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Paris, Tunis, New York et l’étendard sanglant

Le communiqué de l’État islamique cible l’urbanité, « abomination »

Il faut lire et prendre au sérieux le communiqué par lequel l’État islamique revendique les carnages qui ont eu lieu le 13 novembre à Paris et brandit son étendard sanglant. Il ne s’embarrasse pas de circonlocutions, il ne fait pas de périphrases pour ne pas choquer ou « stigmatiser ». Le nom de ce qu’il entend éradiquer, mettre à feu et à sang, y est clairement affiché avec l’insolence de ses propriétés honnies : « Paris, capitale des abominations et de la perversion ».

Au sein d’un texte très inspiré dont les accents bibliques n’échapperont à personne, cette paraphrase (voulue ?) du titre d’un célèbre ouvrage de Walter Benjamin indique la nature de la cible, visée en son cœur. Le signifiant « Paris » est ici le nom de l’urbanité (inventée par Rome) comme New York le fut en 2001, et plus récemment Tunis. 

Les lieux urbains sont ceux où on est chez soi précisément parce qu’on est d’ailleurs (le contraire d’un terroir), où l’on change de monde en traversant la rue (le contraire d’un intégrisme uniformisant), où le mot « quartier » signifie l’inverse d’une mise en ségrégation. Mais il y a mieux. Dans un lieu véritablement urbain, les femmes peuvent se promener sous le regard d’autrui sans le craindre, sans avoir à justifier de leur présence, être là juste pour y être sans avoir spécialement quelque chose à y faire, pour y jouir d’un moment d’oisiveté, autrement dit de liberté. Ce comble de « l’abomination », tâchons de le préserver.

Lire aussi l’article « L’urbanité comme perdition« 

© Mezetulle, 2015.

CommuniquéEInov15

Religion et violence : la question de l’interprétation

Le point de vue laïque généralement retenu par Mezetulle s’en tient à une conception extérieure de la relation entre violence et religion. Indépendamment de savoir si un appel à la violence est présent dans un texte considéré comme sacré par une religion, et, dans l’affirmative, s’il est ou non à prendre pour argent comptant, la laïcité considère qu’aucun texte religieux en tant que tel ne peut avoir d’autorité en matière de loi civile et que la puissance publique, réciproquement, n’a pas compétence pour mettre son nez dans les affaires internes d’une religion – cela dans le cadre du droit commun qui poursuit toute incitation à la violence quelle qu’en soit la source. Mais le point de vue intérieur guidé par l’analyse critique n’en est pas pour autant disqualifié : il est toujours utile de savoir, toujours inutile d’ignorer, et une société ne serait pas laïque si elle n’assurait pas la liberté du savoir. André Perrin adopte ici ce point de vue et s’interroge sur l’existence de rapports intrinsèques entre religion et violence. En se penchant avec beaucoup de précision sur le cas du christianisme et sur celui de l’islam, il montre que cet examen conduit à la question de l’interprétation des textes, ou plutôt à celle de sa possibilité.

 

Le terrorisme qui sévit actuellement sur la planète, dans les pays occidentaux comme en Orient, se réclame de la religion. Qu’il soit réellement motivé par celle-ci ou qu’elle lui serve seulement de légitimation a posteriori, la question s’en trouve posée des rapports entre violence et religion et plus précisément de l’inscription de celle-là dans les textes sacrés. Le christianisme prône l’amour du prochain mais des croisés ont jadis guerroyé pour délivrer le tombeau du Christ et des inquisiteurs ont torturé au nom de leur foi. L’islam se présente comme « une religion de paix et de tolérance », mais des fanatiques musulmans décapitent, brûlent et crucifient aujourd’hui encore des « infidèles ». Des deux côtés les croyants protestent qu’il s’agit là d’une trahison : le grand inquisiteur cracherait à la face du Christ et les terroristes islamistes ne seraient pas de « vrais musulmans ». Cependant il n’y a de trahison qu’en regard d’une orthodoxie et de mésinterprétation que par rapport à une interprétation correcte. La question des rapports entre religion et violence renvoie donc à la question de l’interprétation : à quelles conditions l’interprétation est-elle possible et quels sont ceux qui  disposent de la légitimité qui les autorise à interpréter et à définir ainsi une orthodoxie ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre en limitant notre propos aux cas du christianisme et de l’islam.

La violence dans l’Ancien Testament

L’Ancien Testament n’est pas un livre mais un ensemble de livres appartenant à des genres différents : historiques, poétiques, prophétiques. La violence y est cependant omniprésente sous la forme de meurtres, d’assassinats, de guerres et de massacres dont certains confinent à l’extermination. Il faut bien sûr y distinguer la violence qui est simplement racontée de celle qui est, ou qui semble, justifiée par Dieu, de celle qui est ordonnée par lui, de celle enfin que le texte biblique invite à lui attribuer directement. Nous laisserons de côté la première car on ne peut lire un livre historique comme s’il avait une signification optative ou protreptique, pour nous concentrer sur les suivantes. Dans le livre de la Genèse on voit Siméon et Lévi, les fils de Jacob, tuer tous les mâles de la ville de Sichem pour venger leur sœur Dina qui avait été enlevée et violée par celui-ci et Dieu semble cautionner ce massacre puisqu’il protège Jacob contre la colère des gens du pays1.  Dans le Deutéronome, le deuxième discours de Moïse formule, après la loi du talion, les lois de la guerre et de la conquête des villes : « si elle refuse la paix et ouvre les hostilités, tu l’assiégeras. Yahvé ton Dieu la livrera en ton pouvoir, et tu en passeras tous les mâles au fil de l’épée2 ». Dans le livre des Juges, aux Israélites qui lui demandent s’ils doivent combattre les fils de Benjamin, Yahvé répond : « Marchez car demain je le livrerai entre vos mains3 ». Là-dessus les Israélites tuent vingt-cinq mille hommes au combat, puis vingt-cinq mille encore, avant d’exécuter toute la population mâle des villes. Dans le livre de Josué, qui raconte la conquête de la terre promise, c’est Yahvé qui dit à Josué : « Vois, je livre entre tes mains Jéricho et son roi4 » et une fois les murs écroulés, les Israélites passent au fil de l’épée tous les habitants de la ville « hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes5 », ne laissant la vie sauve qu’à la prostituée Rahab et aux siens parce qu’elle avait sauvé leurs émissaires en les cachant. Or à plusieurs reprises il est indiqué que ces massacres se font sur l’ordre de l’Éternel : « comme Yahvé, le Dieu d’Israël, l’avait prescrit6 », « suivant les prescriptions de Moïse, serviteur de Yahvé7 ». Il y a enfin les épisodes où la violence destructrice est le fait de Dieu lui-même, par exemple celui du déluge lorsque, déçu par la méchanceté de l’homme, il décide de détruire sa création : « Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés8 » ou celui des plaies infligées à l’Égypte : « Au milieu de la nuit Yahvé frappa tous les premiers-nés dans le pays d’Égypte9 ».

Penser la violence : marcionisme ou herméneutique

La violence vétérotestamentaire n’a pas manqué de troubler très tôt les chrétiens : le Dieu guerrier de l’Ancien Testament est-il bien le même que celui des béatitudes dans l’Évangile ? À cette question l’hérésiarque Marcion apporta dans la première moitié du IIème siècle une réponse résolument négative. S’appuyant sur l’opposition paulinienne de la loi et de la foi10 et la portant à son paroxysme, bien au-delà de l’esprit et de la lettre du texte de Paul, il nie qu’il puisse y avoir continuité entre la loi mosaïque et la foi en Jésus-Christ et préconise la rupture avec l’héritage hébraïque. À cet effet il s’emploie à éliminer du Nouveau Testament tout ce qui renvoie au judaïsme, ne retenant des quatre évangiles que celui de Luc – lui-même expurgé – et dix des épitres de Paul. C’est ainsi une solution à la fois simple et radicale qui était apportée aux problèmes soulevés par la violence que contient la Bible hébraïque. L’Église n’en voulut pas, qui excommunia Marcion et combattit vigoureusement son hérésie. Comment admettre en effet que Jésus était venu abroger la loi alors que l’Évangile affirme explicitement le contraire : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir »11.

Interprétation et polysémie

À partir du moment où, rejetant la solution marcioniste, on maintient que l’Ancien Testament est, à l’égal du Nouveau, parole de Dieu, il faut admettre que toutes les formulations de cette parole ne peuvent être prises à la lettre, en d’autres termes qu’elles doivent faire l’objet d’une interprétation. Celle-ci aura pour tâche de déceler un sens caché derrière le sens obvie. Tel est le principe de l’exégèse allégorique dont l’origine est antérieure à l’ère chrétienne puisque Philon d’Alexandrie, à qui on en attribue parfois la paternité, l’a lui-même trouvée chez les philosophes grecs, déjà chez Théagène de Rhégium, mais surtout chez les pythagoriciens et les stoïciens, soucieux de purifier les récits homériques de ce que comportaient de choquant pour la raison leurs dieux capricieux, jaloux et batailleurs, ce qu’ils firent en leur attribuant une signification tantôt cosmologique, tantôt morale : derrière la mythologie se profilerait une cosmologie, la guerre des dieux symbolisant celle des éléments primordiaux, eau, air, terre, feu tandis que les pérégrinations d’Ulysse représenteraient les tribulations de l’âme12. Cherchant à concilier la religion judaïque et la philosophie grecque, Philon s’employa lui-même à lire la Torah comme les stoïciens Homère et son influence fut décisive sur la première patristique, en particulier sur Clément d’Alexandrie et Origène. Ce dernier distingue entre trois sens de l’Écriture : le sens littéral, le sens spirituel, le sens moral. Sens littéral et sens spirituel ou moral ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais lorsque celui-là est particulièrement choquant, il peut être considéré comme purement allégorique. Ainsi dans ce commentaire du livre de Josué :

 « Quand tu lis dans les Saintes Écritures les combats des justes, leurs tueries, leurs massacres, leurs carnages, lorsque tu apprends que les saints n’ont pitié d’aucun ennemi, et que le fait de les épargner était imputé comme péché, interprète ces guerres de justes de la manière (…) (suivante) : ce sont les combats menés contre le péché13 ».

 C’est dans le même sens que trois siècles plus tard Dorothée de Gaza interprétera l’une des plus terribles imprécations du psalmiste. A la fin du psaume 137 (136) on peut lire :

« Fille de Babel, ô dévastatrice,
Heureux qui te revaudra
Les maux que tu nous valus,
Heureux qui saisira et brisera
Tes petits contre le roc !14 » 

Dorothée de Gaza propose l’interprétation suivante :

 « Bienheureux celui qui, dès le principe, ne laisse pas les pensées mauvaises grandir en lui et accomplir le mal, mais qui, tout aussitôt, pendant que ce sont encore de petits enfants et avant qu’ils aient grandi et se soient fortifiés en lui, les saisit, les brise contre la pierre, qui est le Christ15 ». 

 Les Pères latins, de Jérôme de Stridon et Ambroise de Milan à Augustin d’Hippone,  héritèrent tous de l’allégorèse d’Origène et ainsi se constitua la doctrine destinée à devenir classique des quatre sens de l’Écriture, littéral (ou historique), allégorique, moral (ou tropologique) et anagogique, exprimée dans la fameuse formule : Littera gesta docet, quid credas allegoria, moralis quid agas, quo tendas anagogia (La lettre enseigne les faits, l’allégorie ce que tu dois croire, la morale ce que tu dois faire, l’anagogie ce vers quoi tu dois tendre).

Interprétation et historicité

Outre l’exégèse allégorique, il y a une exégèse historico-critique, née dans les temps modernes, qui va interpréter les textes bibliques en les replaçant dans le contexte historique de leur apparition. Pendant des siècles les juifs se sont représenté leur Dieu comme un Dieu guerrier qui, en échange du culte que le peuple qu’il s’est choisi lui voue, lui assure sa protection et l’assiste dans ses combats contre ses ennemis. La figure divine qui se dégage de l’Exode, du Deutéronome, des livres de Josué et de Samuel, des Psaumes, tous composés entre le VIIIe et le VIe siècle, est ainsi celle d’un Dieu des armées (Yahvé Sabaoth).  Cependant le livre de Josué, un de ceux où la violence est la plus manifeste, n’est pas un document historique relatant l’installation des juifs en Canaan au XIIe siècle. Composé sous la domination assyrienne, il en porte la trace et reprend de multiples éléments de la propagande assyrienne de façon polémique, le Dieu d’Israël se substituant au Dieu d’Assour pour donner la victoire à son peuple. Bien plus qu’un livre d’histoire, c’est un écrit de résistance qui fut du reste plusieurs fois remanié après la période assyrienne et infléchi dans un sens plus pacifique16. Les livres les plus récents, ceux des Chroniques, composés au IVe siècle, celui de Judith, composé au IIe siècle vont dans ce sens et opèrent le passage de la figure d’un Dieu guerrier à celle d’un Dieu artisan de paix. Certes Judith va trancher la tête d’Holopherne, comme une riche iconographie ne permet à personne de l’ignorer, et à cet effet elle demande à Dieu de lui en donner la force : « Donne à ma main de veuve la vaillance escomptée17 ». C’est qu’il n’y a pas d’autre moyen d’empêcher les Assyriens d’exterminer son peuple, mais en même temps elle dit : « Ils ont compté sur la lance et le bouclier, sur l’arc et sur la fronde ; et ils n’ont pas reconnu en toi le Seigneur briseur de guerres18 ».

Dans la conception judéo-chrétienne, Dieu se révèle à travers l’humanité, plus précisément à travers l’humanité en marche, à travers le devenir de cette humanité, c’est-à-dire à travers l’histoire. Il se révèle donc progressivement. Il y a ainsi ce que les Pères grecs ont appelé συγκατάβασις, la condescendance divine, sorte de pédagogie en vertu de laquelle, selon une comparaison d’Origène, Dieu s’adresse aux hommes comme les adultes aux enfants, en adoptant leur langage. Saint Jean Chrysostome la définit ainsi : « C’est, pour Dieu, le fait d’apparaître et de se montrer non pas tel qu’il est, mais tel qu’il peut être vu par celui qui est capable d’une telle vision, en proportionnant l’aspect qu’il présente de lui-même à la faiblesse de ceux qui le regardent19 ».

Les conditions de possibilité de l’interprétation

S’il est nécessaire d’interpréter la parole de Dieu telle qu’elle s’exprime dans les textes sacrés, c’est, on l’a vu plus haut, parce qu’il faut la concilier avec elle-même. Cela n’est possible que si l’on peut ne pas toujours la prendre à la lettre et cela suppose donc une distance entre l’esprit et la lettre. Ce qui creuse cette distance c’est la médiation de l’historicité du texte et de l’humanité de ses auteurs. Selon la tradition juive c’est Moïse qui aurait rédigé la Torah (le Pentateuque), David les Psaumes, Salomon les Proverbes et le Cantiques des Cantiques, de même que la tradition chrétienne attribue à saint Luc les Actes des Apôtres et à saint Jean L’Apocalypse. Quelque incertaines que soient ces attributions – on ne voit pas bien  comment Moïse aurait pu raconter sa propre mort à la fin du Deutéronome – il n’en reste pas moins que les auteurs de ces textes sont des hommes, rien que des hommes, inspirés par Dieu sans doute, mais engagés dans une histoire, inscrits dans des temps et des lieux déterminés, confinés par conséquent dans leurs limites, assignés à penser à travers les catégories et l’imaginaire d’une époque, ainsi qu’à s’exprimer dans son langage. On est donc fondé à rechercher derrière ce qu’ils ont dit à la fois ce qu’ils ont voulu dire et ce qu’ils avaient la possibilité de dire dans le contexte historique où ils le disaient. Ainsi Augustin s’adresse-t-il à Dieu dans les Confessions : « Approchons-nous ensemble des paroles de votre Livre, et cherchons-y- vos intentions dans les intentions de votre serviteur, par la plume de qui vous les avez exprimées20 ».

Cependant tous les livres saints n’ont pas le même statut et celui du Coran dans la tradition islamique rend problématique la possibilité d’une telle interprétation. Le mot Coran (al-Qur’ān) peut se traduire par « récitation ». C’est en effet le texte qui a été dicté (une « dictée surnaturelle21 », selon l’expression de Louis Massignon) par Allah à son prophète Mohammad et que celui-ci a purement et simplement enregistré. Ce n’est donc pas un texte écrit par des hommes ni par un homme : c’est littéralement la parole de Dieu – littéralement, c’est-à-dire à la lettre. C’est la parole de Dieu exprimée non pas dans la formulation équivoque d’un dialecte humain, mais dans la formulation que Dieu lui a lui-même donnée, en « langue arabe claire22 », c’est-à-dire dans la langue de Dieu. Cette parole n’a donc pas à être interprétée. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’exégèse coranique – celle-ci est nécessaire pour diverses raisons23 – mais que cette exégèse n’a pas du tout la même signification que l’exégèse biblique. Pour saisir la différence on peut comparer, comme le fait Rémi Brague, le passage de la première épitre aux Corinthiens où saint Paul exhorte les femmes à se couvrir la tête24 lorsqu’elles prient ou prophétisent et les deux passages du Coran relatifs au port du voile par les femmes25. Dans le premier cas, s’agissant d’un texte inspiré par Dieu, « on peut remonter du texte, œuvre d’un écrivain humain, à l’intention qui le faisait écrire26 ». On pourra donc comprendre que saint Paul préconisait un habillement décent qui, dans la culture de son temps prenait la forme, contingente et historique, du voile. Dans le second cas en revanche, s’agissant d’un texte dicté par Dieu dans sa propre langue, la plus claire qui soit, un voile ne peut être qu’un voile et rien d’autre qu’un voile. L’exégèse ne pourra consister qu’à « s’interroger sur la longueur et la transparence du tissu27 », mais on ne pourra pas, comme saint Augustin y exhortait, chercher les intentions de Dieu dans celle de son prophète car celui-ci, enregistreur passif, ne pouvait avoir aucune intention. Cette exégèse s’attachera au sens des mots, mais ne recherchera pas un sens caché derrière les mots. Et de fait l’exégèse coranique traditionnelle, celle de Muqātil Ibn Sulaymān al-Balhī,  de Abū Ubayda ou de Tabari est essentiellement philologique. C’est seulement au Xe siècle qu’apparaît dans le mysticisme soufi une exégèse symbolisante et allégorique qui sera constamment rejetée par l’orthodoxie sunnite.

Tandis que la Bible, rédigée au long de huit siècles, se donne comme l’histoire de la révélation, la révélation de Dieu dans l’histoire des hommes, la longue et patiente éducation d’Israël par son Dieu, avec le Coran la révélation se donne « en bloc », non dans la durée mais dans l’instant, dans  « la nuit du décret28 », cette nuit qui « est meilleure que mille mois29 », même si cette « descente » est ensuite « fragmentée » dans les vingt-deux années qui la suivent. Cette « descente » ne peut donc être pensée sous la catégorie patristique de la « condescendance divine » qui ouvre la porte à l’exégèse historico-critique.  Comment la parole de Dieu pourrait-elle être relativisée par les contextes historiques si, procédant d’un être omniscient qui connaît de toute éternité tous les contextes, elle est « descendue » en sa totalité, formulée dans la langue même de Dieu, en un moment unique de l’histoire ? Or cette difficulté n’est pas sans conséquences sur le problème posé par la violence dans le texte coranique. Celui-ci comporte aussi bien des versets pacifiques qui proscrivent le meurtre ou préconisent le dialogue que des versets belliqueux qui appellent à l’extermination des infidèles. Comme il est impossible que Dieu se contredise, les théologiens musulmans ont élaboré une doctrine, la « science de l’abrogeant et de l’abrogé » (an-nāsih wa l-mansūh) en vertu de laquelle lorsque deux versets entrent en contradiction, le verset le plus récent abroge le plus ancien. Or ce sont les versets les plus anciens, ceux qui datent de l’époque de la prédication mekkoise qui sont les plus pacifiques tandis que ce sont ceux de la période médinoise, postérieurs à l’Hégire, contemporains de l’époque où Mohammad s’est transformé en chef de guerre, qui sont les plus belliqueux.  Ainsi les versets pacifiques se trouvent-ils abrogés par celui de la sourate Revenir de l’erreur ou l’Immunité qui appelle à tuer les infidèles à moins qu’ils ne se repentent et se convertissent : « Quand les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles quelque part que vous les trouviez ! Prenez-les ! Assiégez-les ! Dressez pour eux des embuscades ! S’ils reviennent (de leur erreur), s’ils font la prière et donnent l’aumône, laissez-leur le champ libre30».

Les obstacles à l’interprétation

Au Xe siècle on avait ainsi recensé quelque 250 versets abrogés par des juristes dont la préoccupation était de justifier des actions ou des conquêtes militaires. Il y a donc une double historicité des versets belliqueux du Coran, celle, originelle, des luttes de la période médinoise et celle, ultérieure, de l’expansion islamique. Soit le « verset de la guerre » : « Combattez ceux qui ne croient point en Allah[(…] jusqu’à ce qu’ils paient la jizya, directement et alors qu’ils sont humiliés31 ». Comme le rappelle Abdelwahab Meddeb, selon la tradition ce verset « a été révélé dans le contexte d’une des dernières expéditions militaires ordonnées par le Prophète, celle de Tabûk, vers le nord de la péninsule arabique, annonciatrice des conquêtes futures32 ». Voilà qui devrait ouvrir la porte à une contextualisation historique des versets belliqueux qui permettrait d’en relativiser la portée. C’est ainsi que Meddeb préconisait une véritable inversion du principe abrogeant-abrogé de l’exégèse coranique : « Pour que le musulman puisse intégrer l’argumentaire de l’apologiste chrétien, il lui faut au préalable inverser la procédure exégétique fondée sur les notions d’abrogeant et d’abrogé : ce sont les premiers versets purement religieux, notamment révélés à La Mecque, qui doivent l’emporter sur ceux qui ont été inspirés à Médine dans un contexte politique, juridique, militaire, appartenant à une conjoncture datable33 ».

Or cette inversion avait été proposée par le théologien soudanais Muhammad Mahmûd Tahâ dans un ouvrage intitulé Le second message de l’islam. Selon lui il faut distinguer dans le Coran deux messages. Le premier, celui de la période médinoise, comporte des « versets subsidiaires » qui étaient adaptés aux réalités du VIIe siècle, mais ne le sont plus à celles de la société moderne. C’est donc le second message de l’islam, celui de la période mecquoise, respectueux de la liberté religieuse, qui doit servir de base à la législation.  En conséquence de quoi il avait réclamé l’abolition de la sharî’a au Soudan ce qui lui valut d’être condamné à mort pour apostasie et pendu à Khartoum le 18 janvier 1985. Comme le dit Rémi Brague « il vaut mieux éviter de soutenir cette théorie hors de France34 ». Ce qui prévaut dans l’ensemble du monde musulman, c’est une exégèse littéraliste du type de celle de Ibn al-Kathir qui développa au sujet du verset de l’épée (Coran IX, 5) une théorie des quatre glaives et qui nomma le verset IX, 29 « verset de la guerre » en précisant qu’il abrogeait le « nulle contrainte en la religion » de la deuxième sourate35 : « L’interprétation de ce verset par Ibn al-Kathîr, écrit Abdelwahab Meddeb, a été corroborée par tant de docteurs qu’elle a fini par constituer la norme qui caractérise l’islam et qui est rappelée par Ibn Khaldûn (1332-1406) : « Dans la communauté musulmane, le jihâd (la guerre légale) est un devoir religieux, parce que l’islam a une mission universelle, et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force36 ». Meddeb raconte que se trouvant à Damas le vendredi 14 septembre 2001, trois jours après les attentats de New-York et de Washington, et s’étant rendu à la mosquée des Omeyyades, il avait entendu un prêche entièrement consacré au verset de l’épée et insistant sur la nécessité de tuer les « associateurs » : « Il y avait là d’évidence une sorte de légitimation implicite du crime qui fit s’effondrer les Twins Towers et éventrer le Pentagone. Voilà jusqu’à quelles connivences peut aller l’islam officiel dans sa banalisation de l’islamisme terroriste et criminel37 ». Ce n’est donc pas seulement l’islamisme, mais c’est « l’islam officiel » qui fait obstacle à des interprétations du verset de l’épée comme celle de Râzî qui insistent, elles, sur le repentir qui nous purifie et nous soustrait à la violence.

Il y a assurément dans l’islam des traditions qui permettraient de libérer le texte coranique de la violence qu’il contient.  D’une part celle du Mutazilisme qui apparut au VIIIe siècle, se développa au IXe et déclina à partir du XIe. Il s’agissait d’une théologie rationaliste soucieuse de concilier l’islam avec le logos grec, affirmant le libre-arbitre de l’homme et surtout rompant avec le dogme du Coran inimitable et incréé. Que le Coran soit créé, qu’il ne soit pas coextensif au verbe divin, c’est, on l’a vu plus haut, ce qui rend possible son historicisation et ce qui ouvre donc la porte à une exégèse historico-critique. D’autre part celle du soufisme, courant mystique, spirituel et ésotérique, en rupture avec l’islam des juristes, qui distingue pour chaque verset du Coran un sens apparent (zâhir) et un sens caché (bâtin), ce qui ouvre la voie à une exégèse allégorique. C’est chez un mystique du IXe siècle qu’on trouve pour la première fois la distinction du petit jihâd (la guerre légale) et du grand jihâd (l’effort sur soi). Et au XIIIe siècle Ibn’ Arabî fera du grand jihâd un combat spirituel contre l’arrogance du moi et la violence de ses désirs. Là où les versets coraniques commandent de tuer il faut comprendre qu’ils commandent de tuer le moi égoïste et d’éradiquer le mal qui est en soi. On se trouve là devant une exégèse qui s’apparente à celle qu’Origène ou Dorothée de Gaza appliquaient à l’Ancien Testament.

Cependant le Mutazilisme a disparu au XIIIe siècle et le soufisme a toujours été suspect aux yeux de l’islam orthodoxe aussi bien en raison de son exégèse allégorique que parce que l’expérience spirituelle et mystique à laquelle il invite pourrait mettre en péril l’absolue transcendance de Dieu. Nombre de maîtres soufis ont été exilés ou exécutés dans l’histoire de la civilisation islamique. Très prisé aujourd’hui par les intellectuels occidentaux, il connaît un regain et une faveur dans les pays non-musulmans, mais demeure minoritaire et marginalisé dans les pays musulmans.

Une tâche nécessaire et difficile

Le texte coranique n’a pas le monopole de la violence, on l’a vu plus haut. Cependant comme l’écrivait Abdelwahab Meddeb, « les gens dont la croyance repose sur la Bible ont enclenché un processus d’investigation critique qui les a aidés à  neutraliser la violence, à la dépasser comme attribut divin38 ». Purifier le texte fondateur de l’islam de la violence qu’il contient est ainsi une tâche indispensable mais de la difficulté de laquelle il faut être conscient. Aux obstacles théoriques évoqués plus haut s’ajoute celui de l’absence d’un magistère ecclésiastique qui représenterait légitimement la communauté et dont la compétence pour trancher entre les interprétations serait reconnue par tous ses membres. Le dernier calife fut destitué en 1269 et le sultanat ottoman, qui n’avait pas de véritable autorité religieuse, fut aboli en 1924 par Mustapha Kemal. En outre l’islam sunnite qui représente 85% des musulmans sur la planète est dominé par la dynastie saoudienne elle-même liée au courant wahhabite, fondamentaliste et orthodoxe, qui rejette violemment le soufisme. Il nous faut donc soutenir de toutes nos forces les efforts que déploient un certain nombre de musulmans pour trouver dans des traditions marginales de leur religion et de leur civilisation les moyens de réformer et de rénover l’islam, ce qui suppose évidemment qu’on ne confonde pas islam et islamisme, comme on ne manque pas de nous y inviter régulièrement, mais ce qui suppose aussi qu’on ne méconnaisse pas la puissance des forces qui s’opposent à cet aggiornamento et qu’on ne sous-estime donc pas l’ampleur de la tâche.

[Note de l’éditeur, 12 février 2016. Mezetulle attire l’attention des lecteurs sur les commentaires qui suivent cet article, et en particulier sur la réponse d’André Perrin à Jean-Pierre Castel]

Notes

1 Genèse 34 et 35, 1-6

2 Deutéronome 20, 12-13

3 Juges 20, 23-24

4 Josué 6,2

5 Ibid. 6, 17

6 Ibid. 10,40

7 Ibid. 11, 12  Il est vrai qu’un peu plus loin dans son dernier discours Josué dit : « Mais s’il vous arrive de commettre une apostasie et de vous lier au restant de ces nations qui subsistent encore à côté de vous, d’entrer dans leur parenté et d’avoir avec elles des rapports mutuels, alors sachez bien que Yahvé votre Dieu cessera de chasser devant vous ces populations : elles seront en ce cas pour vous un filet, un piège, un fouet sur vos flancs et des épines dans vos yeux … » (23, 12-13), ce qui semble indiquer que les Cananéens n’étaient pas destinés à être exterminés. De même dans l’Exode et dans le Deutéronome voisinent des injonctions d’exterminer et des interdictions de nouer des alliances, de conclure des mariages avec les populations qui sont censées avoir été exterminées et d’adopter leurs cultes ou leurs mœurs. Sur ce point lire l’article de Ronald Bergey « La conquête de Canaan : un génocide ? » in La revue réformée Revue de théologie de la faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence N° 225  2003/5 Novembre 2003

8 Genèse 6, 7.

9 Exode 12, 29.

10 Cf. Romains 3, 27-30  Galates 2, 16.

11 Matthieu 5, 17  voir aussi Luc 16, 17  et Romains  3.

12 Cf. Félix Bussière Les mythes d’Homère et la pensée grecque, Les Belles Lettres, Paris, 1956.

13 Origène  Homélie 8 sur Josué.

14 Psaume 137 (136) 8-9.

15 Dorothée de Gaza  Instructions XI.

16 Cf.  Thomas Römer  Dieu est-il violent ? (2002) Voir aussi Dieu obscur. Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien Testament  Genève, Labor et fides  1996.

17 Judith 9, 9.

18 Ibid. 9, 7  L’expression est reprise à la fin du livre : « Car le Seigneur est un Dieu briseur de guerres ». (16, 2).

19 Saint Jean Chrysostome  Sur l’incompréhensibilité de Dieu  Discours III, Cerf, 1951, p. 176.

20 Saint Augustin  Les confessions Livre XII ch. 23.

21 Louis Massignon Situation de l’Islam, 1939, in Opera minora, t. I, p. 16.

22 Coran XVI, 103 et  XXVI, 195.

23 Mahomet qui ne savait vraisemblablement pas écrire récitait les sourates reçues à ses compagnons et ceux-ci les ont transcrites de façon fragmentaire, mais le texte définitif du Coran ne fut établi que 25 ans après la mort du prophète. Or l’écriture coranique était défective, qui ne notait que les consonnes et trois voyelles longues : c’était au point de départ un simple support mnémotechnique au service de la récitation d’un texte déjà connu. Il en résulte de nombreuses ambiguïtés qui font du Coran un texte particulièrement obscur. En outre il y a dans le Coran comme dans la Bible de multiples versets qui entrent en contradiction les uns avec les autres.

24 I Corinthiens, 11, 3-15.

25 Coran  XXIV, 31 et XXXIII, 59.

26 Rémi Brague  « Quelques difficultés pour comprendre l’islam »,  Conférence à l’IRCOM 7 décembre 2012.

27 Ibid.

28 Ou nuit du destin (Laylat Al Qadr).

29 Coran XCVII, 3.

30 Coran IX, 5.

31 Coran IX, 29.

32 Abdelwahab Meddeb  « Le Dieu purifié » in La conférence de Ratisbonne Bayard 2007 p. 91

33 Abdelwahab Meddeb  Sortir de la malédiction Seuil  Points-Essais 2008 p. 123-124

34 Rémi Brague et Abdennour Bidar  « Les versets de la discorde » Philosophie magazine n° 87 mars 2015 p.46

35 Dont il est d’ailleurs douteux qu’il signifie ce qu’on lui fait dire habituellement. Il faut lire la totalité : « Nulle contrainte en la religion ! La Rectitude s’est distinguée de l’Aberration. Celui qui est infidèle aux Tâghout et croit en Allah s’est saisi de l’anse la plus solide et sans fêlure ». Selon Rémi Brague il faut comprendre qu’on n’éprouve aucune contrainte quand on a embrassé la vraie religion – autrement dit que la vérité nous rend libres.

36 Abdelwahab Meddeb « Le Dieu purifié » art. cit. p. 92  et Ibn Khalddûn Le livre des exemples Paris, Gallimard, Pléiade, 2002, I, p.532.

37 Ibid. p. 89.

38 Abdelwahab Meddeb  Sortir de la malédiction, op. cit. p. 137.

© André Perrin et Mezetulle, 2015.

La politique économique de l’Europe empêche de lutter contre le terrorisme

Il est probable que le gouvernement tunisien n’a pas pris toutes les mesures qu’impose la lutte contre le terrorisme. Il est certain que les islamistes prétendument modérés qui ont gouverné plusieurs années ont alors non seulement laissé faire mais soutenu et voulu le pire. Il est certain aussi que depuis qu’ils ont été démocratiquement mis en minorité, depuis que les attentats du Bardo ont montré les conséquences de cette victoire de la démocratie, l’Europe et la France n’ont pas aidé la Tunisie.

Mais comment des pays contraints de limiter le déficit de leurs comptes à trois pour cent de leur produit intérieur brut peuvent-ils lutter contre le terrorisme, faire la guerre dans toute l’Afrique, et aider les pays qui se relèvent à peine de la dictature ou de l’islamisme ? Il y a certes plusieurs façons de comprendre que « les nerfs des batailles sont les pécunes ». Mais l’urgence est-elle de sauver les revenus du capital ou de se battre ? Est-elle de défendre un modèle économique ou la liberté de penser ?

Où l’on voit que le libéralisme n’est pas libéral en toute chose.

© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2015.

Après les attentats du Bardo, enseigner la chronologie

L’attentat perpétré au musée du Bardo ne vise pas seulement à effrayer les touristes essentiels à l’économie tunisienne : il est symbolique du refus radical des islamistes d’admettre qu’il y ait eu d’autres civilisations avant l’islamisation de ces contrées. Ils font aussi table rase de tout ce qui ne correspond pas à leur idée de l’islam – y compris les mosquées ou les œuvres d’art islamiques qui ne sont pas conformes à la représentation qu’ils en ont. Enseigner l’histoire avec toute sa dimension chronologique, c’est leur résister.

 

Quelque temps après la révolution, je suis retourné à Tunis que la dictature me faisait fuir. J’ai tenu à revoir le musée du Bardo dont les remarquables transformations étaient presque achevées. Un étudiant nous a guidés, fier de montrer la richesse de l’histoire de son pays depuis l’Antiquité : Tunisie carthaginoise et romaine, avec ses femmes dénudées sur les mosaïques (est-il vrai que c’est interdit au Louvre Abu Dhabi ?) et les grappes de raisin dont on fait le vin, Tunisie chrétienne aussi, et Tunisie de l’art islamique. Les Tunisiens tiennent à garder la mémoire de leur histoire complexe, au carrefour de l’Orient et de l’Occident, au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, à quelques encablures de la Sicile. Ils veulent aussi que les années du protectorat français soient leur histoire et n’oublient pas la présence chez eux d’une communauté juive – la synagogue de la Ghriba est aujourd’hui encore un lieu de pèlerinage à Djerba. Un peuple décide de son histoire.

L’attentat perpétré au musée du Bardo ne vise donc pas seulement à effrayer les touristes – une vingtaine ont été tués – essentiels à l’économie tunisienne : il est symbolique du refus radical des islamistes d’admettre qu’il y ait eu d’autres civilisations avant l’islamisation de ces contrées. Ils font table rase de tout ce qui ne correspond pas à leur idée de l’islam – y compris les mosquées ou les œuvres d’art islamiques qui ne sont pas conformes à leur représentation de l’islam.

Les commentateurs ont à juste titre noté que la Tunisie revendiquant la richesse, la diversité et les contradictions de son histoire, elle est l’ennemie jurée des islamistes, plus encore que la France laïque, parce qu’elle est musulmane. Ils ont donc demandé que l’Europe l’aide. Mais en paierons-nous le prix, ou faudra-t-il, avec l’Allemagne, attendre que la Grèce ait réglé ses dettes ?

Une seconde décision me paraît aussi importante, et moins onéreuse : qu’on enseigne à l’école non pas les vertus de quelque religion que ce soit, ou même je ne sais quel catéchisme républicain, mais bien l’histoire, l’histoire tout entière. Je me souviens de camarades de classe qui me traitaient de païen à l’école primaire parce que je n’allais pas au catéchisme. Je sais que généralement les musulmans, même ceux qui n’ont rien de fanatique, ne savent rien de l’histoire de la religion et de la civilisation islamiques. Ainsi, de même que la croyance en l’historicité du Christ a été un obstacle considérable à l’étude historique des débuts du christianisme, de même la sacralisation du Coran interdit parfois d’envisager qu’il soit un livre écrit par des hommes au cours de plusieurs siècles. Le soumettre à la critique philologique et historique est un sacrilège : c’est contester qu’il ait été dicté au Prophète par Dieu. Mais, je le répète, il a été longtemps impossible d’envisager publiquement que les événements racontés par les Évangiles ne soient pas historiques. On était brûlé pour moins que cela. On comprend donc que l’établissement d’une chronologie est essentiel à la connaissance historique : sans cela, pas de critique historique. Les subtilités des responsables de l’enseignement de l’histoire, qui relativisent l’importance de la chronologie, quand ils ne prétendent pas qu’elle est vaine, sont des fautes majeures. Peu importe qu’alors nous retenions des dates dont l’importance est contestable. Comment, sans chronologie, comprendre ne serait-ce que la date de l’Hégire et son sens ?

Il est urgent d’enseigner de nouveau la chronologie de l’école primaire au lycée.

©Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2015

Le terrorisme est-il l’arme des pauvres ?

Les tueries des 7, 8 et 9 janvier ont donné à nombre de commentateurs l’occasion d’avancer l’idée selon laquelle ce sont la pauvreté, le chômage, l’exclusion et le manque d’éducation qui font le lit du terrorisme. La thèse n’est pas nouvelle. Cette lecture sociale exclusive sert même souvent d’excuse. André Perrin l’examine de près et la fait passer au crible des épreuves classiques de falsification.

Les tueries des 7, 8 et 9 janvier ont donné à nombre de commentateurs l’occasion d’avancer l’idée selon laquelle ce sont la pauvreté, le chômage, l’exclusion et le manque d’éducation qui font le lit du terrorisme. La thèse n’est pas nouvelle. En ouvrant la conférence de Monterrey le 18 mars 2002, six mois après les attentats du 11 septembre, George Bush déclarait  : « Nous luttons contre la misère parce que l’espoir est une réponse au terrorisme »1 et quelques mois plus tard son épouse Laura ajoutait : «  Les enfants qui bénéficient d’une éducation sont davantage susceptibles d’épouser les valeurs qui aboutiront à la défaite du terrorisme »2.
Tout récemment c’est le Pape François qui adressait au premier ministre d’Australie, président du G 20, une lettre dans laquelle il lui exposait ce qu’il attendait de ce groupe : « Il faudrait également que celui-ci conduise à une élimination des causes profondes du terrorisme, qui a atteint des proportions jusqu’ici inimaginables ; ces causes incluent la pauvreté, le sous-développement et l’exclusion »3. Quelque éminente que soit l’autorité du souverain pontife, elle ne doit pas nous dissuader de soumettre à l’examen la proposition qui fait des phénomènes qu’il évoque les « causes profondes du terrorisme » car celle-ci se heurte à un certain nombre d’objections.
On a depuis longtemps remarqué que ce n’est pas le continent le plus pauvre de la planète, le continent africain, plus précisément l’Afrique sub-saharienne, qui a fourni depuis un demi-siècle les gros bataillons du terrorisme4 et si sous nos latitudes des apprentis terroristes sont recrutés dans les « banlieues », ils ne le sont pas parmi les derniers des exclus, les SDF par exemple. Si donc il existe une relation causale entre terrorisme et pauvreté, elle n’est pas mécanique au point que la propension au terrorisme croisse en raison directe de la misère. Le chercheur marocain Samer Aboulkassim écrit  : « La pauvreté peut en effet constituer l’une des causes qui pourrait éventuellement pousser les jeunes à faire partie de mouvements terroristes. Mais ceci n’est valable que dans certains cas seulement. En fait, la pauvreté est loin d’être un élément décisif. Elle pourrait l’être éventuellement dans le cas des candidats recrutés pour servir de kamikazes, mais pas en ce qui concerne le volet de la planification des attentats. Les têtes pensantes bénéficient, pour la plupart, d’une situation financière confortable dans leur pays d’accueil »5. Pour savoir dans quelle mesure la pauvreté peut se voir assigner le statut de cause du terrorisme, il faut donc prendre connaissance des études, enquêtes et travaux qui ont été consacrés aux liens qui les unissent.

Le terrorisme, les pauvres et les élites

Si l’on considère le terrorisme qui a sévi en Europe à partir du début des années 1970, celui de la Fraction Armée Rouge en Allemagne, des Brigades rouges en Italie, d’Action directe en France, il semble bien difficile de le relier à la misère sociale. Joëlle Aubron était issue d’une famille bourgeoise tout comme Jean-Marc Rouillan, fils d’un inspecteur de la jeunesse et des sports, et Nathalie Ménigon était employée de banque. En Allemagne la journaliste Ulrike Meinhof était la fille d’un historien, tout comme Andreas Baader tandis que Gudrun Esslin, fille d’un célèbre pasteur et descendante directe de Hegel, était doctorante en philosophie. Quant à Horst Mahler il était avocat. Et en Italie c’est précisément l’échec des Brigades rouges dans leur tentative de s’implanter dans le milieu ouvrier qui les a conduites à adopter la stratégie de « propagande armée » consistant à enlever et à assassiner des hommes politiques, des magistrats, des policiers désignés comme « serviteurs de l’État ». Dans un article intitulé « Terrorisme : la pauvreté n’est pas coupable » l’économiste Daniel Cohen écrit : « Une étude portant sur 350 personnes engagées dans l’Armée rouge japonaise, la bande à Baader, l’IRA ou les brigades rouges a montré que la grande majorité des auteurs d’attentats ne sont pas pauvres : les 2/3 ont fait des études supérieures et viennent de milieux aisés. L’image du « terroriste » recruté dans les bidonvilles de la grande pauvreté apparaît à l’opposé de la réalité »6.

Qu’en est-il du terrorisme islamiste qui nous occupe aujourd’hui ? Dans un article fameux paru au lendemain des attentats du 11 septembre, Jean Baudrillard parlait d’« un terrorisme de riches »7. Personne n’ignore en effet que 15 des 19 pirates de l’air, au service d’une organisation dirigée par un multimillionnaire, étaient issus de la classe moyenne et instruite. De même les huit terroristes arrêtés après les attentats manqués de Londres et de Glasgow, les 29 et 30 juin 2007, appartenaient tous au milieu hospitalier : cinq médecins, une laborantine et deux étudiants, ce que Bob Ayers, spécialiste en sécurité internationale auprès de l’ONG Chatham House commentait ainsi : « Certes ce n’est pas une nouveauté. Après tout les kamikazes du 11 septembre étaient largement éduqués eux aussi. Mais après les attentats du métro londonien le gouvernement s’était convaincu que l’extrémisme naissait dans les milieux pauvres, marqués par l’injustice et la frustration. Il pensait alors que lutter contre la pauvreté suffirait à prévenir les attentats futurs. Aujourd’hui, il s’aperçoit que ce sera bien plus difficile »8
Les différentes études qui ont été consacrées à ce sujet aboutissent au même constat. Scott Atram, directeur de recherches au CNRS et professeur à l’Université du Michigan, écrit  : « Les terroristes kamikazes ne sont ni pauvres ni ignorants  ; ils n’ont pas le sentiment de n’avoir plus rien à perdre »9. Dans le même sens les travaux d’Alan Krueger sur le terrorisme au Moyen-Orient ont permis d’établir que les terroristes ont un niveau de vie supérieur au taux de pauvreté et au moins un diplôme du secondaire, aussi bien chez les membres du Hezbollah libanais que chez les Palestiniens. Alain Krueger et Jitka Maleckova font ainsi état d’une enquête réalisée en décembre 2001 par l’agence palestinienne PCPSR (Palestinian Center for Policy and Survey Research) auprès de 1357 Palestiniens âgés de 18 ans et plus à qui la question suivante a été posée : « Y a-t-il des circonstances qui vous amèneraient à justifier l’usage du terrorisme pour atteindre des buts politiques ? ». Si l’on rapporte les réponses à la catégorie socio-professionnelle des personnes interrogées, on voit que 34,6% des ouvriers et employés répondent positivement à cette question, contre 41% des étudiants et 43,3 % des professions libérales, commerçants et agriculteurs. Si on les rapporte au niveau d’instruction, on constate que les réponses positives croissent avec celui-ci : 32,3% pour les illettrés, 37,5% pour ceux qui ont un niveau d’école élémentaire, 39,4% pour ceux qui ont un niveau secondaire. On a pu corrélativement établir que du côté israélien les actes les plus violents contre les Palestiniens ont été l’œuvre du groupe Gush Emonim (Bloc des Fidèles) qui a sévi en particulier à la fin des années 70 et dans les années 80, composé de militants mieux rémunérés et plus instruits que la moyenne de la population israélienne10. Ces données sont corroborées par le sondage Gallup réalisé auprès de 9000 personnes de 9 États musulmans, de l’Asie orientale au Maghreb, avec une marge d’erreur de 3% : les radicaux (dont la population est distinguée des modérés par la réponse à la question  : « approuvez-vous ou désapprouvez-vous les attentats du 11 septembre ? ») ont des revenus financiers et un niveau d’éducation plus élevés que les modérés, ce qui avait déjà été établi par l’étude de Marc Sageman portant sur la biographie de 166 djihadistes11.
Enfin une étude récente menée par des chercheurs des universités de Georgetown, Princeton et Stanford auprès d’un échantillon représentatif de 6000 Pakistanais donnent les mêmes résultats  : « Les Pakistanais pauvres n’aiment pas plus les groupes militants que les Pakistanais de la classe moyenne […] ceux qui manifestent la plus forte aversion sont les Pakistanais pauvres des milieux urbains »12.

En France non plus on ne peut réduire le recrutement des terroristes et les attentats qu’ils fomentent à des causes économiques. Le 23 janvier dernier Pierre Rosanvallon déclarait sur les ondes de France Culture  : « Il n’y aurait rien de plus grave que de penser que ces gens-là sont simplement le produit de dysfonctionnements dans la société française »13. À cet égard il convient de prêter attention à l’alerte lancée par Dounia Bouzar qui dirige le CPDSI (Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam). Aux questions : d ’où viennent les jihadistes français ? Sont-ils plutôt issus des classes populaires ou aisées ? elle répondait :

« Ce sont majoritairement des adolescents et des jeunes majeurs âgés de 14 à 21 ans. Avant nous observions surtout des jeunes fragilisés au niveau social et familial, sans espoir social et issus de classes populaires. Mais une véritable mutation du discours intégriste se produit : il gagne désormais différentes classes sociales. Au CPDSI, sur 200 familles, nous traitons 70% de jeunes issus de classes moyennes et 10% de classes supérieures. Certains ont des parents qui sont médecins dans le 16e arrondissement de Paris, beaucoup sont enseignants, éducateurs ou encore avocats. C’est bien en cela qu’il y a mutation  : les intégristes arrivent à retourner des jeunes pleins d’espoir et « bien dans leurs baskets », plus seulement ceux fragilisés. Les familles issues de classes populaires restent touchées, mais elles ont plus peur de nous solliciter »14.

Terrorisme, fanatisme religieux et volonté de puissance

Que des apprentis terroristes puissent aussi être recrutés dans les classes défavorisées est un fait mais cela n’autorise pas à compter la pauvreté parmi les causes du terrorisme car on impute à la triade pauvreté-chômage-exclusion beaucoup trop d’effets pour qu’elle puisse rendre compte de chacun en particulier : on lui doit aussi bien la petite délinquance et la grande criminalité. Mais qu’est-ce qui explique qu’un chômeur s’oriente vers le terrorisme plutôt que vers le vol de mobylette ou le braquage de banques ? Quant aux skinheads et autres hooligans, amateurs de ratonnades et de violences homophobes, ils sont rarement fils d’avocats, de médecins ou de patrons du Cac 40, mais plutôt issus du prolétariat ou du sous-prolétariat. Et on se souvient sans doute que le meurtrier présumé de Clément Méric n’était pas, à l’instar de sa victime, un étudiant à Sciences-Po fils de professeurs d’université, mais un fils d’artisan espagnol immigré. Qu’est-ce qui explique qu’un exclu choisisse de mitrailler des juifs et des caricaturistes plutôt que de faire le coup de poing avec des militants d’extrême-gauche ? Et ce n’est pas tout car c’est encore par le chômage et la précarité qu’on explique la progression du vote en faveur du Front National15 : si c’est la pauvreté qui explique à la fois qu’on dépose tel bulletin dans l’urne et qu’on pose une bombe dans une école, ce n’est évidemment pas la pauvreté qui peut expliquer qu’on fasse l’un plutôt que l’autre.

Sans doute la pauvreté favorise-t-elle bien des maux et c’est pourquoi Thomas d’Aquin disait déjà qu’un minimum de bien-être est nécessaire à l’exercice de la vertu16. Il y a suffisamment de bonnes raisons de combattre la pauvreté pour ne pas s’en donner de mauvaises qui ont de surcroît l’inconvénient d’occulter les racines du mal qu’on prétend identifier : « à trop se focaliser sur une explication «  économique » (dans tous les sens du terme) nous nous détournons des véritables causes du terrorisme », écrit Joseph Henrotin17, « le terrorisme serait la continuation de la politique par d’autres moyens, plutôt que celle de la lutte des classes »18.
A Lunel, petite commune de l’Hérault d’environ 26000 habitants, il s’est trouvé une vingtaine de « jeunes » pour partir faire le jihad en Syrie et six d’entre eux y ont trouvé la mort. Outre qu’ils étaient loin d’être tous chômeurs – parmi les six morts l’un était étudiant en informatique, un autre maçon et un troisième gérant de café – il n’y a pas eu vingt départs à Montpellier, où la population est dix fois plus nombreuse et où les jeunes musulmans au chômage ne manquent pas. Cependant la mosquée de Lunel était dès 2010 désignée par l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (EHESS) comme proche du Tabligh, courant qui prône une lecture littéraliste de l’islam et œuvre pour la réislamisation des musulmans (revivalisme). Quant à Lahoucine Goumri, Imam de Lunel, il avait déclaré : « Je ne condamne pas du tout ces départs. Les gens sont libres de partir ou de rester. Il y a des gens qui pensent que c’est un djihad, d’autres qui pensent que là-bas il y a une injustice à combattre […] Pourquoi condamner ces jeunes qui sont partis en Syrie combattre une injustice et pas ces Français qui sont partis et ont tué des bébés palestiniens avec Tsahal l’été dernier  ? »19. Inversement Mohamed Khattabi, Imam de la mosquée Aïcha de Montpellier, a fait la déclaration suivante  : « Je connaissais bien l’un des jeunes de Lunel, puis j’ai perdu de ses nouvelles. Il y a eu un voyage, à l’étranger, et je ne l’ai plus revu. Ce ne sont pas des martyrs. Ce ne sont pas des héros, ce sont des zéros. […] Les jeunes, faites attention, ne mettez pas votre communauté en défaut. Le mort, il est mort, et c’est fini. Mais qui subit les conséquences ? Les parents, et toute la communauté. Les vivants »20. Les conditions matérielles d’existence des jeunes musulmans étant analogues à Lunel et à Montpellier, faut-il chercher la « cause » dans l’infrastructure économique ou dans la superstructure idéologique ?
Des intellectuels arabes, bien placés pour voir comment les choses se passent au Moyen-Orient, ont d’ores et déjà répondu à cette question. Ainsi Muhammad Mahfouz, directeur du magazine libanais Al-Kalima : « La raison réelle qui se cache derrière la mobilisation d’une poignée de jeunes hommes est purement culturelle. Cela signifie que ces jeunes ont grandi dans une atmosphère culturelle spécifique qui se fonde sur une interprétation stéréotypée de la religion. Cette interprétation sert d’incubateur fondamental à ce groupe. Ceci explique pourquoi des jeunes appartenant à des familles riches ou bien placées dans la hiérarchie des fonctionnaires de l’État sont impliqués dans des crimes terroristes »21. Et Abdalah Rashid, écartant de même l’attribution de la cause de l’extension du terrorisme à la pauvreté et au manque de justice sociale, voit la raison de l’implication des jeunes musulmans dans le terrorisme dans « le lavage de cerveau terrifiant »22 qu’ils subissent de la part des oulemas : « Ces oulémas alimentent les jeunes musulmans de toutes sortes d’idées racistes et de principes extrémistes destructeurs, et les allaitent d’hostilité, de haine et de ressentiment à l’égard des autres peuples et des adeptes d’autres religions divines »23.

Ce « lavage de cerveau terrifiant » dénoncé il y a déjà dix ans au Moyen-Orient correspond exactement aux observations actuelles de Dounia Bouzar sur la dimension sectaire du recrutement des djihadistes en France : théorie du complot, mythologie de l’élection et de la régénération du monde par la violence, exploitation de la volonté de combattre l’injustice, exaltation du sentiment de toute-puissance. Les ressorts sur lesquels s’appuient les recruteurs sont psychologiques et non sociologiques. Le sociologue Farhad Khosrokhavar qui a interrogé en prison un certain nombre de terroristes24 décrit ainsi le candidat au terrorisme : « Il est prêt à mourir et à tuer, les autres ont peur pour leur vie, donc il leur est supérieur »25. Cette motivation a une connotation visiblement hégélienne, plus précisément hégéliano-kojévienne, qu’on peut nommer de différentes façons – désir de reconnaissance, sens de l’honneur, volonté de puissance ou de maîtrise – mais qui est en tout cas irréductible à l’ « économique ». Comme Dounia Bouzar, Farhad Khosrokhavar met en évidence l’émergence d’un nouveau modèle d’adhésion à l’islamisme radical  :

« À ce modèle classique s’en juxtapose un autre depuis la guerre civile en Syrie à partir de 2013. Ce sont des jeunes de classes moyennes, de plus en plus des adolescents attardés, des convertis de presque toutes les religions, chrétiens, juifs, bouddhistes…, mais aussi des jeunes filles souvent de bonne famille qui vont joindre la horde des prétendants au djihad exacerbé. Eux n’ont pas la haine de la société, ni n’ont intériorisé l’ostracisme dont la société a accablé les jeunes des banlieues, ils ne vivent pas non plus le drame d’une victimisation qui noircit la vie. Mais alors qu’est-ce qui les motive ? Chez eux sévit une dimension anti-Mai 68 : les jeunes d’alors cherchaient l’intensification des plaisirs dans l’infini du désir sexuel reconquis, désormais, on cherche à cadrer les désirs et à s’imposer, par le biais d’un islamisme rigoriste, des restrictions qui vous ennoblissent à vos propres yeux. On cherchait à se libérer des restrictions et des hiérarchies indues, désormais, on en réclame ardemment, on veut des normes, on y aspire et on les sacralise. On était anarchiste et on avait la haine du pouvoir patriarcal, à présent, on trouve une société vide de sens et l’islamisme radical, en départageant la place de la femme et de l’homme, réhabilite une version distordue de patriarcat sacralisé en référence à Dieu. Mai 68 était la fête ininterrompue et le mouvement hippie se voulait sa continuation dans le délire du voyage exotique jusqu’à Katmandou ou en Afghanistan, libre encore de l’emprise du djihadisme. À présent, le voyage initiatique est une quête de pureté dans l’affrontement de la mort au nom du martyre »26.

«  Une société vide de sens  ». C’était le constat de Jean-Michel Muglioni dans un récent article intitulé « La séduction de la terreur » : « Le vide intellectuel et moral de notre temps laisse le champ libre aux fanatismes religieux »27. Si le fanatisme suicidaire des nouveaux candidats au jihad trouve sa source dans une « quête de pureté » et une soif d’absolu que la vacuité morale de notre société est impuissante à combler, il est vain d’espérer qu’un énième « plan pour les banlieues », quelque utile qu’il puisse être par ailleurs, sera de nature à le combattre : «  la réduction de la politique à l’économie fait le lit des fanatismes religieux, car les hommes ont d’autres exigences que l’argent », écrivait encore Jean-Michel Muglioni28. Il ne faut donc pas se tromper de combat comme le rappelle Abdennour Bidar dans la belle Lettre ouverte qu’il a adressée au monde musulman :

« Même les intellectuels occidentaux ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion – en bien et en mal, sur la vie et sur la mort – qu’ils me disent : « Non, le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc. » Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière ! »29.

Le terrorisme, la religion et la République

Lutter efficacement contre le terrorisme suppose qu’on ne s’aveugle pas sur ses causes. L’erreur n’est pas seulement mauvaise en soi, elle est aussi dangereuse : « En liant la lutte contre le terrorisme et l’aide au développement, ne fait-on pas courir indûment aux pays pauvres le risque de faire dépendre l’intérêt qu’on leur porte de l’intensité de la menace terroriste, ce qui conduirait à un double risque  : de voir d’une part cet intérêt s’éroder en cas de recul du terrorisme ; de convaincre d’autre part les pays pauvres de la réalité (fabriquée) d’un lien qui n’existerait pas sinon ? », écrit Daniel Cohen30. L’aide au développement doit bien évidemment continuer, mais le combat contre le terrorisme est moins un combat contre la pauvreté qu’un combat pour la vérité, et c’est donc un combat d’idées. Si la modernité a affaibli la religion sur le sol européen, les progrès technologiques qu’elle a engendrés, alliés à l’espace indéfiniment ouvert de la mondialisation, ont fourni des pouvoirs démesurés de propagande, d’endoctrinement et de décervelage à ses figures les plus archaïques. L’école est aujourd’hui désemparée devant ce défi.
Il y a ainsi un immense effort de réflexion et de remise en question qui s’impose d’une part au monde musulman, d’autre part à nos propres sociétés occidentales et plus précisément européennes. S’agissant du monde musulman, il ne faut pas se voiler la face. Il faut arrêter, sous prétexte de ne pas « stigmatiser » nos compatriotes musulmans dont il est évident que l’immense majorité ne se reconnaît pas dans l’islamisme et réprouve le terrorisme, de répéter absurdement que « tout cela n’a rien à voir avec l’islam ». Comme si l’affrontement planétaire des chiites et des sunnites n’avait rien à voir avec l’islam ! Comme si l’assassinat de « blasphémateurs » et d’« apostats » n’avait aucune signification religieuse ! Il va de soi que le massacre de la Saint Barthélémy est diamétralement opposé à l’enseignement du Christ, mais a-t-on jamais prétendu qu’il n’avait « rien à voir avec le christianisme » ? Autant soutenir que les guerres de religion n’ont rien à voir avec la religion ! « L’islamisme est, certes, la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte lui-même », disait Abdelwahab Meddeb31, récemment disparu, et c’est pourquoi il n’avait de cesse d’appeler les musulmans à un travail d’interprétation seul capable de purifier la religion du fanatisme et de la violence : « C’est à une guerre des interprétations que nous convions les oulémas s’ils veulent vraiment gagner le défi du désamorçage de la violence que leur religion recèle »32. S’agissant de nos sociétés elles doivent pour leur part comprendre qu’une courbe de croissance ne peut combler le vide spirituel de ceux qui sont prêts à succomber à la tentation du terrorisme et qu’il ne faut pas les laisser devant la désespérante alternative du fanatisme religieux et de la jouissance consumériste. Résumant dans une formule frappante les analyses de Marcel Gauchet, Pierre Manent écrivait : « L’autonomie collective – la République – en se dressant contre l’hétéronomie collective – la religion – a fini par produire le triomphe de l’autonomie individuelle, de la pure démocratie qui a finalement absorbé la République aussi bien que la religion »33.
Ce constat indique peut-être en creux la voie qu’il importe de tracer : restaurer cette autonomie collective et, à travers elle, métamorphosé, ce que la religion et la République avaient de commun, un sacré susceptible d’unir véritablement les hommes et de donner par-là à la société qu’ils forment un visage assez enviable pour concurrencer victorieusement les idéologies mortifères. Évoquant la marche du 11 janvier, Fahrad Khosrokhovar écrivait : « Le sursaut spontané des centaines de milliers de citoyens après le massacre de Charlie Hebdo laisse présager d’un début de solution en termes d’exaltation de valeurs collectives sacrées échappant au nihilisme des prophètes de malheur qui nous promettent la mort de la République, de la laïcité et de l’homme tout court »34. Puisse-t-il en être ainsi.

Notes

1 Cité par Daniel Cohen « Terrorisme  : la pauvreté n’est pas coupable » Le Monde 6-7 octobre 2002 http://www.radicalparty.org/fr/content/terrorisme-la-pauvret%C3%A9-nest-pas-coupable

2 Cité par David Wessel The Wall Street journal ; Courrier international 5 juillet 2007.

3 La Croix 12 novembre 2014.

4 En outre les travaux de James Piazza ont montré que parmi les dix pays les plus touchés par le terrorisme entre 1986 et 2002, seuls trois (Yemen, Angola et Pakistan) ont un indice de développement faible. James A. Piazza « Rooted in poverty ? Terrorism, poor economic development and social cleavages » in Terrorism and Political Violence, 2006, p. 160.

5 Samer Aboulkassim « La pauvreté n’explique pas tout » Aujourd’hui le Maroc 9 décembre 2005.

6 Daniel Cohen article cité.

7 Jean Baudrillard « L’esprit du terrorisme » Le Monde 2 novembre 2001.

8 « Le Royaume-Uni, laboratoire des médecins terroristes », Libération 4 juillet 2007.

9 Scott Atram « Genesis of suicide terrorism », Science 7 mars 2003.

10 Alan B. Krueger et Jitka Maleckova « Education, poverty, political violence and terrorism  : is there a causal connection ? » Working papers n° 9074 Woodrow Wilson School University of Princeton Mai 2002.

11 Voir Joseph Henrotin « Le terrorisme est un problème politique » L’Echo 9 janvier 2007..

12 Christine Fair, Graeme Blair, Neil A. Malhotra, Jacob N. Shapiro « Poverty and support for militant politics : evidence for Pakistan », Social Science Research Network Mai 2011.

13 France Culture 23 novembre 2015 18 h Magazine de la rédaction.

14 Direct Matin 10 janvier 2015. Écouter aussi son intervention sur France Inter le 17 janvier 2015 à 8h20.

15 Cf. Luc Rouban Directeur de recherches au CNRS CEVIPOF-CNRS N° 2 Novembre 2013 : « L’électorat FN se distingue de tous les autres électorats par sa précarité économique ». Voir aussi Laurent Jouanneau Alternatives économiques N° 332 Février 2014 et l’enquête du cabinet de conseil Taddeo (Le Monde et Libération du 11 avril 2014).

16 Thomas d’Aquin De Regno (Du gouvernement royal) ch. XV.

17 Art. cit.

18 Ibid.

19 Voir Le Midi libre 12 décembre 2014. Cet Imam a été remplacé depuis.

20 Voir 20 minutes 28 octobre 2014.

21 Muhammad Mahfouz Saudi Gazette 30 décembre 2014.

22 Abdalah Rashid Al-Itihad 10 janvier 2005.

23 Ibid.

24 Fahrad Khosrokhavar Quand Al-Quaida parle, Grasset 2006.

25 Id. Le Monde 9 janvier 2015.

26 Ibid.

27 Jean-Michel Muglioni « La séduction de la terreur » Mezetulle 10 novembre 2014.

28 Ibid.

29 Abdennour Bidar « Lettre ouverte au monde musulman », Marianne 13 octobre 2014.

30 Daniel Cohen, art. cit.

31 Abdelwahab Meddeb, Libération 23 septembre 2006.

32 Id. La conférence de Ratisbonne avec Jean Bollack et Christian Jambet Bayard 2007 p. 85.

33 Pierre Manent Cours familier de philosophie politique Fayard 2001 p. 45.

34 Article cité.

© André Perrin et Mezetulle, 2015

[NdE : sur la lecture « sociale » du terrorisme, voir aussi l’article de Yolène Dilas-Rocherieux « Communisme, révolution, islamisme« .]

La séduction de la terreur

Jean-Michel Muglioni propose ici un début de réflexion sur la cause générale de la séduction du terrorisme.

Une ère de terrorisme ne fait que commencer. Le vide intellectuel et moral de notre temps et la réduction de la politique à l’économie font le lit des fanatismes religieux, car les hommes ont d’autres exigences que l’argent. Pourquoi notre société a-t-elle des enfants perdus ? C’est qu’il n’y est pas question d’en faire des hommes mais seulement des producteurs et des consommateurs.

 

La chute du mur de Berlin

Jusqu’en 1968 le marxisme régnait sur les esprits. Un idéal était proposé aux hommes. On pouvait certes savoir depuis longtemps quels crimes il couvrait – et peut-être sa nature révolutionnaire n’est-elle pas étrangère à ces crimes -, mais c’était encore un idéal politique et il pouvait être rationnellement discuté. Or dans un monde en pleine croissance le terrorisme séduisait déjà. On ne saurait donc l’expliquer par ce qu’on appelle la crise et la mondialisation.

La chute du mur de Berlin a signifié, ou même elle a eu pour cause la fin de la croyance au paradis sur terre : qui en effet s’imaginait encore trouver un modèle de l’autre côté du mur quand il est tombé ? Il n’y a depuis lors d’espérance que pour l’autre monde, et cette espérance n’est pas moins terrible. Dorénavant, un seul mur sépare de l’idéal : la mort. De là une ère de terrorisme qui ne fait que commencer, car le vide intellectuel et moral de notre temps laisse le champ libre aux fanatismes religieux – ou plus pudiquement au retour du religieux.

Le nihilisme

Le terrorisme ne mobilise pas le monde contre lui : rares sont les manifestations de grande ampleur pour le dénoncer. Au contraire la barbarie, les pires crimes des fanatismes religieux et politiques montrés sur les écrans du monde entier suscitent de nouvelles vocations : le terrorisme séduit. D’où vient cette séduction du nihilisme destructeur ? Du nihilisme des paisibles consommateurs d’Europe et des pays riches : ils ne croient plus en rien, et pour avoir chaud cet hiver, ils sont prêts à tout céder à leurs fournisseurs de gaz et de pétrole. L’horreur des crimes de ceux qui se disent soldats de Dieu ne doit pas nous cacher notre propre responsabilité : il ne suffit pas de considérer que c’est une affaire entre l’islam et la modernité.

L’illusion de la croissance

Qu’offrons-nous à la jeunesse qui puisse s’opposer à la propagande des fanatiques ? De l’argent pour ceux qui ne sont pas au chômage, de l’assistance pour les autres. De bonnes consciences disaient l’autre matin sur France Culture que l’essor des écoles de commerce montre qu’enfin la France se transforme. Certes il faut faire marcher l’économie, éradiquer le chômage, indemniser les chômeurs : il faut de bonnes écoles de commerce. Mais faire du monde un marché n’a pas de sens. Dans l’hypothèse même où un accroissement indéfini des richesses serait possible, qui se satisfera de cette perspective ? Peu importe qu’on veuille réaliser un progrès social par le libéralisme, le social-libéralisme ou le socialisme, c’est-à-dire dans tous les cas par la croissance : la réduction de la politique à l’économie fait le lit des fanatismes religieux, car les hommes ont d’autres exigences que l’argent[1].

Oui, il faut une politique économique (on la cherche vainement aujourd’hui, mais le primat de l’économie empêche qu’on conçoive et veuille une politique quelconque, même économique). Sans doute faut-il se battre contre les armées de terroristes qui envahissent la Syrie et l’Irak et s’en donner les moyens militaires, tous les moyens militaires possibles (il n’est pas sûr que ce soit le cas aujourd’hui). Mais la prospérité économique et la défaite militaire des terroristes n’élimineront pas les fanatismes : la nullité des projets « occidentaux » leur assurera encore longtemps une victoire idéologique.

La subordination de l’école à l’argent

On dira à juste titre qu’il y a mille cas particuliers, que les recruteurs savent manipuler les esprits, que l’internet est leur arme, que cette arme porte surtout sur les plus fragiles, que la confusion du virtuel et du réel qui affecte certains habitués des jeux vidéo les rend fous, etc. Il y a en effet une infinité de causes particulières du terrorisme. A la police, aux services spéciaux et à la Justice de les déterminer dans chaque cas. Mais, comme Montesquieu, ne faut-il pas chercher la cause générale ? Pourquoi notre société a-t-elle des enfants perdus ? C’est qu’il n’y est pas question d’en faire des hommes mais seulement des producteurs et des consommateurs. Le classement PISA (Program for International Student Assessment : programme international pour le suivi des acquis des élèves) mesure l’excellence de nos écoles ou leur insuffisance. Il est fait par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques (Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD) : ces dénominations disent tout. On s’étonne par exemple de trouver parmi ces terroristes des ingénieurs formés dans de prestigieuses universités : mais peut-être ont-ils senti que la pratique des sciences y était toute entière subordonnée aux impératifs économiques et non pas d’abord et principalement à la recherche de la vérité. Partout les réformes des universités visent à les aliéner au marché.

La dérive psychologique, pédagogiste et policière

Un témoignage pour finir. Un proviseur reçoit à la rentrée 2014 un ami nommé dans son lycée ; il le prévient de ce qui l’attend. Je résume : vous ne pourrez pas faire cours, mais arrangez-vous pour que les élèves ne sortent pas de l’établissement ; et voici quel chemin emprunter pour arriver au lycée sans trop de risques. Cet homme soucieux de la sécurité de son personnel ne parle plus de pédagogie mais de gestion de conflits. On avait jusqu’ici le pédagogisme, c’est-à-dire la subordination du contenu aux caprices des élèves, ou plutôt des usagers, on a maintenant des techniques douces en apparence mais policières dans leur nature : les lecteurs de Mezetulle ne devraient pas s’étonner de cette dérive nécessaire. Georges Canguilhem a montré quel rapport il y a entre la psychologie et la préfecture de police. Ainsi, comment un peuple peut-il avoir quelque crédit et exister en tant que peuple, comment peut-il encore avoir la moindre idée de ce qu’est la citoyenneté et résister au terrorisme, quand il lui paraît naturel que l’enseignement relève de la gestion de conflits – ce qui, à ce qu’on me dit, commence dès les plus petites classes avec les plus petits enfants, et pas seulement dans le lycée dont je viens de parler ? Parce que nous ne voulons pas des hommes mais des producteurs et des consommateurs, nous sommes devenus depuis déjà longtemps incapables de prendre soin de nos enfants. Que mille Français soient partis en Irak ou en Syrie, c’est peu de chose à côté de ce qui nous attend.

Que faire ?

On objectera encore une fois que je ne dis pas ce qu’il faut faire. Mais je l’ai dit : proposer aux hommes autre chose que la croissance, durable ou non. Quelque chose comme un idéal. Ce qui requiert une école fondée sur le contenu qu’on y enseigne, c’est-à-dire où la vérité et la beauté des contenus prévaut sur l’intérêt économique et les préoccupations sociales les plus légitimes. Il est vrai qu’une telle idée de l’école (c’est une idée, car cette école n’a jamais existé) suppose que les puissants ne méprisent pas la culture, que ceux qui sont en charge de l’école ne méprisent pas les enfants du peuple et que le ministère de l’Éducation nationale ne les réduise pas à la sociologie de leurs quartiers. Mais l’indifférence des classes dirigeantes à la culture et la réduction du politique au sociologique ne sont-elles pas une conséquence du règne sans partage de l’économie ?

P.S. J’ai hésité à envoyer cette rapide analyse. Mais je vois dans Marianne (n°915 du 31 octobre au 6 novembre, p.18) un « débat Régis Debray-Bernard Maris » où chacun dénonce l’hégémonie de l’économie et le vide intellectuel et moral qui fait de la jeunesse des banlieues européennes la proie des recruteurs pour le djihad.

Nous sommes finalement assez nombreux à faire le même diagnostic et sur la politique et sur l’école. Aujourd’hui comme hier, les catastrophes historiques ne viennent pas de ce qu’on ne sait pas : on sait mais on ne veut pas ; ou parce qu’on ne veut pas, on ne veut pas savoir. La seule leçon de l’histoire, c’est qu’il n’y a pas de leçons de l’histoire, mais ce n’est pas parce qu’il est impossible d’analyser le présent à la lumière du passé. Et si l’histoire ne se répète jamais – les situations sont toujours nouvelles -, c’est toujours le même jeu des mêmes passions. On appelle « crise » dans les sociétés humaines leur état permanent de désordre et d’injustice auquel on sait comment remédier mais auquel on s’évertue de ne pas remédier. Et parfois une catastrophe épouvantable provoque un sursaut, comme les décisions du Conseil National de la Résistance après la dernière guerre mondiale. Mais du pire ne sort pas toujours le meilleur.

 

Notes

[1]              Et par exemple – je l’ai dit dans ces colonnes – le sens du travail est perdu : on a généralement oublié qu’un métier n’est pas fait pour enrichir celui qui l’exerce mais pour collaborer au bien commun, lequel ne se réduit pas à la richesse. La société qu’on nous propose comme modèle, à supposer même qu’elle soit aussi prospère qu’on voudra, est une société d’esclaves mercenaires.

© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2014