« Plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolff, lu par Philippe Foussier

L’avenir de l’universalisme

Philippe Foussier a lu Plaidoyer pour l’universel de Francis Wolff (Fayard, 2019). Ce livre roboratif et solidement étayé, où l’auteur affronte les détracteurs de l’humanisme universaliste dans toute leur variété, propose une analyse et des arguments pour ne pas désespérer de l’air du temps différentialiste1.

S’il ne peut prétendre à l’exhaustivité, Plaidoyer pour l’universel s’en approche en tout cas. Francis Wolff y détaille en effet à la fois toutes les caractéristiques de l’universalisme dans ses perspectives philosophiques, historiques, politiques et anthropologiques, tout en affrontant avec rigueur et méthode l’ensemble de ses détracteurs. Et ils sont légion. Le culte de la différence, cette obsession identitaire dont on aurait pu imaginer qu’après la Seconde Guerre mondiale et son application paroxystique il soit définitivement disqualifié, revient au contraire en force en ce début de troisième millénaire. Il est vrai qu’après avoir été contesté par ses adversaires réactionnaires habituels de manière continue, l’héritage des Lumières est aujourd’hui attaqué, avec parfois une vigueur plus ardente, par des représentants du camp dit progressiste qui ont inventé de nouvelles identités de genre, d’orientation sexuelle, de « race » ou de religion : « Fleurissent chaque jour, dans le champ social, politique ou philosophique, mille idées « nouvelles » revenues d’un autre âge tournant autour de la notion d’identité » (p. 12). C’est ce qui rend l’universalisme d’autant plus fragile et qui entoure le concept d’une confusion ou d’interprétations malveillantes allant croissant.

L’Homme, Dieu et la Nature

Francis Wolff affronte donc les détracteurs de l’humanisme universaliste dans toute leur variété, des post-humanistes aux xénophobes, des intégristes religieux aux nationalistes, des communautaristes tenants du relativisme culturel aux racialistes en passant par les nihilistes et sans oublier les dérives liées au naturo-centrisme. Car dans sa mise en perspective historique, l’auteur rappelle que l’humanisme conçu à travers l’unité du genre humain s’est construit en opposition à un ordre défini par le divin et qu’il est aujourd’hui confronté à un nouveau paradigme selon lequel l’homme deviendrait second par rapport à l’ordre naturel, une nature mythifiée, exaltée, dans laquelle l’homme est d’abord considéré comme un prédateur. Un ordre naturel dont on oublie souvent qu’il est injuste, brutal, cruel, et que l’ordre humain a eu précisément pour effet de corriger depuis quelques siècles. Les réflexions de Wolff sur les rapports de l’homme à l’animal sont particulièrement stimulantes.

La rationalité dialogique

L’auteur a aussi raison de souligner combien certains courants philosophiques, notamment français, et plus particulièrement dans la version répandue sur les campus américains, ont eu pour objectif, plutôt efficace d’ailleurs, de déconstruire l’humanisme et de vilipender l’universalisme, et mentionne entre autres Althusser, Derrida ou Foucault. Il répond aussi à l’accusation marxiste en affirmant que la défense de l’égalité réelle n’implique pas l’abolition des droits formels. Il observe que les régimes qui contestent le caractère universel des droits de l’homme ont tous pour caractéristique de se situer en dehors des normes démocratiques. À ceux qui récusent la Déclaration universelle des droits de l’homme au motif que, conçue par les Occidentaux, elle ne pourrait concerner d’autres « civilisations », Wolff rétorque que l’origine géographique d’une idée ne l’enferme pas dans sa sphère d’invention, citant par exemple l’algèbre, née à Bagdad au IXe siècle et devenue un système conceptuel universel. S’agissant de la DUDH, l’auteur rappelle avec pertinence que celle-ci contient de substantiels développements en matière de droits sociaux (articles 22 à 25 sur la sécurité sociale, le droit au travail, la protection contre le chômage, l’égalité salariale, le droit syndical, les droits au loisir, au repos, à la santé, au logement, à l’éducation gratuite…).

Pour Francis Wolff, c’est en mobilisant notre faculté de raisonner dans une conscience représentative qui fonde la certitude d’un monde commun dont nous pouvons parler – la « rationalité dialogique » – que nous pourrons redonner à l’humanisme universaliste et plus généralement à l’héritage des Lumières sa puissance mobilisatrice. Puissions-nous en avoir la volonté. Sans ce nécessaire combat, la victoire des adversaires de l’universalisme sera inéluctable.

1– Article à paraître dans UFAL Infos, dans le cadre d’un dossier sur l’universalisme. Avec les remerciements de Mezetulle pour autorisation de cette publication anticipée.

Francis Wolff, Plaidoyer pour l’universel, Paris, Fayard, 2019, 288 p. Voir sur le site de l’éditeur.

 

3 thoughts on “« Plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolff, lu par Philippe Foussier

  1. André

     » L’auteur a aussi raison de souligner combien certains courants philosophiques, notamment français, et plus particulièrement dans la version répandue sur les campus américains, ont eu pour objectif, plutôt efficace d’ailleurs, de déconstruire l’humanisme et de vilipender l’universalisme, et mentionne entre autres Althusser, Derrida ou Foucault.  »

    Tous plus ou moins grands lecteurs et admirateurs de Heidegger et de sa « Lettre sur l’humanisme » dont Arendt, autre icône à déboulonner, admirait la violence à l’égard de la tradition occidentale…

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