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Macron et la légitime défense : poisson d’avril !

Le président de la République ne perd ni son énergie ni sa bonne humeur malgré un environnement sombre. Se montrant particulièrement pugnace, il ose même le poisson d’avril de mauvais goût (car dans l’affaire en question un homme est mort et un autre est mis en examen pour meurtre) avec une déclaration faite au micro d’Europe 11. À propos d’un homme mis en examen pour avoir tué un cambrioleur entré chez lui par effraction2, le président dit en effet : « Je suis opposé à la légitime défense ».

Poisson d’avril, très probablement. Voici quelques indices.

La déclaration est proférée le 31 mars, et donc on peut s’attendre à ce qu’elle se répande et « fasse le buzz » le lendemain 1er avril. D’ailleurs Europe 1 attend ce matin pour diffuser sur son site l’enregistrement audio3, et je l’entends en me disant « tout de même, c’est un peu gros, ils y vont fort! ».

En effet, c’est une énormité.

S’agirait-il d’une « petite phrase » coupée de son contexte vilainement extraite pour accabler le président  ? La déclaration est entièrement accessible sur le site d’Europe 14 . Il a vraiment dit ça, soutenant et renforçant son propos par deux autres affirmations.

1° Une faute volontaire de logique : avancer que la légitime défense ce serait « le Far West » et que son existence témoignerait d’un pays où « on considère que c’est aux citoyens de se défendre ». Alors que la loi définissant et réglant la légitime défense dit le contraire.

2° Une hyperbole qui érige cette énormité en règle générale : « je ne vais pas juger d’un fait divers [encore heureux!]. Je vous donne les règles ».

Certes, le président a raison quand il dit qu’il n’a pas à juger une affaire particulière. Mais il oublie que dans cette affaire particulière, l’une des questions que se poseront les juges n’est pas de savoir si la légitime défense existe dans la loi (car la légitime défense a bien une existence légale), mais de savoir si ce cas particulier est ou non un cas de légitime défense telle que la définit la loi.

Le président n’a donc ni à juger d’un cas particulier ni à « rappeler » des règles qui n’existent pas. C’est la loi qui « donne les règles », et le président, s’il veut les rappeler, ne peut que s’y référer ou du moins ne pas les trahir. En l’occurrence les articles 122-5 à 122-7 du Code pénal5.

Je ne vois que trois hypothèses permettant de comprendre la déclaration « Je suis opposé à la légitime défense ».

1° Le candidat Macron est opposé à la loi relative à la légitime défense. Mettons, mais s’il veut l’abolir, qu’il le dise clairement dans un programme, dans une réunion électorale de campagne. Attendons la suite, on ne peut pas savoir, mais Macron surenchérissant sur Poutou (lequel propose le désarmement de la police), franchement je trouve que ça ne tient pas la route.

2° Emmanuel Macron y est opposé en tant que président en exercice. Mettons, mais qu’il annonce alors que l’exécutif va maintenant, là, tout de suite, déposer un projet de loi abrogeant la législation existante (car à ma connaissance durant ce quinquennat aucune proposition faite en ce sens par l’exécutif n’a été examinée). Mais comment saisir le Parlement pour une telle opération en pleine période électorale et à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle ? C’est impossible.

3° C’est un poisson d’avril.

Il y a peut-être des malpensants qui suggéreront une quatrième hypothèse désobligeante pour le président, mais j’ai honte rien que de l’avoir imaginée ne serait-ce qu’une fraction de seconde.

Notes

3https://www.europe1.fr/emissions/Les-journaux-de-la-redaction/emmanuel-macron-a-europe-1-je-suis-oppose-a-la-legitime-defense-4103123
Il ajoute : « en aucun cas ce n’est à nos compatriotes de se défendre eux-mêmes » (c’est moi qui souligne).

4 – Voir les notes 1 et 3.

Florilège de poissons d’avril

Pas besoin de se creuser beaucoup la tête ni de faire de grandes recherches pour trouver matière à poisson d’avril cette année, il suffit de récolter quelques déclarations d’hommes politiques – qui ont il est vrai l’excuse d’être en « burn-out » en ce moment.

C’est vers le très grave ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer que je me tournerai d’abord, qui a annoncé hier des « vacances apprenantes ». Oui, oui, « apprenantes » : ça m’a mis la puce à l’oreille car dire « studieuses » ça ne ferait vraiment pas sérieux.

Ensuite vers Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, qui, interrogé sur Europe 1, déclare à deux reprises  : « je fais confiance aux scientifiques corses ». En fait, il a eu raison d’insister et d’anticiper (la déclaration a été faite hier) car, malcomprenante, je me suis rendu compte seulement ce matin que c’était une blague en rapportant le propos à un ami corse…

Voici un petit florilège de poissons d’avril publiés jadis et naguère sur Mezetulle.

Et sur l’ancien site :

Manifester quand on est vieux : un comportement à risque qui demande à être encadré

Les sportifs amateurs savent que les fédérations sportives, conformément à la loi, réclament un certificat médical d’absence de contre-indication pour délivrer leurs licences1. Le certificat doit être renouvelé par la suite tous les trois ans, sous réserve d’avoir répondu à un questionnaire de santé. C’est de cette disposition que s’inspire un projet de réglementation touchant la participation des personnes de plus de 70 ans à des manifestations sur la voie publique.

On a vu en effet ces derniers temps que participer à une manifestation de rue peut s’apparenter à un sport. Une telle participation présente des dangers particuliers pour les personnes âgées. Même si elles sont valides et même s’il s’agit d’une manifestation déclarée (où le calme n’est pas a priori assuré), elles peuvent être exposées à des pertes d’équilibre, à des lenteurs dans leurs déplacements qui les retarderaient en cas de mouvements de foule ou de progression énergique des forces de l’ordre, etc. Et cela surtout si elles manquent de la sagesse convenable à leur âge qui devrait leur dicter de rester à l’écart ou, plus sagement encore, de rester confinées chez elles. Il faut donc les protéger contre elles-mêmes. Le mieux serait évidemment de leur interdire toute sortie en toutes circonstances car toute sortie est hasardeuse (ne peut-on pas faire une mauvaise chute par exemple en allant voter ?), mais cette interprétation stricte du « maintien à domicile » risquerait d’être retoquée par le Conseil constitutionnel.

Après avoir pris l’avis d’un conseil d’experts, des élus2 envisagent de proposer par voie législative l’obligation pour les personnes âgées de plus de 70 ans désireuses de manifester sur la voie publique de se faire établir par un médecin un certificat de non contre-indication à la participation à de telles manifestations. À la différence de la réglementation touchant la pratique d’un sport, cette disposition serait plus contraignante au moins sur deux points. 1° Les personnes concernées devront être porteuses du certificat à chaque participation à une manifestation et le présenter à tout contrôle avec une pièce d’identité. 2° Le certificat sera valide un an seulement.

Si cette sage disposition est adoptée, elle sera une contribution utile à la réflexion sur la prévention et le contrôle des comportements à risque3 en attirant davantage l’attention sur la sollicitude requise envers nos seniors.

Notes

1 – Voir le détail très bien expliqué sur le site de la Fédération française de randonnée pédestre.

2Mezetulle s’est procuré le texte de l’avant-projet avec la liste de ses contributeurs :  suivre ce lien.

3 – N’oublions pas que ces comportements entraînent presque toujours un coût pour la dépense publique, comme le montre cet article.

http://dlssm.free.fr/smileyanimaux/poisson/6%20(4).gif

Féminisation, masculinisation et égalité(E)

avec en plus un cadeau de Mezetulle aux lecteurs.trices

Afin de mener une politique d’égalité entre les hommes et les femmes (oops, pardon ça commence mal – entre les femmes et les hommes), un travail de fond a été entrepris concernant l’usage de la langue et la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres. Non seulement cette politique bénéficie d’une promotion exemplaire, mais encore elle doit être renforcée dans un esprit d’équité et de cohérence.

Une promotion exemplaire pour la féminisation

On en a un exemple avec la fiche de synthèse publiée le 20 avril 2012 par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dont on peut lire la présentation en consultant la copie d’écran ci-dessous, prise le 30 mars 2017 (cliquer sur l’image pour agrandir)1.

Eh oui, cette note est publiée depuis pas tout à fait 5 ans, et personne ne s’est avisé de corriger la faute d’orthographe qui s’y exhibe. Je ne parle pas du mot « Egalité(E) » figurant dans le pavé blanc sur noir – on accordera volontiers qu’il n’est qu’un jeu de lettres lourdingue ajoutant un appendice d’insistance à un mot qui est déjà féminin. Non, je parle du troisième alinéa du texte :

« Constatant l’inapplication de la première circulaire de 1986, le Premier ministre a réitérée [sic] cette obligation dans une circulaire du 6 mars 1998 […] »

Souligner mesquinement cette faute comme je le fais à présent, n’est-ce pas trahir un état d’esprit nostalgique, rétif aux pratiques innovantes ? Puisque le mot obligation est féminin et que, par-dessus le marché, l’objet du texte est la féminisation, il est logique d’accorder ici au féminin tout ce qui peut l’être : c’est l’esprit qui compte, alors que la lettre tue ! La note de synthèse de 2012 anticipe ainsi sur de récentes recommandations concernant l’orthographe dans les classes : si l’apprenant écrit « les oiseaux chantes » ou « les portes sont ouvertent », puisque le pluriel a été ressenti en quelque manière, corriger serait trop stigmatisant.

En l’occurrence, ce n’est pas seulement un ressenti, mais une volonté militante qui semble avoir dicté cette orthographe de sympathie. Loin de voir là une faute, on décèlera une transgression vertueuse destinée à orienter l’évolution de la langue selon des objectifs hautement moraux. En effet, à partir de ce superbe cas particulier, il est possible de construire le jugement réfléchissant qui commence déjà à s’appliquer : chaque fois qu’on peut mettre la marque du féminin, même si elle n’est pas justifiée par la langue, il est bon de le faire parce que c’est l’indice d’une conscience du genre et une vengeance sur caractère machiste de la langue française, cet idiome réac qui marque le féminin et ne marque pas le masculin (en voilà un truc contre-nature !).

Donc on dira ou on écrira doctement : « après s’être permise d’entrer dans la chambre, elle s’est prise les pieds dans le tapis et s’est fixée un autre objectif », ou encore : « les déclarations qui se sont succédées ces derniers temps n’ont rien de nouvelles ». Par ailleurs, c’est ainsi qu’on accepte « de payer plus chère une pomme bio » . Sur cette avancée révolutionnaire, on pourrait « mettre la barre un peu plus haute », et écrire : « le travail qu’elle a entreprise la2 a donnée du mal » ou encore : « cette petite fille était celle qui avait la plus besoin d’aide ». Il suffit parfois d’un mot (ou même d’une lettre) pour renverser la grammaire et rétablir l’égale considération entre les sexes3.

Et votre vision sexiste vous égare si vous déclarez étourdiment que Colette est l’un des plus grands écrivains du XXe siècle : il va falloir la remettre prestement à sa place puisqu’elle n’en est que l’une des plus grandes écrivaines. Où l’on voit que la littérature vue par le petit bout de la lunette à moitié bouchée, c’est comme les chiottes : on y sépare les filles et les garçons.

Un renforcement : la masculinisation à l’étude

Quant au renforcement, on peut faire état d’un projet audacieux qui sera prochainement soumis à l’étude des instances compétentes. Jusqu’à présent en effet les efforts se sont portés sur la féminisation de termes dits masculins – ou plutôt non-marqués. Or pour être tout à fait équitable, il convient à présent de s’intéresser à l’opération réciproque : la masculinisation de termes féminins lorsque ces derniers désignent des personnes de sexe masculin. Il y va de la cohérence du projet global !

La Commission de terminologie et de néologie va donc devoir se pencher sur la manière de dire au masculin la victime, la personne, la sentinelle, la vigie, l’estafette, etc. On pourra faire quelques exceptions pour les termes élogieux – par ex. laisser « une beauté » au féminin – mais pour « une nullité », la parité s’impose ! Quant aux termes proches de l’insulte – une fripouille, une racaille, une ordure, une andouille, une raclure…- , ne serait-il pas juste de les remettre au masculin ?

Quant à l’Académie française – représentée de plein droit dans la Commission citée -, elle sera concernée plus particulièrement par l’aspect grammatical. Par exemple, jusqu’à présent lorsqu’on disait « Votre excellence (votre éminence / votre sainteté) veut-elle bien faire ceci ou cela ? », on pouvait laisser croire que seules des femmes étaient ainsi sollicitées par ces titres cérémonieux : va-t-on enfin pouvoir dire il ? car, au cas où vous ne le sauriez pas, il existe des ambassadeurs, des évêques et même des papes couillus.

Ultérieurement, en coordination avec l’étude pour la reconnaissance des droits des animaux, Mezetulle pense qu’il sera opportun d’étendre la réflexion à l’examen des noms des autres espèces sexuées, puisqu’on a déjà proscrit « l’homme » pour dire « l’homme et la femme » (oops, pardon voilà que je recommence, « la femme et l’homme »). Fort heureusement on a déjà la lapine et le lapin, la hase et le lièvre, la brebis et le bélier, la chèvre et le bouc, la laie et le sanglier, la jument et le cheval, la vache et le taureau, etc. Mais, même si on s’épargnera de parler du bœuf ou du hongre, il va falloir se pencher sur des cas délicats comme la girafe, la tortue, la souris, l’autruche, l’antilope, la gazelle, la panthère4

Une leçon de grammaire par Voltaire

Pour finir de noyer l.a.e poisson.ne, Mezetulle offre à ses lecteurs.trices (c’est bien comme ça qu’on doit écrire maintenant ?) ce passage extrait d’une lettre délicieusement ringarde de Voltaire. À Mme du Deffand, qui pensait avoir trouvé une faute de français dans un texte de son correspondant, il apporte un éclaircissement ayant quelque rapport avec notre sujet5.

Voltaire à Mme du Deffand, 30 mars 1775

J’ai pu vous dire, Madame : « J’ai été très mal, et je ‘le’ suis encore » :

1° parce que la chose est vraie ;

2° parce que l’expression est très conforme, autant qu’il m’en souvient, à nos décisions académiques.

Ce ‘le’ signifie évidemment : « Je suis très mal encore ». Ce ‘le’ signifie toujours la chose dont on vient de parler. C’est comme quand on dit : « Êtes-vous enrhumées, Mesdames ? », elles doivent répondre : « Nous ‘le’ sommes » ou « Nous ne le sommes pas ». Ce ‘le’ est un neutre en cette occasion, comme disent les doctes.

Il n’en est pas de même quand on vous demande : « Êtes-vous les personnes que je vis hier à la comédie du Barbier de Séville dans la première loge ? » Vous devez répondre alors : « Nous les sommes » parce que vous devez indiquer ces personnes dont on parle.

Êtes-vous chrétienne ? Je le suis. Êtes-vous la Juive qui fut menée hier à l’Inquisition ? Je la suis. La raison en est évidente. Êtes-vous chrétienne ? Je suis cela. Êtes-vous la Juive d’hier, etc. ? Je suis elle.

Voilà bien du pédantisme, Madame ; mais vous me l’avez demandé : et vous ferez de moi tout ce que vous voudrez, excepté de me faire venir à Paris. Mon imagination m’y promène quelquefois, parce que vous y êtes ; mais la raison me dit que je dois achever ma vie à Ferney.

Adieu, Madame, daignez me conserver toujours un peu d’amitié.

Notes

1 – En ligne actuellement en suivant ce lien (et en espérant que la faute y sera maintenant corrigée).

2 – Quelle ringardise de s’en tenir ici à l’unicité de la forme « lui » du cas-datif ! ne peut-on pas dire « la » lorsqu’il s’agit d’une femme ? Je reconnais que ça fait un peu bizarre, mais on finira par s’y habituer.

3 – Pour avoir une idée de l’infinie richesse des transformations possibles, on se régalera à la lecture de la réjouissante romance policière de féminisme-fiction Mersonne ne m’aime de Nicole-Lise Bernheim et Mireille Cardot (Paris : J. Losfeld, 2003 – 1re éd. 1978).

4 – En relisant cette énumération, une constatation effroyable me saisit : le substantif « mammifère » est de genre masculin ! Alors, ne parlons même pas du poisson..

5 – J’ai trouvé ce texte cité dans l’édition de 1960 de la Grammaire française expliquée de Georges Galichet, Louis Chatelain et René Galichet (éd. Lavauzelle), leçon sur le pronom, p. 28. Une précision qui fera plaisir aux esprits réac-publicains déclinistes, crispés sur un âge d’or de l’école qui n’a jamais existé, etc., etc. : cet ouvrage de 474 pages était destiné aux élèves des classes de 4e et 3e. Je l’ai moi-même pratiqué alors que j’étais élève au Lycée de Saint-Denis (93) aujourd’hui Lycée Paul Eluard, où j’ai effectué toutes mes études secondaires.

Ouverture d’un nouveau Conservatoire à Paris : une divine surprise

Jorge Morales et Dania Tchalik

Ce vendredi, la mairie de Paris, en présence et à l’initiative de Bruno Julliard, inaugure en plein cœur du Quartier latin le nouveau conservatoire Gabriel Faure (ainsi qu’il prononce). Particulièrement soucieuse de s’adapter à la demande d’une société en mouvement qui, nous le savons, tend de plus en plus (et en particulier depuis les événements de janvier et novembre 2015) vers une application scrupuleuse des principes républicains, la municipalité a élaboré, dans le but de corriger de nombreuses erreurs de calcul guidées par un clientélisme mortifère, un projet d’établissement dont chacun pourra constater le caractère parfaitement innovant.

Ainsi, la pérennité du financement de l’établissement sera garantie par une prise en charge progressive par l’État qui débouchera en 2020 sur une intégration pleine et définitive. Cet acte fort permettra de proposer à tous les professeurs contractuels et même vacataires (si, si !) un accès sûr à la titularisation ; mais on n’attendra pas cette échéance pour libérer leur emploi du temps de toute la réunionnite jadis concoctée par la gent managériale. Côté élèves, le changement ne sera pas moins spectaculaire : les droits d’inscription seront divisés par deux en échange d’une obligation d’assiduité et de travail régulier et des examens annuels seront rétablis en lieu et place de cycles jugés obsolètes et rétrogrades et de la nullité confondante des projets et autres ateliers participatifs dont les apprenants ne tirent aucune véritable instruction. Plus largement, le conservatoire est redéfini comme une école d’art où les élèves, quels que soient leur niveau ou leur profil, sont encouragés à atteindre leur plus haut point d’excellence grâce aux bienfaits d’un enseignement à la fois progressif, fondé sur l’élémentarité et l’individualité, et rigoureusement indépendant de toute injonction politique, conformément aux principes de Condorcet : il s’agira non pas de socialiser des usagers mais d’éclairer des élèves.

Or, toute évolution comporte ses inévitables freins au changement : celle-ci n’échappe pas à la règle. Ainsi, quelques experts en pédagogie – dont l’idéologie archaïque, réactionnaire et infantilisante n’a d’égale que la propension à une nostalgie coupable, celle d’une époque heureusement révolue où la médiocrité et l’anti-intellectualisme cantonnaient les conservatoires aux loisirs et au divertissement de masse –, n’ont pas manqué de se répandre en complaintes acerbes vilipendant les grandes lignes de ce dessein hautement progressiste. Parmi eux, la cheffe de la BRTS (Brigade de Répression de la Transmission du Savoir), Sylvie Poivrier, déplore l’écart inadmissible avec les objectifs du SCEM (Socle de Crétinisation et d’Employabilité des Masses) tandis que le formateur Emeric Sépromis appelle les édiles parisiens à « se bouger le bacon » et à « éteindre les Lumières » : Milner et Alain au programme des formations pédago, jamais !!! Sans oublier José Attila, professeur de Meiriologie à l’Université des Hauts d’Occitanie et chef de file d’une lignée de disciples1, qui dénonce dans une philippique (que tout CFUMIste qui se respecte se devra d’apprendre par cœur) cette « insupportable entorse à la doctrine de l’égalisation par le bas », qui rend nos conservatoires « inutiles socialement ». D’autres agents pédagogiques lui emboîtent le pas2.

Cependant, il n’y a pas lieu de douter de la détermination sans faille des édiles parisiens qui sauront faire preuve d’écoute (à l’image de Najat Vallaud-Belkacem face aux professeurs manifestant contre la réforme du collège) et déployer toute la pédagogie requise (tel un Manuel Valls s’agissant de la loi Travail ou de quelques « grands projets inutiles ») pour neutraliser les résistances et faire triompher l’intérêt général qui ne sera plus confondu avec les volontés particulières, de même que l’utilité sociale n’usurpera plus jamais la place de l’utilité publique, si l’on veut que la fraternité républicaine ne soit pas broyée par le vivre-ensemble citoyen et qu’elle ne tombe pas aux mains de charlatans.

Notes

 

1 – Afin d’éclairer le lecteur, voici quelques références bibliographiques parmi les plus récentes de cette glorieuse lignée : Nicholas Stropiers, Vive la misologie et le « savoir-être », Grenoble, Éditions du pédago, 2015 ; Katherine Bobine, « La co-construction et la co-intervention participative, ouverte et plurielle des Conservatoires de France », Mozart, Beethoven et le bacon, Cahiers de l’Association Conservatoires de l’Ancien Régime, 32 (2016), p. 1-2 ; et enfin, Vampeer Jeanson, « Rythme de la Réforme et réforme des Rythmes », Revue de l’Association des Bourdivins illuminés, 42777 (2014), p. 499-600.

2 C’est le cas de Sophie Tehait, professeur au Conservatoire d’Aumertilliers-Lacourvieille, qui s’indigne de voir les intérêts particuliers, et donc les ambitions de carrière, remplacés par une pédagogie fondée sur le mérite où l’on ne réprime plus, au nom des idées de « gauche », ceux qui cherchent à se distinguer. Voir « La pédagogie de groupe et le journal de classe : deux remèdes contre les archaïsmes du passé », Faire carrière dans le monde pédago, Cahiers des FEDECEM, 3000 (2015), p. 102-146. De même, la contribution audacieuse de deux experts en djihadisme, Michel Sucrière et Christiane Souillon (L’instruction publique, entre pétainisme et djihadisme international, La Garde-sur-Rouge, Surveiller et punir éditeur, 2015), offre au lecteur, à travers l’exercice systématique du dévoilement, l’indispensable dénonciation des crimes politiques passés, présents et à venir des professionnels de la musique et de son enseignement.

© Dania Tchalik et Jorge Morales, Mezetulle, 2016.

On peut fumer dans le tramway : oui, mais quoi ?

Quelle n’a pas été ma surprise, en lisant attentivement le règlement affiché dans le tramway parisien, d’apprendre qu’on peut y consommer certain(s) « produit(s) destiné(s) à être fumé(s) ».

Je n’invente rien, voici la photo de cet extrait du règlement du « Savoir voyager », prise récemment sur la ligne T3b.

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En effet, à la fin de la rubrique « Règles de civisme » et juste avant la rubrique « Animaux », la formule suivante m’a laissée longtemps perplexe :

« Tout produit destiné à être fumé (même s’il ne contient pas de tabac) ne peut être consommé dans les véhicules »

Même si j’ai cru comprendre que les vapoteurs procéduriers sont dans le collimateur de cette rédaction alambiquée, même si j’ai cru comprendre aussi que le verbe « consommer » vise la reniflette et la chique, cette explication ne me satisfait pas. Quelque chose ne colle pas dans la phrase. Au terme de profondes réflexions, je pense avoir complètement élucidé le sens de la formule et je ne résiste pas au plaisir de soumettre le résultat de mes recherches aux lecteurs de Mezetulle.

Pour éclairer le sens de la phrase, j’ai fait des exercices de variation.

Par exemple quand je dis que « Tout haltérophile ne peut soulever à l’arraché un poids supérieur à 200 kg » ou que « Tout sauteur à la perche ne peut franchir 6m de hauteur », je ne dis pas qu’aucun haltérophile ne peut soulever à l’arraché un poids de plus de 200 kg ; je ne dis pas qu’aucun sauteur à la perche ne peut franchir 6 m. Je dis au contraire qu’il y a au moins un haltérophile et au moins un sauteur à la perche qui peuvent, respectivement, réaliser ces performances.

Donc quand on dit que « Tout produit destiné à être fumé ne peut être consommé », on dit du même coup qu’il y a au moins un « produit destiné à être fumé » qui peut être consommé dans le tram. C’est un scoop !

Oui mais lequel ? Ou lesquels (car il n’est pas exclu qu’il y en ait plus d’un) ? Pour le savoir, puisque le règlement ne le précise pas, il ne reste guère que la méthode de l’expérimentation éliminatrice, laquelle demande un certain temps et comporte quelques risques : essayer de fumer ou de renifler dans le tram un « produit destiné à être fumé »1 jusqu’à ce que verbalisation s’ensuive, le barrer sur la liste, puis en essayer un autre, etc., jusqu’à ce qu’on trouve enfin de quoi il s’agit.

Quel farceur subtil ce rédacteur juridique de la RATP ! Sa formule nous propose un jeu : elle nous engage à essayer dans le tram toutes sortes de « consommations » de « produits destinés à être fumés » pour résoudre l’énigme !

Car s’il avait voulu signifier clairement et sérieusement l’interdiction de fumer, renifler, mâcher, etc., tous les produits  « destinés à être fumés », il aurait écrit : « Aucun produit destiné à être fumé ne peut être consommé » ou encore « Il est interdit de consommer un produit destiné à être fumé».

N’est-ce pas bien raisonné ?

@ Mezetulle, 2016

  1. On se limitera bien sûr aux substances licites qui ne sont pas interdites par ailleurs. Par exemple, lorsque j’étais enfant, nous fumions en forêt une sorte de liane très âcre avec un délicieux sentiment de transgression : on pourrait commencer par là ? En outre, cerise sur le gâteau, on peut pinailler car cette plante sauvage n’est nullement destinée à être fumée et en plus ce n’est pas un produit… []