« It hurts my feelings » : l’affaire Mila et le nouveau délit de blasphème

Du respect érigé en principe, derechef

« L’affaire Mila », lycéenne harcelée et menacée de mort pour avoir diffusé une vidéo « insultante » envers l’islam1, pose à nouveau la question du « blasphème » sous une forme contemporaine qui n’est plus celle qu’ont connue nos aïeux, et pour deux raisons. L’une est le retournement victimaire qui inverse le schéma classique où l’on voyait des procureurs accuser les blasphémateurs au nom d’une autorité transcendante. L’autre, noyau profond de ce retournement, est une redéfinition subreptice de la personne juridique, laquelle inclurait comme essentielles les convictions, de sorte qu’insulter une conviction serait insulter les personnes qui la partagent.

« It hurts my feelings ». Le retournement subjectif victimaire et l’impératif de censure

On ne s’étonnera pas de voir le responsable du CFCM, Abdallah Zekri, estimer que la jeune fille « récolte la tempête » après avoir « semé le vent » et qu’elle doit « assumer les conséquences » de ses propos de mauvais goût – comme s’il était admissible ou même compréhensible que la mort soit réclamée pour punir le mauvais goût : au moins les masques tombent2. Mais il est inquiétant de voir que, parallèlement à une enquête pour menaces de mort, le procureur de la République de Vienne (Isère) a ouvert une autre enquête au « chef de provocation à la haine raciale »3. Certes il s’agit officiellement de vérifier si la jeune fille a insulté des personnes (en l’occurrence les musulmans considérés comme groupe) – or le visionnage de la vidéo en question ayant largement circulé sur les réseaux sociaux atteste qu’il n’en est rien. Il est pour le moins étrange de voir intervenir ici le terme « de haine raciale », comme si l’adhésion à une religion était une question de « race »4, et de constater la diligence avec laquelle, par ce parallélisme, on s’empresse, sous couvert de se tenir dans un « juste milieu » qui les renvoie dos à dos, de placer les auteurs de menaces et leur victime sur le même plan.

La question du blasphème5 est à nouveau posée par cette affaire, sous une forme très précise qui n’est plus celle qu’ont connue nos aïeux, et pour deux raisons. L’une est le retournement victimaire qui inverse le schéma classique où l’on voyait des procureurs accuser les blasphémateurs au nom d’une autorité transcendante. L’autre, noyau profond de ce retournement, est une redéfinition subreptice de la personne juridique, laquelle inclurait comme essentielles les convictions, de sorte qu’insulter une conviction serait insulter les personnes qui la partagent.

Bien que le délit de blasphème ait disparu en France depuis la Révolution, bien que les législations pénalisant le blasphème soient en déclin dans les États de droit attachés aux libertés formelles, y compris non-laïques6, la persécution pour motif de blasphème n’a pas disparu pour autant. On continue à menacer et à tuer au nom de dogmes. Mais c’est au sein même des États de droit, au sein même de leur législation que le délit de blasphème et son cortège de menées punitives refait surface sans dire son nom : sorti par la porte, il revient par la fenêtre avec un costume de chevalier blanc. La demande de « punition », la revendication d’interdiction d’expression pour motif d’outrage à une religion, à un dogme, et cela devant les tribunaux, au nom de la loi elle-même, non seulement n’a pas disparu, mais elle se répand. Seulement elle a changé de nature et même de sens : devenue respectable, elle réclame aujourd’hui l’égard pour une « victime » dont on finit dès lors par « comprendre » qu’elle se livre à toutes les invectives, y compris à des menaces.

Comme pour l’affaire des caricatures, on assiste à un retournement victimaire : ce ne sont plus des procureurs qui se dressent contre des propos outrageant une divinité, mais des avocats qui plaident pour des « victimes » offensées, à savoir les croyants. Le schéma accusatoire à l’impératif au nom d’une autorité est retourné en plainte subjective et le scénario s’inverse. Les bourreaux de jadis se présentent comme des victimes : ce n’est plus un Livre sacré, ni Dieu qu’on prétend offensé, mais la sensibilité des croyants. On entre dans un schéma victimaire de subjectivation. Est incriminé non plus ce que je juge contraire à la vérité, mais ce qui me choque subjectivement, ce qui me blesse ou plutôt – car il s’agit d’une figure de style – : ce qui blesse mes sentiments.

« It hurts my feelings » : voilà qui, outre-Atlantique, est devenu un obstacle sans réplique devant lequel il faut s’incliner, au nom duquel le silence et la censure s’imposent. La version française de l’impératif serait plutôt l’appel au « respect » : tout irrespect envers ce que je pense devient une atteinte à ma personne. « Du respect érigé en principe »7 : cette expression, j’aurais aimé l’inventer. Elle pointe le glissement d’une conception formelle, extérieure, du droit, vers une normalisation subjective sous régime psychologique dont on peut craindre qu’elle s’érige en ordre moral. Elle est empruntée au chapitre premier du livre posthume de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes8. On voit une fois de plus avec l’affaire Mila que la notion d’islamophobie, brandie au nom de victimes offensées et stigmatisées n’a d’autres fonctions que de censure et d’intimidation9.

Brève histoire du retournement de l’incrimination de blasphème

C’est ce que décrivent de manière très minutieuse et informée les travaux récents de Jeanne Favret-Saada10. Dans un article mis en ligne sur Mezetulle en juin 2016 intitulé « Les habits neufs du délit de blasphème », lui-même issu du livre alors en préparation et qui a été publié depuis11, Jeanne Favret-Saada retraçait et analysait l’histoire sinueuse de la disparition de l’incrimination de blasphème en France. Cette histoire aboutit à la loi du 29 juillet 1881, notamment avec l’abrogation des délits d’outrages à la « morale publique et religieuse » ainsi qu’aux « religions reconnues par l’État ». C’est un moment crucial : l’évidence acceptée d’une autorité absolue et extérieure présentée sous régime objectif autorisant les poursuites, cette évidence tombe. Je cite JFS :

« Lors des débats parlementaires, l’inconsistance des objections cléricales est le fait le plus nouveau, ainsi que le plus stupéfiant : les locuteurs réalisent au moment même où ils parlent qu’ils ont cessé d’être crédibles, alors qu’ils l’étaient encore quelques mois plus tôt, au temps de l’Ordre moral. L’arrangement politico-religieux qui a rendu possible, durant tant de siècles, la criminalisation du blasphème, est soudain périmé, et il l’est une fois pour toutes. Car le jeune régime républicain, alors même qu’il est politiquement incapable de mettre fin au Concordat ou de proclamer la séparation des Églises et de l’État, s’est déjà engagé – et avec quelle énergie, si l’on considère l’œuvre scolaire de ces années-là – dans la voie de la laïcité. Le régime de laïcité proprement dit ne sera véritablement établi qu’en 1905, mais, dès 1881, il est désormais impossible, de poursuivre un écrit au seul prétexte qu’il porterait atteinte à la religion. »

Le délit d’opinion religieuse en tant que tel est aboli. Mais JFS poursuit, passant à notre époque :

« Nul n’aurait pu imaginer le spectaculaire retournement de situation que nous vivons depuis le début des années 1980. Exploitant les virtualités ouvertes par une loi de 197212 contre le racisme, des associations dévotes issues de l’extrême-droite catholique – bientôt rejointes par une association ad hoc de l’Episcopat – obtiennent des condamnations pour « injure au sentiment religieux », « diffamation religieuse », ou « provocation à la discrimination, à la violence et à la haine religieuse ». Des juristes, parfois réputés, invoquent désormais un « droit au respect des croyances », élevé à la dignité d’un « droit fondamental de la personnalité », et, tant qu’à faire, d’une « norme constitutionnelle d’égale valeur à celle de la liberté d’expression ». Un siècle après sa disparition, le délit d’opinion religieuse a donc fait sa réapparition dans nos prétoires, sinon dans nos lois. Il diffère de l’ancien délit de blasphème en ce qu’il ne sanctionne plus les offenses à Dieu mais celles à la sensibilité de ses fidèles : car si l’on parle encore de « blasphème », ce n’est plus dans les prétoires, où le terme n’a pas cours, mais dans le débat public ou entre dévots. »

Elle souligne la lenteur de ce retournement. En 1984 Mgr Lefebvre assigne en justice avec succès l’affiche du film de Jacques Richard Ave Maria pour « outrage aux sentiments catholiques ». En 1985, l’Alliance Générale contre le Racisme et pour le Respect de l’Identité Française et chrétienne (AGRIF) assigne Jean-Luc Godard, réalisateur de Je vous salue, Marie et son producteur pour « diffamation raciste envers les catholiques ». L’AGRIF perd son procès, mais elle inaugure une politique d’occupation perpétuelle des tribunaux, à seule fin de défendre les « sensibilités catholiques » contre toute production susceptible de les « blesser ».

Selon JFS, le point d’appui de ce retournement s’inspire de la loi du 1er juillet 1972 dans la mesure où cette dernière, dans la modification de la loi de juillet 1881, introduit la notion d’appartenance religieuse :

« […] les magistrats se révéleront rapidement incapables de distinguer entre les fidèles (qu’ils dotent d’une « sensibilité » devant être protégée) et leur religion : ainsi, par exemple, quand sont en cause une déclaration pontificale (qu’il s’agisse de l’antisémitisme chrétien ou du préservatif), ou un épisode fâcheux de l’histoire de l’Église. »

Elle s’interroge aussi sur la signification de la notion de « groupe de personnes » s’agissant d’une appartenance religieuse. Comment délimiter ces groupes ?13:

« la Convention européenne des droits de l’homme elle-même – encline depuis peu à protéger les « sensibilités religieuses » – a veillé à n’évoquer dans son traité que des individus. Dans la nouvelle loi française, au contraire, il est difficile de désigner avec certitude la cible (individuelle ou collective) que le prévenu est supposé viser : « tous les baptisés de l’Église catholique » (y compris les « progressistes » et ceux qui sont détachés de la pratique) ? les pratiquants ordinaires ? ou un très petit nombre d’entre les fidèles, les dévots qui se disent blessés dans leurs convictions ? ».

Enfin, elle soulève la question de la nature des associations pouvant se porter partie civile (art. 48.1 de la loi du 29 juillet 1881, modifiée par la loi Pleven qui introduit uniquement les associations de lutte contre le racisme, puis modifiée en 1990 pour y introduire celles qui combattent les discriminations religieuses).

« … les magistrats auront tendance à considérer les associations confessionnelles comme représentatives de la « sensibilité blessée » des « groupes de personnes » protégés par la loi. L’on peut tout de même se demander si le scandale ressenti par l’Association Saint-Pie X – et même par l’Episcopat – est celui d’un groupe particulier de fidèles ou de tous les « groupes de personnes » catholiques ? »

Elle conclut sur une note contrastée dont on aimerait, aujourd’hui, que le souhait final soit toujours d’actualité – apparemment la décision du procureur dans la naissante affaire Mila, loin d’y mettre fin, entretient le chaos judiciaire14 :

« Les magistrats français n’étaient nullement préparés à faire face à une inflation de procès en défense de la religion, surtout dans le cadre d’une loi antiraciste. Pendant une vingtaine d’années, ils prononcèrent les verdicts qu’ils purent : tantôt favorables à la liberté d’expression, bien qu’avec une motivation souvent fautive, tantôt privilégiant le « droit au respect des croyances », avec une argumentation non moins fragile. En 2002, l’arrivée dans les prétoires des associations musulmanes – pour une déclaration de Michel Houellebecq sur l’islam -, a prestement remis les pendules à l’heure : s’il faut reconnaître un statut égal à toutes les demandes religieuses, la magistrature française préfère se résoudre à la laïcité. Le jugement rendu en 2007 au procès intenté à Charlie Hebdo pour avoir publié des caricatures du Prophète Mahomet marque, on l’espère, la fin du chaos judiciaire – sinon des procès en défense de la religion. »

Du respect envers les personnes au respect envers les doctrines

Du point de vue philosophique, le problème posé est une question d’intériorité et d’identité : avec la notion de « sensibilité blessée » nous avons ici la juridisation d’un moment psychologique. En effet, les convictions religieuses deviennent insidieusement une propriété constitutive de la personne, elles sont indissolublement incluses en elle et peuvent prétendre au même niveau de reconnaissance et de protection. L’appartenance religieuse ou d’opinion est considérée comme essentielle de sorte qu’on pourrait prétendre à sa protection en tant que telle. On vérifie alors la pertinence de la rédaction du titre de Charb : « Du respect érigé en principe » ; on glisse du respect envers les personnes au respect envers les doctrines auxquelles telles ou telles personnes se déclarent attachées, et cela d’autant plus que ces personnes sont réunies en groupes. L’affaire des caricatures et l’ « affaire Mila » montrent que cette problématique ne concerne pas exclusivement la religion catholique et qu’elle offre un boulevard à l’intégrisme musulman, qui ne manque pas de s’en emparer. De manière générale, cette inclusion des croyances dans la personne essentialise les croyances et cela soulève une question philosophique majeure.

En revanche, une législation formelle, extérieure, protège non pas les doctrines et convictions elles-mêmes, mais leur expression dans un cadre de droit commun qui pénalise l’injure et la diffamation, qui pénalise le fait de s’en prendre aux personnes elles-mêmes et non pas celui de s’en prendre à des croyances, à des opinions, à des doctrines. Dans la perspective classique des droits formels, l’expression du dénigrement de telle ou telle appartenance ou croyance, pourvu qu’elle s’exerce elle aussi dans les limites définissant l’injure et la diffamation, non seulement n’est pas incriminable, mais elle bénéficie de la même protection que l’expression des croyances et diverses appartenances ; la liberté d’expression est la même pour tous. Il n’y a donc de ce point de vue et dans ce cadre aucun délit dans une critique ou une satire, même virulente, même de « mauvais goût », d’une doctrine, d’une conviction.

« La France… respecte toutes les croyances » : qu’est-ce que cela veut dire ?

Je terminerai en évoquant quelques difficultés.

Les lois dites mémorielles et le débat dont elles sont l’objet entrent dans ce champ. La question a été soulevée par des historiens, notamment dans un texte intitulé « Liberté pour l’histoire » paru dans Libération du 13 décembre 2005, dont voici un extrait :

« L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire
C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives ­ notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005 ­ ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites.
Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique. »15

On retrouve ici la question de la liberté philosophique et de son apparente disjonction avec la liberté formelle exploitée pour faire taire un discours : les lois citées s’autorisent d’un contenu « vrai » pour restreindre une liberté. Mais ce que font remarquer les historiens est beaucoup plus intéressant : ils montrent qu’il n’y a plus de liberté philosophique si la liberté formelle d’expression est trop restreinte ou abolie. Si on n’a plus le droit de dire ou de supposer des propositions fausses, c’est tout simplement la recherche de la vérité qui est entravée : pour établir une proposition il faut pouvoir la falsifier, il faut pouvoir en douter. On voit donc que la conception formelle de la liberté, loin de s’opposer à la liberté philosophique, en est au contraire l’une des conditions. Ce que risquent de perturber des lois mémorielles, c’est la méthode scientifique elle-même : elles ont une conception extérieure de la vérité.

Je m’intéresserai finalement, excusez du peu, à un passage de la Constitution.

L’alinéa 1 de l’article premier de la Constitution de 1958 est ainsi formulé :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Je m’interroge en effet sur la phrase « Elle respecte toutes les croyances ». Qu’est-ce que cela veut dire ? N’étant pas juriste, j’essaie de la comprendre avec mes propres lumières.

Il me semble que cela ne peut pas vouloir dire que la RF respecte les contenus des croyances. Car si c’était le cas, on pourrait fonder là-dessus une forme de reconnaissance publique des autorités religieuses à travers le respect de leurs dogmes, lesquels comprennent une mythologie, des propositions philosophiques, mais aussi des propositions à portée politique et juridique. Plus absurdement, il faudrait interdire d’enseigner par exemple que la Terre est sphérique car il y a des groupes qui croient qu’elle est plate, ou interdire d’enseigner la théorie de l’évolution au même motif. Je ne peux comprendre cette phrase que si elle a pour objet, non pas les croyances dans leur contenu, mais uniquement leur expression.

On peut aussi lire cette phrase (et cette seconde lecture est compatible avec la précédente) en comprenant qu’elle parle de la République, de l’association politique et uniquement de l’association politique. Les personnes ne sont donc pas tenues de respecter les croyances, de même qu’elles ne sont pas tenues d’être laïques alors que la République est tenue, elle, par le principe de laïcité. Si on lit de cette manière, il est alors infondé de poursuivre une personne ou un groupe de personnes pour non-respect de croyances, mais la République elle-même doit observer une réserve sur tous ces sujets. J’espère que c’est bien le cas, mais je n’en suis pas si sûre, ou plutôt j’ai bien peur que non…

Enfin je n’arrive pas à lever une objection sur la formulation très restrictive de ce passage16. Respecter « toutes les croyances », c’est refuser ce même respect aux diverses espèces de non-croyance et donc installer une inégalité de principe entre les croyants d’une part et les non-croyants de l’autre. Sans compter qu’il peut y avoir des conflits absolus : faut-il privilégier la sensibilité du croyant qui se dit « blessé » par une déclaration d’athéisme ou bien la sensibilité de l’athée qui se dit blessé par l’affirmation qu’il existe un ou des dieux ? Dans ces cas, on peut craindre que ce soit la « sensibilité » du juge qui tranche.

Pour toutes ces raisons, je pense qu’il serait préférable ou de ne rien dire, ou de remplacer cette phrase par la suivante :

« Elle [la France] assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

Notes

1 – Voir par exemple et entre autres l’information en ligne sur le site de L’Express : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/affaire-mila-enquetes-ouvertes-apres-des-menaces-de-mort-contre-la-lyceenne_2116140.html On la trouvera sur de nombreux sites internet des grands quotidiens et chaînes de radio – tv.

2 « Elle l’a cherché, elle assume. Les propos qu’elle a tenus, les insultes qu’elle a tenues, je ne peux pas les accepter » a-t-il déclaré sur Sud-Radio (cité par L’Obs 28 janvier 2020 https://www.nouvelobs.com/societe/20200128.OBS24037/schiappa-qualifie-de-criminelles-les-propos-d-un-responsable-du-cfcm-sur-l-affaire-milla.html

3 – Voir note 1.
[Edit du 30 janvier 2020] On apprend aujourd’hui que le parquet classe sans suite les accusations de « provocation à la haine » https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/isere-affaire-mila-parquet-classe-suite-accusations-provocation-haine-1781093.html

4 – Alors que l’article 24 de la loi dite Pleven du 1er juillet 1972 modifiant la loi du 29 juillet 1881 (modifications des articles 24 et 48) distingue les chefs d’accusation (voir infra note 12).

5 – Rappelons à ce sujet que contrairement à ce que pourrait laisser entendre une facilité de langage, il n’existe aucun « droit au blasphème » qui serait énoncé dans la législation de la République française tout simplement parce que le blasphème n’a aucune existence juridique – il n’y a de blasphème que pour ceux qui y croient. L’expression est libre, dans la limite du droit commun qui détermine textuellement et formellement les abus de cette même expression : articles 4, 5 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Préambule de la Constitution de 1958, articles, 23, 243, 29, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, articles R 621. R 621.2 du Code pénal. Il faut donc rester intraitable sur le formalisme de la liberté d’expression, sur le droit de dire des choses fausses et même des bêtises.

6 – On a vu récemment le Royaume-Uni, et dernièrement le Danemark abolir les leurs.

7 – Les lignes qui suivent sont reprises, avec quelques modifications et adaptations, de la seconde partie d’un article que j’ai écrit sur le sujet en septembre 2017, publié en ligne sous le titre « Du respect érigé en principe. Blasphème et retournement victimaire : faut-il « respecter toutes les croyances » ? https://www.mezetulle.fr/du-respect-erige-en-principe/

8 – Paris : Les Echappés, 2015, p. 56.

9 – Voir ici même les articles abordant la notion d’islamophobie : https://www.mezetulle.fr/?s=islamophobie Un exemple très éclairant de la manipulation du terme, sans oublier le rapprochement final avec l’extrême-droite pour faire bonne mesure, peut être trouvé sur le journal gratuit 20 minutes : https://www.20minutes.fr/high-tech/2702611-20200124-affaire-mila-revient-histoire-ado-cyberharcelee-apres-propos-islamophobes

10Les sensibilités religieuses blessées. Christianismes, blasphèmes et cinéma 1965-1988, Paris ;Fayard, 2017. Jeanne Favret-Saada est anthropologue ; ancienne directrice d’études à l’École pratique des hautes études, elle a publié de nombreux ouvrages, notamment Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, Paris, Fayard 2007, 2015. Voir sa bibliographie et des textes en ligne sur le site de l’EHESS http://gspm.ehess.fr/document.php?id=1408

11 – « Les habits neufs du délit de blasphème » par Jeanne Favret-Saada, Mezetulle, 14 juin 2016. Le livre est cité à la note précédente.

12 – Loi dite Pleven du 1er juillet 1972, modifiant la loi du 29 juillet 1881 (modifications des articles 24 et 48).

13 – Ainsi, art. 24, al. 5 : « Ceux qui […] auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » seront condamnées à une peine de prison et/ou d’amende aggravée. – C’est moi qui souligne.

14 – On peut rappeler aussi le constat allant dans le même sens, au sujet de la jurisprudence, présenté par Henri Leclerc dans son article « Laïcité, respect des croyances et liberté d’expression », Legicom 2015/2 (N° 55), 43-52.
[Edit du 30 janvier 2020]. S’agissant de Mila, le procureur a classé « sans suite » l’enquête pour incitation à la haine (voir la note 3), mais le chaos judiciaire a été largement surclassé par le chaos politique entretenu par une déclaration de la ministre de la Justice Nicole Belloubet le 29 janvier sur Europe 1 : «  »Dans une démocratie, la menace de mort c’est inacceptable, c’est absolument impossible […]. L’insulte à la religion c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave, mais ça n’a pas à voir avec la menace. » Nicole Belloubet a fini par « rétropédaler » dans la journée du 30 janvier, comme on dit, non sans avoir auparavant publié un tweet qui se voulait apaisant dans sa généralité – « On peut critiquer les religions. Pas inciter à la haine » – mais qui dans ce contexte était plus qu’une maladresse.

15 – Texte signé initialement par Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock. Accessible en ligne http://www.liberation.fr/societe/2005/12/13/liberte-pour-l-histoire_541669 . Le délit de presse de « contestation » ou de négation d’un crime contre l’humanité est introduit en 1990 par un article 24bis dans la loi du 29 juillet 1881.

16 – [Note ajoutée le 30 janvier 2020] Cette objection a été heureusement discutée par un commentaire de François Braize lors de la première version de cet article publiée en 2017. Nous y revenons tous les deux dans le commentaire ci-dessous et le suivant.

Lire la version initiale de l’article, publiée en septembre 2017 :  « Du respect érigé en principe« .

32 thoughts on “« It hurts my feelings » : l’affaire Mila et le nouveau délit de blasphème

  1. amar

    on a changé d’époque, de perspective mais également de cadre juridique. A partir du moment où prime le principe de non-discrimination sur celui d’égalité, le droit positif a tendance à substituer l’identité à la personne. Autrement dit, le masque que constitue la personne tombe. Et il devient difficile de maintenir le principe de neutralité.

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  2. Philippe

    Merci beaucoup Madame Kintzler pour cette nouvelle prise de position lumineuse et salutaire, un vrai soutien pour beaucoup surtout quand tant d’autres se taisent et rampent voire même cautionnent et collaborent. Honte à tous ceux, représentants de la puissance publique (Où est Blanquer ?? Il s’occupe des E3C sans doute…) ou diffusant une parole publique, qui depuis une semaine font silence ou s’abaissent minablement. Et le petit procureur, ouvrira-t-il une enquête suite aux insultes ignobles initialement proférées contre Mila (« sale française, « sale gouine », etc.)?

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  3. Incognitototo

    Chère Catherine,

    Merci pour votre habituelle limpidité.

    Il est quand même décourageant et révoltant de constater que les tenants des dogmes (qu’ils soient politiques ou religieux) continuent à menacer de mort et à tuer partout dans le monde.

    À mon sens, « le chaos judiciaire » est surtout entretenu par des magistrats qui n’appliquent pas à la lettre les lois.
    Dans ce fait divers de société que vous relatez, tous les éléments sont réunis pour que les auteurs des menaces soient déférés et condamnés en justice, y inclus pour ceux qui cautionnent ce type d’agissements en expliquant « qu’elle l’a bien cherché ».

    Alors, le vrai problème reste pour moi, pourquoi nos lois ne sont-elles pas appliquées ? C’est tellement ça le problème, et dans tellement de secteurs de notre société, que j’y consacre plusieurs chapitres dans un ouvrage qui, je l’espère, paraîtra un jour.

    Bien amicalement.

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  4. Tarnacois sans caténaire

    Je ne saurais trop remercier mon hôtesse pour dénoncer l’article 1 de la constitution; ce que je m’évertue à faire depuis des années envers le peu d’auditoire que je possède .
    Et ce pour les deux raisons qu’elle expose; le mot respect donne des sueurs froides à un prof de philo émérite; pensez l’effet qu’il peut avoir sur un juge à la formation intellectuelle douteuse
    : les non-croyances sont exclues par omission du dit respect, c’est à dire que l’on met à l’écart les deux tiers de la population
    Et si elles étaient incluses imaginez le fourbis. Un athée militant pourrait porter plainte contre tout porteur de signe religieux en vertu d’une offense à ses convictions et donc si j’ai bien compris la nouvelle morale , envers sa propre personne. Et quant à moi, dernier rejeton d’une lignée de communistes invétérés, ayant appris à lire dans l’almanach ouvrier et paysan, citoyen d’une commune où selon les dire d’un célèbre abruti , les mariages sont célébrés sous l’égide de la faucille et du marteau, je me réserve le droit de faire un sort au premier qui dessine des moustaches en croc au camarade Thorez, et je vous laisse deviner les sévices que j’infligerai à celui ou celle qui ajoute un bonnet d’âne au portrait de Karl Marx : et ceci en toute impunité les juges qui ont tant la notion du respect me comprendront.
    Je reviens sur le retournement victimaire. Il est hélas navrant de voir combien la nature humaine se laisse gouverner par ses sentiments, fusent ils bons.Cette propension à prendre sans discernement parti pour le pot de terre contre le pot de fer est consternante. Rappel: au lendemain du vote de la loi de 1905, l’inventaire des biens de l’Église n’a pu se faire sous la pression populaire et pourtant cet audit faisait bien parti d’une loi chèrement acquise. Le courageux Clémenceau n’a pas voulu risquer de faire couler le sang pour un bénitier( Il n’a pas hésiter plus tard à faire couler celui des vignerons et des mineurs) Pas un de ceux qui faisaient la veille des sarabandes macabres autour des, files de nonnettes n’a porté main forte aux autorités.Comment s’étonner aujourd’hui de la démission des forces de progrès devant le retour du délit de blasphème?
    Et pourtant il n’y a aucune pitié à avoir devant le valet obséquieux , souvent pire oppresseur que son maître. Il ne faut pas s’y tromper; ce sont les mêmes charbonniers fidéistes qui quelques années plus tard frappaient et crachaient sur les colonnes de déportés

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  5. Monge

    Si l’article de Mme Kintzler est, comme d’habitude, d’une grande et lumineuse intelligence, votre question est passionnante, et élargit sa réflexion. Ceci rend la parution de votre livre indispensable (et urgente) !
    Merci à vous deux.

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  6. Ping : « It hurts my feelings » : l’affaire Mila et le nouveau délit de blasphème Du respect érigé en principe, derechef Par Catherine Kintzler, le 28 janvier 2020 |

    1. Braize

      Oui en effet merci Catherine de ce renvoi à ma réponse de l’époque à votre question déjà posée il y a plus de deux ans.
      Si je résume ma réponse de l’époque je dirai que seule votre analyse est la bonne et pas celle de certains commentaires sur la portée de la phrase « Elle respecte toutes les croyances » qui ne peut par définition porter sur les contenus de celles-ci mais simplement sur leur droit à la libre existence vis-à-vis de la République et de l’Etat dès lors qu’elles respectent les exigences de notre Etat de droit et de notre ordre public.

      Mais votre inquiétude pour les non croyances qui ne bénéficieraient pas du même respect n’est pas fondée. En effet, cette phrase de l’article 1er ne peut qu’être assimilée à la liberté de conscience (et/ou liberté de pensée) qui protège croyants et non croyants. Aucune lecture juridique sérieuse ne peut donner à cette phrase une portée plus restrictive. Je mets au défi quiconque de trouver une décision de justice qui consacrerait une telle régression dans nos principes fondamentaux. Cette impossibilité de lecture restrictive de cette phrase de l’article 1er résulte de nos engagements internationaux (Convention européenne des droits de l’Homme) et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

      D’ailleurs, ce dernier dans une décision du 21 février 2013 a donné rang constitutionnel à certains des principes fixés par la loi de 1905 allant au delà de la lettre de l’article 1er de la Constitution et de la protection de la liberté de conscience.

      Aux termes de cette décision, parmi les trois interdictions prévues par la loi de 1905, («La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte»), l’interdiction de reconnaissance et celle de salariat ont été situées à un rang constitutionnel par le Conseil constitutionnel, mais l’interdiction de subvention ne l’a pas été. Le Conseil constitutionnel semble ainsi nous dire que cette interdiction ne nécessiterait pas le même degré d’exigence en termes de protection juridique.

      Comme nous l’avons souligné dans un article dans le magazine Slate à l’époque (http://www.slate.fr/tribune/83673/iconoclastie-principe-constitutionnel), nous avons bien désormais des dispositions constitutionnelles boiteuses depuis cette décision de 2013 mais ce n’est pas sur un distinguo entre croyants et non croyants défavorable à ces derniers. C’est bien sur le rang constitutionnel donné à certaines des interdictions posées par la loi de 1905 (interdictions de reconnaissance et de salariat des cultes) et pas à celle de subventionnement des cultes.

      C’est la raison pour laquelle nous proposions à la fin de notre article, comme le fait ici Catherine Kintzler, de remplacer le membre de phrase de l’article 1er « Elle respecte toutes croyances » par une phrase reprenant tous les principes de la loi de 1905, mais nous le faisons pas pour des craintes infondées sur le respect dû aux non croyants. Nous le faisions pour constitutionnaliser tous les principes de la loi de 1905.

      Bien cordialement et encore merci pour ce magnifique article.

      Répondre
    1. Catherine Kintzler

      On peut faire plus drôle : il suffit de taper « Caricatures Charlie judaïsme » dans un moteur de recherche pour avoir un beau florilège d' »outrages »…

      Voir aussi, entre autres, ce lien : https://jewpop.com/opinions/charlie-hebdo-couvertures-juifs-israel/

      Sur ce site on trouvera une critique du judaïsme comme monothéisme dans l’article de Jean-Pierre Castel « La violence monothéiste n’est pas que politique« , avec une discussion très approfondie dans les commentaires de l’article.

      Par ailleurs, il me semble qu’il y a quelque différence (et une différence, conséquemment, pour la qualification pénale) entre se faire traiter d' »ordure antisémite » et recevoir des menaces de mort.

      Répondre
    2. Jacques Jedwab

      Il semble que l’argument par les juifs ou le judaïsme se répande comme témoignage à charge contre le droit et la laïcité puisqu’on l’a vu utiliser récemment par Mme Garrido et Mr Roussel pour l’une justifier le port du voile en sortie scolaire, l’autre pour condamner la jeune Mila.
      Je ferai remarquer que les attaques contre le judaïsme ne provoquent ni menace de mort, ni acte de censure. Il faut dire qu’elles sont largement présentes dans la littérature française et figurent même aux frontons de certaines cathédrales que jamais aucune main n’a essayé de détruire.
      En revanche les attaques contre les juifs sont des incitations à la haine.

      Répondre
  7. SILEM Ahmed

    J’aimerai savoir si quelqu’un peut trouver une remarque restrictive, une critique argumentée, à cet exposé magistral, rationnel, limpide, brillantissimement complet en ne négligeant aucun aspect du problème.

    Répondre
    1. Catherine Kintzler

      Merci… !
      J’ai cependant volontairement écarté un aspect du problème, qui pourrait éclairer les remarques finales sur la relation et la différence entre liberté formelle et liberté philosophique. Cet aspect est assez longuement traité en première partie dans la version initiale de l’article publiée en 2017 référencée en bas du présent article ainsi qu’à la note 7. Cette omission d’un début très théorique et apparemment loin du sujet m’a semblé nécessaire pour actualiser la question en la mettant explicitement en rapport avec « l’affaire Mila ».

      Répondre
  8. Jeanne Favret-Saada

    L’affaire Mila inaugure un nouveau chapitre dans la longue histoire du « blasphème »

    Sur le fond du problème soulevé par l’affaire Mila, Catherine Kintzler a dit tout ce qu’il était nécessaire de dire. Elle l’a fait avec sa rigueur et son talent ordinaires, et je suis très heureuse de l’usage qu’elle a fait de mon travail. Le commentaire qui suit, loin de la contester, tente de porter un peu plus loin notre compréhension du moment présent dans la longue histoire du « blasphème ».
    Le conflit qui oppose Mila à ses adversaires est né dans les réseaux sociaux, où il a proliféré plusieurs jours avant d’être remarqué par les médias ordinaires, et donc par les intellectuels que nous sommes et les responsables politiques. Ses protagonistes sont de très jeunes gens, qui s’expriment dans une langue brutale, où prédominent les onomatopées, l’argot djeunn, et les rythmes syncopés. Pourtant — c’est là le très grand intérêt de la démonstration de Catherine Kintzler — ces particularités ne modifient en rien le fait qu’on soit en présence d’un conflit sur la liberté d’expression : car les tweets et les vidéos s’inscrivent, eux aussi, dans l’espace public de la société civile, au même titre que les grands médias.
    De reconnaître qu’il s’agit là d’une affaire ordinaire d’accusation de blasphème dans un Etat où elle n’a plus cours — équivalente, donc, à des celles qui ont frappé des écrivains ou des artistes — n’empêche pas qu’on doive regarder de près ce qui l’a déclenchée. La justice a entrepris d’enquêter sur ce point, mais il n’est pas interdit de s’en faire, dès à présent, une idée à partir de la documentation disponible.
    Nous disposons à cet égard de deux récits des événements, tels que Mila les a racontés au site identitaire Bellica (21 janvier) puis au Checknews de Libération (22 janvier). Du fait que la jeune femme, menacée de mort, a ensuite été contrainte de se cacher, les médias les ont ensuite repris sans pouvoir ajouter une enquête : désormais, Mila se tait et laisse parler son excellent avocat, Me Malka. Voici donc comment je me représente la situation de départ.
    Mila, une collégienne de 16 ans, dit afficher à la fois sur son site son amour de la chanson, son lesbianisme et son refus des religions : ceux qui y viennent savent donc à qui ils ont affaire. Les deux récits ne concordent pas entièrement, mais il semble que, le 18 janvier au matin, la jeune femme refuse les avances électroniques d’un garçon. La conversation tourne alors sur l’islam : « J’ai simplement dit que je n’aimais pas ça et que c’était une religion de haine, rien de plus. » Elle reçoit aussitôt des paquets d’insultes et de menaces.
    Furieuse, elle décide quelques heures plus tard de tourner une nouvelle vidéo. Selon Libé, elle parlait avec une lesbienne de leur commune absence d’intérêt érotique pour les filles rebeu, quand un nouveau garçon la drague. (Bellica prétend qu’elles parlaient de leur attrait pour les garçons rebeu, mais cette information est peu plausible). Mila rembarre « gentiment » son séducteur, mais il le prend mal : « Il commence à nous traiter de sales lesbiennes, de racistes. Ensuite, le sujet a commencé à déraper sur la religion, donc moi j’ai dit ce que j’en pensais.»
    Le passage de la vidéo de Mila dans laquelle elle dit ce qu’elle pense de l’islam est encore aujourd’hui à la disposition de tous (par ex. : https://www.youtube.com/watch?v=EdGIcThIG_o) :
    « Je déteste la religion, le Coran est une religion de haine, l’islam c’est de la merde. Je dis ce que je pense, putain. Je suis pas raciste, pas du tout. On peut pas être raciste d’une religion. J’ai dit ce que je pensais, j’ai totalement le droit, je regrette pas du tout. Il y a des gens qui vont encore s’exciter, j’en ai rien à foutre. Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci au revoir.»
    Nous assisterions donc à une nouvelle étape dans la longue histoire du « blasphème » : quand leur séduction naturelle ne suffit plus, des jeunes hommes en viennent à invoquer une religion qui assure leurs droits sur la sexualité de filles — fûssent-elles lesbiennes ; et celles-ci répliquent par des « blasphèmes » dont l’extrême violence manifeste qu’elles défendent, tout bonnement, leur liberté d’exister.

    Répondre
  9. ousia

    Quelques jours avant cette affaire, on a assisté à un glissement sémantique étonnant.
    Sur France-inter un chanteur-humoriste s’est fendu, au sujet de la pédophile dans l’Église, d’une chansonnette dont le refrain disait « Jésus est pédé ».
    Il s’est vu obligé de s’excuser publiquement, non pas d’avoir tenu un propos blessant pour un messalisant mais pour avoir blessé la communauté LGBTQI+ en utilisant le terme « pédé » jugé homophobe par cette dernière.
    Dorénavant, le sens de la proposition « Jésus est pédé » est d’exprimer l’homophobie du locuteur.
    J’avoue m’être senti soudain très (trop) vieux…

    Répondre
  10. Jeanne Favret-Saada

    Quelques remarques supplémentaires sur cette affaire de « blasphème » d’un nouveau genre.

    Admettons que Mila ait, par ses propos, gravement insulté l’islam, fût-ce pour se défendre contre des dragueurs trop insistants. L’on peut toutefois s’interroger sur la nature particulière de leur islam : pourquoi de pieux musulmans se présentent-ils sur le compte Instagram d’une lesbienne affichée ? pourquoi lui adressent-ils des propositions sexuelles ? quelle est cette religion, qui les autorise à contraindre une jeune femme inconnue à accepter une relation sexuelle dont elle ne veut pas, et qui appelle sur elle une sanction divine pour l’avoir refusée : “inchallah tu meurs sale pute que tu es”, pétasse, d’où tu dis ça notre dieu Allah c’est le seul et l’unique, j’espère tu vas brûler en enfer”, “va mourir en enfer grosse pute sale lesbienne“.. “va mourir en enfer grosse pute sale lesbienne“.

    Le plus étrange est qu’en condamnant à mort la jeune femme aussitôt qu’elle a déclaré « l’islam est une religion de haine », ils démontrent qu’elle a raison. Et leurs propos manifestent que cet islam est spéciste, raciste, xénophobe, et homophobe : “On va te retrouver et t’égorger sale chienne“, “t’es morte on sait où t’habites“, “crari tu parles des arabes toi ptite babtou {blanche}, wallah on va venir avec des pelo, t’inquiète pas on va t’attraper »… « sale pute lesbienne“, “sale française“, “française de merde“, “chiennasse”, espèce de pute de LGBT“, “Sale trou du cul de lesbienne on va te niquer toi“ (un acte de dévotion bien connu des religions patriarcales), “elle est dans mon lycée, c’est une seconde et lundi on va régler ça“, “t’es au lycée Vincy (sic) attends-toi au pire, ça va te niquer ta mère“.

    Ces particularités ne paraissent pas avoir frappé les responsables musulmans qui ont pris position sur l’affaire : l’un d’eux s’est lavé les mains de l’éventuelle exécution de Mila («Elle l’a cherché, elle assume»), d’autres s’y sont fermement opposés et ont appelé au calme. Aucun, pourtant, n’a mis en cause la conduite de paroissiens aussi problématiques. De même, dans un premier temps, un procureur ouvrait une enquête sur Mila pour « incitation à la haine raciale », et non sur ses correspondants ; tandis que la Garde des Sceaux — pourtant une juriste réputée — affirmait que Mila ait porté atteinte à « la liberté de conscience » de ses interlocuteurs.

    Répondre
  11. Leyraud Pierre

    Au Canada , la loi canadienne anti-blasphème, c’est-à-dire le paragraphe 296 du Code criminel, a été abrogée le 19 décembre 2018.
    Mais pour illustrer parfaitement les propos de C Kintzler sur « ce qui sort par la porte, revient par la fenêtre » , la Motion M-103, qui condamne la soi-disant « islamophobie », demeure.( votée en 2017)
    Texte de ladite motion:
    La motion M-103

    Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait :

    a) reconnaître qu’il faille endiguer le climat de haine et de peur qui s’installe dans la population;

    b) condamner l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques et prendre acte de la pétition e-411 à la Chambre des communes, ainsi que des problèmes qu’elle a soulevés;

    Bien entendu, les partisans de la motion M 103,condamnant « l’islamophobie » ont toujours soutenu le droit de critiquer les religions, mais….

    Piere Leyraud-Montreal

    Répondre
  12. Jacques Variengien

    Bonjour,
    « Il me semble que cela ne peut pas vouloir dire que la RF respecte les contenus des croyances. » nous propose C. Kintzler et je ne peux que la suivre. Mais alors, puisque l’on a le droit de les critiquer, où est la critique de la RF sur ces contenus contraires aux droits élémentaires des êtres humains ? Quelqu’un peut-il me communiquer la critique des partis politiques sur les contenus des religions ? Allez, d’un seul parti politique ? Critique au regard des droits des êtres humains, au regard du triptyque de la République laïque.
    Si non, quelqu’un peut-il m’en donner les raisons ? Respect n’est pas une réponse autorisée.

    Sur la sensibilité blessée. Nous serons d’accord j’espère pour dire que l’instruction implique de soumettre à la critique ses croyances, ses pré-conceptions, ses préjugés grâce à la méthode scientifique, la démarche critique, la confrontation au réel ; sinon c’est de l’éducation. Mais comme nous ne critiquons pas les religions qui ne cessent de revendiquer leurs privilèges perdus – avec l’aide desdits politiques qui s’attribuent également des privilèges – il est logique que d’autres acteurs en réclament un. Nous sommes sur la logique anglo-saxonne de la généralisation des privilèges – à chacun le sien – et non plus sur une logique de retenue dans l’espace public ( on compte à partir de 0 nous dirait C.Kintzler).

    Cette lâcheté des politiques, même ceux qui défendent la liberté de critiquer les religions sans la pratiquer, peut s’observer dans l’exemple suivant : l’incapacité (présumée) de la Cour des Comptes à évaluer le coût pour l’Etat laïque de l’enseignement confessionnel. Combien d’articles ? Combien de condamnations ? Combien de leçons ministérielles ? Combien d’ouvertures d’enquête ? Non. Respect, ne rouvrons pas la querelle de l’école !

    Il faut soutenir Mila à plus d’un titre. 1 Parce que c’est une adolescente à protéger par principe ; même si elle avait dit le contraire, même si elle avait dit Je ne suis pas Charlie alors que personnellement je dis Je suis Charlie. De ce point de vue, les paroles de la ministre Mme Belloubet, M. Zekri du CFCM, Mme Royal, M. O.Vallet, le silence d’associations communautaires et de partis politiques, sont abjects. Avec de tels adultes (présumés protecteurs) les ados n’ont pas besoin d’ennemis. 2 Parce qu’elle a exprimé son rejet avec des mots et non pas avec des actes ; et je fais la différence entre l’insulte et l’appel à discrimination (chose que ne fait toujours pas Mme Belloubet), et plus encore avec la menace de mort. Une société où l’on peut dire jusqu’à sa haine, où l’on peut s’insulter sans en venir aux mains est encore humaine ; une société où ne règne que l’amour s’appelle le paradis ; sur terre ça s’appelle l’enfer.

    Répondre
    1. Mezetulle

      Sur le premier point. Je pense qu’il n’appartient pas à l’autorité publique laïque de critiquer telle ou telle position, telle ou telle doctrine ou religion, car ce serait presque toujours adopter ou favoriser une autre doctrine et en tout cas rompre l’égalité dans laquelle elle doit tenir, par son silence, toutes les positions : seuls les délits, les déclarations expressément contraires à la loi peuvent et doivent être critiqués et réprimés le cas échéant comme le prévoit la loi. La critique est l’affaire de la jouissance de la liberté par les citoyens, les associations, les groupes de recherche, et bien sûr par la recherche universitaire (laquelle n’a pas à se conduire comme une courroie de transmission d’une position officielle).

      C’est d’ailleurs ce que souligne votre second point, qui déplore à juste titre que les citoyens ne s’emparent pas suffisamment de cette liberté de critique. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles, comme vous le soulignez, il faut soutenir « Mila » car l’usage même « de mauvais goût » de cette liberté en est le témoin, le critère – il s’agit d’une liberté formelle et il ne faut pas céder sur les droits formels au nom de droits réels (voir à ce sujet la première partie de la version initiale de l’article publiée en 2017).

      Répondre
  13. Ping : L’affaire Mila et la réintroduction du délit de blasphème en droit français (par JES] - Mezetulle

  14. Ping : L’affaire Mila ou le retour du délit de blasphème | Egale

  15. VANHEE Francis

    Bonjour,
    Sur le point ajouté le 4 octobre 1958 (« Elle respecte toutes les croyances »), Jean-Paul Scot nous dit qu’il l’a été sous la pression des gaullistes et des démocrates-chrétiens sur proposition du juriste Coste-Floret.
    Extrait de la conférence de Jean-Paul Scot à Rouen le 7.12.19 avec le CREAL76 :
    « Depuis 1946, « la France est une République indivi-sible, laïque, démocratique et sociale » comme le proclame l’article premier de la constitution de la IVe République, difficilement adoptée le 27 octobre 1946.
    Mais cela ne se fit pas sans mal !
    Le 5 mai 1946, un premier projet de constitution était soumis aux Français et aux Françaises par referendum. L’article 13 du préambule intitulé « libertés et droits » proclamait que « La liberté de conscience et des cultes est garantie par la neutralité de l’État à l’égard de toutes les croyances et de tous les cultes. Elle est garantie notamment par la séparation des Églises et de l’État, ainsi que par la laïcité des pouvoirs et de l’enseignement public ».
    En dépit du soutien des communistes et des socialistes qui avaient recueilli 50 % des suffrages aux élections législatives d’octobre 1945, il fut rejeté par 53 % des électeurs, les gaullistes, les chrétiens démocrates du MRP, les droites et les radicaux ayant appelé à voter contre. Le principe de laïcité était ainsi rejeté par la coalition des droites et des démocrates-chrétiens.
    Les nouvelles élections législatives permirent au MRP de devenir le premier parti de France avec 28 % des voix devant le PCF stagnant à 26 %, la SFIO tombant à 21 %. Les rédacteurs démocrates-chrétiens refusèrent de reprendre l’article 13 antérieur car ils s’opposaient à la constitutionnalisation de la loi de 1905 et au principe d’une laïcité séparatrice.
    C’est seulement grâce à un amendement déposé in extremis par les députés communistes Étienne Fajon et Georges Cogniot que la France a été déclarée « République laïque ». Mais l’adjectif « laïque » ne suffit pas pour que le principe de laïcité soit constitutionnelle-ment fondé sur la séparation des Églises et de l’État .
    Cet affaiblissement du principe de laïcité fut aggravé en 1958.
    Après le retour du général de Gaulle au pouvoir, le nonce apostolique et les archevêques vinrent demander au futur président de supprimer l’adjectif « laïque » de la formule républicaine. Le général, bon catholique mais fin connaisseur de l’histoire, aurait répondu : « Nous pouvons dire que la France est catholique, mais la République est laïque ». La référence à la laïcité de la République était sauvée, mais son esprit en était encore affaibli.
    B – Par suite, la loi de 1905 n’a pas été pleinement constitutionnalisée
    La Constitution du 4 octobre 1958 reprend l’article 1er de celle de 1946 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » : elle précise qu’« elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Mais sous la pression des gaullistes et des démocrates-chrétiens, un amendement ambigu est adopté sur proposition du juriste Coste-Floret : « Elle respecte toutes les croyances ». La formule est ambiguë car le respect de croire est dû aux croyants, aux personnes, alors que les croyances restent soumises comme toutes les opinions et convictions à la critique du libre examen. Certains juristes en concluent que la laïcité a subi une inflexion notoire avec l’avènement de la Ve République : d’une laïcité séparatrice, on passe à une laïcité respectueuse des croyances et des religions. »
    (texte complet de cette conférence Loi de 1905 : Accommodements d’hier et instrumentalisations d’aujourd’hui », écrire à creal76@creal76.fr )

    Répondre
    1. braize

      Ces rappels historiques sur la genèse du texte de la Constitution du 4 octobre 1958 sont très intéressants mais ne font pas le droit positif.
      Celui-ci résulte de la lettre du texte de notre actuelle Constitution et de leur interprétation par le Conseil constitutionnel. A cet égard, comme indiqué plus haut dans un commentaire précédent le Conseil constitutionnel a précisé le texte en constitutionnalisant deux des principes de la loi de 1905.
      En effet, par une décision du 21 février 2013 il a donné rang constitutionnel à certains des principes fixés par la loi de 1905 allant au delà de la lettre de l’article 1er de la Constitution et de la protection de la liberté de conscience.
      Aux termes de cette décision, parmi les trois interdictions prévues par la loi de 1905, («La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte»), l’interdiction de reconnaissance et celle de salariat ont été situées à un rang constitutionnel par le Conseil constitutionnel, mais l’interdiction de subvention ne l’a pas été. Le Conseil constitutionnel semble ainsi nous dire que cette interdiction ne nécessiterait pas le même degré d’exigence en termes de protection juridique…
      Comme nous l’avons souligné dans un article dans le magazine Slate à l’époque (http://www.slate.fr/tribune/83673/iconoclastie-principe-constitutionnel), nous avons bien désormais des dispositions constitutionnelles boiteuses depuis cette décision de 2013 sur le rang constitutionnel donné à certaines des interdictions posées par la loi de 1905 (interdictions de reconnaissance et de salariat des cultes) et pas à celle de subventionnement des cultes.
      Il faudra bien un jour y remédier comme nous y invite aussi C Kintzler.

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