les différences culturelles, notamment religieuses.
C’est le sens de la distinction entre une République laïque et une société qui ne le serait pas. En effet, dire que la société n’est pas laïque, c’est la penser non en termes d’individus mais en termes de communautés, c’est faire de la croyance non une affaire privée, de conscience, mais un phénomène public. Cela conduit à faire de l’État une sorte d’arbitre assurant la coexistence de communautés, un gestionnaire du pluralisme religieux.
Cette laïcité « ouverte » est contraire aux principes de la laïcité républicaine : la République ne reconnaît aucun culte et renvoie donc les croyances à la liberté individuelle, la République ne reconnaît pas des communautés mais des individus libres et égaux en droits.
Si la loi interdit le port de signes religieux « ostensibles » à l’école, ce n’est pas pour brimer ou humilier des élèves mais, au contraire, par respect de leur liberté et de leur dignité. En effet, l’école républicaine n’accueille pas des musulmans, des chrétiens ni des juifs, elle n’accueille pas des communautés religieuses, ethniques ou raciales mais des individus qui viennent s’instruire. C’est là un principe d’égalité dans l’accès au savoir et à l’autonomie du jugement.
Si vigilance nous devons avoir aujourd’hui, c’est à l’égard de ce qui, en s’en prenant à la laïcité républicaine, menace notre liberté.
Yvan Droumaguet, philosophe et essayiste.
Je vous soumets ma contribution à cet échange passionnant :
M. Braize vous écrivez : « Donc, nous avons une République laïque parce que notre société, notre corps social, l’est aussi et que c’est son choix même si l’Etat et les personnes privées ne sont pas soumis au même degré d’exigence laïque ! ».Je pense ce n’est pas une question de degré mais de nature : la laïcité est un principe qui s’applique – par principe – à la seule puissance publique. Dans l’espace civile public l’expression des convictions religieuse n’est pas interdite par principe mais limitée par l’ordre public selon précisément le degré de la violence que cette expression religieuse revêt : y est interdit la menace, le harcèlement (cela vaut aussi pour les personnes professant l’athéisme).
Mme Kintzler vous émettez l’hypothèse que le Président a voulu prévenir la dérive qui consiste à vouloir étendre le principe de laïcité à la société civile (autrement dit refuser la religion là où elle peut être). Il s’agit peut-être au contraire de préparer les esprits à l’un de ces accommodements qui visent à faire accepter la religion là où elle ne doit pas être. Dans un article titré « Emmanuel Macron, laïc et en même temps religieux », le journal « Le Progrès » du vendredi 5 janvier 2018 rapporte ses propos en ces termes : « Je ne souhaite pas qu’une religion d’Etat soit substituée aux religions. » La laïcité ne peut être « une sorte de foi républicaine forgée par des valeurs, des traditions érigées à leur tour en croyance universelle sur le modèle lointain du culte de l’Etre suprême des Jacobins ».
De toute évidence la position du président doit être clarifiée. Deux sujets pourraient lui permettre de préciser sa pensée :
– Quelle doit être selon lui la position de la République au sujet des accompagnant(e)s de sorties scolaires ?
Estime t-il que ces personnes doivent être assimilées à des usagers de service public qui « ne personnifient qu’eux-mêmes » ? (Étude adoptée par l’assemblée du Conseil d’État le 19 décembre 2013 paragraphe 3.2.1, page 30). Répondre par l’affirmative c’est considérer que leur présence est sans aucun lien avec les enfants, ce qui revient à leur dénier leur qualité d’intervenant(e)s au service de l’école, donc dans un but d’intérêt général. Dans cette étude, le Conseil d’État relève qu’un tribunal administratif, en 2011, « s’est appuyé sur la notion de participation au service public auquel s’appliquerait le principe de laïcité, pour en déduire que les parents d’élèves, volontaires pour accompagner les sorties scolaires, ne peuvent, dès lors qu’ils participent dans ce cadre, au service public, manifester à cette occasion, par leur tenue ou leurs propos, leur convictions. Ce jugement n’a fait l’objet d’aucun recours » (renvoi 89, paragraphe 3.2.2, page 31)
Je considère pour ma part que le principe doit être que les accompagnant(e)s des sorties scolaires sont soumis(e)s à la neutralité religieuse et, conséquence pratique, le refus de la présence à ces sorties scolaires des parents qui portent des signes religieux doit être la règle.
– Quelle doit être selon lui la position de la République au sujet de l’installation des crèches dans les bâtiments sièges de services publics ?
Dans son article « L’affaire des crèches de noël devant le conseil d’Etat – rendre à César ce qui est à César » publié dans l’A.J.D.A n° 48 du 5 décembre 2016, Nicolas Chifflot pose très clairement le problème : « Qu’est-ce-donc, ontologiquement, qu’une crèche ? Un symbole religieux ou un simple objet culturel ? Il répond qu’ « on ne peut guère lui faire perdre sa signification première, ce à quoi tout ramène ».
Personnellement je pense que la crèche est les deux à la fois – symbole chrétien et tradition populaire – sans qu’il y ait de hiérarchie : comme symbole culturel ou religieux la crèche a toute sa place dans l’espace civil public ; comme symbole religieux elle n’a pas – par principe et non sous condition comme l’a jugé le Conseil d’Etat le 9 novembre 2016 – sa place dans un service public.
Mes positions sur ces deux sujets expriment-elles selon lui « une sorte de foi républicaine » qu’il dénonce ? Manifestent-elles cette « radicalisation de la laïcité » dont il a parlé ?
L’article du Progrès rapporte l’engagement du président d’associer les représentants des religions à la préparation des lois de bioéthique car « il est impensable de penser trouver le bien commun de notre société sans les prendre pleinement en considération ». Que le Président n’oublie pas de prendre en considération les athées et les agnostiques car « Le respect de la liberté de conscience négative (le droit de ne pas croire) » vaut bien, en effet, celui de la « liberté de conscience positive (le droit de croire librement).» (Michel Onfray – traité d’athéologie)
L’enjeu est d’éviter les pièges de la récupération politicienne dont la laïcité fait trop souvent l’objet : celle de droite qui en fait l’avatar de la revendication identitaire en courant derrière le FN ; celle de gauche qui en fait l’avatar du communautarisme en confondant le droit à la différence avec la différence des droits,
L’hebdomadaire « Marianne » identifie dans son numéro 1086 du 5 au 11 janvier 2018 une « laïcité républicaine » et une « laïcité libérale » qui « cohabitent au sein du gouvernement Philippe. »
De quelle laïcité relèvent mes positions ? Ce clivage n’est-il pas artificiel, qui prend la laïcité au piège d’un faux débat entre une laïcité « apaisée » et une laïcité « combative » ?
Merci pour ces précisions et pour ces questions… qu’on peut partager !
Juste un point. Vous écrivez :
« Mme Kintzler vous émettez l’hypothèse que le Président a voulu prévenir la dérive qui consiste à vouloir étendre le principe de laïcité à la société civile (autrement dit refuser la religion là où elle peut être). Il s’agit peut-être au contraire de préparer les esprits à l’un de ces accommodements qui visent à faire accepter la religion là où elle ne doit pas être. » Oui j’émets cette hypothèse, mais il ne vous aura pas échappé que je n’y crois pas tellement et que mon texte fait en sorte que l’autre hypothèse (celle d’une préparation aux accommodements) ne soit pas exclue …. !
Je ne peux qu’inviter pour ma part M Laribaine, qui m’interpelle aimablement, à lire notre article publié par Mezetulle après celui qu’il commente et qui lui expliquera pourquoi la société qui se donne une République laïque ne peut être a-laïque, i-laïque ou que sais-je d’autre, bref hors sol par rapport à la laïcité.
Il est trop facile de soutenir gratuitement et sans argument qu’il n’y a pas de degré différents d’exigence laïque mais une question de nature et de principe, alors que tout notre réel est empli de degrés d’exigence laïque bien gradués selon les cas et les situations dans l’emprise même de la société civile. Cela lui aurait-il échappé ? Mais pour, avec M Macron, pouvoir soutenir que la société civile n’est pas laïque il est commode de soutenir qu’il n’y a pas de degré et que c’est une question de nature et de principe. Personnes publiques = laïcité/ société civile = champ clos des appétits économiques et des confessions. CQFD !
Je n’ai pas dit que la société n’était pas laïque,
Je m’appuie du point de vue politique sur la distinction qui me semble fondamentale entre le champ de la puissance publique – où la neutralité laïque doit être une obligation de principe – et l’espace public civil où la conviction laïque ne peut pas être y imposée en tant que telle par la loi. Confondre les deux aboutit à la confusion comme on l’a vu au sujet du burkini sur les plages. Cette confusion manipule la laïcité.
Jacqueline Gautherin dans un article « Quand la frontière est bien tracée, et qu’il n’y a pas de terrain en litige entre les deux domaines, personne n’est tenté de la franchir ! – Jules Ferry » http://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2005-2-page-137.htm,
explique que « le modèle républicain ne sépare pas, comme on le prétends souvent, un espace public et un espace privé, […].La loi de 1905 distingue deux formes de l’esp ace public ». La première est « propre à la société politique » (articles 2 et 28 de la loi de 1905) ; la seconde concerne la société civile définie comme les « lieux et dispositifs ni privés ni privatifs qui sont ouverts à tous sans être commun à tous ». Je trouve cette dernière distinction très pertinente car elle trace une frontière de principe. Mais cette frontière n’est pas ce qui sépare. Elle Poursuit : « En revanche, la constitution de l’espace public républicain implique le rejet hors de ses frontières des particularités et des intérêts individuels ou communautaires, conçus comme des ferments de division, et suppose que les citoyens se réfèrent normativement à l’intérêt commun pour former une communauté nationale, une communauté des citoyens. »
Ce citoyen est selon moi « le sujet individu » que Cynthia Fleury définit dans un interview donné dans le journal Télérama n° 3424 du 26 août 2015 au sujet de son livre « Les irremplaçables ». Elle se demande « comment protéger la démocratie », comment assurer « la durabilité démocratique » face aux intégrismes et aux populismes. Elle distingue l’individualisme et l’individuation. : « Le sujet individualiste est passionné par lui-même, autocentré, replié, grisé par l’ivresse de soi, alors que le sujet individué met en place un regard sur le mode extérieur, dépolie et assure un socle, une assise qui lui permet d’entrer en relation avec ce qui l’entoure ». Elle condamne le néolibéralisme qui « ces dernières années a défiguré l’Etat de droit et désingularisé les sujets » alors que « seul un sujet bien individué se soucie de protéger l’Etat de droit ».
Je pense que le libéralisme en affaiblissant la puissance publique prive l’Etat du droit nécessaire à la sauvegarde de la laïcité.
L’individualisme, ferment du communautarisme. L’individuation, énergie de la laïcité
Là on va pouvoir être d’accord
Car ce n’est pas parce que, pour moi, la société qui se donne une République laïque EST laïque qu’elle doit appliquer dans le champ civil les règles qui s’appliquent aux seules personnes publiques et nous l’avons dit très clairement dans notre article que Mezetulle vient aimablement de publier.
En échangeant, les points de vue peuvent se rapprocher, mais même si ce n’est pas le cas, ce n’est pas très grave. Le principal est l’échange voire même la confrontation de points de vue antagonistes.
Lorsqu’on examine l’exercice de la liberté de conscience dans les différents pays du Monde, on voit bien que les Etats ont d’énormes difficultés à remplir leurs rôles d’arbitre et de protecteur des libertés individuelles ! Qu’apporterait l’ajout de nouvelles lois ?
La laïcité telle que la loi de 1905 l’a conçue a été un progrès indéniable pour notre pays mais le rôle de l’évolution des mœurs et celui des médias ont également contribué à nous préserver de l’influence perverse des religions. C’est peut-être ce qui explique que les pays occidentaux « non laïques » offrent la même liberté de conscience à leurs citoyens que la notre.
Malgré tout, le fait religieux reste très important car il a su s’adapter et prendre parfois un visage moins agressif ; dans certains pays les religions ne sont pas vécues comme des pouvoirs castrateurs mais comme des défenseurs de la liberté d’opinion.
Il me semble que la problématique de la laïcité est aujourd’hui dépassée , d’une part parce que les Etats ne sont plus en capacité à intervenir dans le quotidien (et aussi parce que l’interventionnisme de l’Etat est souvent source d’effet rebond) et d’autre part parce que la vraie question réside dans la capacité des religions à accepter le non-religieux !
Si la religion catholique apparaît comme plus tolérante , d’autres continuent d’exercer un véritable absolutisme ; c’est particulièrement vrai pour certains courants de l’islam, la religion orthodoxe, l’hindouisme et aussi pour la religion juive : leurs extrémistes mènent une lutte sans merci contre les incroyants ; en Occident l’écho en est bien faible ! Quelle différence de traitement entre des querelles sémantiques sur la laïcité et une réalité violente et destructrice ?
L’espoir me paraît plus se trouver dans les attitudes d’intellectuels courageux (comme ce fut le cas pour Salman Rushdie), le traitement des médias pour les mouvements d’opinions et l’ouverture d’esprit de la jeunesse ! Sans oublier l’amélioration des conditions de vie des peuples qui joue un rôle considérable !
Il me semble clair que sans forces laïques au sein d’une société, des lois laïques seraient vides et c’est bien l’un des points soulevés dans l’article ci-dessus. On peut même penser qu’elles n’existeraient pas. Mais on ne peut pas en conclure que ces seules forces sociales suffisent par elles-mêmes à assurer l’égalité de traitement entre tous les individus, et notamment la protection de tous ceux qui souhaitent échapper à l’emprise d’une communauté uniformisante (car les communautés sont bien des forces sociales).
J’ajouterai, en rejoignant partiellement la fin de votre com, que sans volet social, une législation laïque n’aurait qu’un effet limité. C’est ce qu’on voit aujourd’hui en l’absence d’une politique cohérente et homogène de présence de services publics de qualité (je devrais même dire : devant la destruction systématique de l’homogénéité et de la qualité des services publics…) ce sont les « associations » prosélytes communautaires qui ont le champ libre pour occuper l’espace abandonné (soutien scolaire, aide médicale, entraide sociale)… par la République. Et c’est là encore que je pointe mon désaccord ! Car cette politique de maillage du territoire, initiée par la Révolution française, est d’abord une politique d’Etat. On ne peut pas s’en remettre entièrement à la bonne volonté de la société civile pour assurer l’égalité en droits de tous, partout sur le territoire national : des pans entiers de celui-ci seraient abandonnés, et d’autres livrés à des appétits particuliers. J’ai particulièrement étudié ce point dans mon livre sur Condorcet en soulevant la question de savoir pourquoi l’instruction doit relever d’une politique organique. S’agissant des dispositifs laïques, l’argument vaut a fortiori – car l’instruction, si elle relève d’une politique d’Etat, ne doit pas fonctionner en monopole, alors que les lois laïques s’imposent à tous, et elles ont partout le même effet libérateur. En leur absence, ce sont des portions non négligeables de la population qui seraient livrées aux communautés – comme c’est le cas dans bien des pays à régime de tolérance. Et là où elles ne s’appliquent pas, contrairement à ce que vous dites, la liberté de conscience n’est pas pleinement assurée, c’est par exemple le cas en Alsace-Moselle où seuls certains cultes sont reconnus à l’exclusion d’autres, où l’Etat a droit de regard sur l’organisation interne des religions.
Vous semblez considérer que la législation laïque se borne à la loi de 1905, or les dispositifs législatifs laïques sont beaucoup plus nombreux et étendus – mariage civil, cimetières, lois scolaires, primauté du droit individuel, indépendance de la recherche, droit unilatéral à la contraception, droit à l’IVG, droit à l’administration propre de leurs biens pour les femmes mariées… Comme je l’écris dans mon dernier livre Penser la laïcité, la laïcité a eu plus d’effets libérateurs que n’importe quelle religion en position d’efficacité politique.
L’affaiblissement de ces dispositifs ou leur retrait aurait nécessairement des effets de restriction de liberté, en laissant les forces religieuses s’emparer à nouveau des domaines dont la législation laïque les a exclues, et y imposer leurs normes comme lois. Elles ne s’en privent pas dès qu’une brèche semble s’ouvrir et qu’on baisse la garde : je pense à l’exemple de la recherche sur les cellules-souche, autorisée par une loi de 2004 et abandonnée sur pression de l’Eglise catholique en 2011, contrairement aux recommandations du rapport Lengagne de 2007 voir l’article de Guy Lengagne http://www.laicite-republique.org/le-combat-des-biologistes.html .
Avancer que dans les États de droit où la législation laïque ne s’applique pas (modèle de la « toleration » anglo-saxonne) la liberté de conscience est assurée aussi bien qu’en France me semble inexact. Il serait trop facile de rappeler que dans certains de ces États, le communautarisme comme système d’organisation politique a pignon sur rue (exemple des tribunaux religieux au Royaume-Uni, voir le rapport Casey ; exemple du Canada) : l’appartenance collective a droit de regard sur la liberté individuelle, ou du moins elle peut être mise légalement en concurrence avec elle. Il serait trop facile de rappeler que aux USA le moment religieux est officialisé, et que dans un nombre non négligeable d’États des USA les athées sont discriminés pour l’accès à une fonction publique et même pour témoigner à un procès. Mais je préfère, pour proposer une vue plus large, vous renvoyer au rapport annuel Freedom Of Thought qui dresse un bilan de l’état de la liberté de pensée et de conscience, État par État : on en apprend de belles ! Téléchargeable ici: http://freethoughtreport.com/
Je souscris à votre approbation des intellectuels courageux que vous citez : mais ils sont tout de même mieux entendus et protégés dans une législation laïque (qu’il s’agit en l’occurrence d’appliquer sans faire d’état d’âme)… Voir sur ce point les travaux de Jeanne Favret-Saada notamment sur l’affaire des caricatures.
La capacité des religions à accepter le non-religieux ? On peut remarquer que cette capacité, quand elle existe, leur a toujours été imposée de l’extérieur.
Les régimes de tolérance qui pouvaient installer un « consensus » en jouant sur le pluralisme religieux et en psychologisant le phénomène religieux comme le fait Locke ont réussi à faire coexister les religions les unes avec les autres, mais beaucoup moins à faire accepter le non-religieux comme modalité légitime de l’existence humaine.
En revanche le régime de laïcité a dû affronter une religion hégémonique et lui imposer le respect : l’expérience historique des Français montre sur ce point un certain savoir-faire, oui nous avons su tenir en respect et exclure de l’autorité publique une religion hégémonique en installant un « moment zéro » en deçà de tout lien de type religieux. Un régime de laïcité disjoint entièrement le moment politique de toute modélisation religieuse : cette expérience et cette pensée sont exemplaires – j’ai tenté d’en rendre compte sur le plan philosophique dans mon Penser la laïcité. Est-ce au moment où un autre courant religieux particulièrement violent affirme clairement sa volonté hégémonique qu’il faut renoncer à ce savoir-faire et à cette pensée du politique ? Sacrifier la laïcité sur l’autel du terrorisme théologico-politique serait choisir à la fois la défaite et le déshonneur http://www.mezetulle.fr/concordat-avec-islam-deshonneur/ .
Admirable « leçon » que celle-là qui fait du bien et je me permets d’en profiter autant que son destinataire, car tout y est.
Pas une virgule pour ma part à y changer.
Nier tout cela est en fait nier la République ou ne pas l’avoir comprise, au risque de faire le jeu des communautarismes et des nouveaux candidats à l’hégémonie…
Encore mille mercis à Mezetulle !
Merci pour votre commentaire !
Quand vous écrivez :
« Il me semble clair que sans forces laïques au sein d’une société, des lois laïques seraient vides et c’est bien l’un des points soulevés dans l’article ci-dessus. On peut même penser qu’elles n’existeraient pas. Mais on ne peut pas en conclure que ces seules forces sociales suffisent par elles-mêmes à assurer l’égalité de traitement entre tous les individus, et notamment la protection de tous ceux qui souhaitent échapper à l’emprise d’une communauté uniformisante (car les communautés sont bien des forces sociales). »
Vous quittez votre rôle d’analyste pour reprendre votre posture de militante ! Peut-être avez-vous raison mais comment interpréter un fait historique survenu dans un contexte particulier avec des interventions plurielles ? L’évolution des autres sociétés occidentales s’est faite sans les « forces laïques » à la française et le résultat est tout à fait comparable !
Dans notre pays, les « forces laïques » apparaissent sectaires, dogmatiques et procédurières alors qu’une autre approche de la laïcité pourrait la valoriser sur un mode plus altruiste, plus « amour » !
C’est ce paradoxe qui est terrible ! J’avais pensé que l’originalité de votre place dans ces courants aurait pu être « d’élever le débat » et de changer le vocabulaire guerrier du « combat » laïque mais je vois bien que vous êtes vous-même prisonnière de cette dialectique qui plaît aux militants !
Ainsi va la vie … Bonne route !
– Quand j’ai écrit « Il me semble clair que sans forces laïques au sein d’une société, des lois laïques seraient vides… » je pensais que vous comprendriez que j’allais sur ce point dans le sens de ce que vous aviez évoqué plus haut. Vous ne l’avez pas compris. Un contresens ne peut pas être une objection.
– Quand vous réitérez que « le résultat est tout à fait comparable » dans les autres sociétés occidentales, vous montrez que vous n’avez tenu aucun compte des exemples et de la référence que j’ai donnés dans ma précédente réponse.
Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais il vaudrait mieux le dire ainsi…
La publication du commentaire auquel je réponds permettra aux lecteurs qui voudront bien se donner la peine de relire nos échanges ci-dessus de situer clairement – s’ils ne l’avaient pas déjà fait – la capacité à argumenter et à être attentif aux arguments d’autrui.
Merci pour votre excellente analyse qui permet de rendre le débat plus serein.
Cependant quand vous écrivez « La République est laïque, la société n’est pas tenue de l’être », ceci n’entraîne-t-il pas l’affirmation corrélée « La République est démocratique (ou sociale), la société n’est pas tenue de l’être »?
Aussi je préférerais infiniment mieux la phrase: « la République est laïque, la société est tenue à le reconnaitre ».
Par ailleurs, on réduit beaucoup trop la laïcité à n’être QUE la neutralité de l’État. Je rappelle que la première phrase du premier article de la loi de 1905 dit: « la République assure la liberté de conscience des citoyens ». De cette phrase, on tire quatre CONSÉQUENCES:
1. cette loi est donc la séparation de la conscience (incluant la spiritualité) d’avec les religions (mais n’interdit nullement aux religions de vouloir proposer leurs crédos.
2. La République ne reconnait aucune religion ou non-religion, elle les permet donc toutes.
2. La République et tous ses représentants et fonctionnaires sont totalement neutres. Elle considère donc chacun de façon égale.
3. La République assure l’éducation des jeunes avec un enseignement basé sur la connaissance, la raison, la sensibilité.
Ceci est un débat extrêmement intéressant et important car on touche au fond des choses.
En effet, on ne peut pas, en bonne logique, traiter les divers qualificatifs contenus dans la phrase de l’article 1er de notre constitution de manière totalement différente et dire que ce qui vaut pour son caractère laïque ne vaut pas pour son caractère démocratique, ou social, car le pouvoir constituant a placé les différents caractères de la République sur le même plan.
Cependant, le contenu juridique de ces divers caractères tel qu’il est fixé par nos lois n’est pas identique quant à leur caractère « obligatoire ». Par exemple, comment soutenir que si notre République est sociale, la société civile l’est tout autant ? Il suffit de regarder le comportement par exemple des sociétés commerciales.
La comparaison, qui en droit aussi n’est pas raison, a donc ses limites mais elle reste troublante car en effet, comme vous le relevez (et comme nous l’avons relevé dans notre propre article publié par Mezetulle, voir http://www.mezetulle.fr/republique-societe-laicite-il-y-aurait-une-intruse/) pourquoi, ontologiquement, traiter ces caractères constitutifs de l’essence de notre République, de manière radicalement opposée en en faisant de certains une obligation pour la société civile et pour d’autres, non ?
Pour sortir de cette difficulté il faut sans doute clarifier ce que l’on entend par « société civile ».
1° Si la « société civile » dont on parle est une collection d’éléments, personnes physiques ou morales, prises individuellement quant à leurs droits et obligations alors, en effet, les éléments constitutifs de cette société ne sont pas tenus d’être, individuellement ou dans leurs regroupements, laïques et c’est même la laïcité qui le leur garantit.
De ce seul point de vue, la phrase du président est une évidence tautologique, et celles de Mezetulle et la vôtre sont exactes.
2° Si, au contraire, on entend par « société civile » le corps social collectif que nous constituons alors la réalité est plus nuancée.
La phrase de notre Président est fausse car un corps social tel le nôtre qui se donne une République laïque (ce qu’il aurait pu ne pas faire et peut défaire demain) en faisant le choix de séparer le politique, qui est son apanage bien concret, du religieux, n’est pas, par définition, hors sol par rapport à son propre choix.
La phrase de notre hôte, l’amie Mezetulle, est exacte au sens où notre corps social est maître du jeu et il n’est « pas tenue» d’être laïque, ni dans chacun de ses membres, ni en tant que tout puisqu’il peut décider de revenir (comme pour tout le reste) par une nouvelle loi constitutionnelle sur son choix de la laïcité.
Vôtre phrase enfin, dans cette approche de la société civile comme corps social en tant que tout, me paraît inexacte puisque précisément ce corps social est libre, donc il n’est pas tenu, par définition puisqu’il peut le changer, « de reconnaître que la République est laïque ».
Pour le reste entièrement d’accord avec vous pour dire que la laïcité ne se réduit pas à une bienveillante neutralité de l’Etat vis-à-vis des cultes. On sait ce que cachent ceux qui professent cela.
Dans cet esprit, « impacter » délibérément la société quant aux conséquences sur elle-même de son propre choix de se doter d’une République laïque ne me paraît pas négligeable pour ne pas laisser la bride sur le cou à nos adversaires !
Madame Kintzler,
Ce qui me stupéfie toujours c’est la préférence qu’accordent les Présidents aux responsables des cultes. On discute entre hommes de la société, de la laïcité, dans l’entre-soi. On oublie les agnostiques, les athées et surtout les femmes….., Cette année pourtant les médias ont largement parlé des femmes…. ! Mais décidément non !
La laïcité est vitale pour les droits des femmes. Mais depuis toujours, dans ces rencontres de la République avec les responsables religieux elles sont absentes du débat, les hommes de foi décident pour elles… Les Présidents changent les habitudes restent ! C CRABERE
Vous avez grandement raison, la Femme et ses droits, c’est un angle de la critique de ces rencontres qui est toujours oublié…
Mais il est un autre angle qui est aussi perdu de vue quand il n’est pas tout bonnement réfuté : dans un régime républicains de cultes non reconnus (interdiction constitutionnelle de reconnaissance des cultes depuis la décision du Conseil constitutionnel de février 2013 qui a érigé le principe fixé par la loi de 1905 en principe de valeur constitutionnelle), il ne peut y avoir, sauf à piétiner la Constitution, de rencontres officialisées, institutionnalisées avec des représentants des cultes. Pourtant elles ont lieu et les présidents successifs s’en vantent avec leurs ministres de l’intérieur.
Que l’on ne nous dise pas que rencontrer les représentants des cultes, les consulter sur les sujets de société les plus divers, ce n’est pas une reconnaissance en tant que telle puisque, comme vous le relevez fort justement, seuls certains des cultes y sont présents, et en tant que tels, et que les agnostiques, les athées n’y sont pas alors que, situés sur le même « créneau », ils devraient avoir droit à la même considération/reconnaissance. J’ajouterai que tous les cultes n’y étant pas conviés, certains des cultes et pas d’autres sont ainsi « reconnus ». Ce qui ajoute la discrimination à la violation de la constitution.
Mais tout le monde s’en moque quand ce n’est pas dénié au nom bonhomme d’une nécessaire consultation et d’une écoute évidemment attentive.
Les cultes sont ainsi des lobbys et agissent comme tels sans que toutefois, le ciel est trop bon, on leur applique le régime de transparence résultant de la loi puisque cette dernière les en exclut (à l’instar des partis politiques et des syndicats ce qui en dit long de la reconnaissance dont les cultes bénéficient…).
Ainsi à la violation du principe constitutionnel, ce qui n’est pas bien, s’ajoute un catimini qui garantit une opacité bien confortable, ce qui est carrément très moche.
Pour l’instant ils ont la reconnaissance et l’opacité, le beurre et l’argent du beurre…
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