Au sujet de « l’affaire Mila », Jean-Éric Schoettl1 livre son analyse et ses inquiétudes en les éclairant par sa connaissance de la vie du droit. Mezetulle remercie l’auteur et le site de l’association « Egale », où le texte est proposé au téléchargement2, pour leur aimable autorisation de reprise.
L’incrimination de blasphème a été abolie en France avec l’abrogation des délits d’outrages à la « morale publique et religieuse » ainsi qu’aux « religions reconnues par l’État », concomitamment à la proclamation de la liberté de la presse en 1881.
L’alliance d’une cabale des dévots d’un nouveau type, d’une part, et du souci exacerbé de ménager la sensibilité de l’Autre, d’autre part, va-t-elle conduire à revêtir d’habits neufs le délit de blasphème ?
Telle est, entre autres problèmes de société, la question que pose l’affaire Mila.
Les faits
Rappelons sommairement les faits.
-
Parce qu’elle a dit sur Instagram qu’elle détestait les religions, et plus particulièrement l’islam, Mila (seize ans) a vu se déverser sur elle un tombereau d’insultes sexistes et de menaces de mort, tandis que des informations précises sur sa vie privée et ses habitudes étaient divulguées sur Internet3. Sa sécurité se trouvant en péril, elle ne se rend plus à son lycée.
-
« Elle l’a cherché, elle assume » a estimé, sur l ’antenne de Sud Radio, le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM).
-
Le procureur de la République de Vienne a ouvert deux enquêtes : la première visant les auteurs des menaces ; la seconde contre Mila pour provocation à la haine. Le 30 janvier, la procédure pour incitation à la haine faisait cependant l’objet d’un classement sans suite.
-
Tout en condamnant les menaces, la garde des Sceaux a estimé que l’insulte à la religion proférée par Mila (« Je déteste la religion, […] le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde, c’est ce que je pense. […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. ») constituait « une atteinte à la liberté de conscience ».
Les fractures françaises autour de l’islam
Cette affaire est, à de multiples égards, un cas « chimiquement pur » des fractures françaises autour de l’islam.
-
La vision négative de l’islam qu’exprime Mila (qu’elle qualifie de « religion de haine ») est sans doute majoritairement répandue en France chez les non-musulmans, ce qui est en soi préoccupant pour l’harmonie future de la société française.
-
Le déferlement de haine dont Mila a été l’objet sur les réseaux sociaux de la part de jeunes musulmans alimente malheureusement cette vision négative de l’islam chez les non-musulmans. Il témoigne au minimum du pouvoir d’imprégnation des idées islamistes sur les jeunes des « quartiers ». Les camarades de lycée de Mila de confession musulmane la traitent de raciste, sans guère s’émouvoir des menaces de mort. Quel abîme entre cette réaction collective, qu’il faut bien qualifier de communautaire, et les marques de sympathie que Mila a reçues de tant de gens ordinaires ! Un fossé se creuse qu’il est absurde de continuer à nier.
-
Au lieu de condamner ces menaces en martelant que « l’islam ce n’est pas ça », au lieu de mettre la violence à l’index, au lieu d’expliquer qu’en France il faut respecter les lois de la République et qu’en France la loi ne verrouille pas la liberté d’expression au nom du sacré, le délégué général du CFCM (qui n’est pourtant pas un intégriste patenté) emprunte au langage de la cour de récréation pour accabler une gamine dont l’existence quotidienne est compromise et dont les jours sont en danger : « Elle l’a bien cherché ». Bien cherché quoi ? S’il y a passage à l’acte, que dira M Zekri pour échapper à sa part de responsabilité ? Peut-on encore compter sur de tels représentants pour institutionnaliser en France un islam des Lumières ? Oui, en effet, le fossé se creuse.
-
Du côté du camp progressiste, c’est soit le silence assourdissant, soit la justification hypocrite de ce silence « pour le bien de l’intéressée, qui est dépassée par les évènements » (comme si on avait dissuadé Zola d’écrire « J’accuse », pour ne pas desservir la défense de Dreyfus), soit carrément la tentative de la discréditer (n’est-elle pas soutenue par le Rassemblement national ? n’a-t-elle pas été « exfiltrée par la police » [sic] ?
-
Enfin, du côté des pouvoirs publics, mises à part quelques voix claires (Schiappa, Blanquer, Castaner), la peur de stigmatiser a paralysé à nouveau les esprits. Dans la Maison Justice, la tentation a été irrépressible, au moins dans un premier temps, de renvoyer dos à dos les fanatiques proférant injures et menaces (de viol et de meurtre) et une gamine qui, dans le style il est vrai très cru qui est celui des réseaux sociaux, a fait usage de sa liberté d’expression en disant tout le mal qu’elle pensait de l’islam sans s’en prendre aux musulmans, ni tenir de propos racistes, comme elle s’en explique fort bien.
C’est sur l’attitude du parquet et de la garde des Sceaux que nous voudrions braquer à présent notre loupe.
Le procureur de la République de Vienne
Dans cette consternante affaire, on l’a dit, le procureur de la République de Vienne a ouvert initialement deux enquêtes : la première visant les auteurs des menaces (c’était la moindre des choses) ; la seconde contre Mila pour provocation à la haine raciale et/ou religieuse.
L’ouverture de la seconde enquête soulevait de prime abord trois problèmes.
D’abord celui-ci : en renvoyant dos à dos des enragés proférant des menaces de mort et une gamine dont les propos répliquaient, comme le montre le contexte4, à des injures machistes (émanant des mêmes individus qui, de harceleurs, se sont mués en inquisiteurs), le parquet établissait une bien étrange symétrie.
Fallait-il y lire un message et lequel ? Cherchait-on à montrer qu’on ne transigeait pas avec l’islamophobie ? Qu’on tenait la balance égale entre jeunes issus de l’immigration et jeunes Français « de souche » ?
Le deuxième problème était posé sans ambages par Céline Pina dans Causeur : « des fanatiques s’en prennent à une jeune fille et la menacent de mort parce qu’elle critique leur religion et le parquet vient leur prêter main forte au lieu de défendre la liberté d’expression ! »
Fallait-il rappeler, ainsi que l’avait fait, il y a près d’un demi-siècle, la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision Handyside5, que « la liberté d’expression vaut même pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent une partie de la population » ? Ou considérer qu’une partie de la population doit désormais bénéficier, au pays de Voltaire et de Diderot, d’une protection juridique spéciale du fait de sa religion ?
Le troisième problème était le plus sérieux. Il semblait acquis que l’arsenal dressé depuis la loi Pleven pour combattre l’incitation à la haine ou à la discrimination (ainsi que l’injure et la diffamation) à raison de la religion, de l’origine ethnique, de l’orientation sexuelle, etc. 6, protégeait les personnes et non les dogmes. Ainsi, la Cour d’appel de Paris avait jugé en 2008 que les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo en 2006 ne constituaient pas une injure à l’égard des musulmans 7.
Or il se trouve que Mila a tenu des propos certes virulents, voire orduriers (répétons-le : les gens de son âge n’en sont pas avares sur les réseaux sociaux), mais dirigés contre l’islam et non contre les musulmans. Un simple visionnage de la vidéo postée sur Instagram suffisait à s’en convaincre, sans qu’il soit besoin d’ouvrir une enquête.
En ouvrant cette seconde enquête, le parquet amorçait donc le glissement de tous les dangers pour la liberté d’expression : celui qui conduit à voir dans une charge contre la religion une incitation à la haine, ou une injure, ou une diffamation contre les croyants. C’était importer dans notre droit répressif le délit de blasphème.
Si cette pente était dévalée, il ne nous suffirait plus (nous laïques impénitents) de fustiger l’existence des crimes et délits de blasphème et d’apostasie partout où ils existent sur la planète (c’est-à-dire principalement dans les pays musulmans). Encore nous faudrait-il désormais dénoncer l’introduction subreptice, car purement jurisprudentielle, du délit de blasphème en droit français.
Fort heureusement, le procureur de Vienne est rapidement venu à résipiscence, ce qui est tout à son honneur.
Il a classé sans suite la procédure pour incitation à la haine, en publiant le 30 janvier un communiqué, en tous points conforme à l’état de notre droit, dans lequel il expose que : « l’enquête a démontré que les propos diffusés, quelle que soit leur tonalité outrageante, avaient pour seul objet d’exprimer une opinion personnelle à l’égard d’une religion, sans volonté d’exhorter à la haine ou à la violence contre des individus à raison de leur origine ou de leur appartenance à cette communauté de croyance ».
Toutefois, demeure chez les juristes les plus sensibles au discours victimaire et les plus attachés à la protection des minorités la tentation de voir dans l’insulte à la croyance une injure faite aux croyants.
C’est ce que montrent les propos tenus jusqu’ici par la garde des Sceaux sur l’affaire Mila.
La garde des Sceaux
Le 29 janvier, sur Europe 1, Mme Belloubet déclare que « l’insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de croyance ».
Emboîtant le pas au premier mouvement du procureur de la République de Vienne (lequel, on vient de le dire, est vite revenu à une plus juste appréciation des choses), la ministre de la Justice fait un parallèle entre menaces de mort d’un côté et insulte à la religion de l’autre (tout en précisant, il est vrai, que, à ses yeux, les menaces de mort sont plus graves que l’insulte à la religion).
Dans une mise au point ultérieure (après-midi du 29), elle explique que la critique de la religion est légitime, mais devient un délit lorsqu’elle prend un tour injurieux.
En somme, si on comprend bien la garde des Sceaux, Charlie Hebdo aurait dû être condamné en 2008 par la Cour d’appel de Paris8.
Or ce jugement de 2008 n’est pas isolé, bien au contraire. C’est une jurisprudence constante qui, depuis 1985, refuse de voir une incitation à la haine ou à la discrimination, une injure ou une diffamation à l’égard des croyants (tombant sous le coup des articles 24, 32 ou 33 de la loi du 29 juillet 1881) dans une critique, même outrageante, même injurieuse, de la religion.
Après 1984 (affaire du film Ave Maria dans laquelle Mgr Lefebvre assigne en justice avec succès, pour « outrage aux sentiments catholiques », l’affiche du film de Jacques Richard), la jurisprudence s’est en effet stabilisée dans le sens suivant : la critique des religions, même véhémente, même injurieuse, la caricature, même outrancière, de leurs figures sacrées, ne sont pas regardées comme une incitation à la haine ou à la discrimination, une injure ou une diffamation à l’égard des croyants.
Ainsi, comme le rappelle Richard Malka dans Le Figaro du 28 janvier, la Cour de cassation rejette en 2007 un recours de l’AGRIF visant un dessin représentant le Christ nu avec un préservatif sur le sexe9.
Aujourd’hui il n’y aurait pas de recours du tout car le « parti clérical » a cessé le feu. La chanson de Frédéric Fromet sur France Inter (« Jésus pédé ») n’a ému que par son caractère (éventuellement) homophobe. Les excuses de l’auteur s’adresseront d’ailleurs à la communauté homosexuelle. La religion majoritaire a digéré l’abolition du délit de blasphème (1881), comme elle a digéré la loi de séparation (1905).
Inquiétudes
Mais d’autres bigots ont pris le relais des groupes catholiques traditionalistes. Et ce n’est plus pour la défense de la France fille aînée de l’Église, mais par culpabilité post-coloniale que ces nouveaux bigots sont écoutés des professions juridiques (magistrats, avocats, professeurs de droit et garde des sceaux). Une bonne partie de la doctrine est visiblement habitée, comme une bonne partie de l’intelligentsia française, par cette haine de soi qui pousse à prendre en toute circonstance, fût-ce en liquidant les fondamentaux de la République, le parti de l’Autre.
Une telle évolution peut-elle conduire à la remise en cause de la sage jurisprudence encore réaffirmée par la Cour d’appel de Paris en 2008 ?
Ce risque, conjuré dans l’immédiat avec l’affaire Mila, existe bel et bien à l’avenir.
À l’analyser précisément, il tient à la conjonction de deux phénomènes à l’œuvre depuis un bon moment.
-
Au nom de la lutte contre les « phobies » (homo-, islamo- etc.) et contre les discriminations10, le droit pénal est requis par les associations militantes de protéger contre toute raillerie la sensibilité des membres des groupes réputés discriminés.
-
Dans le cadre de cette protection, les croyances de la victime tendent à être regardées comme consubstantielles à la fois à son identité et à la définition de son groupe d’appartenance.
Dès lors, une insulte à la croyance devient une injure aux croyants.
Ainsi se réinstallerait sans crier gare, non en vertu de la loi et conformément à la volonté du Parlement, mais par voie purement jurisprudentielle, la prohibition du blasphème. Et non plus cette fois au nom d’une vérité transcendante, mais au titre de la protection de la personnalité des membres des groupes réputés discriminés.
Comme l’écrit Catherine Kintzler11 : « La question du blasphème est posée sous une forme très précise qui n’est plus celle qu’ont connue nos aïeux, et pour deux raisons. L’une est le retournement victimaire qui inverse le schéma classique où l’on voyait des procureurs accuser les blasphémateurs au nom d’une autorité transcendante. L’autre, noyau profond de ce retournement, est une redéfinition juridique subreptice de la personne, laquelle inclurait comme essentielles les convictions, de sorte qu’insulter une conviction serait insulter les personnes qui la partagent. »
Notes
1 – Jean-Éric Schoettl est conseiller d’État honoraire et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
3 – NdE. Pour plus de détails, car ils méritent d’être connus, voir le 2e commentaire de Jeanne Favret-Saada sur l’article « It hurts my feelings : l’affaire Mila et le nouveau délit de blasphème » https://www.mezetulle.fr/it-hurts-my-feelings-laffaire-mila-et-le-nouveau-delit-de-blaspheme/#comment-20372
4 – NdE. Voir la note précédente.
5 – 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n°5493/72, §48.
6 – Cf articles 24 (septième à onzième alinéas), 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans leur rédaction issue de la loi Pleven (n° 72-546 du 1 juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme), complétée par de nombreux textes ultérieurs étendant la liste des groupes protégés et étoffant la répression.
7 – En première instance, le TGI de Paris avait relaxé Charlie Hebdo en faisant prévaloir la liberté de se moquer d’une religion sur le caractère choquant des caricatures pour la sensibilité des musulmans.
8 – NdE Voir ci-dessous l’ajout du 8 février : « La seconde rectification de la garde des Sceaux dans Le Monde« .
9 – NdE. Voir dans l’article « It hurts my feelings…. » (notes 10 et 11) les références aux publications de Jeanne Favret-Saada en 2016 et 2017 sur ces deux affaires.
10 – Cf. articles 225-1 à 225-4 du code pénal.
11 – « It hurts my feelings : l’affaire Mila et le nouveau délit de blasphème ».
[Edit du 8 février] La seconde rectification de la garde des Sceaux dans Le Monde
Le 8 février, dans une tribune au Monde, Mme Belloubet a opéré une seconde rectification de ses propos, en forme d’autocritique cette fois. Celle-ci me paraît satisfaisante (et rassurante) tant sur la question du blasphème que sur la portée du principe de laïcité.
Qu’on en juge par ces extraits :
« J’ai eu une expression qui était non seulement maladroite – ce qui est regrettable –, mais surtout inexacte – ce qui l’est plus encore : « L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience. » Maladroits, ces mots, repris de ceux exprimés dans la question posée, l’étaient à l’évidence, en donnant le sentiment que l’on pouvait établir une comparaison entre deux termes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre et qu’on ne peut mettre en balance. Inexacts, ensuite, car, juridiquement, l’insulte à la religion n’existe heureusement pas dans notre République. Seules sont réprimées les injures faites à autrui en raison de son appartenance à une religion déterminée, comme celles adressées à une personne en raison de ses origines, de ses orientations sexuelles, de son sexe…
[….] En matière de laïcité, il n’y a pas d’accommodements possibles. C’est un bloc. Inaltérable. Non négociable. Vital. La France s’est construite autour de cette idée cardinale, qui fait partie de notre ADN. Ce principe est la pierre angulaire de la République. Il repose sur la liberté de conscience et la stricte séparation des religions et de l’État. Et si la laïcité renvoie à un régime juridique, elle est plus encore un esprit, un esprit français. »
JFS sur Schoettl
Merci à Mezetulle de nous faire partager ce texte de J.- E. Schoettl, dont j’avais pu apprécier les propos dans l’émission de Marc Weitzmann, « Signes des temps », le 2 février dernier. Mon accord sur l’essentiel du texte n’interdit pas, pourtant, deux ordres de remarques.
1. A propos de l’Eglise catholique française, je suis très réservée sur cette appréciation de JES : » Aujourd’hui (…), le ‘parti clérical’ a cessé le feu. (…) La religion majoritaire a digéré l’abolition du délit de blasphème (1881), comme elle a digéré la loi de séparation (1905). »
D’une part, l’Eglise institutionnelle a en effet « cessé le feu », mais je ne pense pas qu’elle ait « digéré l’abolition du délit de blasphème ». Elle s’y est tout bonnement résignée depuis l’échec de son association de défense, Croyances et Libertés, devant la Cour de cassation en 2006 dans l’affaire Maïté et François Girbaud, une affiche commerciale démarquant La Cène, que l’avocat de l’épiscopat avait jugée « blasphématoire ». Ses avocats, notamment Me Thierry Massis, militent depuis dans la presse et dans la doctrine judiciaire pour faire accréditer un délit d’atteinte aux sensibilités catholiques blessées très proche de la formulation malheureuse de notre actuelle Garde des Scdeaux dans l’affaire Mila. Et plusieurs associations dévotes ont remporté des succès répétés contre des films, des romans, et des expositions d’art, au nom de la « défense de l’enfance », la seule justification que le droit français puisse encore admettre..
D’autre part, je ne pense pas que « le parti clérical » ait « digéré la loi de séparation ». Cette affirmation générale se révèle fausse dans nombre de cas particuliers. Je vous renvoie sur ce point à la longue analyse que j’ai consacrée au cas de La Religieuse, le film de Jacques Rivette, en 1965-1966, dans Les sensibilités religieuses blessées. Christianismes, blasphèmes et cinéma, 1965-1988. En 1965 déjà, les historiens affirmaient que l’Eglise catholique et ses fidèles avaient « digéré » la loi de séparation. Cette affaire montre que la chose n’était pas aussi évidente.
2. A propos de l’affaire Mila proprement dite, notamment dans le paragraphe intitulé « Les fractures françaises autour de l’islam », JES me paraît avoir une conception imprécise des tendances de l’islam en France. Suffit-il, par exemple, de dire que M. Abdallah Zekri, qu’il « n’est pas un intégriste patenté » ? Où M. Schoettl situe-t-il les « intégristes patentés » ? Faut-il en être un pour invoquer l »islamophobie » de Mila ? Je rappelle que plusieurs composantes du Conseil français du culte musulman, dont M. Zekri est aujourd’hui le délégué général, avaient intenté un procès fameux à Charlie Hebdo en 2006, qu’elles ont perdu l’année suivante ; et que M. Zekri préside d’ailleurs, au sein du CFCM, l’Observatoire de l’islamophobie.
Or on sait que la notion d' »islamophobie » a été introduite par le Collectif contre l’islamophobie en 2003, créé par des Frères Musulmans. J’ignore comment M. Schoettl qualifie leur ferveur religieuse, mais je note qu’ils ont réussi en quelques années, à faire reconnaître cette notion ambiguë par nombre d’instances gouvernementales, d’associations de droits de l’homme, d’autorités universitaires, et de médias. Les sensibilités islamiques blessées bénéficient désormais d’une crédibilité publique considérable, qui permet à nombre de musulmans — y compris, comme on dit, des « modérés » –, de mettre en cause la laïcité de l’Etat. C’est pourquoi de « jeunes musulmans » ordinaires (comment M. Schoettl sait-il qu’ils sont « jeunes », puisqu’ils n’ont pas été identifiés ?), M. Zekri, et toutes les variétés imaginables de salafistes peuvent condamner Mila d’une même voix : cette jeune fille serait donc « islamophobe ».
Au cours de la même période, alors que les catholiques échouaient à faire reconnaître juridiquement leur version modernisée du délit de blasphème, les promoteurs musulmans de la notion d' »islamophobie », sans y réussir, l’ont néanmoins accréditée dans tous les secteurs de l’opinion islamique, dans une partie de l’opinion non-musulmane, et dans de nombreuses officines de l’Etat. L’affaire Mila contraint donc notre gouvernement à choisir entre les opinions incompatibles de ses ministres en matière de laïcité : celles qui favorisent le programme politique contenu dans la notion d' »islamophobie », et celles qui l’entravent.
Cet article est une mise au point salubre. Grand merci !
Vous écrivez : « L’incrimination de blasphème a été abolie en France avec l’abrogation des délits d’outrages à la « morale publique et religieuse » ainsi qu’aux « religions reconnues par l’État », concomitamment à la proclamation de la liberté de la presse en 1881 » : oui, le délit de blasphème a été supprimé. Et en effet ce n’est un délit qu’au regard de Dieu, et cela n’a de sens que pour l’Église ou le croyant. Si par exagération, comme dit Littré, on peut dire blasphémer pour outrager, blasphème alors n’a pas de sens juridique : juridiquement, ce ne peut être le cas échéant qu’une insulte envers les personnes. Dieu n’est pas une personne juridique dont la loi civile ou républicaine aurait à garantir le liberté.
Pourquoi ce rappel, puisque tout cela est parfaitement expliqué dans les deux articles de Mezetulle ? Parce que je m’étonne que tous les médias et même les politiques parlent de « droit au blasphème » : cette expression n’a aucun sens. De délit, le blasphème ne s’est pas métamorphosé en droit ! Juridiquement, il a disparu, tout simplement. Si donc je tiens un propos qu’une communauté religieuse ou un croyant considère comme blasphématoire, pour moi, ce n’est pas un blasphème, et pour la loi ce n’est pas davantage un blasphème. Considérer que c’est juridiquement un blasphème permis n’a aucun sens: c’est seulement une opinion sur une religion, une croyance comme n’importe quelle autre sur n’importe quel sujet. Quoiqu’on puisse penser du style de tel ou tel pamphlet ou de telle ou telle caricature, ce ne sont pas des blasphèmes en France. Non pas des blasphèmes autorisés, mais pas du tout des blasphèmes. Que tel croyant les considère comme blasphématoire, c’est son affaire, et il peut le dire : il a comme tout citoyen le droit de s’exprimer librement. Mais qu’il porte plainte signifie seulement son refus de la loi républicaine.
En droit, comme das d’autres domaine, il faut se méfier des sophismes…
Si le blasphème n’est pas un délit, ce qui est notre réalité juridique et ce que nous soutenons tous, ne peut-on pas en déduire que j’ai le droit de tenir des propos, de faire des caricatures ou décrire des versets, sataniques ou non, que tel ou tel croyant jugera, lui, dans son for religieux blasphématoires ? Bien sûr que oui et pour moi et pour lui !
Alors oui, foin des chipotages, revendiquons notre droit au blasphème puisque ce qui n’est pas interdit est autorisé et est, donc, un droit.
Nier le « droit au blasphème » n’est-il pas ainsi une forme de retour de l’interdit sous la forme soft de l’invitation à la modération drapée dans la négation d’un droit au blasphème ? J’en conçois quelque sourde inquiétude… Mais peut-être que je me trompe…
J’ai dû mal m’expliquer.
Je croyais dire que la notion de blasphème n’a de sens qu’au sein d’une religion donnée. Si je tiens un propos qu’un chrétien considère comme un blasphème, ce n’est un blasphème ni pour moi, ni pour la loi républicaine. Je ne vois pas en quoi cette précision de vocabulaire serait une invitation à modérer la critique d’une religion.
Bonjour à tous et à C Kintzler qui nous accueille dans ses colonnes,
Un bonjour particulier à Jean-Eric Schoettl croisé souvent au Palais Royal pour lui dire mon amical souvenir.
Partageant le contenu de son article salutaire, aux réserves près qu’apporte Jeanne Favret-Saada, je n’y apporterai que quelques nuances de point de vue.
D’abord, il n’y a pas que les non-musulmans pour partager une vision négative de l’islam. Il y a de nombreux musulmans qui le paient ou risquent de le payer d’ailleurs de leur vie, ici ou ailleurs.
Ensuite, il ne suffit pas de dire que certains auraient mieux fait de dire « ce n’est pas ça l’islam », car on ne dédouane pas une confession de ses extrémistes, voire de ses dérives, de la sorte. Dirait-on des exactions de l’inquisition, ce n’était pas le catholicisme et son église ? Non, alors pas de traitement particulier pour l’islam. L’islam politique et sa sinistre charia portent en germe la violence contre l’autre non-musulman et c’est une idéologie totalitaire.
D’ailleurs, n’oublions pas que la CEDH, dans une décision qui a plus de quinze ans, a déclaré l’islam politique radical et la charia contraires aux droits fondamentaux et aux valeurs démocratiques refusant dès lors la protection de la convention de 1950 à un parti politique islamiste qui revendiquait la protection de cet instrument face à sa dissolution par le gouvernement du pays où il entendait officier.
A cet égard, voir Cour européenne des droits de l’Homme:
cedh-charia-n003-697689-705588 et cedh- arr_c3_aat_20refah_20partisi_20c_3a_20turquie_20_28grande_20chambre_29_20du_20_3a2003 ; :http://hud oc.echr.coe.int/eng#{« dmdocnumber »:[« 702044″], »itemid »:[« 001-64174 »]} ;http://www.blog.sami- aldeeb.com/2011/01/18/la-loi-islamique-est-incompatible-avec-la-democratie-et-les-droits-de-lhomme/).
Voir aussi nos commentaires dans Marianne : http://www.marianne.net/agora-les-4-principales-questions-que-pose-islam-radical-notre-etat-droit-100249137.html ou sur mon propre blog https://francoisbraize.wordpress.com/islam-radical-et-etat-de-droit-janvier-2017/
Mezetulle a reçu la réponse suivante de Jean-Éric Schoettl :
En regrettant que le délégué général du CFCM n’ait pas dit « Ce n’est pas ça l’islam » je voulais simplement dire qu’il n’a pas saisi l’occasion de calmer le jeu. Je ne me prononçais pas sur la (terrible) question de la responsabilité des textes fondateurs. « Tu rendras à César ce qui appartient à César », « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », « Qui usera de l’épée périra par l’épée », absence de prescription de type civil ou pénal dans l’Evangile : celui-ci ne produit pas l’inquisition aussi naturellement que le Coran la guerre sainte.
Ping : Affaire #MILA Revue de presse féministe et laïque – Les VigilantEs
Mme Belloubet nous a proposé, ce 8 février, une nouvelle rectification de ses propos par sur l’insulte à la religion, en plein accord, enfin, avec la position que devrait tenir la Garde des Sceaux de la République. Mais nous voudrions qu’elle nous dise qui a parlé, les deux fois précédentes, en prétendant occuper sa fonction, et qu’elle nous explique comment la même personne peut énoncer en quelques jours des positions aussi différentes : cela, en tout cas, ne rassure pas les citoyens que nous sommes.