Archives par étiquette : postcolonial

Sexisme et antisémitisme d’Alain Soral à Tariq Ramadan

La mise en parallèle et en miroir entre un leader néonazi (Alain Soral) et un cadre islamiste illustre (Tariq Ramadan) permet à François Rastier de souligner les rapports entre antisémitisme et sexisme. L’auteur relève les convergences insistantes par lesquelles les sexismes machiste et post-féministe s’accordent pour dénoncer les Juifs, et montre comment le discours postcolonial véhicule le langage identitaire et antisémite qu’il partage avec l’extrême droite la plus fanatique.

Problématique

Si le racisme et le sexisme sont souvent associés, ce n’est pas le cas pour l’antisémitisme et le sexisme. Tout devrait les séparer, puisque les néonazis comme Alain Soral agitent le danger d’un grand remplacement par des populations arabes1 alors que Tariq Ramadan voit dans l’Europe une réserve importante pour une idéologie islamiste en perte de vitesse dans les pays arabes.

Toutefois, les points de désaccord ne suffisent pas pour transformer en ennemis des adversaires prétendus. Si les idéologies identitaires sont divisées entre elles par des formes réciproques de racisme, elles peuvent aussi convenir d’un « développement séparé » : que chacun règne « chez soi », comme en a témoigné l’expulsion des Grecs de Turquie, ou celle des Juifs de pays arabes, même officiellement laïques, où ils vivaient bien avant l’islam.

En outre, deux formes de haine font en quelque sorte l’unanimité. D’une part, la misogynie justifie les violences contre les femmes : les néonazis, partisans de la violence virile, n’ont que mépris pour les femmes et craignent leur émancipation, tout comme les islamistes2.

D’autre part, l’antisémitisme joue le rôle d’un mythe structurant – et délirant —, bien au-delà des traditions religieuses : tous se rencontrent pour agiter la menace du complot ploutocratique et cosmopolite.

Dans cette brève étude, nous entendons documenter les rapports entre antisémitisme et sexisme, à propos d’un leader néonazi répandu, Alain Soral, et d’un cadre islamiste illustre, Tariq Ramadan.

Des soutiens renouvelés

Dans une vidéo publiée le 14 mai 2020, Alain Soral, principal militant néonazi français, reprend à son compte les arguments de Tariq Ramadan et de ses défenseurs, dans les instructions ouvertes en France comme en Suisse3.

Soral prétend que sept plaignantes l’auraient contacté, sans doute en raison de son autorité morale, pour qu’il « balance » Tariq Ramadan. Se posant en défenseur des libertés et de la vie privée, il se dit hostile à « la police des braguettes », et renvoie les plaignantes à leur jalousie mesquine : « D’après ces témoignages que j’ai eus de ces personnes, et j’en ai eu sept, jamais il n’a été question de viol. Il a été question de sadomasochisme librement consenti. […] Elles le poursuivaient parce qu’elles avaient découvert qu’il avait d’autres maîtresses et qu’il avait mis un terme à ces relations ».

Soral présente ainsi les victimes comme des groupies consentantes, bien que les masochistes ne se pourvoient pas en justice4. Or, ces femmes ne se connaissent pas et leurs identités restent secrètes pour raisons de sécurité : les créditer d’une démarche concertée pour diffamer Ramadan, c’est déjà accréditer le complot dont il se prétend victime.

Cette solidarité virile est d’autant plus touchante que Soral a été condamné à maintes reprises pour incitation à la haine raciale et propos antisémites, mais aussi, en 2016, pour harcèlement sexuel, motif relevé par plusieurs plaignantes à l’égard de Tariq Ramadan. La victime de Soral, mannequin d’origine ghanéenne qui avait osé rester insensible à ses avances comminatoires, fut diffamée sur son site Égalité et Réconciliation par un article où il se présentait lui-même comme la victime : «Histoire d’un dépit amoureux récupéré par un voyou, puis vendu à l’extrême droite sioniste»5. Les Juifs reviennent dans ses gracieusetés publiées au procès : « Ton destin c’est d’être un fantasme à vieux blanc juif ». Il remet même à son goût le thème ronsardien du Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie  : « Dans dix ans ton corps sera tout sec. Et avec ton gros pif sémite, tu ressembleras à un vieux chef indien ».

Il est vrai que Soral s’était fait connaître en 1996 par Sociologie du dragueur, où il se targuait de « plus de 700 conquêtes » et qu’il présentait comme « une étude toute masculine qui se passe loin des femmes et tente de s’en protéger ». À présent, embarrassé par les charges qui s’accumulent sur lui, Tariq Ramadan, dans une sorte de rivalité mimétique et ne prêtant qu’aux riches, prétend dans son dernier livre-plaidoyer, Devoir de vérité (2019), qu’une de ses accusatrices entretient une relation intime avec Soral, et, pour faire bonne mesure, qu’une autre plaignante, suisse celle-là, fréquente Soral ainsi que Dieudonné.

L’idéologue islamiste n’a pas toujours été si distant de Dieudonné et de Soral, comme en témoigne un de ses posts Facebook : « Le signe de la quenelle veut dire : ’’Cessez de nous prendre pour des imbéciles, nous ne nous laisserons ni manipuler ni faire !’’ Et ce message, franchement, quenelle ou pas, face aux imposteurs de la pensée et de la politique, il faut le répéter jusqu’à ce qu’il soit entendu… ou même vu… […]. En 2005, j’ai dit et répété publiquement que l’on ne pouvait pas accuser Dieudonné d’antisémitisme alors que, procès après procès, il était blanchi de ces accusations… ». C’est évidemment faux, puisque Dieudonné, connu entre autres pour avoir fait monter en scène et applaudir Robert Faurisson, est condamné en moyenne une fois par an. Et Soral, pour sa part, a été condamné une dernière fois en 2019 pour ce slogan : « Entre le peuple juif et le reste de l’humanité, le combat ne peut être que génocidaire et total… »6.

Rencontres au sommet

À présent, le néonazi et l’islamiste jouent apparemment l’égalité et la réconciliation, bien que Soral, pour attester son objectivité impartiale, tienne à préciser qu’ils ne partagent pas les mêmes idées. Toutefois, leurs relations ne datent pas d’hier, comme en témoigne la rencontre au grand rassemblement du Bourget organisé par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), entre l’orateur vedette, Tariq Ramadan, Dieudonné, et Soral. Dans ce pieux rassemblement, ces deux derniers étaient venus présenter le « parti antisioniste » qu’ils venaient de créer pour les élections européennes de 2009.

Les photos de la rencontre amicale du Bourget ne relèvent pas des images « volées », puisque Ramadan a publié sur son site officiel ces propos explicatifs : « J’étais présent au 26e congrès de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF)… Alors que je signais des ouvrages, Dieudonné et Alain Soral sont passés devant le stand : ils se sont arrêtés et nous avons eu un échange de quelques minutes. Beaucoup de personnes présentes m’ont reproché de les avoir salués alors qu’il y avait des caméras et des appareils photos qui les accompagnaient et qui ’’immortalisaient’’ cette rencontre comme d’autres pendant la durée du congrès ». Ce propos envoie ainsi un double message : pour le public modéré, il minimise la rencontre (quelques minutes, parmi tant d’autres) ; pour les radicaux, il confirme, et le message passe7.

On ne savait pas l’UOIF, qui tient un discours piétiste et se prétend apolitique, si soucieuse des élections européennes, ni Dieudonné et Soral si soucieux de religion. Cette cordiale rencontre au sommet entre trois leaders, l’islamiste, le néonazi et le postcolonial8, semble toutefois se justifier par un antisémitisme commun.

Islamophobie et contre-offensive

Aujourd’hui en difficulté, Tariq Ramadan a coordonné une contre-offensive, dont témoigne une tribune publiée le 30 avril sur Mediapart et signée par 150 universitaires et militants décoloniaux9. Rédigée comme une lettre ouverte à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, cette tribune présente non seulement l’idéologue islamiste comme la victime d’un procès politique, mais encore d’un complot (juif), aux motifs qu’une plaignante aurait des liens avec un « paparazzi franco-israélien » et que l’expert désigné pour examiner l’inculpé, Daniel Zagury, serait membre d’une association de psychothérapeutes nommée Shibboleth (mot hébreu). Cette insinuation grossière, publiée quelques jours avant qu’il ne remette ses conclusions le 19 mai, visait à le délégitimer et à faire pression pour qu’il soit démis.

Bref, Ramadan serait une victime toute désignée de l’islamophobie attisée par les Juifs10. Telle est sa ligne de défense, et ses deux avocats actuels, Nabila Asmane et Ouadie Elhamamouchi, sont spécialistes des discriminations. Ce dernier vient de déclarer au site marocain Yalibadi que le théologien n’avait pas bénéficié « du même traitement médiatique que Gérald Darmanin, Nicolas Hulot, Luc Besson…».

En somme, l’idéologue islamiste serait victime d’un racisme d’État. Certes, une religion n’est pas une race, mais le concept d’islamophobie revêt une triple fonction :

  1. Il permet de victimiser les musulmans pour les rassembler derrière les confréries, au premier chef celle des Frères musulmans dont Ramadan fut longtemps la figure principale, et qui est fort influente dans le Comité Contre l’Islamophobie en France (CCIF).  Il définit la l’identité arabe par le seul islam (au détriment des arabes athées, chrétiens ou autres) : c’est précisément ce postulat qui permet de déclarer apostat et de condamner, parfois à mort, tout arabe athée, comme s’il avait été musulman de naissance.
  2. En l’espèce, ce postulat pourrait dispenser d’emblée tout musulman déclaré, au premier chef Tariq Ramadan, d’observer les lois, puisque les poursuites à son encontre ne pourraient être que prétexte à une discrimination raciale. Au demeurant, les plaignantes sont pour la plupart musulmanes, et pourraient tout aussi bien qualifier d’islamophobes les violences dont elles disent avoir été l’objet.

Certes internationale, la tribune de Mediapart compte deux personnalités françaises. La première est Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR) ; cette militante décoloniale n’hésite pas à faire l’éloge de Mahmoud Ahmadinejad, son « héros », à critiquer les mariages entre musulmans et non-musulmans, et son livre récent, Les Blancs, les Juifs et nous, porte des marques insistantes d’antisémitisme.

L’autre signataire est François Burgat. Ce directeur de recherche honoraire au CNRS, spécialiste de l’islam et figure prestigieuse de la mouvance décoloniale, tweeta le 24 juillet 2014 : « À quand une courageuse loi républicaine sur la séparation du CRIF et de l’État ? ». Ce tweet fut partagé par Tariq Ramadan le même jour avec le commentaire « Bonne question », et fut repris d’emblée par l’association d’extrême droite Civitas11. Burgat dénonça également la « télavivision », laborieux mot-valise qui désigne un prétendu lobby juif dans les médias.

À présent, c’est encore François Burgat qui a relayé le premier l’intervention de Soral en défense de Ramadan. La campagne en cours, commencée le 30 avril par la tribune de Mediapart, a culminé dans la vidéo de Soral, le 14 mai, avant la première échéance judiciaire du 19 mai. Son objectif semble triple : (i) Par la lettre ouverte à la ministre de la justice, mettre en cause l’impartialité de l’instruction. (ii) Compromettre les plaignantes pour les discréditer, ce que Ramadan lui-même faisait déjà dans son livre en les associant à Soral et Dieudonné. (iii) Enfin, les menacer en diffusant leur identité, à l’exemple de Ramadan qui mentionne 84 fois dans son livre l’identité réelle de « Christelle ». Or les plaignantes sont déjà la cible de multiples menaces anonymes sur les réseaux sociaux. D’ailleurs Ramadan précisait récemment qu’il emploie cinq personnes à plein temps pour conduire son action sur ces réseaux. Les pressions psychologiques, dont les menaces de mort ne sont pas les moindres, s’accompagnent aussi de menaces physiques. Ainsi le 6 mai, Henda Ayari, première des plaignantes, a été agressée à la sortie d’une grande surface : « Un véhicule à vive allure est arrivé dans ma direction, j’ai cru qu’il allait m’écraser » précise-t-elle dans son dépôt de plainte. Un de ses avocats, Me Jonas Haddad, rappelle au journal Libération : « Cela fait deux ans et demi que ma cliente est prise à partie physiquement. Le harcèlement ne se cantonne pas aux réseaux sociaux »12. Une des plaignantes ne répond déjà plus aux convocations judiciaires.

Machisme inversé et antisémitisme

Parmi les signataires de la tribune de soutien à Ramadan, on relève maintes militantes féministes décoloniales. En revanche, jusqu’à présent, les plaignantes n’ont pas été soutenues par les personnalités les plus en vue du post-féminisme radical, pourtant si promptes à dénoncer Roman Polanski ou Woody Allen. Il est vrai que Virginie Despentes, dans sa tonitruante tribune contre Polanski, où elle mêlait la pédophilie, la réforme des retraites et le mauvais goût des jurys, résumait : « C’est toujours l’argent qu’on célèbre dans ces cérémonies ». L’essayiste Pascal Bruckner lui répondit : « Qui aime l’argent ? […] Le Juif »13.

Dans sa diatribe, Despentes laisse entendre clairement que la lutte contre l’antisémitisme est le fait des oppresseurs ploutocratiques : 
« la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs. »

Ces ploutocrates sont des violeurs pédophiles : « Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. »

Les gens des « quartiers » sont appelés en renfort : « ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent ». Les féministes et les euphémiques « quartiers » décoloniaux sont ainsi victimes des ploutocrates violeurs — dont Polanski devient le symbole. Pendant cette soirée, des manifestantes reprenaient à l’extérieur ce slogan entraînant : « C’est Polanski qu’il faut gazer ! ».

Commentant le même événement, Paul Beatriz Preciado, militant trans présenté comme le maître à penser de Despentes, écrit dans le même journal : « Le grand capital hétéropatriarcal préfère la soumission universelle aux différences identitaires »14. La défense des identités rassemble toutes les idéologies identitaires, du post-féminisme à l’islamisme et au néonazisme. Quant au « grand capital hétéropatriarcal », sa nature s’annonce par le dernier mot de la phrase précédente : Juifs.

On n’a peut-être pas encore pris toute la mesure de la confusion entre patriarcat et capitalisme, partout récurrente dans le discours post-féministe. Il reprend certes la critique envers Marx qui aurait omis de considérer, entre autres, la gestation comme un travail15; mais il y ajoute une touche d’antisémitisme discrète mais si insistante que le chaînon symbolique manquant entre le patriarcat et le capitalisme est sans doute le groupe des Patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, fondateurs du judaïsme.

En inversant ainsi le machisme, ce discours postféministe en conserve la violence et en reprend les schèmes antisémites. Il s’oppose aux revendications féministes les plus justifiées, y compris celles qui s’opposent à l’obligation du voile et à l’excision. Il détourne les luttes sociales en combats de races, de sexes et de genres — comme la « guerre des toilettes » toujours en cours. Sous couleur d’attaquer le patriarcat (occidental), il s’attaque à la démocratie et à l’État de droit.

Pour leur part, des dominateurs prestigieux se disent victimes des femmes (manipulées par des Juifs)  : dans sa Sociologie du dragueur comme dans son procès pour harcèlement, Soral se pose en victime de femmes folles de lui ; et dans son livre Devoir de vérité, comme dans la dernière tribune qu’il a inspirée, Ramadan se pose en victime d’admiratrices déçues et manipulées par un « franco-israélien ».

Inversant ce schème victimaire, tout en le complétant et en le confortant, les post-féministes passent de la misogynie à l’androphobie et font des femmes les victimes du patriarcat capitaliste — et juif — incarné par des figures diverses qui vont de Harwey Weinstein (condamné) à Woody Allen (disculpé), puisque le mâle blanc dominant s’est révélé un Juif violeur.

Conciliant paradoxalement la misogynie et l’androphobie, les sexismes machiste et post-féministe se rencontrent ainsi pour dénoncer les Juifs, et complémentairement mépriser voire accabler les victimes, juives ou non, de militants islamistes.

Antisémitisme aidant, ces sexismes légitiment alors des programmes politiques destructeurs, en premier lieu celui de l’islamisme. Ainsi, Despentes rendit naguère cet hommage plus qu’empathique aux tueurs de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher : « J’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser leur visage »16.

Ces déclarations martiales ne laissent nulle place aux victimes17. En même temps, Tariq Ramadan déclarait : « Je ne suis pas Charlie », et Dieudonné postait le 11 janvier 2015 : « Je me sens Charlie Coulibaly ». L’année suivante, Soral publiait une parodie de journal titrée « Chutzpah Hebdo» : le dessin de première page représentait Charlie Chaplin devant l’étoile de David, avec dans une bulle la question « Shoah où t’es ?». Condamné une fois de plus pour négationnisme, il a interjeté appel.

Pour surprenantes qu’elles paraissent, ces convergences découlent du principe même des idéologies identitaires qui divisent le monde humain entre Nous, les victimes, et Eux, les ennemis. Or, par un mystère somme toute transparent, quel que soit le Nous, les Juifs restent assimilés à Eux.

Conforté par les post-féministes au nom de l’intersectionnalité, et fort de la caution « de gauche » dont il se prévaut dans sa croisade contre l’islamophobie, le discours postcolonial véhicule le langage identitaire et antisémite qu’il partage avec l’extrême droite la plus fanatique.

Dans la rencontre « tricontinentale » entre Ramadan, Dieudonné et Soral, l’antisémitisme reste ainsi le principe d’un complotisme commun et le produit d’appel le plus consensuel pour leurs partisans, même quand l’antisionisme l’euphémise au besoin. Au-delà, on pourrait montrer comment les Juifs incarnent commodément leurs multiples ennemis communs, comme l’État de droit, les droits humains, la démocratie et les institutions internationales.

N.B. — J’ai plaisir à remercier Édith Fuchs, Sabine Prokhoris, Liliane Kandel, Catherine Kintzler, Gilbert Molinier et Rudy Reichstadt.

Notes

1 – C’est notamment la théorie de l’Eurabia, mentionnée plus de quarante fois par Anders Breivik, néonazi meurtrier de masse norvégien, dans son manifeste.

2 – Tout au plus, comme le frère de Tariq Ramadan, acceptent-ils pour des raisons tactiques un moratoire sur la lapidation des femmes supposées adultères. En France, les féministes décoloniales, sans doute pour des raisons convergentes, se sont bien gardées de condamner la vente par l’État islamique de prisonnières yézidies comme esclaves.

4 – Voir notamment Marion van Renterghem, « Tariq Ramadan : le récit de celle qui a fait basculer l’affaire », Vanity Fair, mars 2018.

7 – À « Christelle », une des plaignantes, qui lui demandait alors pourquoi il n’assumait pas clairement, Ramadan répondit  : «  Les gens ne sont pas prêts encore, pas assez éclairés. Cela pourrait porter préjudice à mon travail pour la cause. Plus tard. Je garde mes distances avec eux. Mais va voir le site de Soral, c’est le seul qui ose dire les choses sur le lobby sioniste. Il ouvre les yeux sur l’emprise que les sionistes ont sur la France. » (loc. cit.). Ces propos attestent que les divergences apparentes entre Soral et Ramadan ne sont que tactiques.

8 – Cf. Jean-Louis Amselle, « Dieudonné fait ressurgir un antisémitisme postcolonial », Le Monde, 2 janvier 2014. Dieudonné proclame que l’esclavagisme est « une spécialité juive au départ ». Ramadan tient le même discours en privé, selon « Christelle » : « Il jouait une corde sensible chez moi en évoquant mes ancêtres esclaves : la traite négrière, c’était les Juifs. Les bateaux qui les transportaient, les Juifs. » (loc. cit.).

10 – Voir Pierre-André Taguieff, « Tariq Ramadan victime pré-désignée d’un complot islamophobe ? », Conspiracy Watch, 3 mai 2020, https://www.conspiracywatch.info/tariq-ramadan-victime-pre-designee-dun-complot-islamophobe.html

11 – La proximité de Burgat et de Ramadan est si bien attestée que Ian Hamel lui a consacré tout le cinquième chapitre de sa monographie (Tariq Ramadan : histoire d’une imposture, Paris, Flammarion, 2020).

12 – Bernadette Sauvaget, « Tariq Ramadan axe désormais sa défense sur l’islamophobie », Libération, 17 mai 2020.

13 – « De quoi Roman Polanski est-il le nom ? », Le Point, 5 mars 2020. Voir aussi Sabine Prokhoris, « Polanski, Césars de fiel », dans Transfuge : https://www.transfuge.fr/2020/03/17/polanski-cesars-de-fiel/.

14 – L’ancienne académie en feu, Libération, 1er mars 2020.

15 – Ne dit-on pas « le travail de l’accouchement » ? Voir récemment Silvia Federici : « Marx ne reconnaît jamais qu’il faut du travail, le travail de reproduction, pour cuisiner, pour nettoyer, pour procréer » (Le capitalisme patriarcal, Paris, La Fabrique éditions, 2019, p.13).

16 – Voir « Les hommes nous rappellent qui commande et comment », Les Inrocks, 17 janvier 2015, en ligne : https://www.lesinrocks.com/2015/01/17/actualite/actualite/virginie-despentes-les-hommes-nous-rappellent-qui-commande-et-comment/.

17 – Dans la même veine, Judith Butler ne manqua pas, au lendemain des attentats massifs du 13 novembre 2015, d’alimenter les thèses complotistes : « Les experts étaient certains de savoir qui était l’ennemi avant même que l’EI ne revendique les attentats », tout en agitant le spectre de la dictature de François Hollande (cf.  « Une liberté attaquée par l’ennemi et restreinte par l’État », Libération, 19 novembre 2015, https://www.liberation.fr/france/2015/11/19/une-liberte-attaquee-par-l-ennemi-et-restreinte-par-l-etat_1414769).