Aline Girard rappelle les multiples et spectaculaires offensives politico-religieuses dont la pratique sportive publique est l’objet, lesquelles n’épargnent même pas (on devrait dire « surtout pas ») l’olympisme en dépit de sa charte. Elle fait le point sur la situation actuelle de la réglementation, très complexe, de l’affichage politico-religieux dans le sport et commente le projet de loi voté par le Sénat en février 2025 ainsi que les réactions qu’il a soulevées. Elle souligne que, pour l’islam politique qui mène ses offensives sur tous les secteurs de la vie sociale et publique, « le sport est un terrain de choix, puisqu’il met en scène le pire cauchemar des intégristes, la liberté des corps, et surtout la liberté des corps féminins. »
- Que signifie la neutralité dans le champ des activités physiques et sportives ?
- Comment les fédérations sportives appliquent-elles les principes de neutralité et de laïcité ?
- Le sport à l’école est-il soumis aux mêmes règles ?
- Le sport est-il un lieu de prosélytisme et d’entrisme religieux ?
- Le sport féminin aux jeux olympiques est-il un enjeu pour l’islamisme ?
- Après les questions
- Notes
Les Jeux olympiques de Paris de 2024 ont mis sur le devant de la scène, de manière spectaculaire, la question de la neutralité religieuse et politique dans le sport. Avant et pendant cet événement mondial, suivi par un total cumulé de 12 millions de spectateurs sur sites et 12 milliards de téléspectateurs dont 60 millions de Français, les débats ont été vifs autour du port de signes religieux ostensibles dans les stades, gymnases, dojos et autres enceintes sportives.
Interdites pour les athlètes français (avec une regrettable entorse au règlement pour la coureuse de relais 4×100 Sounkamba Sylla qui a caché son voile sous une casquette), les tenues islamiques ont fleuri dans les enceintes sportives. Une image forte est celle de la marathonienne néerlandaise Sifan Hassan, qui a reçu lors de la cérémonie de clôture sa médaille d’or voilée, alors qu’elle avait couru nu-tête et en short et qu’elle n’était jamais auparavant apparue portant un voile. La signification de ce choix – volontaire ou contraint – est sans équivoque : il s’inscrit dans une puissante offensive politico-religieuse.
Il est difficile d’oublier les pionnières musulmanes du Maghreb, médaillées d’or, qui ont concouru tête, jambes et bras nus dans le respect de la Charte Olympique, pour défendre la liberté des femmes et ce malgré les menaces des intégristes de leur pays : qu’il s’agisse de la Marocaine Nawal El Moutawakel aux JO de Los Angeles de 1984, de l’Algérienne Hassiba Boulmerka aux JO de Barcelone de 1992 et de la Tunisienne Habiba Ghribi aux JO de Londres de 20121. Ces femmes sont les héritières de celles qui se sont battues depuis la fin des années 1960 pour la liberté et l’émancipation des femmes, pour l’égalité des sexes, pour une condition féminine libérée des oppressions et du patriarcat.
L’olympisme est désormais le champ d’expressions politiques et convictionnelles qui s’affichent ouvertement sans risque de sanction. De fait, le sport en général est le siège d’attaques répétées et puissantes contre la neutralité et l’égalité femmes/hommes, et, en France, contre la laïcité.
Les débats et les polémiques occupent la scène politique et médiatique, révélant en France des fractures idéologiques et sociétales profondes. Dans ce contexte tendu essayons, en cinq questions, d’avoir les idées claires sur la réalité juridique et les courants d’influence qui traversent le champ sportif.
Que signifie la neutralité dans le champ des activités physiques et sportives ?
Le mieux est de faire confiance au ministère des sports, et plus particulièrement aux pages « Préserver le pacte républicain » du site officiel2, dont sont extraits les deux paragraphes suivants :
« Le principe de neutralité [religieuse et politique] s’applique aux activités sportives organisées par les collectivités publiques et par les fédérations sportives chargées d’une mission de service public [qu’elles soient agrées ou délégataires]. Les présidents, salariés et bénévoles de ces fédérations, les arbitres désignés sur une compétition fédérale, les athlètes sélectionnés en équipes de France doivent respecter, dans leur activité sportive, le principe de neutralité religieuse. Les statuts des fédérations et les règlements des collectivités publiques peuvent y soumettre en outre leurs adhérents et usagers (conformément au principe dont s’inspire l’article 50.2 de la Charte olympique). […]
Dans le cadre de la pratique sportive, la liberté d’expression des convictions et des croyances peut être restreinte afin de garantir l’égalité de tous et le respect de la liberté de conscience d’autrui.[…] Le fait de s’abstenir de faire ostentation de ses croyances ou convictions sauvegarde l’égalité et le respect mutuel entre tous. Pour défendre les valeurs du sport au quotidien, il faut parallèlement mener, sans faiblesse et sans ambiguïté, la lutte contre toute tentative de propagande religieuse ou politique, toute forme de radicalisation religieuse ou de repli communautaire. »3
En revanche, les associations sportives privées qui n’exercent pas une mission de service public ne sont pas tenues par une obligation légale de neutralité religieuse en leur sein. Les adhérents et athlètes de ces clubs demeurent en principe libres de leurs convictions et de leurs tenues. La liberté d’expression des croyances trouve donc à s’exercer dans la pratique sportive amateur, sous réserve de ne pas troubler l’ordre public, de ne pas porter atteinte aux autres (pas de prosélytisme abusif, pas de discrimination) et de rester compatible avec le bon déroulement de l’activité en termes d’hygiène et de sécurité et les règles du jeu.
Prenons un exemple : une sportive voilée évoluant dans un club amateur privé ne contrevient pas à la loi tant qu’aucune règle spécifique ne l’interdit dans la compétition concernée. Toutefois, dès lors que cette sportive participe à des compétitions officielles organisées par une fédération délégataire, elle entre dans un cadre où la fédération peut imposer des restrictions vestimentaires au nom de la neutralité et de considérations d’ordre public.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République4 a introduit des outils juridiques importants pour renforcer l’application de la laïcité dans le champ sportif, notamment en posant des conditions claires à ceux qui participent au service public sportif ou qui en bénéficient. Ainsi, – cette loi a, d’une part, créé un mécanisme de “déféré laïcité” permettant aux préfets de saisir en urgence le juge administratif lorsqu’une décision d’une collectivité publique satisfait une revendication religieuse – un dispositif qui a été utilisé pour la première fois lors de l’affaire du burkini dans les piscines de Grenoble en 2022. Elle a, d’autre part, instauré le Contrat d’engagement républicain pour les associations sollicitant un agrément de l’État ou une subvention publique. Toutes les associations sportives agréées, affiliées à une fédération ou subventionnées, doivent signer ce contrat et s’engager à respecter les valeurs de la République, dont la laïcité.
Comment les fédérations sportives appliquent-elles les principes de neutralité et de laïcité ?
Alors que l’homogénéité et la cohérence devraient régner dans ce domaine, les fédérations françaises agréées ou délégataires appliquent les règles de neutralité et de laïcité de manière inégale. Le sport est le lieu de regrettables incohérences.
Plusieurs fédérations appliquent strictement les règles, en raison du cadre imposé par les autorités publiques et de leur attachement aux valeurs républicaines. Les fédérations françaises de Football (2016), Basket-ball (2022), Volley-ball (2023) ou Rugby (2024) interdisent le port de signes religieux ostensibles sur les terrains lors des compétitions officielles nationales et internationales, quel que soit le niveau de pratique, considérant que le sport collectif doit être un espace neutre, exempt de toute manifestation politique ou religieuse. On se souvient de la polémique autour de l’affaire des « hijabeuses » qui demandaient en 2023 le droit de porter une tenue islamique. La FFF, réaffirmant sa position de principe, a été attaquée par le collectif « Les hijabeuses » devant le Conseil d’État, qui a rejeté leur demande5.
D’autres fédérations françaises appliquent des règles contraires et autorisent le port du voile, essentiellement sous prétexte d’inclusivité, en réalité pour contourner d’éventuelles polémiques. C’est le cas par exemple des fédérations d’Athlétisme, de Hand-ball ou de Judo.
L’incohérence est patente et nuisible. Certaines fédérations considèrent la neutralité comme essentielle pour préserver l’unité et éviter les tensions dans des environnements multiculturels ; d’autres, sensibles aux pressions communautaires relayées et amplifiées par les médias et des partis politiques opportunistes, privilégient la « souplesse » pour, disent-elles, encourager la participation et respecter les droits individuels, mais aussi pour éviter des accusations de discrimination. Le cas du hijab dans le sport est le point de friction principal entre les fédérations qui défendent la neutralité et la laïcité et celles prônant une approche « inclusive ».
En dépit des décisions du Conseil d’État favorables à la FFF et la FFBB, les réglementations des fédérations ayant décidé d’interdire le voile en compétition demeurent contestées (et sont parfois contournées), comme le sont d’ailleurs celles des fédérations n’ayant pas pris de mesure d’interdiction. Le terrain est miné.
Le sport à l’école est-il soumis aux mêmes règles ?
L’école est régie par des dispositifs juridiques spécifiques qui sont sans ambiguïté concernant l’obligation de la discipline, les signes religieux, la mixité, le suivi des enseignements.
L’obligation de la pratique du sport à l’école de l’article L. 312-3 du Code de l’éducation qui dispose que « l’éducation physique et sportive (EPS) fait partie intégrante des enseignements obligatoires dans les établissements scolaires. Elle vise à contribuer à l’épanouissement physique, moral et social des élèves. »6 De plus, le Préambule de la Constitution de 1946 (adopté dans la Constitution de 1958) établit que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture », ce qui englobe les activités sportives comme un aspect de l’éducation globale. Les textes de référence sont clairs, la loi l’est aussi.
Le port par les élèves de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse est interdit par la loi du 15 mars 2004, au sein de l’établissement comme dans les installations sportives extérieures ou pendant le trajet jusqu’au stade ou gymnase. L’article 13 de la Charte de la laïcité affichée dans tous les établissements scolaires ajoute : « Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’École de la République ».
La mixité a été rendue obligatoire à tous les niveaux d’enseignement et dans toutes les disciplines par la loi Haby du 11 juillet 1975. Les nouveaux programmes précisent que l’EPS permet à tous les élèves « filles et garçons ensemble et à égalité » de construire les compétences du socle commun.
Tout est on ne peut plus carré. Et pourtant les contestations en l’EPS – la discipline la plus touchée7 – par les élèves, principalement de religion musulmane, se multiplient : absences systématiques à des cours de piscine ou d’athlétisme, dispenses médicales de complaisance8, demandes de non-mixité dans les cours d’EPS et notamment en natation, revendications de tenues vestimentaires couvrant les bras et les jambes, etc.
Il faut convenir que pour les élèves sportives il est parfois compliqué d’y comprendre quelque chose ! Ainsi une élève se verra interdire le port du voile au lycée à 15h sous le regard vigilant de son professeur d’EPS, alors qu’elle sera autorisée à le porter à 18h à l’entraînement de hand-ball dans le gymnase voisin sous le regard indifférent de son coach… professeur d’EPS quelques heures auparavant. Incohérence nuisible au développement de l’esprit laïque et républicain !
Le sport est-il un lieu de prosélytisme et d’entrisme religieux ?
Le sport est historiquement et communément perçu comme un espace de partage et d’union au sein d’un groupe, d’une équipe et un support du dialogue interculturel entre nations, et non comme un enfermement ou un lieu de prosélytisme religieux. C’est pourtant aujourd’hui un lieu d’entrisme religieux. Médéric Chapitaux, membre du Conseil des sages de la laïcité de l’Éducation nationale et auteur du livre Quand l’islamisme pénètre le sport9 tire le signal d’alarme. Il interroge : « Certaines salles de sports dans les banlieues seraient-elles devenues des lieux de l’entre-soi et un éventuel ferment de l’islamisme ? Une forme d’emprise prosélyte s’exercerait-elle en direction des jeunes de confession musulmane qui fréquentent certains lieux de pratique sportive ? ». Le constat est le même chez William Gasparini, sociologue du sport, qui alerte sur les dérives du « sport communautaire », la présence d’« entrepreneurs identitaires » sur les terrains de sport et la « confusion entre l’espace sportif et l’espace cultuel »10. Le sport est-il le « terrain de jeu des islamistes dans les quartiers populaires » ? Plusieurs rapports officiels ont précédé ces observations récentes11.
En 2020, 127 associations sportives étaient identifiées comme « ayant une relation avec une mouvance séparatiste » rassemblant plus de 65 000 adhérents, parmi lesquelles 29 structures apparaissaient fondées ou « noyautées » par des tenants de l’islam radical, majoritairement salafistes (18) et 5 en lien avec les Frères musulmans (les autres sans affiliation repérée), rassemblant plus de 11 000 adhérents12. Certains voient le sport comme le prochain « territoire perdu de la République ».
La commission Culture du Sénat a alerté sur les dérives observées et la multiplication des associations sportives en relation avec une mouvance islamiste radicale et séparatiste. Le 18 février 2025, le Sénat a adopté en première lecture, par 210 voix contre 81, la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport13.
Cette proposition de loi, notamment, interdit le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions organisées par les fédérations sportives, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées et impose le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines. Elle a été transmise à l’Assemblée nationale le 19 février. Depuis lors, les prises de position et polémiques au sujet de cette loi ont fleuri dans le monde politique, dans la presse et dans le monde sportif lui-même.
Dans un premier temps, le premier Ministre a décidé d’inscrire au plus vite l’examen de cette loi à l’agenda de l’Assemblée nationale, puis François Bayrou a pris un virage à 180°, déclarant le 1er avril : « Il ne faut pas stigmatiser nos neuf millions de compatriotes musulmans »14. Des dissensions sont apparues au sein du gouvernement. La ministre des sports Marie Barsacq a tergiversé15. « Aucun signe religieux ostentatoire16 ne doit être porté lors des compétitions sportives » pour Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, ajoutant qu’« un terrain de sport n’a pas à être un lieu d’entrisme religieux, d’entrisme politique ». La ministre de l’Éducation nationale Elisabeth Borne a courageusement botté en touche, rejetant l’idée d’une loi d’interdiction générale pour lui préférer une « gestion par les fédérations sportives ». Pour pasticher le slogan de la marque Canada Dry, le sport « Ça a la couleur de l’Éducation nationale, le goût de l’Éducation nationale… mais ce n’est pas l’Éducation nationale. » Aux fédérations sportives, comme jadis aux proviseurs et principaux de collèges, la lourde responsabilité de la décision. Une époque qui rappelle les erreurs de jugement et difficultés des années 1989-2004 dans les établissements scolaires, avant le vote de la loi du 15 mars 2004 sur l’interdiction de signes religieux ostensibles.
Parmi les sportifs également, des divergences ont émergé. Songeons à la prise de position sur X du judoka Teddy Riner qui a minimisé la portée du port du hidjab dans le sport avant de tenter d’apaiser la situation, probablement après la mise au point de l’ancien champion du monde de boxe français d’origine iranienne, Mahyar Monshipour. « Réveillez-vous », a-t-il lancé à Teddy Riner ajoutant à partir de son expérience : le voile est un « linceul » et le « signe visible d’une inégalité entre l’homme et la femme »17. Précisions que Monshipour a été l’entraîneur de Sadaf Khadem, la première femme iranienne à participer à un combat officiel de boxe depuis la révolution iranienne de 1979, ce qui l’a contrainte à l’exil en France.
Les nombreuses manifestations religieuses dans les stades pendant la période du Ramadan 2025, comme des interruptions de matchs ou des prières collectives dans les vestiaires, ont donné un ton encore plus aigu aux débats. Les conclusions, pourtant très documentées et précisément sourcées, de la « Mission flash sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport », rapportées le 5 mars 2025 par les députés Julien Odoul et Caroline Yadan, missionnés par la Commission des Affaires culturelles et de l’éducation, ont achevé d’enflammer les esprits18. Les rapporteurs de la Mission flash n’ont fait pourtant que confirmer les alertes. Les observations sont concordantes.
Le sport féminin aux jeux olympiques est-il un enjeu pour l’islamisme ?
Je m’inspire ici des propos si lucides d’Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes19.
La règle 50.2 de la Charte olympique stipule qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. » Le président du Comité International Olympique, Avery Brundage, n’a pas hésité à l’appliquer lorsqu’elle a été enfreinte de façon spectaculaire aux Jeux de Mexico de 1968 par deux athlètes coureurs de 200 mètres, John Carlos et Tommie Smith. L’image de leur poing ganté de noir dressé dans le ciel de Mexico en faveur de la non-discrimination raciale et des droits de l’homme est passée à la postérité. Les deux athlètes ont été suspendus pour cause de démonstration politique, puis exclus à vie des Jeux olympiques. On peut évoquer aussi l’interdiction faite aux athlètes français aux JO de Pékin (2008) de porter un badge « Pour un monde meilleur » vu comme une critique implicite du régime chinois.
Le sport a joué un rôle majeur dans le combat contre l’apartheid racial en Afrique du Sud . Le CIO n’a montré aucune faiblesse lorsqu’il a exclu l’Afrique du Sud des Jeux pendant trente ans de 1962 à1992. Mais une autre forme d’apartheid, passée quasiment inaperçue, a fait son apparition : l’absence, voire l’exclusion des femmes de trente-cinq délégations. Plus tard sont venues les exigences choquantes, notamment vestimentaires, en contradiction avec les règles du sport et l’ancrage d’un « modèle sportif islamiste féminin ».
L’obligation de neutralité des athlètes olympiques est bafouée, depuis que les femmes de nombreux pays musulmans sont contraintes de concourir en portant une tenue islamique, la première d’entre elles étant une Iranienne aux JO d’Atlanta en 1996. En acceptant des conditions spécifiques et discriminatoires pour la pratique féminine, les organisateurs des JO et des compétitions internationales abandonnent leurs principes et encouragent la propagation d’une vision ségrégationniste, telle qu’elle est imposée en Iran et en Afghanistan, avec le soutien des pétro-monarchies. À l’apartheid racial a succédé l’apartheid sexuel ! On ne peut être plus percutant.
Comme l’a dit l’actrice iranienne, Golshifteh Faharani, après la mort de Mahsa Amini en 2022 : « Libérer sa chevelure est un geste symbolique sans précédent. Le voile est la base de l’oppression islamique sur la femme. S’il tombe, le reste s’effondrera » 20. On entend bien, à travers les propos de l’héroïne de « Lire Lolita à Téhéran », que le voile est un outil d’oppression et non un « vêtement » comme les autres, non signifiant.
Après les questions
La situation que nous connaissons en France aujourd’hui dans le sport est source de confusion dans les esprits et de tensions dans la vie quotidienne des sportifs, des encadrants, des associations et des collectivités, de la société en général. Il faut éviter qu’elle ne se dégrade encore plus sauf à risquer la survenue d’événements violents.
Deux points sont particulièrement préoccupants : d’une part l’entrisme islamiste dans le sport et la communautarisation qui l’accompagne et d’autre part le port du voile par les sportives musulmanes qui auraient, grâce à cette tolérance, la possibilité de s’intégrer et de s’émanciper. Pour certaines néo-féministes woke, le sport « empouvoire » les femmes voilées. « Tel est le message publié le 18 mars sur le réseau social Bluesky par la députée écologiste de Paris Sandrine Rousseau, pastichant l’extraordinaire slogan des femmes iraniennes « Femme, vie, liberté » avec un affligeant : « Femme, sport, foulard », nous dit Fatiha Agag-Boudjahlat »21, qui ajoute « Le port du voile dans le sport discrédite les musulmanes non voilées », avant de conclure « Une liberté qui se fait aux conditions des hommes n’est pas digne ». J’ajouterai « aux conditions des hommes intégristes islamistes »22.
Une réflexion sur le sport ne peut faire l’impasse sur l’action de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire, assassiné par la milice en 1944 et entré au Panthéon en 2015. Un homme au destin brisé à l’origine de réformes fondamentales de l’institution scolaire et du monde culturel qui ont marqué en profondeur notre société. C’est Jean Zay qui a instauré l’Éducation physique et sportive à l’école et il faut garder à l’esprit l’idéal qui l’animait. Il a voulu faire du sport un outil de libération de l’individu et de solidarité humaniste, à l’époque où le fascisme et le nazisme embrigadaient les esprits et instrumentalisaient les corps. Pour lui, formation et liberté des esprits, formation et liberté des corps étaient la voie royale vers l’émancipation. Une voie vers l’émancipation dont on peut penser qu’elle est de moins en moins aisée aujourd’hui pour les filles et les femmes.
J’emprunte les mots de la fin au Collectif laïque national qui regroupe plus de 40 associations laïques. Dans un communiqué de presse publié le 4 avril, le Collectif affirme « Le sport s’adresse à toutes et tous : il doit rester neutre » :
« Le Collectif n’oublie pas qu’un véritable apartheid sexuel est imposé aux femmes dans les théocraties islamiques, par le port obligatoire du voile ou du hidjab et la dissimulation du corps (cou, bras, jambes), comme par leur exclusion de certaines disciplines sportives dans les compétitions internationales. L’affichage religieux des sportives est un élément de propagande politico-religieux incontestable. On ne peut ignorer en France cette réalité, et considérer que la dissimulation du corps des femmes ne serait chez nous qu’une affaire de mode, voire l’effet d’un libre choix. Le militantisme communautariste d’associations comme « Alliance citoyenne » (pour le hidjab dans le football ou le burkini à la piscine), justement mis en échec par le Conseil d’État, doit être combattu. Le Collectif constate que, contrairement à ce que prétendent certains, de nombreux travaux font état d’un entrisme religieux croissant dans le sport, source de pressions communautaristes contraires à la liberté de conscience. »
Liberté de conscience et laïcité, piliers de notre République, sont aujourd’hui largement recouvertes par la notion de liberté de religion, voire de « liberté religieuse », ce dernier concept étant absent du droit et de l’imaginaire français. Les manifestations religieuses dans le sport, nombreuses et ostentatoires, interdisent sur les terrains comme dans les gymnases cette « respiration laïque », pour reprendre l’expression de Catherine Kintzler, que permet l’école depuis la loi du 15 mars 2004. Aujourd’hui l’offensive de l’islam radical et politique – l’islamisme – se porte sur tous les terrains de la vie politique, sociale, économique et culturelle : école, entreprise, théâtre, tout est bon pour tenter de mettre en œuvre une oppression régressive, d’imposer une vision inégalitaire et obscurantiste des relations entre les êtres humains, et particulièrement entre les hommes et les femmes. Le sport est un terrain de choix, puisqu’il met en scène le pire cauchemar des intégristes, la liberté des corps, et surtout la liberté des corps féminins. N’est-il pas temps de légiférer pour que le sport reste un espace neutre où l’indifférenciation permettrait l’égalité et la fraternité, en ces temps où une prescription implicite invite de plus en plus les sportifs à se reconnaître dans la position religieuse, comme des êtres religieux membres de communautés ?
Notes
1 – Merci à Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, pour ces références.
3 – On se référera avec profit au Vademecum « Liberté d’expression, neutralité et laïcité dans le champ des activités physiques et sportives » réalisé en mars 2022 par le Conseil des sages de la laïcité de l’Éducation nationale avec le concours de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports. Rubrique Publications, notes et avis : https://www.education.gouv.fr/le-conseil-des-sages-de-la-laicite-et-des-valeurs-de-la-republique-41537
5 – https://www.conseil-etat.fr/actualites/interdiction-par-la-fff-du-port-pendant-les-matchs-de-tout-signe-ou-tenue-manifestant-ostensiblement-une-appartenance-politique-philosophique-r
6 – Voir le Vademecum « La Laïcité à l’école » publié par le Conseil des sages de l’EN. Fiche 9 :« Les élèves sont soumis à l’obligation d’assiduité posée par l’article L. 511-1 du Code de l’éducation, qui impose que soit suivie l’intégralité des enseignements obligatoires et facultatifs auxquels les élèves sont inscrits (article R. 511-11 du Code de l’éducation). Il en résulte que les élèves doivent assister à l’ensemble des cours inscrits à leur emploi du temps sans pouvoir refuser les matières qui leur paraîtraient contraires à leurs convictions. Un absentéisme sélectif pour des raisons religieuses ne saurait être accepté. En éducation physique et sportive (EPS), les certificats médicaux – qui pourraient paraître non justifiés au directeur d’école ou au chef d’établissement – peuvent être soumis à l’avis du médecin de l’éducation nationale, qui pourra, s’il l’estime utile, demander à rencontrer l’élève pour pouvoir évaluer la situation. En effet, le motif d’atteinte à des convictions religieuses ne figure pas au nombre des motifs d’absence reconnus comme légitimes (cf. article L. 131-8 du Code de l’éducation). Ibid. https://www.education.gouv.fr/le-conseil-des-sages-de-la-laicite-et-des-valeurs-de-la-republique-41537
7 – 30% des professeurs d’EPS ont été confrontés à des contestations, selon Jean-Pierre Obin, in Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Paris, Hermann, 2020.
8 – Voir le Vademecum publié en mars 2022 par le Conseil des Sages de la laïcité de l’EN : « L’évitement des cours d’éducation physique et sportive et le recours à des certificats médicaux non justifiées ». Ibid. https://www.education.gouv.fr/le-conseil-des-sages-de-la-laicite-et-des-valeurs-de-la-republique-41537
9 – Médéric Chapitaux, Quand l’islamisme pénètre le sport , Paris, PUF, 2023.
11 – On peut citer le rapport du Sénat daté de 2020 sur « Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble », dont la partie 3 est consacrée au sport (Le sport, parent pauvre de la lutte contre le séparatisme https://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-115.html) et celui publié en 2021 par l’Inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche qui font les mêmes constats https://www.sports.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/rapports-ig-sr-les-ph-nom-nes-de-communautarisme-dans-les-associations-sportives-et-de-jeunesse-les-accueils-collectifs-de-mineurs-4967.pdf
12 – Données issues du Rapport sur « Frères musulmans et islamisme politique en France » (mai 2025) https://www.crsi-paris.fr/wp-content/uploads/2025/05/202505-Rapport-Freres-Musulmans-.pdf
13 – https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/proposition-de-loi-visant-a-assurer-le-respect-du-principe-de-laicite-dans-le-sport.html
14 – https://www.marianne.net/politique/gouvernement/loi-pour-interdire-les-signes-religieux-dans-le-sport-bayrou-ne-veut-pas-stigmatiser-les-musulmans
15 – Dans un premier temps, la ministre Marie Barsacq a tenté de justifier le port du foulard islamique sur les terrains de sport au prétexte que « ce n’est pas de l’entrisme » et que « l’objectif du ministère des Sports, c’est de donner l’accès à la pratique sportive à tous et toutes », en ajoutant que « le sport est un outil d’émancipation pour tous et toutes ». Le lendemain, dans le journal L’Équipe, son entourage a maladroitement plaidé une « position d’équilibre » entre l’interdiction du port de signes religieux en compétition et la liberté religieuse des sportifs amateurs.
16 – Le fait que le signe religieux soit ostensible est suffisant, il n’a pas besoin d’être « ostentatoire ».
17 – https://www.franceinfo.fr/sports/judo/teddy-riner/voile-dans-le-sport-teddy-riner-fait-une-erreur-en-parlant-de-quelque-chose-qu-il-ne-connait-pas-affirme-a-nouveau-mahyar-monshipour_7152513.html
18 – https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/commissions-permanentes/affaires-culturelles/missions-info-commission/mission-flash-derives-communautaristes-sport
19 – En les réorganisant néanmoins https://shs.cairn.info/revue-humanisme-2024-2-page-62?lang=fr
20 – À voir le très beau film Tatami, film américano-géorgien (2023) réalisé par la franco-iranienne Zar Amir Ebrahimi et l’israélien Guy Nattiv, qui évoque la contrainte islamique exercée sur les sportives iraniennes à travers l’histoire d’une judoka. La réalisatrice, également actrice, s’est réfugiée en France en 2008.
21 – Auteur de Combattre le voilement, Paris, Cerf, 2019.