Démos et merveilles (par M.-A. Markowitz)

Le projet Démos, une imposture institutionnelle

À travers la lecture de l’ouvrage collectif Le Projet Démos. Genèse, acteurs, enjeux (sous la direction de Gilles Delebarre et Denis Laborde, Paris, Philharmonie de Paris, 2019), Marie-Ange Markowitz1 analyse les mensonges qui se cachent derrière les éléments de langage de cette publication. L’idée centrale de Démos consiste à placer les enfants directement en situation de musicien d’orchestre, sans leur faire subir les « désagréments » habituellement associés à l’apprentissage de la musique, et à leur permettre de se produire sur scène en un temps record. Cela grâce à des méthodes ludiques et aux vertus insoupçonnées du « collectif ». Un véritable miracle auquel les parents non avertis et surtout les décideurs administratifs et politiques ne resteront pas longtemps insensibles. Or, du miracle à la tromperie il n’y a qu’un pas…

Les éditions de la Philharmonie de Paris ont publié en 2019 un volume collectif sur la genèse, les acteurs et les enjeux du projet Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale)2. Si ce dispositif créé en 2010 se place dans le sillage des expériences dites alternatives d’éducation musicale menées à partir des années 1970 en Amérique latine – à commencer par « El Sistema », ce programme vénézuélien qui a un temps fait fureur dans le petit monde de la culture, de son administration ainsi que des médias –, il s’inspire plus directement de projets menés au cours des années 2000 dans les pays anglo-saxons où, sous l’effet de l’assèchement des ressources, des orchestres ont été sommés de mener une action de charité à coloration éducative pour justifier la poursuite de leur financement (notamment public). Enfin, il s’insère, au même titre que d’autres programmes concurrents (tel celui mené par l’association Orchestre à l’École), dans ce qui est pompeusement appelé « Éducation Artistique et Culturelle » (EAC)3.

L’idée centrale de Démos consiste à placer les enfants directement en situation de musicien d’orchestre, sans leur faire subir les « désagréments » habituellement associés à l’apprentissage de la musique (devoir travailler la technique instrumentale, apprendre à lire les notes, former son oreille, autant de moments synonymes d’effort et d’ennui…), et à leur permettre de se produire sur scène en un temps record et dans des lieux aussi prestigieux que la grande salle de la Philharmonie de Paris, le tout grâce à des méthodes ludiques et aux vertus insoupçonnées du collectif4. Autant le dire, il s’agit, plus que d’une gageure, d’un véritable miracle auquel les parents non avertis et surtout les décideurs administratifs et politiques ne resteront pas longtemps insensibles. Or, du miracle à la tromperie il n’y a qu’un pas…

Le présent article analyse, à travers la lecture minutieuse des textes du volume, les trois mensonges qui se cachent derrière les éléments de langage de ce publi-reportage : le mensonge pédagogique, le mensonge sociologique et le mensonge politique. Le mirage périmé de la pédagogie collective et innovante, de l’approche décentralisée, locale, territorialisée et partagée, du réalisme pragmatiste (le terrain !), et bien évidemment de la promotion du vivre-ensemble et de la démocratie, est plus que jamais mobilisé au service d’une imposture institutionnelle.

Le tableau n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Ce projet serait-il autre chose qu’un gigantesque fake doublé d’un gaspillage d’argent public ? Et si l’on destinait ces ressources économiques aux conservatoires et écoles de musique que les pouvoirs publics (et notamment l’État) maltraitent depuis de trop nombreuses années ?

1 – Le mensonge pédagogique

L’introduction de Laurent Bayle donne le ton de cet ouvrage fondé sur le pathos, la langue de bois et sur une fausse générosité qui se gargarise de « valeurs de partage » et de « société plurielle et unie ». Ces éléments de langage permettent de faire taire toute critique en la rabaissant au rang de « polémique stérile » (on ne discute pas avec des réactionnaires), de faire passer ce projet pédagogique pour une « audace politique », d’œuvrer à sa généralisation5 et surtout de cacher toute collusion avec le pouvoir politique6. Et de prendre, à peu de frais, la pose du Résistant au « repli identitaire » et au « rejet de l’altérité » qui menacent la démocratie (p. 16), voire d’instrumentaliser sans la moindre pudeur les attentats de 2015, sous-entendant que ceux qui osent s’opposer à ce modèle de pédagogie sont les complices des terroristes7 (p. 13, 16 et 17) !

Le mensonge pédagogique s’articule autour de quatre axes.

La superstition du cours collectif

La survalorisation du collectif est une supercherie pédagogique qui s’inscrit dans la logique managériale bien connue selon laquelle il faut faire mieux avec moins. À titre d’exemple, les arrangements des pièces de Rameau et de Beethoven proposés en annexe (p. 230-231, 233-235 et 240-243) montrent le peu d’exigence du dispositif et la faiblesse du résultat8 obtenu au bout de trois années d’« étude », malgré un important investissement financier. Un rendement assurément ridicule si on le rapporte au refus de rendre autonomes les élèves-musiciens.

En effet, ces élèves sont entièrement dépendants9 des musiciens professionnels et des élèves des conservatoires, à qui la vraie musique est confiée intégralement lors des concerts (p. 228 et 246), pendant que les enfants, dans une perspective ludique, s’adonnent notamment à de « l’expression corporelle » (p. 227). Cette aberration pédagogique suffit à démontrer que l’objectif principal du projet Démos repose sur une communication politicienne qui vise à remplacer le social par le sociétal10 pour mieux cacher l’exclusion de la France périphérique11, mais également sur un mensonge artistique qui consiste à faire croire que ces élèves pratiquent véritablement la musique. Le modèle de l’orchestre par projet se révèle ainsi être le règne de l’éphémère12, une animation socioculturelle collectiviste et usurpatrice d’un enseignement musical de qualité certes plus coûteux (étant donné qu’il implique nécessairement des cours d’instrument individuels, réguliers et de durée suffisante) mais accessible à tous.

La mensongère opposition entre effort et plaisir

Pour les « pédagogies innovantes »13, la fausse opposition entre effort et plaisir peut se décliner en théorie contre pratique, écrit contre oral, écriture contre improvisation, conservatisme contre modernisme14. Ce discours, sous des apparences très complexes, n’est qu’un catéchisme militant15 et marque une régression vers un apprentissage « implicite, par imitation, délivré par le collectif » (p. 117), autrement dit vers une pédagogie qui se fait la négation de la pédagogie. Véritable anti-pédagogie, par conséquent, dont les « publics » défavorisés, qu’on prétend aider avec tant de vœux pieux, sont les premières victimes16.

« Construire une pédagogie ensemble » (p. 33), transmettre la musique autrement (p. 31) afin que le classique ne soit plus perçu comme élitiste, « prouesse argumentative de Démos » ! (p. 162), revient en réalité à empêcher toute transmission, d’où l’impossibilité de donner une définition claire de ce projet, réduit à la subjectivité des ressentis et au sentiment de plaisir posé comme un a priori de l’apprentissage17. Or le plaisir n’est-il pas qu’un vain mot sans résultats ni progrès tangibles de l’élève ? L’artifice rhétorique de l’affectif permet ainsi d’évacuer toute exigence ; il sert aussi de cache-misère à l’imposture : au lieu de transmettre la musique, on se contente de vagues « émotions » musicales.

La focalisation sur l’affectif

Un enseignement fondé sur « le développement des capacités à l’empathie » (p. 39) relève de la régression infantile18. Ce type d’éducation musicale, en remplaçant la transmission des savoirs par « l’assertivité », le travail régulier par la découverte spontanée, en cherchant à mieux insérer l’enfant dans son milieu au lieu de lui donner les outils pour s’en émanciper, en l’adaptant aux modes au lieu de l’instruire pour ne pas y être soumis, empêche l’élève de s’élever. Or, par définition, quand il n’y a plus d’élévation il n’y a plus d’élèves, et réciproquement. Ainsi, vouloir « accorder à l’éducation du sens et du sentiment une importance égale à l’éducation de la pensée privilégiée par la tradition rationaliste française depuis les Lumières » (p. 80) relève d’un sophisme qui cherche à remplacer le cultivé par le culturel et à se rapprocher dangereusement des anti-Lumières. D’où la parole donnée aux « mamans »19  (p. 169) et la mise en valeur, sur le mode pathétique, de l’expérience de la maternité chez l’une des formatrices de Démos20. Il ne faut pas oublier que le pathos est le terreau du totalitarisme – fût-il mou – et que les véritables démocraties sont fondées sur la raison critique (et auto-critique) et non, comme ici, sur le sentiment et encore moins sur le sentimentalisme idéologique.

La transversalité

Vantée par les pédagogies innovantes, la transversalité est un gadget pédagogique par lequel on détruit les identités professionnelles, démantèle les statuts de la fonction publique (et donc le statut de professeur) et déconstruit les savoirs (et, en l’occurrence, par lequel on dénature le sens des mots « musique classique »). La transversalité est donc un véritable cheval de Troie. Aussi n’est-ce pas un hasard si les « référents » et les « encadrants » des ateliers Démos sont des contractuels précaires, recrutés par les municipalités « sans qu’un cadre soit clairement établi » (p. 178), et en fonction de critères subjectifs21. Ce n’est pas non plus un hasard si certains appellent de leurs vœux l’intégration de la « pédagogie Démos », baptisée pour l’occasion « esprit Démos », dans les conservatoires et les écoles de musique (p. 72) : cela permettrait de faire quelques économies de personnel tout en optimisant le taux d’encadrement des élèves. Ainsi, l’équipe pédagogique du projet « El Camino » de Pau ne comporte aucun musicien22 (p. 96, note 4), un comble ! La musique sert ainsi de décor prestigieux au mensonge sociologique.

2 – Le mensonge sociologique

La prétendue originalité du projet Démos consiste à s’adresser à des publics spécifiques : on suppose ainsi que les enfants issus de l’immigration – qu’on appelle pudiquement les enfants « des quartiers » ou « de la diversité » – ne sont pas capables de suivre un cursus d’enseignement artistique complet23. La relégation de la musique à un rôle de « support » social (p. 189), le remplacement de l’intérêt artistique par les fameuses socialisations24, la « fabrication des minorités »25, deviennent dès lors les principaux ingrédients du mensonge sociologique. Ce mensonge se révèle profondément antihumaniste en ce qu’il sert à camoufler le remplacement de la culture par le tout culturel et la macdonaldisation (« Venez comme vous êtes ») de la pensée et de l’art (p. 74). Le jargon, si grandiloquent qu’il en est vite comique26, d’une sociologie déconstructiviste et engagée27, tantôt prend la forme d’un socio-constructivisme recuit (p. 67 et 105), avec sa légendaire horizontalité pédagogique, tantôt revêt les oripeaux d’une « sociologie de l’innovation » [sic] (p. 78). Cette doxa sociologisante, pleine de contradictions, s’efforce de brouiller les pistes afin de rendre acceptable un héritage vénézuélien difficile à assumer28.

Vient ensuite, comme logiquement, la réduction relativiste de la musique classique à une culture parmi d’autres, celle des Occidentaux. Il s’agit, sous couvert de recherche anthropologique29, d’une variante du discours multiculturaliste et implicitement décolonial30. Ce relativisme sociologique prend sa source dans l’idéalisation naïve des « autres sociétés » et dans la confusion entre culture et folklore (p. 115-116). Il en résulte une assignation à résidence des « jeunes » qu’on laisse enchaînés à leur milieu culturel et à leurs origines (p. 68-69) – bien étonnant conservatisme de la part de progressistes auto-proclamés. Les élèves des banlieues seraient-ils des bons sauvages (ce que laisse supposer le ton condescendant des promoteurs du projet à leur égard31) ou, mieux, de la « graine de terroristes » à qui il est urgent d’administrer quelque produit calmant pour préserver le vivre-ensemble (et accessoirement, faire tourner l’économie) ? La situation culturelle de la France réclame-t-elle des solutions importées (de manière réelle ou fantasmée) d’Amérique latine, ou d’ailleurs ? La musique doit-elle servir de prétexte à l’instauration d’un nouvel angélisme multiculturel ? Le pouvoir a-t-il vocation à transformer les projets artistiques en dispositifs plus ou moins déguisés de contrôle social ?

3 – Le mensonge politique

La promotion acharnée de l’innovation pédagogique masque mal la mise en place d’un enseignement à plusieurs vitesses, loin de l’ambition démocratique affichée (p. 25 et 40). On confond alors action sociale républicaine et charité à l’anglo-saxonne issue de l’idéologie du care. Ce tour de passe-passe vise à remplacer le modèle républicain universaliste, ainsi que le suggère Martha Nussbaum dans son entretien32, par un multiculturalisme décomplexé et « inclusif » qui intègre les demi-concepts militants de « diversité » et de « droit à la différence »33, sans même se demander si ce modèle est accepté par la population. Ce qui pose un problème… démocratique.

Privilégier ce qui est récent en dénigrant tout ce qui s’apparente à une tradition, sacrifier le long terme à l’air du temps et sacraliser une bienveillance à « vocation sociétale » permet à l’État de se décharger de ses responsabilités au profit de la « société civile » (multinationales, financement participatif, fondations) dans le financement de l’enseignement musical34. Ainsi, la postface, qui présente un panorama des orchestres de jeunes dans le monde fondés sur « le modèle et contre-modèle “Sistema” » [sic] (p. 253-263), semble ignorer que certains des projets éducatifs recensés sont financés par des groupes qui trouvent là une occasion de s’acheter une bonne conscience, c’est notamment le cas des télévisions privées. Rien n’est dit sur le fait que parmi ces sponsors certains peuvent ne pas être très recommandables. Comment peut-on soutenir un tel « modèle et [en même temps !] contre-modèle » ? Comment peut-on sérieusement affirmer que « la réussite tient aussi au fait que ces jeunes se sentent pris au sérieux » (p. 70) ?

La phase Démos 3, lancée à partir de 2015, censée être caractérisée par l’accroissement de la part étatique de son financement (p. 14-15), correspond précisément au pire moment du désengagement du ministère de la Culture vis-à-vis des conservatoires… Or le réengagement partiel et conditionnel qui a récemment suivi a tout à voir avec le parasitage de ces institutions par ce type de dispositifs pédagogiques (les conservatoires sont désormais tenus de les intégrer sous peine d’être étranglés financièrement)35. Il s’agit, sous prétexte d’une « expérimentation » ayant vocation à « interroger les failles » [sic] (p. 38) des institutions traditionnelles, de changer progressivement l’ensemble du système !

Le pédagogisme est donc indissociable de la prolifération de la mauvaise graisse bureaucratique : les « formateurs de formateurs »36 censés bousculer le territoire (p. 94). L’action publique est ainsi vampirisée par des militants politiques prêts à tout pour avancer leur cause au détriment de l’intérêt public. Ici comme ailleurs, gauchisme culturel et macronisme techno-libéral sont consubstantiels, se mettent en marche main dans la main. D’où l’inscription du projet Démos dans une logique techno-libérale de « labellisation » (p. 80-82), nouveau gadget du néo-libéralisme, qui vise à remplacer le pouvoir central par une « gouvernance multi-acteurs » (p. 83) en temps de disette budgétaire.

S’arroger le monopole de la « démocratie », prétendre « objectiver les débats » (p. 13) en écartant volontairement les professeurs de musique dans leur ensemble ceux qui travaillent dans les conservatoires comme ceux de l’Éducation nationale – pour confier à des experts militants le soin de légitimer les décisions politiques, relève non seulement du dénigrement mais également de l’imposture. Ainsi, « l’après-Démos » (p. 245-248) peut être compris comme un formatage comportementaliste généralisé (p. 79) digne des régimes totalitaires où l’on soustrait les décisions au contrôle des citoyens.

Conclusion

Ni « passerelle » culturelle ni « structure sociale » ou artistique digne de ce nom, le projet Dém[ag]os n’est ni correctement défini ni précisément circonscrit dans l’espace et dans le temps. Il s’agit plutôt d’un programme idéologico-managérial qui navigue à vue, instrumentalisant les publics issus de la diversité, profitant de l’absence d’une vraie politique culturelle d’État (comme le reconnaît à demi-mot Laurent Bayle dans son introduction) et du désengagement de l’Éducation nationale qui devait en principe prendre en charge l’initiation musicale des élèves.

Mais il s’agit aussi de « montrer la voie » aux conservatoires. Cette voie est celle proposée par leur réforme37 en préparation, dûment doublée par le futur schéma d’orientation pédagogique qui se chargera de graver tout cela dans le marbre. En somme, on remplace l’instruction par la socialisation, la musique n’étant alors qu’un faire-valoir de l’« égalité des chances ».

Ainsi, la décentralisation, les démarches participatives, la co-construction pédagogique, les dispositifs collectivistes concurrents et les « orchestres à l’école » seront l’horizon indépassable des nouvelles orientations fixées en haut lieu. Ces dernières serviront de guide de bonnes pratiques à ceux qui voudront survivre dans le nouveau monde de l’enseignement musical. Elles fourniront enfin un décor Potemkine à une démarche pauvre et démagogique. Le volume collectif du projet Démos nous en donne une bien belle illustration.

Notes

1 Enseigne la clarinette en conservatoire. [NdE : il s’agit d’un pseudonyme].

2Le projet Démos. Genèse, acteurs, enjeux, sous la direction de Gilles Delebarre et Denis Laborde, Paris, Philharmonie de Paris, 2019.

3 – L’EAC se veut transversale (impliquant le ministère de l’Éducation nationale comme celui de la Culture), partenariale (c’est-à-dire financée en partie par des fonds privés) et bénéficie d’un lobbying important, dûment réuni au sein d’un Haut Conseil. Sa finalité est de fondre à terme les dispositifs d’apprentissage de la musique existants, tant dans le cadre de l’Éducation nationale que dans celui de l’enseignement spécialisé des conservatoires, dans un ensemble épars de parcours de sensibilisation supposés toucher chaque jeune de la maternelle à l’Université. On passe ainsi de la pérennité de l’institution aux vicissitudes de la logique par projet, de la cohérence d’une politique nationale à la fragmentation d’initiatives locales tendant vers le « coup de com » au service de l’édile en place, et du paradigme de la culture pour tous à celui de la culture pour chacun : https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2020-03/eac—feuille-de-route-2020-2021-51716.pdf?fbclid=IwAR2syMr-Ir7qCaw0fwrNvI0cohiXJ3_mWOH4JhRX-a5rFZ8kqrOxT6Vaegk

4 – Ce recours quasi rituel aux vertus du collectif est également courant dans le monde de l’entreprise : la coïncidence mérite d’être soulignée.

5 – « Envisagée sous cet angle [celui de l’innovation], la généralisation de ce modèle ne serait plus qu’une question d’audace politique » (p. 11) et, quelques pages plus loin : « Il n’est dès lors pas dans nos plans de généraliser l’expérience à l’intégralité des jeunes Français » (p. 16). L’avantage du double discours (et du « en même temps ») c’est qu’à tous les coups on gagne.

6 – « Démos a fait la démonstration de son efficience […] sous le regard approbateur des responsables politiques et des acteurs sociaux qui ont suivi son cheminement » (p. 11). Cette « efficience » est démentie à la p. 212 où il est dit que « le pourcentage de renouvellement des inscrits au cours de l’Année 2 » est seulement de… 6% ! Pour ce qui est de l’aspect politique, Patrick Toffin affirme qu’« il est nécessaire de négocier un équilibre entre le désir émanant des acteurs locaux et des principes pédagogiques » (p. 65), tout est dit ! Le « regard approbateur » des partenaires du projet ? Laurent Bayle écrit à la p. 16 : « Il m’a souvent été suggéré de diminuer la régularité des séances, d’alléger l’encadrement extra-musical, de laisser côtoyer des pédagogies moins encadrées et moins exigeantes pour les formateurs. » Enfin, dans une autre contribution (p. 99), l’asservissement au pouvoir local est défini comme « pouvoir de séduction auprès des acteurs locaux. »

7Cinq ans après les attentats, la crise du coronavirus offre à Laurent Bayle une nouvelle occasion de se présenter en héraut des valeurs de partage, de diversité et de dialogue des cultures, sans oublier le « respect de l’environnement ». Et de tonner comme il se doit contre « la mondialisation et la course éperdue vers le profit à court terme », celles-là mêmes qui lui permettent d’afficher une saison artistique hors norme où se retrouvent, à la grande joie du public de la Philharmonie, les plus grandes stars internationales. Lire : https://www.marianne.net/culture/laurent-bayle-president-de-la-philarmonie-comme-tous-les-citoyens-les-musiciens-sont-tres

8 – Une indigence, imputable au projet et non aux enfants, que l’on constatera notamment à travers cette vidéo, prise au hasard sur internet et généreusement fournie par le service com’ de la Philharmonie elle-même. Chacun verra que les enfants placés au premier plan, ni acteurs, ni spectateurs de ce qui se passe sur scène, sont littéralement dépassés par les événements : https://www.youtube.com/watch?v=EkrI1xYWa34

9 – Cet état de dépendance est appelé pour l’occasion « confiance » (p. 189).

10 – Néologisme contesté, notamment sur le plan linguistique, l’adjectif sociétal renvoie à l’ensemble des revendications – dans le domaine de la liberté des mœurs ou bien, plus largement, de nature culturelle, voire identitaire – observables depuis près d’un demi-siècle dans le contexte de la montée de l’individualisme dans les pays occidentaux, en opposition aux droits sociaux dont bénéficient (du moins, en principe) l’ensemble des citoyens d’une république.

11 – Les statistiques présentées en annexe 8 (p. 249) sont éloquentes : si quelques zones rurales ont été insérées dans un deuxième temps dans le projet Démos, celui-ci s’adresse en priorité aux publics des « zones d’éducation prioritaires » et relève clairement de la discrimination positive à l’américaine.

12 – « Dans notre structure, il est admis qu’on participe à un “projet”. Et l’instrument, la pratique instrumentale en est simplement le moyen » (p. 73).

14 – L’article de Gilles Delebarre (p. 31-35) donne un bel exemple de la fabrication de clivages artificiels : enseignement archaïque/élitiste/vertical/individuel/cérébral/écrit contre enseignement innovant/démocratique/coopératif/collectif/émotionnel/oral. Dans la même veine, voir l’entretien avec Alexandros Markeas (p. 125).

15 – Ainsi que le montre « l’enquête ethnographique » menée sous la direction de Denis Laborde dont les quatre contributions (p. 161-204) sont une caricature du sociologisme culturaliste au point qu’on croirait à un pastiche. Elles ont néanmoins le mérite de montrer parfaitement qu’il ne s’agit pas du tout d’enseignement musical, mais uniquement « d’apprendre ensemble » (p. 204). C’est également l’avis de Patrick Toffin qui, dans une magnifique novlangue, parle de « référentiel pédagogique complet », de « situation de questionnement », d’« approche par le faire », de « front éducatif » ou de « sensibilisation à l’orchestre par l’inscription dans l’espace » ! et finit par avouer que « l’enfant intègre l’orchestre pour jouer et non pour apprendre, ne nous leurrons pas ! » (p. 57).

16 – Durant les répétitions, remarque l’un des auteurs, lorsque les enfants « parlent de musique, les titres des œuvres et les noms des compositeurs n’apparaissent pas dans leurs discours » (p. 186). Ainsi, « après quatre années de participation aux ateliers Démos », telle élève « ne se souvient d’aucun titre parmi les œuvres qu’elle a jouées, mais elle sait ce qui est important : elle aimait bien retrouver chaque semaine les intervenantes et ses amies de l’atelier » (p. 188).

17 – Ainsi, cette définition rigoureuse de Gilles Delebarre (p. 32) : « J’ai ressenti pour la première fois qu’il se passait quelque chose de singulier dans le projet Démos en mesurant la charge émotionnelle suscitée par les interprétations musicales des enfants […]. Le “quelque chose se passe” est directement relié à cette question d’une humanité caractérisée par les émotions. Sur le plan pédagogique, nous pensons que le plaisir doit être au cœur des apprentissages. »

18 – Les enfants évoquent « la séance avec enthousiasme, en précisant qu’“en plus on peut rigoler” » (p. 192).

19 – En ce qui concerne l’utilisation compassionnelle des « mamans » dans un autre domaine, voir https://www.mezetulle.fr/laccompagnement-sorties-scolaires-il-confie-mamans/

20 – « Éloïse […] professeure de violon au conservatoire et musicienne d’orchestre, puise quant à elle dans son expérience de mère pour motiver ou regagner la concentration des enfants » (p. 177).

21 – « Coline constate elle-même qu’elle n’a pas été recrutée en raison de ses compétences dans le “travail social”, mais pour sa motivation. Elle nous confie qu’elle était sensible à ce poste car elle se sentait proche de ces enfants qui lui rappelaient sa propre enfance » (p. 178).

22 – Ce qui n’a pas empêché ladite équipe (et ses tutelles) de vouloir généraliser ses « pratiques » et de se montrer particulièrement intrusive quant au fonctionnement pédagogique du conservatoire de cette ville, au point d’y provoquer une révolution de palais. Cette affaire est symptomatique d’une politisation croissante de l’administration culturelle qui ne peut que nuire à la continuité et à la qualité de l’action publique. Lire : https://www.larepubliquedespyrenees.fr/2019/10/05/un-triumvirat-a-la-tete-du-conservatoire-depuis-le-depart-de-la-directrice,2610098.php

23Ce constat ne vaut pas moins pour les publics non défavorisés (les promoteurs du mensonge sociologique n’en sont pas à une contradiction près), si l’on en juge par les efforts constants que fait la ville de Paris pour massacrer son réseau de conservatoires municipaux d’arrondissement (lire notamment cette tribune de la pianiste et chef de chant Françoise Tillard : https://www.lalettredumusicien.fr/s/articles/6364_331_il-faut-sauver-le-niveau-des-conservatoires-parisiens?idarticle=6364). Cette fois, on n’invoque plus l’absence de capital (financier ou culturel) mais plutôt les « évolutions de la société » [sic], la place grandissante du numérique ou bien les nouveaux modes de consommation. À cette fin ont été créés récemment le dispositif « maître unique », vieille lune pédago consistant à supprimer le cours de formation musicale pour déléguer cet enseignement aux professeurs d’instrument, ou le cursus AMPIC (Apprentissage de la Musique par la Pratique Instrumentale Collective). Ce dernier propose d’apprendre à jouer d’un instrument au cours de séances collectives placées sous l’égide du « ludique », de « l’épanouissement », du « plaisir partagé », de la transversalité et du décloisonnement des disciplines. Cette pédagogie de groupe, en donnant aux enfants uniquement quelques notions techniques et rythmiques, sans jamais les approfondir, contribue au nivellement par le bas. Ces « filières expérimentales » poursuivent in fine les mêmes objectifs et produisent les mêmes effets que Démos : rentabiliser l’enseignement musical au détriment du cours individuel, faire plaisir aux parents et inoculer un collectivisme forcené aux conservatoires.

24 – À titre d’exemple, ces témoignages d’autant plus effrayants qu’ils sont décomplexés : « Les enfants emportent rarement les instruments chez eux. La grande majorité des instruments reste dans un placard […]. Dans leur grande majorité, les enfants ne semblent pas s’attacher à leur instrument, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’une pédagogie qui privilégie la pratique instrumentale sur les apprentissages théoriques. L’important semble se situer ailleurs, sur le terrain relationnel » (p. 189-190). « On semble se situer loin des “apprentissages théoriques” que, selon sa pédagogie privilégiant l’oralité, le dispositif Démos prend soin de faire passer au second plan : à Bonneuil, la lecture de notes plaît aux enfants et ne ressemble en rien à un exercice rébarbatif. Cet effacement des apprentissages théoriques a également pour objectif de ne pas effrayer les enfants » (p. 192).

25 – S’interrogeant sur les « brèches ouvertes par Démos », l’une des contributrices pointe « le risque d’alimenter un processus politique de “fabrication des minorités” […] renforçant les inégalités sociales » (p. 170-171). C’est exactement ce que fait Démos !

26 – Exemples entre mille : « effervescence protéiforme » (p. 148), « situations de liminarité, d’extraterritorialité et de coprésence » (p. 156-157) ou encore « séquentialisation des cours d’action et de l’identification des marqueurs de seuils » ! (p. 159).

27En s’en prenant à la neutralité axiologique wébérienne afin de justifier son militantisme (p. 151), l’un des auteurs semble ignorer que cette neutralité axiologique concerne uniquement les énoncés visant l’objet de la recherche et nullement l’intégralité des positions du chercheur. Mais tout engagement a un prix, comme en témoigne la médaille d’argent du CNRS récoltée en 2020 par l’auteur en question : https://www.ehess.fr/fr/prix-et-distinctions/gilles-havard-et-denis-laborde-m%C3%A9daill%C3%A9s-dargent-2020-cnrs

28 – Le projet Démos, comme tous les dispositifs de pédagogie musicale collective à vocation sociale, s’inspire du programme vénézuélien « El Sistema », fondé en 1975. Cette référence, compte tenu du contexte politique sud-américain, devient dès lors « inappropriée » (p. 154). On nous explique ensuite, par le biais de quelques contorsions intellectuelles, et afin d’écarter toute affinité avec le camp du mal, qu’« El Sistema » se tient en réalité « aux antipodes des pédagogies progressistes » (p. 155) et que son promoteur vedette, le chef d’orchestre Gustavo Dudamel, a « pris ses distances vis-à-vis du pouvoir à l’été 2017 » (p. 255). L’honneur est sauf. À la fin, le lecteur ne sait pas précisément si cet héritage, véritable caillou dans la chaussure des promoteurs du projet Démos, est assumé ou non. Mieux vaut sans doute cesser de poser la question…

29 – Ainsi, selon deux contributions qui mobilisent l’anthropologie au secours du multiculturalisme, musique classique est équivalent de musique française ou occidentale (p. 118 et 163-164).

30 – La pensée décoloniale, actuellement en voie d’institutionnalisation au sein de l’Université et de la recherche françaises (https://www.lexpress.fr/actualite/politique/les-bonimenteurs-du-postcolonial-business-en-quete-de-respectabilite-academique_2112541.html), consiste à considérer l’histoire et l’ensemble des rapports et phénomènes sociaux à travers le prisme exclusif de la domination de l’homme blanc et occidental. Une tendance extrême assumée par Alexandros Markeas (cité note 14) et récemment renforcée par la nomination de la dirigeante néo-féministe Émilie Delorme à la tête du Conservatoire de Paris, archétype de l’effondrement d’une civilisation : https://www.marianne.net/debattons/billets/emilie-delorme-proche-des-theses-indigenistes-la-tete-du-conservatoire-de-paris-la

31 – En guise de modèle du genre, voir l’entretien avec Debora Waldman et en particulier la p. 50 : « J’accorde beaucoup d’importance aux codes […] : le salut, la hiérarchie sont des repères positifs qui aident à installer un rapport dans ce cadre. Mais je les ai progressivement abandonnés face aux enfants, car ces rituels ne signifiaient rien pour eux. L’univers extrêmement codifié […] qui est celui de l’orchestre professionnel, n’est pas indispensable pour passer un moment à jouer ensemble. »

32 – « Tous les pays, désormais, sont pluriels. […] Parce que nous avons une conception plus inclusive de la citoyenneté, il nous faut repenser la fraternité et en faire un concept capable d’embrasser l’idée de diversité. Autrefois, lorsqu’il existait encore un idéal commun implicitement fondé sur l’assimilation d’une même culture, la fraternité pouvait être envisagée par le prisme de l’homogénéité. […] Une telle approche est impensable de nos jours » (p. 21).

33 – En ce sens, le propos de Martha Nussbaum, constatant que « nous sommes si profondément tribaux » (p. 24) et convoquant le plaisir et l’édification morale afin de « rendre manifestes l’hypocrisie et l’étroitesse de la vision des Blancs » (id), est éloquent.

34 – « La présence de fonds privés, par exemple, est si peu habituelle dans le domaine des pratiques éducatives qu’elle fait régulièrement l’objet d’interrogations éthiques. Celles-ci sont levées par le constat que les mécènes engagés aux côtés de Démos participent à une réflexion sur les enjeux qui traversent le dispositif […]. Il n’en reste pas moins vrai que Démos est un projet complexe et que l’adhésion de différents partenaires se fait à partir des objectifs parfois très différents. Il arrive même qu’on touche aux limites de l’incompatibilité dans certains registres, mais c’est précisément cette approche des limites qui conduit à leur transformation et qui constitue un autre des atouts du projet » (p. 42).

35 – Depuis peu, on demande aux conservatoires de créer des cursus dédiés à l’inclusion des publics auparavant passés par Démos. En parallèle, certains employeurs n’hésitent pas à ajouter dans le service des professeurs (professeurs d’enseignement artistique inclus) des tâches obligatoires d’animation d’ateliers collectifs de sensibilisation de type EAC (Éducation Artistique et Culturelle ), ce qui est contraire aux statuts. Voir cet exemple récent : http://www.saint-brieuc.fr/fileadmin/user_upload/Fichiers_site/Professeur_Trompette.odt.pdf, consulté le 31/03/2020. Et face aux critiques, on n’hésite pas à présenter cette « innovation » comme une manière astucieuse de compléter et de stabiliser le poste !

36 – Ainsi Patrick Toffin considère que Démos pourrait « se muer en pôle de formation ou en outil de diagnostic de la pratique musicale professionnelle dans le domaine public », domaine où œuvrent des « formateurs de formateurs » ! (p. 66 et note 14).

37 – Menée depuis plusieurs années dans la plus grande opacité, cette énième réforme des conservatoires prévoit notamment le transfert du classement des établissements du ministère de la Culture vers ses services externalisés (les DRAC : Directions régionales des affaires culturelles), l’affaiblissement du niveau de leur diplôme terminal, la concentration des grands niveaux dans quelques rares établissements de grandes villes (les « classes prépa ») au détriment de tous les autres, mais aussi la réduction du nombre de PEA (professeurs d’enseignement artistique) au profit d’« assistants territoriaux » moins bien payés et de personnels précaires. L’ensemble vise à adapter une majorité d’établissements à une nouvelle mission : la pratique de loisirs, favorisée notamment par la montée en puissance des « parcours libres » et « personnalisés ».

18 thoughts on “Démos et merveilles (par M.-A. Markowitz)

  1. Ladislas Bod

    Merci à Marie-Ange Markowitz pour ce remarquable article de traduction des chausses-trappes linguistiques qui constituent le pervers fer de lance de nos bien connus « amis du désastre », qui ne servent en dernier ressort que la logique nihiliste d’une vision de la vie exclusivement comptable. Cette misère anthropologique qui constitue l’horizon exclusif de nos sociétés malades aime en effet s’habiller de moult falbalas et dentelles, derrière lesquels elle s’imagine cacher son anorexie conceptuelle.
    Opposer les notions de plaisir et d’effort, par exemple est une forme de pensée totalement spécieuse: l’enjeu véritable ne se situe absolument pas là mais bien plutôt autour de la question de l’estime de soi, indispensable à la constitution harmonieuse d’adultes en devenir équilibrés, libres et souverains. Or, on ne paie pas les enfants avec de la monnaie de singe en essayant de flatter perversement chez eux un narcissisme que l’on essaye de rendre à toute force le plus pathologique possible. Féliciter un enfant hors de tout contexte d’effort véritable, c’est-à-dire de difficulté réelle à laquelle on s’est confronté et que l’on a surmontée, ce n’est que lui mentir et donc semer en lui un doute d’autant plus profond qu’il est tacite et interdit d’expression. Inaugurer le chemin vers la vie de jeunes consciences en construction sur de semblables prémices revient à saper en profondeur les fondements de leur rapport au monde, et donc plus tard de notre société tout entière. Une fois cette sordide équation mise au clair, on ne peut lui donner qu’un seul nom: sabotage.

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    1. Jacques SAUSSARD

      Merci à vous, Ladislas, et bien sûr à M.-A. Markowitz pour son excellent article, dont je partage en tous points l’analyse. J’ai enseigné dans plusieurs établissements publics (conservatoires) pendant 40 ans, avec un enthousiasme jamais remis en cause. Malgré les réformes qui allaient toutes dans le mauvais sens, en affirmant toujours le contraire. Conservatisme de ma part ? Pff. J’ai toujours eu 20 ans d’avance, c’est comme ça, je ne changerai pas. Et en écoutant certains de mes collègues parler de l’évolution de leur métier, je suis bien certain d’avoir encore quelques décennies d’avance. C’est pourtant simple. Un seul élève en cours d’instrument, pas d’exception. Des cours de FM avec, chaque semaine, lecture de notes, lecture de rythmes, dictées, théorie, etc. le tout dans la joie et la bonne humeur, sans perdre une seule minute, car le temps est précieux. Choeur mixte d’enfants obligatoire, chaque semaine. Pas d’élèves en cours d’ensemble avant 1c2. Et cours d’ensemble obligatoires pour tous les autres. Aucune exception. Des méthodes achetées en début d’année, dont l’élève tourne chaque page avec satisfaction, chaque semaine. Pourquoi ? Parce que l’auteur.e de la méthode s’est évertué.e à établir une progression technique et musicale qui a du sens. Rigueur, intransigeance technique, gentillesse du professeur, l’élève est un trésor vivant unique, qu’il faut aider à avancer dans la découverte de lui-même… Etc. C’est loin d’être terminé. En cours, il faut parler d’art, d’émotions, de discours, et être toujours positif.

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  2. Tartempion Barth

    Moi aussi je publierais sous pseudonyme tellement les pressions sur les personnes remettant en cause la doctrine « demossienne » sont fortes, et j’en ai fait les frais.

    On ne peut que remercier Marie-Ange Markowitz pour cet article si bien construit et argumenté. Je pose cependant la question, combien de temps cet article restera en ligne, et sera-t-il bien référencé ?
    Je trouve très suspect qu’on ne puisse trouver aucun article sur google qui soit un tout petit peu critique en vers cette institution. Surtout quand on connais les budgets de communication de DEMOS et qu’il existe des boites spécialisé dans le déréferencement de contenu gênant sur internet.

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  3. Moysan

    J’avoue être embarrassé avec Demos que je connais mal n’étant pas en Conservatoire.
    L’un de mes fils qui est stagiaire dans le 78 en collège REP+ a dans ses élèves un petit tromboniste qui est ravi de participer au projet.
    De plus, n’ayant pas lu le rapport Laborde-Delebarre, il m’est difficile de commenter et de prendre position sur ce que je n’ai pas lu.
    La première remarque qui me vient à l’esprit, qui est plutôt une question, c’est : est-ce que Demos mange des moyens importants qui pourraient attribués ailleurs et dans un type d’enseignement plus  »classique » ?
    Intuitivement, je ne vois pas trop Demos comme synthèse de gauchisme culturel et de néo-libéralisme mercantile. C’est une adaptation française du projet de Dudamel et il faut bien proposer quelque chose aux enfants de REP+ comme le petit tromboniste de mon fils.
    Pour moi, la véritable synthèse de  »gauchisme culturel », qui n’est pas si facile que ça à définir, et de néo-libéralisme mercantile serait plutôt de mettre au programme de l’agrégation de musique un ensemble de musique de pubs de voitures de luxe. Là, oui, nous y sommes. Avec l’équation relativisme culturel + capitalisme marchand… ! Je ne vois pas du tout Demos du côté de dérives de ce type…
    Je vois plutôt Demos du côté de l’héritage de Malraux. Comme le rappelle le 2e § du texte ci-après qu’on ne peut supposer d’indulgence envers les dérives  »pédagogistes », il est nécessaire d’aborder l’art par deux moyens qui ne s’excluent pas : la rencontre et l’étude. Demos est du côté de la  »rencontre » et c’est ensuite à l’étude de faire que cette rencontre ne soit pas juste un  »moment » sachant que ce  »moment » est souvent un très grand stimulant pour l’étude.
    Avec mes lycéens, pendant des années, on a fait une grande oeuvre avec orchestre chaque année : Requiem de Mozart, Magnificat de Rutter, Funérailles de la Reine Mary de Purcell, Messie de Haendel. Le résultat était plus qu’honorable et c’est ce dont mes lycéens se souviennent plusieurs années après…
    Mais je le rappelle, je ne connais pas le dossier…
    https://ephesblog.wordpress.com/2013/06/11/lenseignement-de-la-musique-en-france/

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    1. Mezetulle

      Mezetulle a reçu la réponse de l’auteur :

      **********
      Avez-vous bien lu l’ensemble de l’article et des notes de bas de page qui font clairement apparaître que les présupposés idéologiques des concepteurs de Démos se situent aux antipodes de Malraux et de Vilar ?

      Oui, Démos « mange » des moyens considérables qui pourraient être attribués directement aux conservatoires. D’un point de vue logistique et budgétaire, la chronologie du développement de Démos correspond très exactement au déclin programmé des conservatoires, selon le bon vieux principe tant apprécié des gestionnaires : déshabiller Pierre pour habiller Paul.

      Ensuite, Démos n’est pas comparable au Sistema vénézuelien où les enfants bénéficiaient d’une tout autre exigence : deux cours individuels d’instrument par semaine donnés par des professeurs de haut niveau. Rien à voir avec l’indigence et le relativisme constatés ici…

      Enfin, si la « rencontre » que vous évoquez est bien un élément indispensable et un très grand stimulant pour l’étude (et à ce titre, on ne peut qu’être reconnaissant envers les professeurs comme vous qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour la faire advenir), elle relève des missions de l’Education nationale. Or, curieusement, tout le monde semble avoir oublié les classes CHAM et les classes à option du lycée sont sur la sellette, comme vous le savez sans doute. Mieux, on réserve cette « rencontre » aux enfants des banlieues : la discrimination positive à l’anglo-saxonne figurait-elle aussi dans le programme de Malraux ?

      Pour résumer, ce que vous faites avec vos élèves au lycée n’a strictement rien à voir avec le collectivisme niais de Dém[ag]os qui empêche précisément toute possibilité d’étude sous couvert de « rencontre » qui n’en est pas vraiment une (les élèves Démos ne se souviennent même pas de ce qu’ils ont « joué », cf. note 16). Et bien sûr, ce programme est bel et bien une synthèse entre le gauchisme culturel mâtiné de « care » et de bons sentiments « démocratiques » (cf. l’article phare de Le Goff de 2013 dans Le Débat) et du macronisme néolibéral dont l’objectif est de réduire les coûts et les services de l’enseignement au profit d’un nouveau « produit » culturel.

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      1. Luc

        La vraie question est qu’on fait les conservatoires depuis Malraux pour s’implanter dans les dits quartiers, rien, qu’ont-ils fait pour faire venir des publics autres que les riches des centres-villes ou des enfants de musiciens, rien. Et je sais ce que je dit 37 ans dans les conservatoires (comme élève et enseignant) et j’ai rencontré à peine 10 personnes d’origines extra européenne. Donc oui peut-être que démos et démagogique mais ce programme touche des élèves qui ne viendront jamais dans nos conservatoires. Et au delà du travail et de la persévérance Que vous préconisez vous oubliez que la musique a un coût que ces familles ne pourront jamais supporter. De plus dévaloriser le multiculturalisme et la musique traditionnelle comme vous le faites montre une bien mauvaise connaissance de l’enseignement oral des maîtres de musique de l’orient et de leur grande maitrise de leur arts et pédagogie. L’état ne peut et ne doit pas tout à nous de rendre innovante notre pédagogie qu’elle soit en face à face ou collective. La musique n’est pas seule propre à élever l’esprit critique mais s’il elle permet s’ouvrît par de la sensibilisation à ouvrir aux arts en général alors bravo.
        Bien à vous

        Répondre
        1. Mezetulle

          Mezetulle a reçu la réponse de l’auteur :
          **********
          Votre commentaire à charge me semble trop caricatural pour correspondre à la réalité. Beaucoup de conservatoires ont ouvert des annexes en banlieue ou en zone rurale et proposent un service de prêt d’instruments. Les collectivités, quant à elles, fonctionnent de plus en plus en réseau d’écoles de musique pour atteindre les populations les plus éloignées géographiquement et culturellement, et beaucoup d’entre elles proposent des aides pour réduire les coûts d’inscription, même si ce point pourrait être largement amélioré dans certaines communes, notamment en région parisienne. Sans doute existe-t-il toujours des lacunes au niveau de l’accessibilité des conservatoires mais en aucun cas elles ne sont imputables aux établissements eux-mêmes et à leur personnel.

          Pour le reste, les points que vous abordez sont clairement traités dans l’article : enseignement de qualité qui doit s’adresser à tous et non à des “publics”, critique du concept de multiculturalisme en tant que relativisme culturel mortifère, ce qui n’a rien à voir avec la diversité des cultures et des pratiques musicales lesquelles peuvent être de haut niveau dans toute culture, pourvu qu’elle ne les réduise pas au folklore et qu’elle propose une ouverture sur l’humanité entière, remplacement du social par le “sociétal” au détriment de la “France périphérique” envers laquelle on se donne bonne conscience avec un enseignement au rabais, faussement “innovant”.

          Certains musiciens de haut niveau, dont les familles n’auraient pas pu payer un professeur de musique, ont pu se former dans les conservatoires publics grâce à une politique culturelle combinant la qualité et l’égalité :
          https://www.lalettredumusicien.fr/s/articles/4511_241_pour-22-francs
          Nous sommes, avec ce témoignage, très loin de “l’esprit Démos”.

          Répondre
          1. Luc

            Bonjour,

            Je crois vraiment que vous vivez dans le monde effectivement du plaidoyer d’Hervé Niquet. Ce monde malheureusement n’est plus et il est bien dommage que vous ne vous en soyez pas rendu compte. Parlons de culture et d’apprentissage de la musique extra européenne:
            Le Japon qui possède les meilleurs orchestres élémentaires et universitaires du monde ne croise pas si il ne le paie pas un prix exorbitant ( c’est à dire très peu de d’élèves) un professeur d’instrument avant le Lycée, l’apprentissage de l’instrument se fait par amalgame avec le professeur d’orchestre.
            L’Inde comme les pays d’orient qui enseigne que par technique de l’oralité est dans leurs propre culture musicale sans ouverture dans l’enseignement vers nos cultures européennes mais avec une tellement plus grandes humanité mais aussi une sélection féroce.

            Et chez nos voisins européens :

            La république tchèque qui enseigne ce que vous appelez Folklore ce que j’appelle moi musique traditionnelle, et toutes les disciplines certains professeurs dans des petites écoles de musiques enseigne parfois deux ou trois disciplines, il n’y a pas d’examen avant le second cycle et le niveau est largement au dessus du notre.

            C’est quelques exemples, mais je pourrais en prendre d’autres, sont la pour vous dire que le problème n’est pas un enseignement (DEMOS Vs Conservatoire) mais ce que nous faisons nous pédagogue de la transmission à nos élèves qu’ils soient de 1 à 100 devant nous, mais aussi de ce l’attention que porte les élèves et leur parents envers nos disciplines, et oui et on peut le regretter nous sommes une activité de loisir et qui de plus a un coût pour les parents.

            Les conservatoires eux se donnent bonne conscience en ouvrant des antennes dans les quartiers difficiles qui pour la plupart ne décollent jamais en inscription, louent soi disant des instrument à bas prix (et je ne parle pas de l’achat des partitions et autres méthodes d’apprentissages) mais qu’en vous voyez que même 5€ dans nos société modernes peuvent décider d’une semaine de cantine pour un enfant, oui Demos prête gratuitement un instrument, et à un coût moindre pour les collectivités mais je persiste que ces élèves ne viendraient pas dans nos conservatoires. Donc si DEMOS leur ouvre une porte si petite soit-elle sur la culture il ne faut s’en priver. Après votre Critique peut se porter sur le livre cité et son contenu mais n’extrapolé pas en nous parlant de vase communiquant de crédit de collectivités locales, de culture au rabais….

            Pour moi et pour avoir assister à une séance DEMOS porte bien son nom Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, ce n’est pas de l’enseignement mais de l’éducation musicale à vocation sociale par la pratique d’orchestre et il le fait bien il n’y a pas dans son acronymes l’enseignement instrumental.

            Bien cordialement.

  4. Un ancien directeur de conservatoire

    Quel article brillant ! Enfin lire ce que beaucoup pensent est un réel plaisir. Vous avez toutefois oublié un élément important et scandaleux de ce projet Démos, la plupart des intervenants sont payés en cachet et sont donc intermittents du spectacle ! Le taux horaire y est supérieur à un professeur certifié (CA) de conservatoire ! Et bien entendu la plupart n’ont aucun diplôme d’enseignement…depuis le début de démos, la philharmonie n’aurait pas été dans l’obligation de CDI auprès de ces intervenants ? Comment les conservatoires et la filière culturelle peut lutter ? C’est impossible alors démos devient la norme et profite de la précarité de ses intervenants…

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  5. JP

    Bonjour Madame Kintzler, pouvez-vous nous renseigner sur le parcours de Marie-Ange Markowitz ? Mes recherches n’ont pas abouti. Par ailleurs, l’auteur et vous-même avez-vous déjà assisté à une séance de répétition ou à un concert DEMOS ?

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    1. Mezetulle

      Bonsoir,
      Je vous réponds en tant qu’éditeur. Comme l’indique la note 1, M.-A. Markowitz est un pseudonyme (voir à ce sujet le commentaire https://www.mezetulle.fr/demos-et-merveilles-par-m-a-markowitz/#comment-21225), il n’est donc pas étonnant que vos recherches sur ce nom n’aboutissent pas. Cela ne signifie nullement que le texte est sans objet : il commente un ouvrage dont tout le monde peut prendre connaissance, et chaque lecteur peut ainsi se faire une idée de la pertinence des analyses présentées (qui abordent aussi les séances et concerts, voir par ex. les notes 8, 16 et 18). Par ailleurs, en acceptant de publier cet article, j’ai de solides raisons de penser que l’auteur parle avec toute l’expérience requise en matière d’enseignement et de pratique de la musique, ainsi qu’en matière de connaissance des institutions d’enseignement musical.

      Répondre
      1. JP

        Merci pour votre réponse. Je respecte l’anonymat de votre auteur, le partageant. Le sujet serait-il si sensible ou explosif dans le milieu de la musique ?
        Cependant, la présentation de votre contributeur me semble trop succincte. Professeur de clarinette en conservatoire, certes. Mais j’insiste. L’auteur a-t-il été de près ou de loin en contact avec DEMOS, ou s’est-il contenté de la lecture du plaidoyer pro domo de la Philharmonie ?
        Je me présente rapidement. Musicien de 42 ans, professeur en conservatoire, passionné de musique ancienne, ayant particulièrement apprécié votre livre sur Jean-Philippe Rameau, que je trouve en tout point remarquable.
        Je n’ai jamais enseigné pour DEMOS, mais par relation, j’ai côtoyé ce système dès sa création en 2010 et pense avoir une perception assez fine du dispositif. Je partage à maintes reprises les points de vue de votre auteur. La brochure éditée par la Philharmonie de Paris se révèle à bien des égards caricaturale et bourrée de clichés. Mais le sujet aurait mérité une étude plus approfondie et nuancée, et ce pilonnage (aussi brillant soit-il) me laisse sur ma faim, car il reflète des à-priori délétères. Le texte n’est en effet nullement sans objet mais une analyse globale allant au delà de l’ouvrage en question eut été bienvenue.
        Manifeste contre manifeste, idéologie contre idéologie, cette adversité demeure in fine stérile.
        Il est pour moi l’expression d’un malaise bien réel du corps enseignant en conservatoire, qui voit disparaitre sous ses yeux progressivement mais sûrement un modèle hérité de la Révolution Française. Modèle traditionnel qui a fait ses preuves quant à la formation solide de futurs professionnels. Mais qui a broyé beaucoup d’élèves qui ne comprenaient pas où un enseignement technique de haut niveau les menait. Enfant dans les années 80, j’ai bénéficié de cette excellence dans un conservatoire départemental. Ayant des prédispositions, j’ai tiré profit des hautes exigences de mes professeurs qui m’ont très bien formé. Je les en remercie. Ces mêmes professeurs ont dégouté malgré eux de la musique des camarades qui n’étaient pas à même de répondre à ces exigences. Des personnes qui ont définitivement rangé leurs instruments dans leurs placards, et n’ont plus aucun rapport aujourd’hui avec la musique savante. Ils n’écoutent pas de musique classique, ne vont jamais au concert ou à l’opéra. Tout ça pour ça ?
        Est-ce que je regrette ce conservatoire ? Pas forcément. Le corps enseignant le regrette-t-il ? Il me semble que oui en grande majorité, à l’instar de votre auteur qui n’échappe pas à la nostalgie d’un monde ancien supposé plus vertueux qu’un nouveau monde plombé d’emblée par le pédagogisme et le managérat (au passage, DEMOS naquit sous la présidence Sarkozy). Il déplore une baisse du niveau et des exigences. Le niveau a-t-il baissé ? Oui, je le concède sans aucune hésitation. Est-ce grave ?
        L’élite, les futurs professionnels, les étudiants des CNSM sont toujours excellents, aucune baisse à déplorer. Les amateurs sont techniquement légèrement plus faibles qu’auparavant. Mais ils paraissent également plus épanouis (ce n’est pas une tare) et surtout continuent plus souvent une pratique à la sortie du conservatoire. J’ai passé les écueils des diplômes d’enseignant et autres concours de la fonction publique. Je n’adhère en rien aux dérives pédagogistes des cinquante dernières années, ni aux schémas directeurs, souvent aussi caricaturaux et ridicules que la publication DEMOS de la Philharmonie.
        Dans ce contexte, DEMOS joue le rôle du parfait bouc-émissaire. Perçu comme le symptôme d’un détricotage du conservatoire. Le cheval de Troie des politiques et des pédagogistes. On déshabillerait Pierre pour habiller Paul comme vous dites.
        Que sera le conservatoire du futur ? L’avenir n’est pas écrit, à nous de veiller sur le terrain à ne pas céder benoitement aux injonctions du futur schéma directeur en préparation.
        L’évolution du profil des directeurs m’inquiète beaucoup plus que DEMOS. Car DEMOS porte un chapeau trop grand. Un dispositif que l’on peut analyser, critiquer sereinement. Il y aurait beaucoup à dire et j’attends encore un travail sérieux et approfondi sur le sujet. Par certains aspects, le ver était déjà dans le fruit dès le départ. Un des organismes qui l’a enfanté est l’ASPV, Association de Prévention du Site de la Villette. Quelques totems : « prévenir les incivilités », « responsabilité sociale des établissements culturels »…
        Il n’a donc jamais été question d’un apprentissage de la musique par la pratique collective comme le fait « orchestre à l’école » avec beaucoup moins de moyens. Aucun rapport non plus avec les classes CHAM ou le travail remarquable mené par les musiciens intervenants en milieu scolaire. Il s’agirait plutôt d’une expérience sociale via la musique dans des milieux défavorisés. Un cycle de 3 ans puis une sortie du système le démontre bien.
        J’ai personnellement été très ému de voir des centaines d’enfants avec le sourire jusqu’aux oreilles au contact d’une culture que je vénère. Je ne suis pas naïf. C’est à la fois beaucoup et pas grand chose. On peut déplorer ad nauseam la faillite d’une société, de l’Etat..
        3,5 millions de l’Etat juste pour cela (source La Lettre du Musicien ) ? Avouons qu’en termes de gabegie financière ou de « moyens considérables », on a déjà vu mieux. Un orchestre DEMOS coute 265000 euros. 26% pour l’Etat, 32% de mécénat, 42% pour les collectivités territoriales. Soit un peu plus de 100000 euros pour une collectivité territoriale, principal contributeur des conservatoires. A titre d’exemple, pour ma municipalité de 30000 habitants, ma ville participe à hauteur d’un million d’euros pour son conservatoire. Les collectivités et les politiques se servent-elles de DEMOS pour se désengager ? Pour l’instant, je ne l’ai pas constaté, jusqu’à preuve du contraire. J’aurais tendance à dire qu’un élu n’a nullement besoin d’alibi ou de DEMOS pour réduire la voilure ou couler le conservatoire de sa ville.
        Je doute que votre auteur n’ait jamais mis les pieds dans les centres sociaux de Seine Saint Denis ou des arrondissements du nord de Paris pour assister aux séances de répétitions où les musiciens ont été au contact deux fois par semaine de ces « bons sauvages », comme il les désigne ironiquement, prêtant des pensées et des attitudes condescendantes et paternalistes à des enseignants sincères, investis et dévoués (le problème viendrait plutôt des formateurs, des « référents pédagogiques »). Dans certaines régions, le contexte sociale et familial est très dur, je ne rentrerai pas dans les détails. Et malgré mes réserves et les à-côtés détestables, je me demandais : « Vaut-il mieux que DEMOS existe ou non ?  » Je dirais oui.
        DEMOS peut-il exister différemment ? A la marge probablement, mais le fonctionnement général est consubstantiel au dispositif.
        DEMOS est certes le symptôme d’une époque, mais il y a des combats plus urgents et importants qu’une déconstruction d’une organisation qui flatte politiques et mécènes, mais ouvre des portes à des enfants et à des familles, qui ont découvert un monde qu’ils ne soupçonnaient pas. C’est un pansement sur une plaie à vif, mais je préfère un pansement que rien du tout, ou que la construction d’un énième terrain de football.

        Répondre
        1. Mezetulle

          Mezetulle a reçu la réponse de l’auteur :
          **********
          Le sujet Démos est bien sûr très sensible, je vous invite à lire le commentaire de “Tartempion Barth”.
          Étant professeur comme vous, je constate que l’implantation puis le développement de Démos dans mon conservatoire correspond à une diminution continue des moyens alloués à son fonctionnement, et c’est également le cas dans de nombreux autres établissements. Il y a donc bien, avec le déploiement de Démos, un désengagement clair des pouvoirs publics vis-à-vis des conservatoires, comme le montrent l’article ainsi que certains commentaires. Quand on songe par ailleurs que le coût d’un élève Démos (2700 euros par an, selon la Lettre du Musicien) est supérieur à celui d’un élève de cursus “traditionnel” et quand on compare dans le même temps les résultats respectifs, on est en droit de s’interroger sur la pertinence de ces dépenses, d’autant plus qu’en temps de crise “il n’y a pas d’argent magique”.
          Si l’ancien système “cassait” les élèves les moins doués, le nouveau casse tout autant ceux-là mais aussi la plupart des autres, en opérant une sélection à la fois par l’échec et par l’argent. Un certain nombre de candidats aux concours d’entrée des CNSM ont ainsi été formés à l’étranger, et beaucoup d’autres doivent prendre des cours privés et suivre des masterclasses onéreuses pour pallier l’insuffisance quantitative et parfois qualitative de leurs cours en conservatoire ; le constat de l’excellence qui perdure est réel mais trompeur.
          L’existence, hier et aujourd’hui, de professeurs caractériels ou qui ont dégoûté leurs élèves de la musique (cela existe dans toutes les disciplines) ne justifie en rien la démolition de l’enseignement musical et son remplacement par des dispositifs démagogiques. D’autre part, la baisse des exigences et, par conséquent, du niveau des élèves “moyens” ne rend pas ces derniers plus “épanouis”, bien au contraire. Un mauvais niveau de lecture, une mauvaise posture, une formation de l’oreille défaillante ou une culture musicale réduite au minimum ne sont en aucun cas des avantages puisqu’ils ne font qu’entraver l’exercice de la musique, pour l’amateur comme pour le (futur) professionnel ; on ne gagne jamais à être moins instruit.

          Cela étant dit, l’objet de l’article n’était pas de faire part de mon expérience avec Démos, mais d’analyser ce qu’écrivent et claironnent les plus éminents “spécialistes” de la question avec la bénédiction de la Philharmonie de Paris. De deux choses l’une, soit le déroulement des séances ne se passe pas comme les contributeurs le décrivent et donc ils mentent, soit les extraits du livre que je cite sont exacts. Vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas avoir effectué une étude approfondie du sujet alors que mon article montre que le livre a été lu, cité et critiqué du début à la fin. Cette lecture n’est donc pas un manifeste idéologique mais une analyse critique fondée sur une source précise et identifiable.

          Quant aux “a priori délétères” que vous évoquez, ce sont bel et bien les idéologues de Démos, et non pas ceux qui les critiquent, ni les enseignants investis dans ce projet, qui prennent les élèves pour des “bons sauvages”. Car ce livre montre bien que Démos n’ouvre pas vraiment les portes d’un monde insoupçonné à ces enfants. Voilà pourquoi je qualifie ce projet “d’imposture” : divertir n’est pas instruire. Au “simple pansement”, je préfère un enseignement artistique véritablement républicain, indépendant de toute injonction politique, fondé sur l’intérêt général.

          Votre analyse du “malaise enseignant”, qu’on retrouve quasiment mot pour mot dans de nombreuses formations pédagogiques, mérite qu’on s’y arrête. On peut supposer que les enseignants sont a priori les plus qualifiés pour parler de pédagogie, de même que les médecins et le personnel soignant le sont s’agissant des questions de santé publique. Pourtant, on constate que les uns comme les autres sont régulièrement écartés du processus de décision, avec les conséquences fâcheuses que l’on sait.

          Enfin, compte tenu de mon âge, il m’est difficile d’être atteinte de “nostalgie d’un monde ancien supposé plus vertueux”, monde que je n’ai pas connu. Même si je pense qu’il n’y a rien de plus moderne, de plus dynamique et de plus révolutionnaire que la nostalgie. Comment devancer son temps autrement ? Pensons à Beethoven et à la célèbre phrase de Verdi : “tournons-nous vers le passé, ce sera un progrès”. Il s’agit donc bien de se “tourner vers” et non de retourner au passé. Dans ce sens, mon article n’est pas une déploration (avant c’était mieux) mais une insatisfaction du présent (est-ce mieux aujourd’hui ?). D’où le besoin de comprendre et le droit de critiquer.

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          1. JP

            Bonjour,

            Nos positions sont loin d’être éloignées. Vous défendez un idéal républicain, et vous combattez les dérives actuelles importées des universités américaines.
            Votre article me semble absolument nécessaire, parfois proche du pamphlet sur le ton.
            Vous avez répondu à ma principale interrogation, à savoir que le cœur de votre texte était basé sur l’analyse critique de la brochure de la Philharmonie, plus que de votre expérience directe avec DEMOS.
            Concernant le financement de l’enseignement de la musique en France et le présupposé d’un système de vases communicants entre les conservatoires et DEMOS, il serait intéressant qu’un chercheur se penche sérieusement sur la question, ce qui éviterait à chacun, moi comme vous et vos collègues de nous baser sur nos ressentis ou expériences personnels.
            Selon l’article de la Lettre du Musicien que vous citez, le budget des orchestres DEMOS est supposé atteindre 19,5 millions d’euros, avec un apport conséquent du mécénat de 10 millions d’euros. En 2005, le budget des 137 écoles de musique contrôlées par l’Etat était de 450 millions d’euros.
            Les cours privés et autres masters-class pour les futurs étudiants des CNSM existent depuis longtemps, le phénomène n’a rien de nouveau et n’est pas lié à la transformation de nos conservatoires. Je maintiens que la qualité de l’enseignement et le niveau dans les CRR et les Poles Supérieurs n’est pas inférieure, voire plus complète qu’avant qui était uniquement centrée sur la discipline instrumentale (ce qui entraînait des lacunes sur la formation d’un musicien complet). Quant aux échanges avec l’étranger, il me semble sain dans les deux sens : accueil des étudiants étrangers ainsi qu’études d’étudiants français à l’étranger.
            Le malaise des enseignants et la baisse du niveau des élèves sont selon moi principalement dus au niveau d’engagement des familles et de la société envers une pratique appréhendée de plus en plus comme un loisir ou un divertissement. L’exigence est vécue majoritairement par le public comme une contrainte, je pense que nous pouvons tous le constater au quotidien dans nos conservatoires et nous le vivons mal. Les schémas directeurs et autres injonctions pédagogiques ne font qu’accompagner ce phénomène mais n’en sont point la cause directe (même si certaines modes ont en effet un effet néfaste sur le contenu, je pense à la formation musicale en particulier).
            Enfin, je souhaiterais conclure sur votre analyse de la publication. Bien sûr elle est rigoureuse, vous n’avez déformé aucun propos et vous n’avez pas inventé les vidéos YouTube que vous avez glanées. Cependant, de même qu’un journaliste a une idée précise de ce qu’il a envie d’entendre et choisis ses questions ainsi que la synthèse des réponses, il convient de souligner qui a mené les entretiens.
            Je n’ai pas la brochure sous les yeux. Dans ma mémoire, des entretiens étaient menés par des étudiants ou des universitaires en sociologie ou sciences de l’éducation. Ce qui implique des à-priori et des idées toutes faites et orientées avant même les premières études et entretiens sur le terrain. Il en résulte que les propos des intervenants directs (musiciens, non pas les initiateurs du projet), se retrouvent orientés en fonction des desidarata des auteurs. Ce n »est évidemment pas votre faute, et cela traduit une réalité de DEMOS, celle que vous dénoncez, mais pas toutes les réalités de DEMOS.
            J’ai assisté quant à moi à des séances absolument remarquables avec des intervenants investis. Pour information, des musiciens de l’Orchestre de Paris intervenaient dans les premières années dans des centres sociaux extrêmement compliqués. Et malgré votre réponse à Luc, je vous assure que le public visé n’aurait jamais mis les pieds dans un conservatoire, malgré tous les efforts d’ouverture pratiqués par ceux-ci (prêts d’instrument, politique tarifaire…).

          2. Serge Coste

            Bravo pour votre remarque en fin de texte. C’est exactement cela.
            J’entends souvent dire : « pour toi, c’était mieux avant ! », alors que le problème n’est pas du tout là. Il ne s’agit pas de penser que c’était mieux avant, mais simplement de constater que c’est désastreux aujourd’hui.
            Je prends un exemple (au hasard…) : en quoi dire que la politique de M. Macron est nocive voudrait dire que la politique de M. Sarkosy était meilleure ?
            J’ajoute une chose, en prévision d’éventuelles critiques que pourraient susciter l’analyse de Mme Markowitz : quand on critique la politique de l’enseignement musical en France, vous avez tout de suite des bonnes âmes pour vous dire : « Qu’est-ce que vous proposez à la place ? » Là aussi le problème n’est pas là. En effet, il me semble que dénoncer la politique de l’enseignement musical n’est pas du tout une attitude passive et frileuse. La polémique fait partie de notre patrimoine et elle est très saine. Dire ce qu’il ne faut pas faire est une chose, dire ce qu’il faut faire en est une autre. C’est juste une question de priorité. La priorité, aujourd’hui, me semble-t-il, est d’arrêter cette politique qui va mener à l’américanisation, soit-disant inévitable, de la société – chacun pour soi, un enseignement à deux vitesses, etc. Est-ce cela que l’on veut ? Alors il faut le dire clairement, au lieu de tourner autour du pot avec une hypocrisie digne de Tartuffe, l’imposteur.
            À propos d’imposture, je me permets d’envoyer un texte de Roland Gori, psychanalyste, professeur de psychopathologie à l’Université d’Aix-Marseille. C’est une introduction à la conférence que l’on peut visionner sur YouTube, La fabrique des imposteurs :

            « L’imposteur est aujourd’hui dans nos sociétés comme un poisson dans l’eau : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et à la probité, préférer l’audience au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que pour le courage de la vérité, choisir l’opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les valeurs, pratiquer l’art de l’illusion plutôt que s’émanciper par la pensée critique, s’abandonner aux fausses sécurités des procédures plutôt que se risquer à l’amour et à la création. Voilà le milieu où prospère l’imposture ! Notre société de la norme, même travestie sous un hédonisme de masse et fardée de publicité tapageuse, fabrique des imposteurs. L’imposteur est un authentique martyr de notre environnement social, maître de l’opinion, éponge vivante des valeurs de son temps, fétichiste des modes et des formes.

            L’imposteur vit à crédit, au crédit de l’Autre. Soeur siamoise du conformisme, l’imposture est parmi nous. Elle emprunte la froide logique des instruments de gestion et de procédure, les combines de papier et les escroqueries des algorithmes, les usurpations de crédits, les expertises mensongères et l’hypocrisie des bons sentiments. De cette civilisation du faux-semblant, notre démocratie de caméléons est malade, enfermée dans ses normes et propulsée dans l’enfer d’un monde qui tourne à vide. Seules l’ambition de la culture et l’audace de la liberté partagée nous permettraient de créer l’avenir. « 

    2. Gabriel Martin

      Est-ce qu’il est important de savoir qui est M.-A. Markowitz ? Il me semble que l’essentiel est dans le contenu de l’article, son argumentation, que l’on a parfaitement le droit de contester. Le débat est toujours sain, mais encore faut-il qu’il y ait débat.
      Une remarque : il est désolant que dans la France de 2020 on soit obligé d’utiliser un pseudonyme pour écrire sur les Institutions. Les personnes qui régissent l’enseignement musical en France sont libres de répondre, et peuvent le faire à visage découvert, elles.
      Pour ma part, je trouve cet article très pertinent dans les problèmes qu’il soulève.
      Je précise que j’ai assisté à des concerts de Démos et que j’utilise également un pseudonyme…
      Gabriel Martin

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  6. Muglioni Jean-Michel

    Je n’ai pas de renseignement particulier sur Démos. Je sais seulement par des amis musiciens que cela fait la joie des étudiants qui y officient : ils trouvent ainsi une aide financière. Il s’agit toujours de baisser les coûts. Et pour cela il semblerait qu’on abuse de l’intermittence, comme font certains grands établissements de faire payer l’assurance chômage. Il en résultera un jour la suppression de ce système remarquable.
    Marcel Landowski avait donné à la France un réseau d’enseignement de la musique de haut niveau, exigeant, dispensé par des professeurs remarquables. Il y a une quarantaine d’année que politiques et pédagogues le détricotent peu à peu. La raison est-elle financière, ou d’abord idéologique, la même qui depuis longtemps a ruiné l’instruction publique ? Même discours, mêmes effets.
    En bonne rhétorique la doctrine part d’une vérité : la musique est trop réservée à des classes aisées. Mais il n’est pas vrai que ce tri soit dû à la nature des conservatoires ou des écoles de musique. Ce sont les familles qui décident. Beaucoup n’ont même pas idée de l’existence de ces institutions ou même de la musique. Et pratiquer la musique coûte cher. Quant aux classes à horaire aménagé, on y met ses enfants pour échapper aux autres sections, comme on leur fait parfois apprendre le russe. Sans doute quelques-uns de ces élèves continueront-ils d’écouter de la musique, mais combien jouent-ils encore de leur instrument ? à quel niveau ?
    De ce constat en lui-même juste, on tire une conséquence fausse, la même qu’on avait tirée pour l’enseignement général : puisqu’il faut démocratiser, baissons le niveau d’exigence, ou par exemple supprimons les prix de fin d’études au conservatoire, qui sont traumatisants, etc. Démocratiser signifie au moins depuis 1981 mettre sur le même plan Mozart et tel chanteur à la mode. S’en émouvoir passe pour réactionnaire et antisocial. On appelle donc culture n’importe quoi, on met le mot musique au pluriel. (J’ai vu de véritables professeurs spécialisés dans une musique régionale se plaindre de ce qu’on ne prenait pas au sérieux leur enseignement parce qu’on les mettait à part de la vraie musique : ils voulaient être musiciens et non pas amuser les bretons avec de la musique bretonne, les basques avec la basque, comme s’il fallait garder Mozart pour les tyroliens). Ainsi Démos ne fait que s’inscrire dans un mouvement pédagogiste et relativiste, psychologiste et sociologiste, pour utiliser les plus termes les plus laids, qui ne date pas d’aujourd’hui.
    Que certains des participants découvrent la musique et même se mettent à pratiquer un instrument, on ne peut le nier : la musique est plus forte que la pédagogie, et j’ai vu des professeurs tenir un discours pédagogiste et continuer pourtant d’exercer avec talent leur métier sans pédagogisme. Un des drames dans cette affaire est que des professeurs à la fois sérieux et compétents ne se rendent pas compte qu’ils sont victimes d’un matraquage idéologique.
    Le plus grave, pour l’enseignement de la musique, tient à la situation particulière de la France où les écoles et la culture étaient depuis des siècles l’affaire de l’Etat. Or ministère, régions, municipalités, quelle que soit leur couleur, abandonnent peu à peu les conservatoires et préfèrent en général s’occuper du football. Qu’on ne m’objecte pas que c’est faute d’agent : c’est que financer le conservatoire ne rapporte pas de voix. Est-il permis de dire que, si en effet son gouvernement ne fait rien, on n’a pas attendu l’élection d’Emmanuel Macron pour en arriver là ?
    Dans un pays libéral comme les Etats Unis d’Amérique, il est entendu que des écoles de musique doivent exister et élever au plus haut niveau les meilleurs musiciens, d’où qu’ils viennent : des capitalisme sont fiers de les financer. Il ne faut donc pas se tromper d’ennemi. Je n’ai aucune sorte de sympathie pour le libéralisme économique, mais il me paraît aujourd’hui trop facile de l’accuser de tous les maux et d’abord de ceux qui viennent de notre propre lâcheté. Lorsque dans les années 70 déjà nous luttions contre la politique de l’éducation nationale, combien étions-nous ?

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    1. Gabriel Martin

      Merci à Marie-Ange Markowitz pour cet article intelligent et pertinent.
      Ce texte sur le projet Démos est significatif de la dégradation de l’enseignement.

      Cet article souligne de façon claire les deux plaies de l’enseignement musical et de l’enseignement tout court :

      1) La technocratie : « vous n’êtes pas là pour penser mais pour obéir, pour exécuter» Quand on traite les êtres humains comme des robots, il est logique qu’à un moment ou à un autre, les machines rappellent à qui veut bien l’entendre qu’elles ont été aussi des êtres humains.

      2) Le pédagogisme : l’enseignement considéré comme une religion et pas comme un métier, et le protocole Démos en est un parfait exemple.

      Ce texte m’inspire plusieurs réflexions d’ordre général sur l’enseignement plutôt que sur Démos en particulier. Aujourd’hui, nous sommes envahis par la communication. Qu’est-ce qu’un bon communicant ? Celui qui est capable le lundi de tenter de vous convaincre que ses arguments sont les bons et qui le lendemain va essayer de vous séduire par les arguments exactement opposés. Donc, un communicant est un imposteur et ce que l’on appelle « communication » une mystification. On a jamais autant parlé de communication, du vivre ensemble, mais paradoxalement, il n’y a jamais eu moins d’échange qu’aujourd’hui et de considération pour l’Autre (celui qui ne pense pas comme vous). C’est une grande perversité de faire croire aux gens qu’ils communiquent, pour ne pas trop les froisser, et de ne tenir aucun compte de leur avis. Et le pire est que cela fonctionne parfaitement… jusqu’à quand ?

      En tant qu’enseignant, j’ai longtemps pensé, naïvement, que l’on pouvait changer les choses de l’intérieur et je me suis lourdement trompé. J’en suis arrivé à la constatation qu’il est absolument impossible de défendre ses convictions sur l’enseignement, dans le cadre de la Fonction Publique Territoriale.
      Actuellement, on ne peut rien faire dans la FPT sans être rappelé à son obligation de réserve et c’est très frustrant d’être un robot, d’être là pour obéir et avoir l’interdiction de penser. Je n’ai vécu cette situation qu’à l’armée, et encore, le service militaire était beaucoup plus démocratique, car les choses étaient claires dès le départ : « vous êtes là pour exécuter les ordres, point final ». Dans la FPT et les (pseudos) sciences de l’éducation, c’est beaucoup plus pervers et insidieux, car on fait croire aux enseignants qu’ils ont du pouvoir, alors qu’ils n’en ont absolument aucun, sinon celui de choisir si l’examen se déroulera le 4 ou le 16 du mois… À l’armée comme dans la FPT il s’agit d’un incroyable système pyramidal, où une poignée de personnes décide pour un grand nombre d’individus, qui sont réduits à l’état de pion. À l’armée ce système est parfaitement assumé, dans la FPT, absolument pas.

      Ce n’est évidement pas un problème de personne mais un problème de système, et ce n’est pas en changeant les personnes que l’on va changer le système, surtout si les personnes que l’on nomme renforcent cette politique dictatoriale qui se pare des atouts de la démocratie. Tant que l’on n’aura pas compris que l’enseignement est un métier (avec tout ce que cela implique de droits et de devoirs) et pas une vocation (dans le sens religieux du terme, ce que voudraient nous faire croire les CEFEDEM par exemple), rien ne changera.

      Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux se réunir pour parler de la réforme des Conservatoires qui nous pend au nez, qui nous concerne tous, plutôt que se regrouper pour dire avec des larmes dans les yeux et pour la centième fois que « l’enfant est au coeur de son enseignement » ? Beaucoup de Directeurs, en faisant comme si de rien n’était (la plupart ne sont pas dupes) se rendent complices de la dégradation de l’enseignement, de l’américanisation galopante de la société. Imaginons le poids que pourrait avoir une démission collective des Directeurs… Mais chacun à besoin de vivre… 

      C’est étonnant comme beaucoup d’enseignants ne se rendent pas compte qu’il sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. C’est comme si les enseignants voulaient donner raison aux penseurs de la psychologie des foules (La Boétie, Freud, Le Bon, Arendt…) au lieu de les contredire. Le formatage a fait de nombreuses victimes et cela s’apparente malheureusement à de la lobotomisation intellectuelle, à du clonage.

      Ma très forte conviction est que depuis 40 ans, la politique de l’enseignement (l’héritage de mai 1968 pour faire court), est une catastrophe et la dernière réforme des Conservatoires n’est que l’aboutissement de cette politique, « un plan social qui n’ose pas dire son nom », comme il est dit dans un article publié sur ce site. Les grands révolutionnaires de hier sont devenus les grands bourgeois intransigeants d’aujourd’hui. S’il y a bien une chose sur laquelle la gauche et la droite s’accorde, c’est sur ce sujet, le libéralisme forcené dans l’enseignement, dans la société, mondialisation oblige. La politique de l’enseignement musical est la même à Dunkerque et à Marseille, à Brest et à Briançon, avec des différences minimes. Ce qui compte aujourd’hui c’est de faire du bruit (pas de la musique !), faire parler de soi par tous les moyens, plaire et les employeurs se moquent royalement du contenu des cours. Pourquoi n’y a t-il pas de débat sur l’enseignement, actuellement, en France ? Ou alors des simulacres de débats… Ce qui me semble intéressant, dans le travail, dans la vie, c’est la pluralité des opinions, l’échange, la confrontation des idées. Pourquoi ne pas laisser aux professeurs le choix d’enseigner ce qu’ils veulent et comme ils le souhaitent sur la base d’un socle commun, le plus large et le moins contraignant possible ? Les élèves pourraient alors choisir d’aller avec Mme Unetelle, chef d’attaque des seconds violons de tel orchestre, ou avec M. Untel, spécialiste de la transversalité des enseignements. Ils auraient le choix entre la musique et le jargon technocratique qui tient lieu de pensée. On aurait, je suis sûr, beaucoup de surprise.

      Pourquoi une réforme en profondeur des Institutions serait impossible ? Les mêmes qui n’arrêtent pas de dire que tout doit évoluer et qu’il faut se réinventer (les promesses n’engagent que ceux qui y croient) pensent, quand il s’agit des Institutions, qu’elles sont intangibles… « … bizzare, comme c’est étrange ! »

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