Le port du voile n’a jamais libéré aucune femme

Le droit de porter le voile en public est aussi celui de dire publiquement tout le mal qu’on en pense

Voilà que le port du « voile islamique » refait surface, comme si la question n’avait pas été largement débattue depuis 1989 et éclaircie notamment par la loi de mars 2004. L’un des candidats à la présidence de la République (en l’occurrence une candidate), profère une ânerie antilaïque en prétendant vouloir l’interdire « dans l’espace public »1. L’autre, fidèle à la sinuosité du « en même temps », entretient le flou, dit tout et son contraire à ce sujet – ne l’a-t-on pas entendu, après avoir dit ce port « non conforme à la civilité »2, approuver une citoyenne voilée se prétendant « féministe »3 ? Il faut donc y revenir.

À vrai dire, ce qui m’a décidée à reprendre ce sujet et à rabâcher ce que j’écris depuis tant d’années4, c’est la « prestation » en demi-teinte de la naguère flamboyante Zineb El Rhazoui le 12 avril 2022 au micro d’Europe 15. Évidemment gênée aux entournures sur ce sujet par son soutien récent à la candidature d’Emmanuel Macron, elle s’évertue à décrire le « en même temps »… pour ce qu’il est, à savoir une oscillation clientéliste sans concept, et, oubliant la colonne vertébrale intellectuelle qui jusque-là l’animait, elle finit par comparer le port du voile à celui d’une protection de mon brushing contre la pluie – propos presque aussi affligeant que « l’argument Castaner » qui, on s’en souvient, inventait le port d’un « voile catholique» pratiqué dans la France des années 19506.

Bien sûr Zineb El Rhazoui a raison de rappeler que le port des signes religieux (entre autres) est libre, dans le cadre du doit commun, dans ce qu’on appelle « l’espace public » (que je préfère appeler l’espace social partagé). De sorte qu’un projet d’interdiction, comme celui dont fait état Marine Le Pen, revient à proposer d’abolir la liberté d’expression7.

Mais elle se révèle incapable de distinguer de manière intelligible pour les auditeurs cet « espace public » de celui qui participe de l’autorité publique et qui, lui, est soumis au principe de laïcité. Recouverte par une certaine confusion et embarrassée dans une expression laborieuse, la dualité des principes du régime laïque n’apparaît pas clairement.

Enfin, pour illustrer la liberté de l’espace social partagé, sous les yeux mi-effarés mi-moqueurs de Sonia Mabrouk, Zineb El Rhazoui recourt à la comparaison avec un « foulard » protégeant son brushing en cas de pluie. Ce faisant elle néglige nécessairement, avec la nature du voile islamique, l’autre face de la liberté. Oui bien sûr, on doit tolérer le port du voile dans l’espace social partagé, mais cela n’oblige personne, et surtout pas une militante de la laïcité, à le banaliser en le comparant à un acte anodin et temporaire, comme le faisait Lionel Jospin en 1989. Et c’est en vertu de la même liberté qu’on peut et même qu’on doit pouvoir exprimer publiquement tout le mal qu’on pense de ce port, ainsi que le faisait, avec une magnifique prestance, Abnousse Shalmani le 20 septembre 2020 sur LCI8, rivant son clou à un Jean-Michel Aphatie médusé :

«Le voile ne change pas de nature lorsqu’il passe les frontières. Le voile n’a jamais libéré aucune musulmane9, c’est quand elles le retirent qu’elles accèdent aux droits.[…] Le voile sera un choix le jour où il n’y aura plus une seule parcelle de terre où il sera obligatoire. En attendant c’est un linceul pour les femmes.»

Pour un exposé des principes et des concepts formant la dualité du régime laïque, exposé qui excède le calibre de ce bref « Bloc-notes », j’invite les lecteurs de Mezetulle à prendre connaissance de l’article que je mets en ligne aujourd’hui parallèlement dans la rubrique « Revue » : « La dualité du régime laïque. Réflexions sur l’expression ‘intégrisme laïque’ ».

Notes

3https://www.marianne.net/politique/macron/face-a-une-femme-voilee-et-feministe-macron-joue-les-equilibristes-pour-contrer-le-pen Le caractère fluctuant des déclarations du président Macron est, si l’on peut dire, constant. Voir, par exemple et entre autres, l’article de Jean-Eric Schoettl sur ce site : « Nécessité et impossibilité d’un discours présidentiel sur la laïcité » https://www.mezetulle.fr/necessite-et-impossibilite-dun-discours-presidentiel-sur-la-laicite/ .

4 – Voir, entre autres, l’exposé théorique général dans Penser la laïcité, Paris, Minerve, 2015, notamment chapitre 1, le grand entretien publié par la Revue des Deux Mondes https://www.mezetulle.fr/grand-entretien-c-kintzler-l-ottavi-revue-deux-mondes-1re-partie/ et la vidéo avec le Centre laïque de l’audiovisuel de Bruxelles https://www.mezetulle.fr/entretien-video-c-kintzler-j-cornil-sur-la-laicite-clav-bruxelles/ .

5 – Invitée par Sonia Mabrouk https://www.youtube.com/watch?v=2njHDMsUXaM

7 – Outre que son application serait impossible et qu’elle susciterait des protestations, dont certaines pourraient même se manifester par un appel à la « solidarité » imbécile du type « Nous sommes toutes des femmes voilées » !

9 – Je me suis évidemment inspirée de cette formule, en l’élargissant, pour intituler le présent Bloc-notes.

10 thoughts on “Le port du voile n’a jamais libéré aucune femme

  1. BINH

    Magnifique exposé du PartiPris d’Abnousse Shalmani.
    Ses précisions sur l’irruption du voile croissant (sans jeu de mots) en Indonésie, ou au Sénégal, nous prouvent bien que tout peut arriver brutalement , si on n’y fait pas attention.
    Les Politiques français qui croient respecter une religion en respectant le voile sont du naïveté stupéfiante (les rappels d’Abnousse sur l’Université égyptienne qui déclare que le voile n’est pas une recommandation du Coran devraient être montrés à tous les militants de LFI ou de EELV). Ce voile est antérieur au Coran, c’est une pratique culturelle destinée à discriminer les femmes: il a été repris par les religieux, comme le font tous les religieux du monde quand ils veulent asseoir leurs croyances en les appuyant sur des coutumes ancestrales (les fêtes païennes, par ex). Le reportage d’Abnousse nous montre bien que les bourreaux qui fouettent en public les « mauvaises » femmes indonésiennes sont…des femmes (sans doute des « féministes » islamisées locales….) ! De quoi nous faire réfléchir, ici, en France. S’il est impossible d’interdire le voile dans la rue, il va falloir être vigilant pour qu’il ne devienne pas un droit dans certains espaces publics restreints: terrains de sports, piscines, par exemple. A partir du moment où il deviendra un droit, il s’étendra parce qu’il exigera des aménagements concrets (en termes d’horaires, de lieux de prières, de codes ségrégationnistes entre sexes, etc) qui le feront prospérer. Il s’étendra alors dans le rue avec des aménagements religieux réclamés. Le voile est une stratégie démagogique de domination masculine. Les Personnes dites  » de Gauche » (PDG) en France qui ont applaudi (par antiaméricanisme primaire viscéral) la victoire de Khomeyni en 1979 ont joué un sale coup réactionnaire aux femmes d’Iran. Il ne faudrait pas que ces mêmes PDF nous refassent le même scénario réactionnaire en France (par antiaméricanisme primaire ou par idolâtrie des pays pauvres musulmans).

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  2. braize

    Chère Catherine
    Merci de cette mise au point dans ces temps de grande confusion.
    E. Macron est incorrigible a toujours vouloir faire le malin. On dirait qu’il le fait exprès à rendre compliquée les choses au fond assez simples telles que vous les rappelez.
    Quand on est républicain on peut (on doit) être opposé au port du voile par nos égales féminines sans pour autant se résoudre à l’interdire dans l’espace public (sauf s’agissant de la dissimulation intégrale du visage et du corps par des linceuls infâmes ce qui est déjà à juste titre prohibé).
    Donc E. Macron n’a rien compris à se féliciter d’une fille voilée qui se prétend féministe… C’est une ânerie sans nom.
    Mais de là nous aussi à nous noyer dans la fange insoumise de la gauche radicale qui le met sur le même plan que la fille Le Pen en refusant de les départager, il y a un pas qui est celui d’une autre l’infamie.
    Que l’on ne compte pas sur nous et dix fois, oui oui dix fois s’il le fallait, nous voterions au second tour, résolument et avec joie, contre Le Pen et en faveur d’E. Macron.
    Malgré tout donc et parce que il n’y a plus d’autre choix.
    Bien amicalement
    FB

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    1. Mezetulle

      Cher François,

      « Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal
      Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien »
      Corneille parlait ainsi de Richelieu en 1642, à la mort de ce ministre, et il faisait allusion au mal et au bien que celui-ci lui a faits personnellement, non de ce qu’il a fait à la France : le parallèle trouve donc ses limites, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à cette antithétique en cette fin de campagne présidentielle au sujet d’E. Macron.

      E. Macron évidemment n’arrive pas à la cheville de Richelieu, et, plein d’avenir, il brigue un second mandat qui le mettrait à nouveau en état de faire du bien et/ou du mal à la République française. On doit donc regarder le futur et l’intérêt du pays. La question qu’on peut formuler alors pourrait être celle-ci : il est certain que M. Le Pen est capable de produire de grands maux ; mais une fois réélu, de quel mal E. Macron sera-t-il encore capable ? On dirait, au fur et à mesure que la campagne s’avance, qu’il multiplie les déclarations et les démarches propres à alimenter l’antithèse (vers n° 2) de l’antithétique cornélienne. Vous le faites remarquer vous-même au début de votre commentaire.
      L’électeur est pris dans un piège : quoi qu’il fasse, il aura tort et s’en mordra les doigts. Voter M. Le Pen, n’en parlons même pas, c’est aller dans un mur. Voter E. Macron c’est souscrire d’avance à la casse systématique de la République déjà bien entamée. S’abstenir, c’est s’exposer à grossir les troupes de FI qui ne manquera pas de s’attribuer un taux d’abstention élevé. Voter blanc, c’est être certain, comme toujours, qu’on ne parlera jamais de votre désespoir politique, c’est s’annuler politiquement.
      Tout cela mériterait, sans doute, quelques alexandrins, mais je suis incapable de les faire.

      Je me permets de signaler un point de désaccord avec votre com. Que signifie l’expression « la fille Le Pen » ? Ou bien elle affiche une volonté de vulgarité qui a quelque chose de misogyne, ou bien elle est destinée à identifier une personne à son ascendance pour la lui reprocher (= « la fille de Le Pen ») raisonnement tribal. Dans les deux cas je trouve que ce n’est pas digne d’un républicain. Il y a assez de matière dans le programme de M. Le Pen pour qu’on y trouve de quoi le récuser sans avoir besoin de brandir un adn.

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      1. Braize

        Bonjour Catherine
        Je n’avais pas eu ni vu votre réponse et votre question finale. Désolé. Les notifications par WordPress ne sont plus ce qu’elles étaient…
        J’aurai pu en effet me dispenser de ce qualificatif…
        Mais, nulle misogynie de ma part bien sûr et s’il s’était agi d’un rejeton mâle il aurait pu avoir droit au « fils Le pen ».
        Néanmoins, je ne trouve pas cela choquant même pour un républicain car ce parti politique a une histoire et des constantes, que l’idée de filiation rend bien, contre tous les « bienfaits » de la dédiabilisation. Il ne s’agit pas pour moi seulement de récuser mais aussi de combattre avec toutes les armes que la langue et les idées nous donnent.
        Il me semble que nous n’avons pas à faire, comme de simples consommateurs face à un rayon de supermarché, le choix d’un programme parmi d’autres mais à combattre les tenants des démocraties illibérales, prêts en l’occurrence (pour MLP comme pour son père avant elle) à piétiner notre constitution et les principes de droit qui nous fondent.
        Bien amicalement
        FB

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  3. Tarnacois sans caténaire

    Certes la liberté de porter le voile sur la voie publique entraîne la liberté de dire ce que l’on en pense.Mais franchement , ce dicton n’est il pas un vœu pieux ?
    Qui va oser ? Dire que le tournage de Belphégor est au Louvre ou tout autre gracieuseté que se permettaient les vieux laïcards de la Belle Epoque au passage d’une volée de nonnettes ou d’une procession.
    D’abord la pression religieuse n’est plus la même et peut être de ce fait d’antiques associations qui se sont arrogé l’exclusivité de penser librement, auraient tôt fait de vous rappeler au respect de la religion du pauvre. Rappelez vous le tollé qu’avait amorcé l’injonction d’enlever un voile dans une assemblée publique ( Si ça avait été dans la rue, nous serions allés au procès)
    Soyons réalistes : ne pas agir législativement revient à livrer la rue aux islamistes. La seule idée qui vient est encore l’interdiction du port
    Mais là encore poussons le réalisme. Je ne pense pas que nous ayons les moyens policiers pour assumer cette prohibition et combien de voiles serviraient alors de leurre à des larcins plus répréhensibles . Et combien de crises diplomatiques pour des voiles étrangers verbalisés.
    Sans compter la compassion contre-productive qu’entraînerait la mesure
    Sans compter non-plus l’atteinte à la sacro-sainte liberté : ici celle de se vêtir comme bon il nous semble . Liberté , qui, si ma mémoire est bonne avait été invoquée par le président américain en visite à Paris. Personne n’avait soulevé à l’époque, que cette liberté n’existe sous aucune latitude( Sauf quelques dérogations que je qualifierais «  de respect de la vie des peuples dits primitifs ») Si notre bon Barak s’était amusé à se promener en caleçon , ou encore avec moins dans les rues de Washington, il ne nous aurait pas sorti une pareille ânerie.
    Bref nous sommes dans une impasse

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    1. Mezetulle

      Qui va oser ? C’est pour cela qu’on soutient Charlie, qui ose, etc. C’est pour cela que j’écris, à la fin de l’article, que la « gentillesse » n’est pas une politique… Mais vous avez raison : sans cette audace publiquement exercée, la liberté de critiquer – et donc la liberté – s’amenuise. Les droits ne sont effectifs que si on en use, et la laïcité ne serait qu’une coquille vide si elle se réduisait à l’énoncé de règles. Osons donc !

      D’accord avec vous aussi au sujet de ces « antiques associations » qui ont adopté « la religion du pauvre » et fait du « respect de la religion » (pas n’importe laquelle) une injonction. Je me permets de renvoyer aux articles « Du respect érigé en principe » et « It hurts my Feelings« .

      En ce qui concerne l’exemple du voile porté « dans une assemblée », il se trouve qu’il était porté par une visiteuse – très probablement une provocation, mais cela ne change rien (et du reste la provocation a fonctionné, comme vous le rappelez). Je ne reviens pas sur la dualité des principes, exposée dans l’article et que je rabâche depuis bientôt dix ans (Penser la laïcité, chapitre 1) mais la distinction entre autorité publique et société civile est précieuse et me semble devoir être maintenue : c’est elle qui permet de récuser l’usage abusif du terme « intégrisme » s’agissant du régime laïque, et qui installe ce que j’appelle « la respiration laïque ». Son efficience tient à la fermeté de son application et à l’audace d’exercer la liberté d’opinion, d’expression et d’affichage dans les deux sens (on revient au point n°1).
      Non seulement la prohibition du port du voile dans l’espace commun serait la négation de cette dualité, non seulement elle serait, comme vous le faites remarquer, inapplicable, non seulement elle serait une rupture d’égalité (car la loi est générale dans son objet et il faudrait donc étendre la prohibition à toute ostentation de signe qui se prétend religieux), mais encore on peut prévoir sans grand risque de se tromper que nos « progressistes » et autres « antiques associations » se feraient un plaisir de lancer un mouvement « touche pas à mon voile / nous sommes toutes des femmes voilées ».

      Enfin, oui, la liberté de se vêtir n’est pas absolue et ne l’a jamais été. Quant à Barack Obama, merci d’avoir rappelé sa mauvaise foi en l’occurrence – un petit tour dans le métro lui aurait peut-être ouvert les yeux… J’en profite pour signaler l’article que j’avais écrit en 2009 après le « Discours du Caire », encore accessible sur le site d’archives : http://www.mezetulle.net/article-32569492.html

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      1. BINH

        Et pourquoi pas « étendre la prohibition à toute ostentation de signe qui se prétend religieux » sans l’espace public ? Où serait la « rupture d’égalité » ?
        Hormis les considérations pratiques liées au militantisme idéologique (manifestations, récupérations politiques, etc) , en quoi une telle interdiction serait-elle anti démocratique ? Nous avons bien un Code de la route qui limite nos envies de rouler comme on veut, un Code Pénal qui nous restreint dans nos envies de frapper le violeur du coin, ou un Code Bidule sinon Machin qui bride nos libertés ! Il y a eu des manifestants criant à la dictature quand on a envisagé d’interdire la cigarette dans les bistrots ou les trains: sommes nous en dictature parce que le bien commun dénommé « santé » (qui est payé cher par les contribuables) exige maintenant que les adeptes des fumées cancérigènes n’envoient pas les effets de leur plaisir ou de leur addiction dans le corps du voisin ? Le Bien Commun « tranquillité spirituelle » ou « Liberté » ne peut-il pas justifier qu’on limite les effluves mentales cancérigènes que certains souhaitent faire respirer au voisin dans l’espace public ?

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        1. Mezetulle

          1° Il y aurait effectivement rupture d’égalité si l’interdiction d’affichage religieux que certains réclament dans l’intégralité de « l’espace public » s’appliquait à une ou des religions particulières et non à toutes : en réclamant l’interdiction totale, vous avez au moins le mérite de la cohérence.
          Mais la laïcité ne consiste pas à établir cette uniformité, et l’article auquel je fais référence dans le billet ci-dessus expose le principe de la dualité des principes dans un régime laïque : je me permets de vous y renvoyer https://www.mezetulle.fr/la-dualite-du-regime-laique/
          Je fais remarquer que terme « espace public » est ambivalent. Il peut désigner tantôt l’espace social partagé, l’espace commun accessible au public (ex. la voie publique, les transports, les lieux « privés » mais accessibles comme les salles de conférence, etc.), tantôt l’espace participant directement de l’autorité publique, régi par le droit public (lieux, actes et objets clos définis par la loi, ex. les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, magistrats, école publique , etc.). Symétriquement, « privé » est également ambivalent, pouvant désigner soit ce qui est régi par le droit privé (ex. commerces) soit ce qui est restreint à l’intimité, dérobé au regard d’autrui.
          En prétendant que le principe de laïcité (qui vaut pour l’autorité publique et ce qui participe d’elle) doit s’étendre à l’ensemble de l’espace social partagé, vous récusez la dualité du régime laïque. Cela consisterait donc à interdire toute manifestation d’opinion notamment religieuse dans cet espace. C’est une abolition de la liberté d’expression, et la négation même du régime laïque, qui installe une « respiration » en distinguant les deux espaces, les deux domaines. Je rabâche cela depuis des années à partir d’une réflexion sur « l’affaire du gîte d’Epinal » en 2007, j’en ai donné une représentation tabulaire dans mon Penser la laïcité (p. 40) et l’article ci-joint sur La dualité du régime laïque n’en est qu’un énième rabâchage, avec variation sur le concept d’intégrisme. Ce que vous réclamez, c’est une forme d’intégrisme : l’application d’une interdiction d’affichage à l’intégralité de l’espace accessible au public.
          Je dois vous avouer que je suis lasse de répéter cette distinction depuis plus de dix ans… J’ai écrit le billet ci-dessus (à la suite d’autres articles allant dans le même sens) pour souligner que cette liberté d’affichage et d’expression dans l’espace social partagé n’est pas à sens unique, et qu’on oublie trop souvent qu’elle comprend aussi le droit de critiquer, moquer, caricaturer, les religions.

          2° Aucun espace n’est entièrement libre. Même l’espace intime est réglementé : on n’a pas le droit d’y faire n’importe quoi… Donc alléguer l’existence d’interdits ailleurs n’a pas grand sens. « On interdit bien de se promener tout nu, alors pourquoi n’interdirait-on pas tous les signes religieux ?  » Et pourquoi pas « tous les signes politiques » pendant qu’on y est ?

          3° Vous avancez, pour justifier un interdit que je considère comme abusif, l’exemple d’autres interdits qui le sont ou que vous considérez comme tels. Mais un abus ne peut pas être un motif pour en commettre un autre.

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          1. Binh

            Merci pour ces précisions et ces critiques qui répondent à une question un peu provocatrice. Je posais plutôt le problème d’une interdiction imaginable face à une expression ou une pratique religieuse (quelle qu’elle soit) qui serait liberticide, ou au moins impérialiste ou expansionniste, sur un espace public lui-même difficile à cerner parfois, certes, mais juridiquement modifiable pour qu’il puisse être mieux ciblé quand même, si besoin (les députés sont là pour ça). L’échange en cours s’inscrit dans l’article consacré au voile, donc à l’Islam, et plus généralement aux religions. Evidemment…liberté d’expression, et donc liberté religieuse ! L’intégrisme laïc que vous craignez ne doit pas nous conduire à une uniformité dans notre vie sociale qui rendrait nos existences tristes et rigides (du type : pays dits « socialistes »). La « respiration » laïque est nécessaire, d’autant qu’elle se nourrit elle-même de l’air de toutes sortes de spiritualités, religieuses, philosophiques, politiques, etc, parfois très utiles et efficaces (ex: les hôpitaux chrétiens de nos temps médiévaux). Mais peut-elle se protéger, pour survivre, contre des expressions et des revendications (religieuses, politiques, etc) qui la menaceraient en souhaitant restreindre son air (voire, lui prendre son air, tout simplement. Ou carrément lui prendre toute son aire de vie sociale) ? Un dispositif juridique en cours le permet, certes (en France du moins), c’est celui de « l’ordre public » : mais le déclencher (Préfet, Juge) relève toujours de l’exercice acrobatique de haute voltige (et à ce jeu-là, bien souvent, les plus bruyants ou les plus violents finissent par gagner). Vous parlez de la nudité (l’envers du voile) : elle n’est interdite que si elle trouble « l’ordre public ». Mais si « l’ordre public » n’est pas menacé (ou jugé menaçant), le positif judiciaire n’est pas enclenché : et la nudité n’est pas interdite (Plages des Landes, Cap d’Agde, etc). Autre aspect de l’interdiction : je ne vis pas à Paris, mais quand j’y vais, je vais souvent à Belleville, et je constate que dans la rue de Ménilmontant, depuis des années, il y a des bistrots interdits aux femmes (revendication religieuse des patrons) : manifestement, Maire de l’arrondissement et Préfet estiment que cette pratique religieuse ne trouble pas l’ordre publique. Et cette situation dure, au vu et au su de tout le monde (parisien, français, européen, mondial). Dans cette affaire, il y a bel et bien une expression religieuse et politique discriminante, sexiste, attentatoire à nos libertés et clairement désireuse d’uniformité sociale : cette expression religieuse, sur ce point précis, nuit à la « respiration laïque ». Interdire cette expression inégalitaire ne favoriserait-elle pas la « respiration laïque » ? Sur le plan politique, on a d’autres exemples où l’articulation entre interdictions et expressions politiques libres posent de « sacrés » problèmes : les interdictions des discours et manifestations électorales hors de certaines limites (durée, temps, espaces) sont-elles attentatoires à nos libertés ? Et le résultat de la consultation électorale (respiration démocratique) des citoyens de l’agglo de Nantes sur l’avenir de Notre Dame Des Landes a tout simplement été oublié pour favoriser un groupe minoritaire d’activistes attachés à leurs petits lopins de terre privés, derrière de beaux discours écologistes universalisant (ils ont donc décidés, eux seuls, de l’avenir de cet espace souhaité par la Puissance Publique dans un « intérêt public » mis en consultation auprès de la population) : l’interdiction (et la sanction qui l’accompagne) de ces violences militantes et de ce pouvoir minoritaire local abusif et impérialiste aurait-il nui à nos libertés fondamentales ? Bref : la question du voile (impossible à interdire, évidemment), n’est que la partie émergée d’un iceberg de revendications religieuses, attentatoires à nos libertés, qui pend au nez de nos démocraties dans plusieurs espaces de nos vies quotidiennes (piscines, entreprises, stades de foot, salles de sports, …bistrots ). Il me semble que la question de certains interdits se pose quand même. Excusez ma participation à une discussion susceptible de provoquer involontairement votre lassitude sur le sujet. Je n’y reviendrai pas. Cordialement.

          2. Mezetulle

            Merci pour cette réponse.
            Les exemples que vous donnez sont très clairs et ne relèvent pas, pour la plupart, de la « respiration laïque ». Un café qui refuse les femmes est dans l’illégalité (il faudrait pour cela qu’il se transforme en club privé n’admettant que ses cotisants), ce n’est en rien une tolérance relevant d’une « respiration »! Le problème est d’avoir tout simplement le courage de faire constater l’infraction et d’appliquer la loi. L’exemple du référendum de ND des Landes est tout aussi illégal. On voit bien ici que la seule existence des lois est insuffisante lorsque celles-ci ne sont défendues ni par les « magistrats » publics ni par les citoyens.

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